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Fictionalité de l’histoire ou historicité de la fiction ? Méthodologiquement, que choisir en premier ? Quel est l’élément déterminant : la fictionalité ou l’historicité ? Et surtout, comment ne pas ‘’imiter’’ l’illustre P. Ricœur ?

Effectivement, nous allons emprunter le chemin du critique, et notre justification se trouve dans notre argumentaire. Dans la mesure où nous voulons démontrer que Djebar écrit des fictions à effets d’Histoire, nous préférons insister sur la prédominance de la fiction, car c’est elle qui permet l’historicité (au sens de construction historique) : elle est un espace de liberté du ‘’vouloir dire’’ et du ‘’non dit’’. En ce sens, nous allons voir en premier lieu la fictionalité de l’histoire, puis l’historicité de la fiction dans la démarche ricœurienne. En troisième position, nous devons réfléchir sur la relation profondément dialectique entre la fiction et l’histoire. Ceci nous mène directement à la nécessité du point de vue qui est à la base de notre problématique.

1-2-1 La fictionalité de l’histoire

Nous avons déjà signalé l’élément fondateur du temps pour l’Histoire et les histoires. Ce temps qui défile et qui crée un passé (pour l’Histoire) à chaque moment et pour l’éternité. Le temps est invisible : il est ici et là mais intangible. Il faut alors inventer des moyens pour le ‘’toucher’’, l’exprimer ou, au moins, voir sa trace. P. Ricœur nous fait

‘’toucher du doigt’’ cette empreinte qui indique le temps historique. Il écrit à ce sujet :

L’abîme entre temps du monde et temps vécu n’est franchi qu’à la faveur de la construction de quelques connecteurs spécifiques qui rendent le temps historique pensable et maniable. Le calendrier, que nous avons placé en tête de ces connecteurs, relève du même génie inventif qu’on voit déjà à l’œuvre dans la construction du gnômon.1

Le gnômon, cet ancêtre du cadran solaire est une expression de cette fictionalité du temps historique et de sa perception : une ombre du soleil sur la pierre. Pour

‘’s’approprier’’ le temps, le calendrier est conçu à partir de cette belle invention humaine :

le gnômon. En fait, l’homme ne peut avoir que ‘’le pouvoir sur l’ombre’’. Le génie humain est de créer d’autres objets pour affiner ce ‘’pouvoir sur l’ombre’’. Ce qui nous autorise à dire que ce qui est ‘’ombre d’une chose n’est pas la chose’’, car elle donne seulement les contours dans une proportion par rapport au soleil, c’est-à-dire à partir d’une position de la terre à certains moments de la journée et de l’année. La perception des faits historiques se

1 RICŒUR, P. Temps et récit. Tome 3, Le temps raconté [1985]. Paris : Seuil, 1991. (Coll. Points, Essais), p. 332.

trouve dans la même situation : l’Histoire est ‘’à l’ombre du passé’’. L’historien ne peut jamais accéder au passé, il lui reste donc une ‘’ombre impalpable’’. Il doit trouver des moyens adéquats et une méthode scientifique pour le reconstruire à travers des traces de toutes sortes. La fictionalité est une caractéristique fondamentale de l’histoire. Luc Vigier cite P. Ricœur :

L’idée de représentance est la moins mauvaise manière de rendre hommage à une demande reconstructive, seule disponible au service de la vérité de l’histoire. (369)1

Pour être au service de la vérité, l’historien adopte une démarche scientifique et doit ainsi avoir un objet et une méthode. Cependant, l’histoire n’est pas une science de la biologie, mais une science humaine. En effet, avec un objet aussi abstrait et absent que le passé, la méthode ne peut être rigoureuse comme pour les mathématiques. Tout en critiquant P. Veyne, P. Ricœur est d’accord avec l’idée :

