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par sa mise en relation avec les théories des actes de langage et des faits institutionnels, ce qui permet de comprendre l’identification constitutionnelle dans toute sa complexité

L’orientation proposée a en outre des conséquences sur la théorie générale (2).

2.L

E RENOUVEAU PERMIS PAR LA THEORIE DES FAITS INSTITUTIONNELS

La théorie des faits institutionnels a l’ambition d’être une théorie sociale générale. Y faire

référence a donc des implications inévitables qu’il nous faut exposer ici. Notons que nous

faisons pour le moment référence à une version minimale de la théorie des faits institutionnels

dans laquelle le mode d’existence des règles constitutives n’est pas déterminé. L’expression

« règle constitutive » désigne à ce stade la formulation qu’il est possible de donner à certaines

normes au regard de leur fonction sociale

1

. Cela n’empêche pas que le choix d’une approche

institutionnelle mène au rejet de certaines théories classiques. Si nous avons pu voir que

l’ontologie et l’épistémologie étaient arbitraires, l’adhésion à une explication spécifique des

relations entre l’acte matériel d’édiction et la norme rend inutiles plusieurs théories

relativement coûteuses qui sont souvent utilisées pour décrire le processus de création

normative et la place des normes originaires

2

. La dissipation de l’incertitude entourant le

mode d’existence des normes rend surabondante toute explication métaphysique. La validité

de la constitution est un fait social comme un autre qui ne doit rien à l’intervention d’un

souverain considéré comme une puissance magique. Le fait de comprendre la validité comme

la réussite d’un certain type d’actes de langage évite aussi le dualisme ontologique auquel

aboutit parfois le normativisme. Le schéma kelsénien reposant sur les rapports entre normes

validante et validée peut mener dans certains cas à considérer que les normes existaient dans

un monde distinct

3

. La préférence pour un schéma institutionnaliste prenant en compte l’acte

et la norme rattache cette dernière à notre monde en y voyant simplement une signification

langagière

4

. La signification objective s’inscrit dans les faits sociaux à travers le langage et ne

1 L’institutionnalisme prôné par Searle a des conséquences ontologiques fortes (voir infra, p. 266 et s.). Cependant, il n’est pas nécessaire d’y adhérer intégralement pour soutenir que l’usage du terme « constitution » dépend de la satisfaction des conditions posées par des règles langagière et juridique spécifiques et qu’il est impossible de le définir sans tenir compte de ces règles. La théorie des faits institutionnels est utilisée comme un complément des théories de la double signification et des actes de langage pour élucider le concept de constitution et non comme une approche totalement autonome.

2 Le rapport direct et évident qu’entretiennent ces normes avec des faits matériels d’édiction qui ne sont pas susceptibles de qualification par une norme juridique donne en effet une acuité particulière à la question des relations entre les faits matériels et le droit qui complique l’élucidation de la constitution.

3 Les rapports entre Kelsen et le dualisme ontologique seront détaillés dans le chapitre suivant. Notons pour le moment que de nombreux auteurs décèlent dans la théorie pure du droit des tendances dualistes manifestes. Voir ainsi, PATTARO Enrico, « Validité et pouvoir », in RIGAUX François et alii, op. cit., p. 150 ou GUASTINI Riccardo, « Normativism or the Normative Theory of Legal Science : Some Epistemological Problems », in PAULSON Stanley et LITSCHEWSKI PAULSON Bonnie (dir.), Normativity and Norms,Oxford, Clarendon, 1998, p. 318.

4 Ce n’est pas la norme supérieure qui donne à un acte sa signification de norme. Pour un avis contraire, voir TROPER Michel, « La pyramide est toujours debout, réponse à Paul Amselek », RDP 1978, p. 1529.

peut plus être considérée comme le point de contact entre deux modes distincts, ceux de l’être

et du devoir-être

1

. La plupart des critiques dont elle fait l’objet manquent alors leur cible

2

.

