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Relations entre missionnaires de la SMEP et famille royale du Zambèze à travers

I. La photographie missionnaire en exploration (1880-1910)

I.2. L’image au service de l’évangélisation : François Coillard au Zambèze

I.2.3. Relations entre missionnaires de la SMEP et famille royale du Zambèze à travers

Le prince Litia (Yeta III)

À la mort de Lewanika en 1916, le prince Litia monte sur le trône sous le nom de Yeta III. Au contraire de son père, il semble renoncer à marquer une différence de statut entre lui et les missionnaires. Trois photographies conservées dans les collections de la SMEP le montrent aux côtés des frères Jalla [Illustration 26 ; Illustration 27 ; Illustration 28]. Contrairement à son père, le roi n’y porte aucun accessoire lié à sa fonction. Élevé auprès de François Coillard puis de Louis Jalla, converti au christianisme, Yeta III semble vouloir s’afficher sur un pied d’égalité avec les missionnaires.

L’intérêt de Yeta III pour la photographie ne se borne pas à servir de modèle. Il devient lui-même photographe. Suite à sa demande à propos de laquelle Coillard écrit « depuis longtemps il nous suppliait de le recevoir comme membre de notre grande famille196 », le

prince Litia vit plusieurs années auprès du missionnaire afin d’être instruit par lui. Avec d’autres enfants de la famille royale, il suit les cours de l’école missionnaire de Sefula. Aucune information précise n’existe sur l’initiation du prince à la photographie mais il est possible qu’elle ait débuté à cette période, sous les conseils de Coillard, avant de se poursuivre avec Louis Jalla à Kazungula, où Litia s’installe vers 1892.

En 1901, Coillard témoigne de la pratique de Litia :

À propos de photographie, voici Litia qui s’est mis à en faire lui aussi, et nous avons passé toute une matinée ensemble à prendre quelques vues. Il a le coup d’œil artistique très prononcé et m’a montré plus d’un point de vue qu’il avait déjà remarqué. Reste à savoir s’il persévérera197.

Quelques années plus tard, la revue Nouvelles du Zambèze publie une photographie légendée : « Litia photographiant, sur la place du khotla, son frère Ngouana-Nyanda, le jour de la présentation officielle, le 19 décembre 1904198 ». Mais c’est le témoignage du pasteur

196 COILLARD François, Sur le Haut-Zambèze, op.cit., p. 400. 197 Nouvelles du Zambèze, n°3, novembre 1901, p. 72.

198 Nouvelles du Zambèze, n°2, avril 1905, p. 39. Cette revue est publiée par les comités qui soutiennent la

Alfred Casalis, en voyage au Zambèze en 1913, qui confirme que le prince a réellement pris goût à la photographie. En visite chez Litia à Sesheke, il remarque « au mur, un grand portrait de Lewanika, des vues des chutes Victoria. La plupart sont des agrandissements de photographies prises par Litia lui-même. Le chef est un amateur distingué et possède sept appareils de premier choix199 ».

Toutefois, faute de pouvoir localiser des images de Litia qui auraient pu être conservées, tant en Zambie qu’en France, il apparaît impossible d’étudier plus précisément sa pratique de la photographie.

Les successeurs de Yeta III

Le roi Yeta III, infirme et pratiquement muet, abdique en 1945. Imwiko lui succède mais meurt trois ans plus tard. Seules quelques photographies de lui se trouvent aujourd’hui au sein des archives de la SMEP et uniquement au sein d’albums confiés tardivement par des familles de missionnaires200.

À partir de 1948 et l’accession au trône de Mwanawina III, les liens des missionnaires protestants français avec la royauté Lozi semblent se desserrer. Le nouveau roi est moins photographié en compagnie des envoyés de la SMEP que ses prédécesseurs. En dehors de quelques images de sorties de culte [Illustration 21], il est surtout présenté au cours de cérémonies officielles : à l’occasion de la remise de la Bible en Lozi par Marc Boegner201, président de la SMEP, en 1952 [Illustration 29], pour la visite de la reine-mère Elisabeth d’Angleterre en 1960 [Illustration 20] ou pour les fêtes de l’autonomie de l’Église du Barotseland en 1964202 [Illustration 30]. Il est toutefois largement photographié lors de son séjour en Europe en 1953. Venu assister au couronnement de la reine Elizabeth II à Londres, il séjourne quelques jours à Paris où il rencontre brièvement la direction de l’Afrique au quai d’Orsay et où il est accueilli par la SMEP qui organise pour lui différentes visites dans la capitale et un bref passage en Suisse. Le Journal des missions évangéliques consacre l’essentiel de son numéro de juillet-août 1953 à cet événement. Comment apparaît le roi dans ces photographies ? Il est essentiellement présenté en compagnie de protestants français, avec

199 CASALIS Alfred, Croquis du Zambèze, op.cit., p. 325.

200 Voir les albums remis par Philippe Burger au Défap en 2006. Philippe Burger est le fils du pasteur Jean-Paul

Burger (1903-1979), missionnaire de la SMEP au Zambèze entre 1927 et 1961.

201 Le pasteur Marc Boegner (1881-1970) est nommé professeur à l’école des missions en 1911. Il est président

de la SMEP en 1945 et 1968.