[…] que l’histoire n’a pas de méthode, mais une critique et une topique. Qu’en est-il de la critique ? Elle ne constitue pas l’équivalent ou le substitut d’une méthode. […] Elle est plutôt la vigilance que l’historien exerce à l’égard des concepts qu’il emploie. […] C’est la topique qui permet à l’historien de s’arracher à l’optique de ses sources et de conceptualiser les événements autrement que ne l’auraient fait les agents historiques ou leurs contemporains, et donc de rationaliser la lecture du passé.2

Signalons que les termes vigilance et rationaliser sont assez paradoxaux, car ils renvoient à la rigueur scientifique, mais sont empreints de subjectivité. En effet, la vigilance est un comportement humain qui suppose un jugement plus ou moins rigoureux : il est une ‘’mise en garde’’ dont seul l’historien est juge. Quant à la topique, qui permet à l’historien de rationaliser la lecture, est en fait le raisonnement d’un historien uniquement. Un autre peut rationaliser autrement, car les concepts qui sont à la base de la topique sont plutôt mouvants, et leurs acceptions peuvent changer d’une période à une autre ou d’un historien à un autre. Ceci pour la faiblesse de la rigueur de la méthode scientifique en histoire appelée critique par Ricœur.

L’Histoire est une mémoire. Jean-Louis Jeannelle écrit :

1 VIGIER L. : op. cit. 2

C’est la mémoire entendue comme « avènement à une conscience historique d’une tradition défunte », « récupération reconstructrice d’un phénomène dont nous sommes séparés »1

Dans son article, J L. Jeannelle cite Paul Nora qui appelle l’Histoire :

[…] lieux de mémoire, […] un enjeu toujours disponible, un ensemble de stratégies, un être-là qui vaut moins par ce qu’il est que parce que l’on en fait.2

Il est indiscutable que ‘’convoquer’’ la mémoire est un acte très délicat pour l’historien, surtout que le but visé est de reconstituer tout ce qui a été oublié ou qui est absent. Comment reconstruire fidèlement le passé ? La question sous-jacente : est-ce qu’il est humainement possible ? Pour représenter des faits historiques, l’historien entre dans la zone de l’altérité et ‘’invente’’ ce qui manque inévitablement. Ce n’est cependant pas une invention libre comme en fiction, car elle vise à rendre une lisibilité en faisant des déductions et recoupements pour une meilleure explication. Justement, L. Vigier constate qu’il n’y a :

Pas de représentation du passé en effet, sans aveu de sa disparition ; pas d’affirmation de la trace sans certification de l’effacement de ce dont elle témoigne ; pas de réflexion sur la mémoire sans découverte de « l’aporie de la présence de l’absence (11) » ; nulle affirmation de mémoire sans l’apparition du doute radical sur la manière dont on ‘’sait’’ le passé.3

Pour P. Ricœur :

Ce qui est en jeu, c’est le statut de remémoration traitée comme une reconnaissance d’empreintes. La possibilité de la fausseté est inscrite dans ce paradoxe.4

Il nous reste une autre mémoire : celle-ci est vive et représentée par le témoignage des personnes encore vivantes. Quoi de plus vrai et de plus fidèle que le dire d’un vivant ? Les témoins de l’Histoire ne peuvent que donner l’information la plus véridique. Bien sûr, l’altérité est au rendez-vous : tous les souvenirs n’ont pas la même importance pour toutes les personnes ayant vécu le même événement. Il est impossible de se rappeler du fait intégralement et particulièrement quand il est douloureux. Ce qui peut nous donner une fausse information dans la mesure où il y a les risques de l’oubli, l’effacement ou l’excès

1

JEANNELLE, J.-L. : « Histoire littéraire et genres factuels ». Dans LHT. 16 juin 2005, n° 0, Théorie et

histoire littéraire [En ligne]. Fabula. URL : <http://www.fabula.org/lht/0/Jeannelle.html>.

2 JEANNELLE J.-L. : idem. 3

VIGIER J.-L. : op. cit.

de souvenirs. L’historien doit faire des recoupements et enquêter pour accéder à la

‘’vérité’’ des faits.