Notons que nous ne renonçons pas pour autant au principe de Hume, qui est l’un de nos

présupposés positivistes, car l’opposition entre être et devoir-être se déplace simplement

depuis le plan ontologique jusqu’au plan langagier et logique

3

. En outre, le volontarisme

consistant à présenter les normes comme l’expression d’une volonté concrète ou abstraite (de

l’État, du peuple…) ne constitue plus une nécessité

4

car la théorie de la double signification

propose une conception de l’existence des normes détachée de ce courant. Ce constat est

d’autant plus important qu’une forme modérée de volontarisme reste très présente dans la

théorie générale du droit à travers la référence récurrente au concept d’acte de volonté que

l’on observe chez Kelsen

5

et qui est reprise par de nombreux auteurs

6

dans le prolongement

d’un très lourd héritage

7

. Or, cette notion est assez obscure car elle ne fait a priori pas

référence à un fait psychologique clairement identifié

8

ce qui rend son statut et son

importance mystérieux

9

. L’acte de volonté ne nous paraît pouvoir être étudié qu’en tant qu’il

est porteur d’une signification et il est donc avantageusement remplacé par le concept plus

clair d’acte de langage. La théorie de la double signification permet donc d’éviter toute

référence à l’acte de volonté dans l’existence de la norme. Certes, l’intentionnalité joue un

rôle dans ce cadre mais d’une part elle ne souffre pas des défauts du concept d’acte de volonté

et d’autre part son influence concerne la signification langagière (S1) et non la valeur

1 Cette limitation aux faits sociaux revient à adhérer à la « facticity thesis » à la suite du positivisme anglo-saxon et non à la « normativity thesis » soutenue par Kelsen qui estime que les normes ne sont en aucun cas des faits (PAULSON Stanley, « Continental Normativism and its British Counterpart : How Different Are They ? », Ratio Juris 1993, p. 240). Cette dernière thèse est aussi partagée par les jusnaturalistes (OPALEK Kazimierz, « The Problem of the Existence of the Norm »,

in Selected Papers in Legal Philosophy, Dordrecht, Kluwer, 1999, p. 221).

2 Ainsi, la théorie de la production normative de Kelsen a été décrite comme impliquant de recourir à la magie pour expliquer la situation de l’acte de législation situé entre le monde des faits et celui du droit (HÄGERSTRÖM Axel, Inquiries Into the Nature of Law and Morals, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1953, p. 274).

3 Voir infra, p. 300 et s.

4 Notons que nous nous contentons ici de démontrer que le volontarisme n’est pas une nécessité absolue. Cela ne suffit pas à prouver qu’il est dépourvu d’intérêt. Nous aurons donc l’occasion de revenir sur ce courant.

5 KELSEN Hans, Théorie pure du droit, précité, p. 16 ou Théorie générale des normes, Paris, PUF, 1996, p. 217. Il s’agit bien sûr d’un volontarisme modéré puisque la valeur juridique de la norme signifiée par l’acte de volonté en cause ne vient pas de la force autonome de la volonté mais d’une norme supérieure.

6 Voir par exemple, BARANGER Denis, Le droit constitutionnel, 3e éd., Paris, PUF, 2006, p. 22 ou DAHLMAN Christian, « The Trinity in Kelsen’s Basic Norm Unravelled », ARSP 2004, p. 152.

7 Le lien entre acte juridique et acte de volonté est clairement établi chez des auteurs plus anciens. Voir ainsi, LABAND Paul,

Le droit public de l’empire allemand, Paris, V. Giard et E. Brière, 1901, T. II, p. 344 ; COUMAROS Nicolas, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique, Thèse, Bordeaux, 1931, p. 267 ou DUGUIT Léon, Traité de droit constitutionnel, 3e éd. Paris, E. de Boccard, 1927, T. I, p. 64.

8 L’attachement à la volonté de l’État ou du parlement semble condamner tout aspect psychologique. Les rares auteurs volontaristes qui ont souhaité interroger la dimension psychologique de l’acte de volonté se sont le plus souvent basés sur des théories totalement coupées de la psychologie moderne. Pour un exemple de défense du dualisme corps-esprit, voir COUMAROS Nicolas, op. cit., p. 135.

9 Sur les difficultés de l’usage du concept de volonté dans la théorie kelsénienne de la production normative, voir PFERSMANN Otto, « Le statut de la volonté dans la définition positiviste de la norme juridique », Droits n°28, p. 83-98.

juridique (S2)

1

. En conséquence, l’intentionnalité n’est pas la source de la juridicité comme

l’était la volonté. La recherche sur la catégorie dogmatique de constitution n’est pas celle d’un

acte de volonté mais bien d’un acte de langage

2

. Dès lors rien ne dit que l’identité de l’auteur

de l’acte n’ait une pertinence particulière pour la qualité de la norme juridique puisque ce

n’est pas sa volonté qui est qualifiée mais la signification de l’acte de langage qu’il produit

3

.

Dans ce cadre, la question de la validité des normes tient bien à la qualification de l’acte de

langage qui les signifie et non à la recherche d’une habilitation de l’auteur de cet acte

4

.

