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Il n’est pas rare de voir condamner certaines définitions ou choix terminologiques pratiqués sur le plan théorique en raison de leur non-correspondance avec l’usage que font les

autorités habilitées des mêmes termes

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. Une fois acquise l’absence de valeur normative des

catégories théoriques, nous ne voyons aucune raison de restreindre la liberté du théoricien

d’une telle manière. Au contraire, au regard de la différence des fonctions, mais aussi des

conditions de falsification, des énoncés théoriques et dogmatiques, nous devons conclure à

l’autonomie de la signification des termes de ces discours respectifs. Le grand nombre de

termes théoriques non utilisés par le discours du droit conforte d’ailleurs cet avis. De plus, il

n’y a là aucune atteinte au positivisme juridique. La théorie ne vise qu’à la représentation des

systèmes juridiques. Le discours du droit qui n’a pas vocation à se décrire lui-même ne peut

pas influer sur le bien-fondé des définitions théoriques

5

s’il est clairement établi qu’elles sont

dépourvues d’effets juridiques même si elles sont signifiées par le même mot

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. Ainsi, qu’une

constitution qualifie de « fédéral » la forme de l’État qu’elle régit ne saurait contraindre un

1Ibid., p. 153 ; ROSS Alf, On Law and Justice, précité, p. 5 et 256 ou OLIVECRONA Karl, Law as Fact, Londres, Stevens & Sons, 1971, p. 59.

2 PINTORE Ana, « Définition en droit », précité, p. 172.

3 VANDER ELST Raymond, « Essai de synthèse », in INGBER Léon et VASSART Patrick, Le langage du droit, Bruxelles, Némésis, 1991, p. 324.

4 Voir par exemple BIOY Xavier, Le concept de personne humaine en droit public, Paris, Dalloz, 2003, p. 23 ; OST François et VAN DE KERCHOVE Michel, « Juris-dictio et définition du droit », Droits n°10, p. 54 ou GHESTIN Jacques (dir.),

Traité de droit civil : introduction générale, 4e éd., Paris, LGDJ, 1994, p. 33.

5 En ce sens, voir EISENMANN Charles, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications », précité, p. 35 ou « Essai d’une classification théorique des formes politiques », précité, p. 339 et FAVOREU Louis et alii,

Droit des libertés fondamentales, 4e éd., Paris, Dalloz, 2007, p. 81.

théoricien opérant une classification des formes d’État à respecter ce choix. Les définitions

théoriques ne permettent que de préciser la nature théorique d’un fait qui ne doit pas être

confondue avec sa nature juridique puisque le terme de « nature » a été détaché de la

métaphysique. Cela n’empêche pas du reste la coïncidence accidentelle

1

entre les natures

théorique et juridique si les classifications arrêtées par le législateur semblent à même

d’éclairer l’organisation du système juridique. Ici, ceux qui prônent l’égalité entre les acteurs

et les théoriciens dans l’élaboration des définitions ont tout à fait raison : les acteurs n’ont pas

priorité quant à la fixation du sens des termes signifiant des catégories théoriques.

Encore une fois, l’essentialisme peut en partie expliquer les positions inverses, fondées sur

la conviction que les termes ne peuvent avoir qu’une seule signification. La survie de cette

approche métaphysique est attestée par des références explicites

2

mais aussi implicites

notamment à travers l’étymologie. Nous pouvons distinguer deux conceptions de

l’étymologie : l’une est essentialiste et historiciste, l’autre est nominaliste et historique. La

première repose sur l’idée qu’il existe un lien naturel entre un mot et sa signification. Dans ce

cadre, tout changement de sens s’analyse comme une altération et non une évolution. Nous

voyons aisément qu’une telle vision est à rejeter car elle repose sur un lien purement nominal

donc arbitraire. Le sens historique du mot n’est pas plus valable que son sens actuel.

L’essentialisme est d’ailleurs à l’origine de la recherche étymologique

3

, dont la fonction

rhétorique est reconnue

4

. La seconde vision de l’étymologie est en revanche tout à fait

défendable. Elle serait une discipline autonome : l’histoire des mots. Elle consisterait à

constater dans quels sens ceux-ci ont été employés à telle ou telle époque. Elle n’a pas alors

vocation à fixer les limites de la signification ou de l’usage d’un mot. C’est pourquoi

l’étymologie doit être regardée avec prudence dans la définition des termes théoriques. Une

démarche prospective comme la nôtre n’a pas spécialement vocation à l’utiliser. Finalement,

le théoricien est bien dans son domaine, le maître du sens des mots. Il n’est tenu ni par les

catégories du discours du droit ni par l’usage ordinaire ou historique du mot.

