du droit
4. Cette position diffère de la précédente car elle affirme que la doctrine peut définir
certains termes et non créer des règles de toutes pièces
5. Cette attitude peut paraître étonnante
car les différences relevées plus haut entre les définitions théoriques et celles du discours du
droit ne sont même pas contrées par une théorie cohérente du droit naturel. Toutefois, deux
1 En ce sens, voir TROPER Michel, « La théorie dans l’enseignement du droit constitutionnel », in Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994, p. 250.
2Ibid., p. 247 ou TROPER Michel, « Les classifications en droit constitutionnel », précité, p. 259-262.
3 TROPER Michel, « En guise d’introduction la théorie constitutionnelle et le droit constitutionnel positif », CCC n°9, p. 138. 4 Pour des exemples, voir MOORE Michael, article précité, p. 332 et 396 ; BERGEL Jean-Louis, « Typologie des définitions dans le Code civil », RRJ 1986-4, p. 31 ; STICHWEH Rudolf, « Motifs et stratégies de justification employés pour fonder la scientificité de la jurisprudence allemande au XIXe siècle », in AMSELEK Paul (dir.), Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 173 ou PARTYKA Patricia, Approche épistémologique de la notion de qualification en droit privé français, Thèse, Montpellier, 2004, p. 383, p. 157.
éléments peuvent expliquer le succès de cette vision. Tout d’abord, la renaissance de la
rhétorique a incité à voir dans la définition un lieu d’argumentation destiné à produire des
solutions raisonnables
1. Or, les acteurs n’ont pas d’avantage sur le théoricien en ce qui
concerne la raison pratique
2. Ensuite, si la définition est assimilée à la recherche des essences,
elle appartient à « la sphère de l’intelligence »
3. La compétence juridique des acteurs
n’implique pas de capacité spécifique pour cette opération qui est même parfois vue comme
relevant de la philosophie
4. Les définitions stipulatives sont exclues car une définition ne peut
jamais être arbitraire
5ce qui implique qu’un acteur se livrant à la définition fait « œuvre de
savant »
6à égalité avec les théoriciens
7. Le refus de toute contrainte issue du discours du droit
dans l’opération définitoire
8démontre l’aspect presque jusnaturaliste de cette conception
9. La
nature juridique est ici considérée comme une propriété intrinsèque de l’objet qui s’impose
aux acteurs. L’aspect modéré que cette conception présente est trompeur. Nous l’avons vu,
l’application des règles dépend de la définition des catégories. Aussi, nier la compétence de
définition aux acteurs revient à leur nier toute compétence normative puisqu’ils ne peuvent
plus fixer le champ d’application des règles : « le décideur est celui qui décide de qui décide
du sens des mots »
10. Cette méthode permet à la doctrine de se libérer de la légalité
11. En
dernière analyse, nous sommes face à une confusion catégorielle car les critères de la
catégorie du discours du droit sont fixés par une autorité non-habilitée dissimulée par une
définition réelle.
Notons que certains arguments qui camouflent des choix doctrinaux arbitraires peuvent
être rattachés à cette vision et donc exclus avec elle. C’est le cas des recours isolés à l’essence
pour fonder un argument dogmatique
12, de l’exigence du respect de la « nature des choses »
13,
de l’utilisation de l’étymologie ou encore du rejet de définitions considérées, sans
justification, comme abusives
14. Même si elles ne passent pas par une théorisation complète,
1 PERELMAN Chaïm, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Paris, Dalloz, 1976, p. 106, 121 et 162. 2 ATIAS Christian, « Définir les définitions juridiques ou définir le droit ? », RRJ 1987-4, p. 1091 et 1093. 3 SCARPELLI Uberto, « La définition en droit », Logique et analyse 1958, p. 135.
4 GRZEGORCZYK Christophe, « Le concept du bien juridique, l’impossible définition », APD 1979, p. 259. 5 ATIAS Christian, article précité, p. 1092-1093.
6 SCARPELLI Uberto, article précité, p. 135. 7 STICHWEH Rudolf, article précité, p. 173.
8 ATIAS Christian, « Réflexions sur les méthodes de la science du droit », D. 1983, p. 147-148.
9 Celui-ci est d’ailleurs parfois assumé (ATIAS Christian, article précité, p. 148 ou MOORE Michael, article précité, p. 398). 10 BOURCIER Danièle, « La novlangue ou comment rendre actifs les textes juridiques », in GUILLOREL Hervé et KOUBI Geneviève (dir.), Langues et droits, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 388.