Marc Boegner et d’autres pasteurs. Les images ne dévoilent rien de ses autres rencontres auxquelles les représentants de la SMEP assistent pourtant avec le roi Mwanawina. Ce n’est que dans le numéro suivant du journal qu’un article illustré de trois photographies décrit le passage du roi Lozi en Suisse203. À cette occasion, le souverain est montré assis et inactif, quand il apparaissait davantage debout, en contact avec ses hôtes, dans les photographies faites en France. Pour la Mission de Paris, ces images sont l’occasion de montrer les liens historiques qui unissent la SMEP à la famille royale Lozi.

Cette relative absence d’images rassemblant Mwanawina et les missionnaires de la SMEP au Zambèze traduit le changement des relations entre la royauté et la mission protestante. Les pressions exercées par les missions catholiques et le gouvernement britannique se font plus importantes au cours des années 1950 et la SMEP ne constitue plus l’interlocuteur privilégié du roi. D’autre part, l’accession au trône de Mwanawina III est longtemps contestée par un certain nombre de chefs Lozi dont le choix se portait sur un autre homme. À partir de la fin des années cinquante, le roi subit aussi des pressions de la part des partisans de l’indépendance du pays. Il est donc important pour le souverain d’affirmer sa légitimité en se montrant fermement attaché au respect des traditions royales. Il souhaite aussi valoriser son royaume en demandant à la couronne britannique, dès les premières années de son règne, un statut de protectorat indépendant de la Rhodésie pour le pays Lozi. Cette revendication se poursuit jusque dans les années soixante quand le roi Mwanawina III demande l’indépendance de son territoire face à la nouvelle république de Zambie. Ces démarches politiques ne sont pas soutenues par la mission Zambèze de la SMEP204. Bien que

certains missionnaires continuent à avoir des entretiens personnels avec le roi et que celui-ci fréquente régulièrement le culte205, le retour à la « tradition » prôné par Mwanawina III et le profond désaccord sur le statut à donner à la région Lozi peuvent expliquer la distance qui s’installe peu à peu entre le roi et la mission protestante française et dont la diminution de photographies du souverain dans les collections de la SMEP témoigne.

Ces portraits de chefs politiques sont particuliers à la mission Zambèze au sein du fonds photographique de la SMEP. Bien que des méthodes d’évangélisation semblables soient utilisées au Lesotho, il existe, pour cette région, très peu de représentations de personnalités politiques ayant côtoyé les missionnaires, en dehors de quelques dessins réalisés à la fin du

203 MERCIER Henri, « Le grand chef Mwanawina en Suisse », Journal des missions évangéliques, sept.-oct.

1953, p. 184-185.

204 Information recueillie en mai 2009 lors d’un échange de courriers avec André Honegger, pasteur

missionnaire de la SMEP en Zambie entre 1960 et 1969.

205 Information recueillie en mai 2009 lors d’un échange de courriers avec François Escande, pasteur

XIXe siècle par Frédéric Christol206. Ces portraits n’ont toutefois jamais été diffusés en

Afrique. Au sein de la SMEP, seule Anna Wuhrmann semble s’être attachée, après Coillard, à photographier des souverains africains. Missionnaire de la Basler Mission au Cameroun, elle rejoint la Mission de Paris quand celle-ci reprend le travail de la société suisse suite au passage de la région sous domination française en 1916. Alors qu’elle vit à Foumban, capitale du royaume Bamoun, elle entretient des relations privilégiées avec la famille du sultan bamoun Njoya dont elle réalise de nombreux portraits207. Christraud Geary parle d’une « rencontre photographique208 » entre Njoya et Anna Wuhrmann, chacun utilisant le medium à sa façon : la missionnaire envoie les images à sa société en Europe, notamment dans un objectif de propagande et le souverain montre de son côté sa capacité « à user de ce médium [photographique] à ses propres fins politiques209 ». Près de trente ans auparavant, Coillard et Lewanika entretiennent des rapports similaires autour de la photographie. Elle est un enjeu de pouvoir.

L’absence de photographies similaires pour les autres régions géographiques où travaille la SMEP s’explique par les différents contextes politiques au sein desquels la Mission de Paris développe ses activités. Au Gabon par exemple, l’entreprise de colonisation menée par la France entraîne la disparition des royaumes indigènes tels que celui du souverain Mpongwé Rapontchombo. D’autre part, certains groupes ethniques apparaissent peu hiérarchisés. Georges Balandier remarque ainsi que les Fang ne sont pas organisés autour de chefferies influentes210. L’environnement social et politique des missions a donc une influence directe sur les photographies missionnaires et leurs modes d’utilisation.

206 Christol réalise plusieurs portraits au crayon de chefs du Lesotho entre 1882 et 1908.

207 Anna Wuhrmann (1881-1971) est une institutrice suisse. Elle travaille au Cameroun pour la Basler Mission à

partir de 1911, puis pour la SMEP qu’elle quitte en 1922. Pour en savoir plus, voir l’ouvrage de GEARY Christraud, Images from Bamum: German colonial photography at the court of king Njoya, 1988, Washington : Smithsonian Institution Press / National Museum of African arts, 1988, 151 p.

208 Ibid., p. 95.

209 GEARY Christraud, « Mondes virtuels : les représentations des peuples d’Afrique de l’ouest par les cartes

postales, 1895-1935 », Le Temps des médias, Paris : Nouveau Monde éditions, automne 2007, n°8, p. 96.

210 Voir BALANDIER Georges, « Aspects de l'évolution sociale chez les Fang du Gabon », Cahiers

I.3. Diffusion des photographies missionnaires à la fin du XIX

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