En conclusion, le principe de non-confusion est un élément central de la méthodologie

positiviste de la catégorisation juridique. Il est intuitivement connu et employé. Cependant,

1 Les vocabulaires de la théorie et de la dogmatique sont radicalement distincts. C’est la coïncidence et non la divergence qui est accidentelle. Voir pour un avis contraire ZIMBINSKI Zygmunt, « Le langage du droit et le langage juridique, les critères de leur distinction », APD 1974, p. 25.

2 BÉNOIT Francis-Paul, « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leçons de la Philosophie du droit de Hegel », in Mélanges en l’honneur du professeur Gustave Peiser, Grenoble, PUG, 1995, p. 24 et 31.

3 BURIDAN Claude, « Définition et étymologie dans la lexicographie et la lexicologie médiévale », in Centre d’études du lexique, La définition, Paris, Larousse, 1990, p. 55.

4 Elle est l’un des moyens utilisés pour faire croire à la découverte du « vrai sens » d’une notion (PERELMAN Chaïm, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 1983, p. 594-595).

faute d’explicitation, le risque d’oubli lors de la définition de notions confuses ou

polysémiques est permanent. Au mieux, la différence entre les types de catégories est vue

comme supplétive quand la nécessité d’une définition plurale devrait être à la base de toute

interrogation sur la signification d’un terme juridique. Au côté de la polysémie

intra-catégorielle il existe donc une polysémie inter-intra-catégorielle qui implique au minimum les

mêmes dangers. Ignorer cet élément aboutit à imaginer des contradictions logiques là où il n’y

a qu’une confusion langagière. Ainsi, les énoncés « X est une constitution », au sens

dogmatique, et « X n’est pas une constitution », au sens théorique, ne sont en rien

contradictoires. En conséquence, il est inacceptable de formuler une définition unique pour un

terme signifiant plusieurs types de catégories. Au contraire, il faut pratiquer des définitions

séparées répondant chacune à leurs propres méthodes. Parmi elles, seules les définitions

stipulatives posent encore problème (II).

II.LES ASPECTS SPECIFIQUES A LA REGULATION DE LA DEFINITION STIPULATIVE

Nous l’avons vu, les termes signifiant une catégorie théorique doivent être définis de

manière précise et si possible univoque pour remplir les fonctions affectées à la théorie

juridique. Si l’usage d’un terme est confus, une définition lexicale reproduira cette confusion

et ne satisfera pas les exigences positivistes en matière de définition théorique. C’est pourquoi

une définition stipulative est indispensable. Il ne s’agira plus simplement de se demander « ce

que l’on veut dire quand l’on dit ‘X est une constitution’ » mais « ce que l’on doit vouloir

dire » dans ce cas. Nous devons donc prescrire un usage en déterminant les faits auxquels doit

renvoyer le terme « constitution ». Malgré la finalité descriptive des catégories de théorie

juridique, leur définition stipulative demeure une décision arbitraire. Le relativisme langagier

issu des définitions stipulatives présente des dangers souvent relevés

1

tel que la complication

de la communication

2

ou la manipulation langagière

3

. En conséquence, le choix opéré ne

devra pas être dissimulé mais au contraire affiché et justifié de manière argumentée

4

. À défaut

s’installerait une pratique anarchique de la définition stipulative qui nuirait à la clarté du

discours théorique. Précisons bien que défendre un sens considéré comme opportun ne revient

pas à dicter le « vrai sens » du terme, ni même son usage correct, car rien de tel n’existe hors

1 Voir notamment ROBINSON Richard, Definition, Oxford, Clarendon, 1950, p. 72-85.

2 L’exemple classique de Lewis Carroll dépasse ici toute argumentation. « Je ne sais pas ce que vous entendez par gloire dit Alice […] Bien sûr que vous ne le savez pas, puisque je ne vous l’ai pas encore expliqué […] lorsque moi j’emploie un mot, répliqua Heumpty Deumpty, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie » (CARROLL Lewis, De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva, Paris, Flammarion, 1971, p. 157-158).

3 SORENSEN Roy, « Vagueness and the Desiderata for Definition », précité, p. 100. 4 FAVOREU Louis et alii, Droit des libertés fondamentales, précité, p. 76.

de l’essentialisme

1

. Aussi, faute de vérité, la valeur d’une définition stipulative vient de son

utilité

2

. Il est donc nécessaire de clarifier les éléments permettant d’évaluer cette utilité à

travers l’appréciation des qualités des critères choisis pour définir la catégorie. Celles-ci se

répartissent entre des qualités extrinsèques (A), c’est-à-dire tenant à l’accord sur la dénotation

des termes, et intrinsèques (B), c’est-à-dire liés aux impératifs logiques et scientifiques.

A. Les qualités extrinsèques des critères

L’arbitraire des stipulations est garanti sur le plan logique mais plusieurs degrés peuvent