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La présentation des caractéristiques des divers types de catégories juridiques permet à la fois de confirmer l’importance de la classification et de préparer les choix méthodologiques

qui constituent le but de ce chapitre. Il s’agit d’évaluer les implications de l’appartenance d’un

objet à un type de catégorie mais aussi les conditions de vérité de la définition et des énoncés

de classification

1

. Ce deuxième élément est fondamental car il permet d’envisager une

réfutation potentielle à même de contribuer à la valeur scientifique des énoncés sur le droit

2

ou plus simplement de permettre de dépasser les affirmations gratuites

3

. Il faut donc expliciter

les spécificités des différents types de catégories juridiques.

1.L

ES CATEGORIES DU DISCOURS DU DROIT ET LES CATEGORIES DOGMATIQUES

Les catégories du discours du droit établissent un rapport entre des critères et des règles.

Ces critères permettent de déterminer la nature juridique, au sens défini précédemment, de

certains faits. La reconnaissance de cette nature implique l’application d’un certain régime

juridique, c’est à dire d’un complexe de règles

4

. Les critères sont, par définition, fixés par le

discours du droit et peuvent porter sur n’importe quel type de propriétés y compris juridiques.

Dans ce dernier cas la définition de la catégorie fait référence à une autre catégorie. La

violation de domicile exige ainsi la catégorie juridique de domicile. Les catégories du

discours du droit sont indispensables au fonctionnement du système juridique

5

car elles

1 Le professeur Varga avait déjà lié la différence entre les catégories sociologiques et dogmatiques et les conditions de vérité de la définition. Voir, VARGA Csaba, article précité, p. 225.

2 POPPER Karl, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1982, p. 41 et Le réalisme et la science, Paris, Hermann, 1990, p. 1-7 et 177. Voir aussi SÈVE René, « L’épistémologie contractualiste de Karl Popper », in AMSELEK Paul (dir.), Théorie du droit et science, précité, p. 49-61 ; RICCI Roland, « Le statut épistémologique des théories juridiques », précité, p. 157 ou VIRALLY Michel, La pensée juridique, Paris, LGDJ, 1998, p. XL.

3 HACQUET Arnaud, « Existe-t-il des critères scientifiques d’évaluation des théories du droit ? », Droits n°30, p. 172. 4 BERGEL Jean-Louis, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTDC 1984, p. 263.

permettent l’opération de qualification

1

, c’est-à-dire la détermination de la nature juridique

d’un fait à travers une opération de subsomption

2

fixant le champ d’application d’une règle

3

.

Au regard, de ce que nous avons vu sur la nature juridique, la qualification apparaît comme un

processus essentiellement langagier

4

et non expérimental ou empirique

5

. Les catégories du

discours du droit sont les tables de correspondance entre le langage ordinaire et le discours

juridique permettant cette opération de « traduction » qu’est la qualification

6

. La

détermination des critères, c’est-à-dire la définition du mot signifiant la catégorie, peut

prendre diverses formes. Elle se présente souvent sous la forme de conditions nécessaires et

suffisantes mais passe rarement par le genre prochain et la différence spécifique

7

. Pour autant,

ce modèle est parfois repris

8

, impliquant une étape supplémentaire dans la qualification. Le

genre peut précéder l’espèce au sens où la détermination du genre précède celle de l’espèce

dans la catégorisation. C’est le cas des différentes formes de services publics ou des

infractions aggravées en droit pénal. L’espèce peut à l’inverse précéder le genre comme pour

la qualité de délit du vol.

Au regard de la conception de la définition retenue, cette dernière se limite aux critères en

excluant la prise en compte du régime juridique

9

. Toutefois, il paraît essentiel de tenir compte

de cette particularité des catégories du discours du droit. Le cœur de l’opposition entre

catégorie du discours du droit et catégorie théorique de constitution est justement le fait que la

première implique un régime juridique précis pour ses membres alors qu’il n’en est rien pour

la seconde. Une véritable compréhension contextuelle de la catégorie ne peut faire

abstraction de sa raison d’être

10

: le régime juridique. La finalité de la qualification en tant

qu’opération langagière n’est pas poétique mais juridique en ce qu’elle sert à fixer un régime

juridique pour « diriger l’humain »

11

. La fixation de la nature juridique des faits n’est qu’une

1Ibid., p. 260 ; CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, 4e éd., Paris, PUF, 2003, p. 717 ou PARTYKA Patricia, Approche épistémologique de la notion de qualification en droit privé français, précité, p. 11.