11 PINTORE Ana, « Définition en droit », précité, p. 172 ou SCARPELLI Uberto, article précité, p. 135. Le professeur Atias illustre cette idée quand il n’hésite pas à affirmer que quoi que fasse le législateur, « l’enfant né d’un couple non marié et, de surcroît, reconnu par un seul de ses parents, ne sera jamais un enfant légitime » (ATIAS Christian, op. cit., p. 130).
12 DAUPS Thierry, « De la fédération d’États-nations et de sa Constitution », LPA 2002, n°141, p. 14. 13 PARTYKA Patricia, op. cit., p. 360.
ces argumentations renvoient au même présupposé anti-positiviste : l’existence d’un sens
naturel ou métaphysique des catégories situé au-delà des mots. Enfin, il existe une dernière
variante
1centrée sur la négation de la liberté de définition du législateur. Il s’agit cette fois-ci
de prétendre qu’il serait limité non par une hypothétique essence mais par le respect de
l’usage présent dans le langage ordinaire. Certes, il ne fait aucun doute que reprendre le sens
ordinaire facilite la communication de l’intention du législateur
2. Toutefois, l’autonomie
constatée au plan du discours impose une autonomie des concepts
3ou du sens
4qui est
reconnue
5et pratiquée
6de manière générale. Elle est d’ailleurs nécessaire pour permettre de
fixer librement le champ d’application des règles
7. L’exemple du droit international public où
les définitions sont âprement négociées et font parfois l’objet de réserves le démontre
amplement
8. Une fois la définition réelle abandonnée, aucun impératif langagier ne peut
s’opposer à la liberté du législateur voire du juge
9. De même, aucun impératif juridique
n’impose le respect du sens commun. Les grenouilles peuvent être des poissons en droit
10. Les
positions contraires reviennent à préférer des critères théoriques aux critères dogmatiques.
Pour conclure, le positivisme juridique exclut toute confusion entre les catégories de
politique juridique et les catégories du discours du droit. La création des catégories
dogmatiques ne peut être opérée que par la reprise d’une définition stipulative issue du
discours du droit ou par une définition lexicale fondée sur ce même discours pour éviter la
construction d’une science du droit normatrice prétendant se substituer aux acteurs. La
définition dogmatique de la constitution devra donc suivre ce modèle.
2.C
ATEGORIES THEORIQUES ET CATEGORIES DU DISCOURS DU DROITLa pratique du discours sur le droit offre de nombreux exemples de confusions
catégorielles. Certaines catégories théoriques, bâties à l’origine pour la description
systématique du droit positif, sont utilisées ensuite pour la qualification comme si elles étaient
dotées d’une force normative. Ce cas diffère des précédents en ce que les catégories
1 Nous avons distingué trois variantes pour faciliter l’exposé de ces théories. Dans la pratique, elles sont souvent confondues et utilisées indifféremment.
2 JANVILLE Thomas, La qualification juridique des faits, précité, p. 46.
3 MAHDAVY Hussein, L’analyse logico-philosophique du langage juridique, Thèse, Paris, 1957, p. 20-21. 4 HABA Enrique, « Études en allemand sur les rapports entre droit et langue », APD 1974, p. 270.
5 SOURIOUX Jean-Louis, Introduction au droit, Paris, PUF, 1987, p. 43 ; WAGNER Anne, article précité, p. 2357 ou GÉMAR Jean-Claude, « Le langage du droit au risque de la traduction. De l’universel au particulier », in Français juridique et science du droit, Bruxelles, Bruylant, p. 134.
6 LECLERCQ Pierre, « Les problèmes posés par les définitions dans la conception et l’application des textes législatifs et réglementaires », RRJ 1986-4, p. 24.
7 Pour une idée proche, voir BALIAN Serge, Essai sur la définition dans la loi, Thèse, Paris II, 1986, p. 132 et 256. 8 FLORY Maurice, « Les définitions en droit international », RRJ 1986-4, p. 87-93.
9 BAYLES Michael, « Definitions in Law », précité, p. 253.