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I. La photographie missionnaire en exploration (1880-1910)

I.1. Les premiers missionnaires photographes de la SMEP

I.1.1. La Société des missions évangéliques de Paris

La création de la Mission de Paris

La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle sont des périodes marquées par un important réveil religieux en Europe. Faisant écho au développement du romantisme dans les milieux artistiques, les mouvements de réveil protestants préconisent une piété plus existentielle et une expérience personnelle de Dieu qui insiste sur les notions de péché et de rédemption. Ils jouent un rôle déterminant dans l’essor missionnaire de cette époque. En se fondant sur l’ambition de « faire connaître la Bible à tous les hommes38 » afin de permettre leur conversion, de nombreuses sociétés missionnaires voient le jour, comme la London Missionary Society créée en 1795 ou la Basler Mission fondée en Suisse en 1815.

Ce développement missionnaire est contemporain de l’essor des grandes expéditions organisées depuis l’Europe pour mieux permettre la découverte du monde. Militaires, scientifiques, commerçants partent explorer des régions plus ou moins lointaines et inconnues au cours de voyages de plusieurs mois.

Face à ces différentes missions d’exploration, David Bogue défend, au cours d’une prédication donnée lors de la constitution de la London Missionary Society, l’originalité de l’engagement missionnaire :

Croyez-vous, littérateurs et philosophes, que notre grand dessein soit de gratifier votre curiosité, de remplir vos cartes de noms, de compléter vos systèmes géographiques, de rendre plus exactes vos histoires de l’homme et des diverses formes de la vie sociale ?

Vous imaginez-vous, commerçants, que la fin que Dieu se propose dans cette entreprise soit l’extension du marché où vous enverrez les produits anglais ?... Détrompez-vous ; ce ne sont là que des illusions mondaines… Voici la vérité : Dieu, dans sa providence, nous a montré ces nations ; il a établi des voies de communication entre elles et nous afin d’ouvrir une porte à l’Évangile et que des messagers y aillent proclamer la joyeuse nouvelle du salut par la croix39.

C’est dans ce contexte de renouveau de ferveur religieuse que naît la Société des missions évangéliques de Paris en 1822. Après plusieurs réunions constitutives, le comité de direction est élu en novembre par des personnalités déjà membres de sociétés chrétiennes françaises ou étrangères. Il est important de signaler que si ces personnes se rattachent à des Églises différentes40, la création de la SMEP se fait en toute indépendance de ces institutions officielles. L’association se veut évangélique, c’est-à-dire qu’elle entend « œuvrer avec toutes les dénominations issues de la Réforme41 ».

À ses débuts, la Mission de Paris ne se montre pas intéressée pour diriger un champ de mission. L’un de ses principaux objectifs est « de recevoir de futurs missionnaires – étrangers et, plus tard, français – désireux d’étudier à Paris les langues orientales42 ». Des réunions de prière sont aussi organisées. Mais après quelques années d’existence, la SMEP témoigne qu’elle ne souhaite plus seulement être un organisme auxiliaire aux sociétés étrangères. Cette volonté d’autonomie se manifeste dans la décision prise en 1829 d’envoyer de jeunes missionnaires en Afrique australe pour fonder une mission hors des limites de la colonie britannique du Cap. La London Missionary Society, implantée dans la région depuis 1779, se propose d’ailleurs pour assister ce projet.

Après plusieurs tentatives infructueuses en Cafrérie43 et au Botswana, les missionnaires français s’installent auprès des Sotho44 suite à un appel du chef Moshoeshoe45. Il est difficile de savoir si celui-ci voit dans la mission un moyen d’instruire son peuple ou de pacifier son

39 BOGUE David, Sermons preached in London at the formation of the missionary Society, cit. in KRUGER

Frédéric-Herman, « Chroniques des Missions », Journal des missions évangéliques, 1895, p. 187-188. David Bogue (1750-1825) est un pasteur de la Congregational Church à Gosport en Grande-Bretagne. Il joue un rôle important dans la création de la London Missionary Society et s’implique ensuite dans la fondation de la British

and Foreign Bible Society et de la Religious Tract Society.

40 Prônant une réforme permanente, les protestants s’organisent en plusieurs Églises qui partagent une même foi

et des principes similaires, mais affichent des confessions différentes. Parmi les personnes œuvrant à la constitution de la SMEP, se trouvent des Luthériens, des Réformés, des Méthodistes, etc.