2 Pour une vision opposée dans le cadre d’une approche herméneutique, voir PAPAUX Alain, Essai philosophique sur la qualification juridique : de la subsomption à l’abduction, Paris, LGDJ, 2003, 532 p.

3 JANVILLE Thomas, La qualification juridique des faits, Thèse, Paris, 2002, p. 57 ou 671.

4Ibid., p. 677 ou TERRÉ François, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, Paris, LGDJ, 1956, p. 3. 5 Sur cette conception de la qualification, voir PELLETIER David, La nature juridique …, précité, p. 48.

6 JESTAZ Philippe, « La qualification en droit civil », Droits n°18, p. 46. Pour une vision de la qualification très différente de celle présentée ici car basée sur une conception très éloignée du langage et singulièrement du langage juridique, voir CAYLA Olivier, « Ouverture : la qualification ou la vérité du droit », Droits n°18, notamment p. 16.

7 BERGEL Jean-Louis, « Importance, opportunité et rôle des définitions dans les textes législatifs et réglementaires », RRJ

1987-4, p. 1120 ou VAN HOECKE Mark, « Définitions légales et interprétations de la loi », précité. Elle n’est d’ailleurs pas tenue de suivre ce modèle. Voir en ce sens POUND Roscoe, « Classifcation of Law », HLR 1924, p. 936.

8 SOURIOUX Jean-Louis et LERAT Pierre, « Méthodologie et modalités des définitions dans les textes législatifs et réglementaires », RRJ 1987-4, p. 1145 ou BALIAN Serge, Essai sur la définition dans la loi, précité, p. 134-161.

9 D’autres conceptions de la signification peuvent mener à y intégrer le régime juridique (voir par exemple SARTOR Giovanni, « The Nature of Legal Concepts », EUI Working Papers LAW n°2007/08, p. 3-13) mais cette différence de présentation n’a pas de conséquences décisives sur les questions abordées dans ce chapitre préliminaire.

10 EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1983, vol. 2, p. 729. 11 ORIANNE Paul, Introduction au système juridique, Bruxelles, Bruylant, 1982, p. 116.

étape non autonome dans ce processus.

1

. Si les catégories du discours du droit ne sont pas

caractérisées par le fait qu’elles impliquent un régime juridique, elles présentent en général

une structure qui relie des critères à un régime juridique en passant par une nature juridique.

Étant donné que, par définition, le discours dogmatique doit correspondre au discours du

droit, les catégories dogmatiques empruntent leur structure à celle des catégories du discours

du droit. Elles établissent donc un rapport entre des critères, une nature et un régime

juridiques. Précisons que ce rapport ne se confond pas avec celui présenté par Alf Ross dans

le cadre de son raisonnement déjà évoqué réduisant la signification des termes juridiques à

leur fonction et leur niant toute référence. Pour lui, il s’agit d’un lien de causalité

2

alors que la

catégorie dogmatique unit les critères et le régime par un lien d’imputation

3

. Ajoutons que le

dogmaticien qui définit la catégorie ne prétend pas ordonner l’imputation mais constate qu’un

commandement existe dans le système juridique

4

. La différence entre ces deux approches est

importante : la description du régime fait partie de la définition du terme chez Ross

5

, car ce

dernier n’est qu’un outil exprimant ce lien et ne dénotant rien, alors qu’elle en est exclue ici.