L’adhésion à la théorie des faits institutionnels implique également d’adopter une vision

constructiviste de la réalité sociale. Elle permet d’expliquer l’importance des significations

sociales conférées à certains faits bruts que l’explicitation des présupposés du langage

juridique avait fait entrevoir. L’existence sociale de significations spécifiques

5

constitue un

véritable univers de sens dans lequel évoluent les acteurs. Le monde social est modifié par les

actes institutionnels

6

, parmi lesquels des actes normatifs. L’unité du groupe social est fondée

sur l’existence d’une herméneutique des acteurs qui partagent une certaine interprétation de la

société et de la réalité matérielle

7

. Les sciences sociales incarnent alors une seconde

herméneutique

8

, autrement dit une interprétation d’interprétation : elles consistent à ajouter

des significations théoriques aux significations sociales propres aux acteurs

9

. La séparation

1 Entendue dans ce sens, le concept d’intentionnalité peut rappeler l’opposition tardive proposée par Kelsen entre d’un côté acte de volonté et norme et de l’autre acte de pensée et énoncé (op. cit., p. 33). Toutefois, elle dépasse largement cette simple dichotomie.

2 Cette transformation permet à la fois d’écarter tout soupçon de volontarisme et de préciser quel type de fait peut être qualifié d’acte normatif.

3 En ce sens, voir ZIRK-SADOWSKI Marek, article précité, p. 211 ou ROSS Alf, Directives and Norms, précité, p. 59 et pour un avis contraire, GUASTINI Riccardo, « Rules Validity and Statutory Construction », in PINTORE Ana et JORI Mario (dir.), Law and Language. The Italian Analytical School, Liverpool, Deborah Charles Publications, 1997, p. 231 ; DE BÉCHILLON Denys, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 168 ou AMSELEK Paul, « Le locutoire et l’illocutoire dans les énonciations relatives aux normes juridiques », RMM 1990, p. 406.

4 Ce constat est particulièrement utile dans l’étude de la constitution, car son existence est très souvent reliée à l’intervention d’un « pouvoir constituant ». Celui-ci n’apparaît plus alors comme une nécessité logique.

5 Cette notion est très répandue sous différentes formes dans la théorie sociale. Voir ainsi, SEARLE John, La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard, 1998, p. 95 ; WINCH Peter, The Idea of Social Science and its Relation to Philosophy, 2e éd., Londres, Routledge, 1990, p. 52 ou TAMANAHA Brian, « A Socio-legal Methodology for the Internal/External Distinction : Jurisprudential Implications », Fordham Law Review 2006, p. 1261.

6 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, Les actes de langage dans le discours, Paris, Nathan, 2001, p. 167.

7 En ce sens, voir BERGER Peter et LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2006, p. 70 ; LAGERSPETZ Eerik, The Opposite Mirrors. An Essay on the Conventionalist Theory of Institutions, Dordrecht, Kluwer, 1995, p. 208 ou MACCORMICK Neil, Institutions of Law, précité, p. 11.

8 Sur cette séparation de deux niveaux d’interprétation, voir GIDDENS Anthony, La constitution de la société, Paris, PUF, 1987, p. 346. Plus largement, notons que la difficulté propre à l’étude de phénomènes pré-interprétés a aussi été relevée par exemple dans OST François, « Considérations sur la validité des normes et des systèmes juridiques », Journal des Tribunaux

1984, p. 3 ou VILLA Vittorio, « Legal Science and the Hermeneutic Point of View », in PECZENIK Aleksander, LINDAHL Lars et VAN ROERMUND Bert (dir.), Theory of Legal Science, Dordrecht, D. Reidel, 1983, p. 513. La défense du point de vue interne proposée par Hart est d’ailleurs décrite comme le choix d’une approche « herméneutique » (BIX Brian, « H.L.A. Hart and the Hermeneutic Turn in Legal Theory », Southern Methodist University Law Review 1999, p. 171).

9 C’est cette valorisation des représentations des acteurs dans l’étude des faits sociaux qui caractérise les approches compréhensives des sciences sociales par opposition aux approches strictement positivistes ou béhavioristes qui nient la pertinence de ces significations ou la possibilité de leur étude. La justification des premières tient à l’idée selon laquelle il ne serait possible de comprendre les faits sociaux qu’en utilisant les concepts communs aux acteurs (TUOMELA Raimo, The Philosophy of Sociality. The Shared Point of View, Oxford, OUP, 2007, p. 7).

entre théorie et dogmatique que nous avions observée dans le discours juridique doit être mise