41 ZORN Jean-François, Le Grand siècle d’une mission protestante, Paris : Karthala / Les Bergers et les Mages,

1993, p. 556.

42 Ibid., p. 558.

43 Située en Afrique australe, au bord de l’océan indien, la Cafrérie est annexée à la colonie du Cap en 1866. 44 Les Sotho (ou Basotho) forment une population d’Afrique australe.

45 Moshoeshoe (c.1786-1870) est le chef de différentes tribus Sotho. Il œuvre à l’établissement d’un protectorat

pays46. Mais il invite les missionnaires à venir s’implanter à Morija, au sud-ouest de Thaba-

Bossiu, lieu de sa résidence. Les premiers ouvriers de la SMEP s’y installent en juillet 1833 et fondent la mission Lesotho qui s’agrandit avec la création de nouvelles stations au fur et à mesure des années.

Le travail entrepris par les missionnaires est large. Pour faciliter l’évangélisation de la région, une première traduction complète de la Bible en sotho est achevée en 1879. Face aux problèmes financiers de la SMEP qui ne peut satisfaire la demande d’envoi de renforts depuis l’Europe et suivant l’idée que « la délivrance de l’Afrique se fera grâce à la mobilisation de ses propres ressources humaines47 », les missionnaires sont aussi encouragés à former des évangélistes et des instituteurs sotho pour développer des stations annexes et étendre ainsi plus largement l’évangélisation.

La première expédition de François Coillard au Zambèze

Souhaitant étendre le christianisme à d’autres territoires, certains missionnaires du Lesotho ont l’idée, dès les années 1860, de créer une « mission extérieure, propre aux Églises du Lesotho48 », ayant pour vocation d’évangéliser l’intérieur de l’Afrique. Les trois premières expéditions, lancées successivement en 1863, 1873 et 1876 permettent de déterminer que la future mission doit être installée vers le nord. En 1877, une quatrième exploration est lancée afin d’étudier à nouveau les possibilités de mise en place d’un nouveau champ de mission. Cette expédition, dirigée par le pasteur François Coillard, dure deux ans. Accompagné de son épouse, de sa nièce et de plusieurs évangélistes sotho, le missionnaire est régulièrement contraint à des arrêts de plusieurs mois à cause de mésententes avec certains chefs indigènes.

Coillard envisage tout d’abord une implantation de la mission au pays Nyaï, mais l’échec de ses entrevues avec le chef Lobengula l’oblige à se tourner vers une autre région49.

Plusieurs personnes l’orientent alors vers le pays « des Barotsis au-delà du Zambèze50 », suggestion dont Coillard fait part au comité directeur de la SMEP en mars 187851. En

46 Si les missionnaires arrivent avec l’objectif d’évangéliser les populations non-chrétiennes, les chefs

traditionnels africains voient en eux des conseillers susceptibles de les aider à organiser leur territoire en état, à une époque où les peuples sont très divisés. Sur le sujet, voir ZORN Jean-François, « Mission et colonisation : entre connivence et différence. Point de vue protestant », in BORNE Dominique et FALAIZE Benoit (dir.),

Religions et colonisation, XVIe – XXe siècle, Ivry-sur-Seine : Éd. de l’Atelier, 2009, p. 75-83. 47 ZORN Jean-François, Le grand siècle d’une mission protestante, op.cit., p. 397.

48 Ibid., p. 443.

49 Le pays Nyaï est situé au nord du fleuve Limpopo. Lobengula est le chef dont dépendent les Nyaï.

50 COILLARD François, Lettre au comité directeur de la SMEP, 5 mars 1878, cit. in ZORN Jean-François, Le

grand siècle d’une mission protestante, op.cit., p. 449.