Cependant, la correspondance entre discours du droit et discours dogmatique peut remettre en

cause l’intérêt de ce dernier considéré comme un simple doublon. En réalité, les définitions

dogmatiques dépassent le plus souvent la simple répétition des définitions du discours du

droit. En effet, ce dernier se présente rarement spontanément sous une forme catégorielle. Un

traitement préalable est donc nécessaire pour faciliter la qualification

6

. La définition

dogmatique permet ainsi de combiner différents articles ou textes se complétant ou de

reformuler une règle puisqu’il s’agit de partager un point de vue et non de répéter un discours.

Surtout, le sens d’un terme peut être déterminé directement dans le discours du droit, par une

1 Cependant, il faut faire mention du cas particulier des normes attributives qui se contentent de fixer une nature juridique sans impliquer de régime (voir AMSELEK Paul, « L’acte juridique à travers la pensée de Charles Eisenman », in AMSELEK Paul (dir.), La pensée de Charles Eisenmann, Paris, Économica, 1986, p. 56 ou BOBBIO Norberto, « La norme », in Essais…, précité, p. 130). Elles ne se confondent pas avec les catégories théoriques puisque la valeur de l’énoncé qui la formule s’apprécie en termes de validité.

2 Ross dit ainsi que la règle « sera » appliquée et non pas « devra être » appliquée (ROSS Alf, « Tû-Tû », HLR vol. 70, n°5, 1957, p. 816) et estime que le terme « punissable » renvoie simplement à la probabilité de la punition (ROSS Alf, « Definition in Legal Language », Logique et analyse 1958, p. 143). Les conséquences juridiques ne sont qu’une prévision de l’attitude du juge (voir pour un exemple sur la vente, ROSS Alf, On Law and Justice, précité, p. 172).

3 Les conséquences juridiques doivent avoir lieu ce qui ne signifie pas que ce sera effectivement le cas car la réalisation de l’imputation dépend de l’intervention de l’homme. Autrement dit, l’imputation est « la liaison […] au travers de la copule ‘devoir-être’ » (ROSS Alf, « Qu’est-ce que la justice ? Selon Kelsen », inIntroduction à l’empirisme juridique, Paris, LGDJ, 2004, p. 124). Voir également KELSEN Hans, « Causality and imputation », in What is justice ?, Berkeley, University of California Press, 1957, p. 331 mais aussi BOBBIO Norberto, « Kelsen et les sources du droit », APD 1982, p. 141. Pour une vision voisine opposant relation juridique et causalité, voir AARNIO Aulis, Le rationnel comme raisonnable, précité, p. 78. 4 BOBBIO Norberto, « Être et devoir-être dans la science du droit », in Essais de théorie du droit, Paris, LGDJ, 1998, p. 198 ou VERNENGO Roberto, « Kelsen’s Rechtssätze as Detached Statements », précité, p. 102.

5 ROSS Alf, « Definition in Legal Language », précité, p. 143-144 ou On Law and Justice, précité, p. 172.

définition, mais le sera le plus souvent indirectement, par l’usage

1

. Il faut alors pratiquer une

définition lexicale reprenant les usages du terme pour en comprendre le sens

2

.

Ici une objection peut être formulée. Le système juridique est généralement décrit comme

un ensemble de règles de conduite

3

. Présenter ce système comme regroupant des catégories

est donc contestable

4

. Il faut alors préciser notre démarche. Il ne s’agit pas de remplacer les

règles mais de les reformuler sans les modifier pour permettre leur application. L’intérêt

pratique d’une telle présentation a déjà été souvent relevé

5

. C’est donc une approche

méthodologique et non ontologique. Nous ne nous servons de la catégorisation ni pour nier la

qualité prescriptive des énoncés juridiques ni pour établir un nouveau mode d’existence des

normes

6

. Dans notre situation, cette présentation vise à faciliter la définition

7

en en précisant

la portée par la différenciation des types de catégories. Qui plus est, la plupart du temps, la

recomposition catégorielle des règles n’est pas nécessaire et la pratique passe souvent par

l’intuition. En revanche, elle est inévitable quand, comme pour la constitution, une

formulation claire et fonctionnelle est exigée pour dissiper une incertitude.

L’identité de structure entre les deux types de catégories étudiés ne doit pas faire oublier