attendant des nouvelles de Paris, il se replie à Shoshong52 où il est accueilli par des

missionnaires de la London Missionary Society et par le chef chrétien Khama53. Ce dernier

propose son aide à Coillard et envoie des messagers au chef des Lozi afin de prévenir de l’arrivée du missionnaire. Au début de l’été 1878, toujours sans nouvelles de la direction de la SMEP, Coillard part vers le Zambèze et atteint le village de Leshoma à la fin du mois. Il y retrouve un des hommes envoyés par Khama, mais celui-ci lui annonce qu’il ne lui a pas été possible d’entrer sur le territoire Lozi à cause des troubles politiques qui agitent alors le pays : le chef Lubosi vient de monter sur le trône sous le nom de Lewanika, après avoir éliminé plusieurs de ses rivaux54. Souhaitant poursuivre son avancée, Coillard traverse tout de même le fleuve Zambèze et envoie un message et des présents au nouveau roi afin d’annoncer son arrivée. Mais en novembre 1878, Lewanika fait savoir à Coillard que, s’il a bien reçu son message, il ne peut pas accueillir le missionnaire dans un climat politique encore troublé et lui demande de revenir en avril. Malheureusement, Coillard ne peut attendre si longtemps. Au cours de l’été et de l’automne 1878, l’expédition qu’il dirige rencontre d’importantes difficultés : plusieurs de ses compagnons tombent malades et les moyens de subsistance s’épuisent. D’autre part, son épouse Christina restée à Leshoma lui fait savoir qu’elle manque, elle aussi, cruellement de vivres et que l’explorateur Serpa Pinto, recueilli par l’expédition quelques mois plus tôt, est au plus mal55. Face à toutes ces épreuves, le missionnaire prend la décision de repartir vers le sud pour rentrer au Lesotho. Arrivé à Shoshong, Coillard reçoit enfin des nouvelles du comité directeur de la SMEP qui, devant faire face à d’importants problèmes financiers, désapprouve le projet d’une mission en pays Lozi et demande au missionnaire de chercher un champ de travail aux Spelonken56. Toutefois

ce projet échoue et l’expédition de Coillard rentre définitivement au Lesotho en juillet 1879. Dans son rapport de voyage, le missionnaire expose ses arguments en faveur de la création d’une nouvelle mission au Zambèze. Mais les différences entre le « projet primitif d’évangéliser les Banyais et celui de fonder une œuvre chez les Barotsis57 » sont grandes : le pays Lozi est géographiquement trop éloigné des stations du Lesotho pour que la mission de la région prenne la direction de la mission Zambèze ; d’autre part, les mauvaises conditions

52 Ville de l’actuel Botswana.

53 Khama (1837-1923) est le chef des Ngwato. Converti au christianisme par le pasteur David Livingstone, il fait

de son pays un protectorat britannique, le Bechuanaland, pour protéger son peuple des Boers.

54 Lubosi (circa 1842 – 1916) est aussi connu sous le nom de Robosi ou Lewanika. 55 Serpa Pinto (1846-1900) est un explorateur portugais.

56 Les Spelonken sont situés dans la région centrale de Zoutpansberg où habitent deux tribus : les Venda et les

Tsongas. La Société des missions évangéliques de Lausanne s’y installe en 1875.

57 DIETERLEN Hermann, « Lettre de la conférence au sujet de l’œuvre projetée. Prochaine visite de M. Coillard

sanitaires de la région rendent l’œuvre physiquement difficile à entreprendre. Ces remarques amènent la conférence missionnaire du Lesotho à la conclusion qu’elle ne peut prendre la responsabilité d’une nouvelle mission au Zambèze. Coillard doit donc rentrer en France pour plaider la cause du Zambèze directement auprès du comité directeur de la SMEP.

Partis en novembre 1879 du Lesotho, les époux Coillard sont accueillis par le comité à Paris en mars 1880. Dans un rapport présenté le 5 avril 1880, le missionnaire expose son projet de mission au Zambèze. Celui-ci est théoriquement soutenu par la SMEP. Mais les Églises du Lesotho ayant renoncé à supporter seules la charge de cette nouvelle entreprise et la Mission de Paris faisant face à un déficit chronique, il est demandé à Coillard de trouver des ressources humaines et financières extérieures à la société pour mener à bien son projet. Le missionnaire se tourne alors vers les Églises de France et d’Europe, auprès desquelles il entreprend une tournée de conférences de deux ans avec son épouse pour récolter des fonds. Engagé dans une vaste campagne pour défendre son projet, Coillard comprend rapidement les intérêts que peut présenter l’image pour promouvoir la future mission Zambèze et profite de son séjour en Europe pour acquérir un appareil et s’initier à la photographie.