Nous constatons que la fictionalité de l’Histoire intervient à chaque étape de la connaissance historique, car nous n’avons en fait qu’une compréhension. Seuls les jugements des historiens nous donnent l’information historique.

Nous avons enfin les documents matériels qui sont à la base de la ‘’fabrication’’ de l’Histoire. M. de Certeau nous en parle :

En histoire, tout commence avec le geste de mettre à part, de rassembler, de muer ainsi en « documents » certains objets répartis autrement.1

L’altérité affecte donc aussi les documents. Dans cette citation, M. de Certeau. fait état de deux types d’altérité : l’une concerne le changement de fonction d’origine de certains documents qui deviennent des données historiques ; l’autre concerne la répartition de ces objets/documents dans un autre ordre conçu par l’historien. Un fragment d’un objet n’est pas l’objet : c’est à l’historien de le reconstruire (à l’ère de l’informatique, certains

‘’miracles’’ de reconstitution sont permis).

Les documents les plus sûrs sont ceux qui sont écrits et relatent des faits historiques, c’est-à-dire la consultation des archives. Même sans tenir compte de l’état physique dans lequel sont sauvegardés ces documents, l’information qui y est inscrite ne peut être que partielle et incomplète. L’historien doit en consulter un nombre assez élevé pour juger de la justesse d’une information. Cependant, la publication d’un document inédit pourrait détruire son interprétation.

Enfin, il reste la construction du fait historique qui doit passer par le récit, c’est-à-dire l’écriture proprement dite de l’Histoire.

Après avoir ‘’jugé’’ (au sens d’étudier), analysé et ‘’rationalisé’’ -pour employer le terme de P. Ricœur- les documents, l’historien passe à l’étape de la construction des faits historiques. Il est obligé de les ‘’représenter’’ dans le but de faire revenir un passé révolu définitivement. Cette représentation n’est pas une ‘’imitation’’ puisqu’elle postule la vérité et l’authenticité. L’historien doit ‘’se détacher’’ de sa subjectivité pour remonter le passé et le raconter.

Ainsi construit, le récit cherche quand même à attirer l’attention d’un public non dans une émotion, mais dans un aiguisement du sens de la réception de l’information historique. Ces personnes peuvent être averties ou de simples lecteurs à la recherche de la

‘’vérité’’. L’historien doit alors adopter une démarche rigoureuse ; une méthode

convaincante qui s’appuie sur des preuves tout aussi probantes. Cependant, le grand problème réside dans la fidélité de son récit : il est humainement impossible de reproduire les faits. Nous avons eu connaissance par l’internet qu’un « Institut de l’histoire du temps présent » a été créé en France en 1978. Nous pensons que cette institution a pour but à la fois d’enregistrer le temps présent et de l’analyser : ce qui assure visiblement une fidélité des faits historiques. Mais comment appliquer alors le critère d’historicité ? Quels sont les événements qui doivent être enregistrés comme historiques ? Et pour qui ? La subjectivité demeure, même si à l’heure actuelle, il n’y a pas seulement l’écriture de l’Histoire, mais l’écriture des Histoires : l’Histoire de la technologie, du folklore, de l’art, etc. Le monde d’aujourd’hui est soucieux de laisser le plus de traces possibles et les plus crédibles puisque enregistrées au moment même de leur production. Néanmoins, il y aura toujours un manque qui va en s’amenuisant, mais qui est inhérent à la vérité historique.

L’altérité de l’Histoire intervient à chaque étape de sa connaissance. Malgré ce manque inévitable, la véracité des faits historiques n’est contestée que si l’on apporte la preuve d’une contre-vérité de même nature que la première.

1-2-2 L’historicité de la fiction

Si le récit appelle une attitude de détachement, n’est-ce pas parce que le temps du récit est quasi-passé temporel ?1

Autrement dit, le fait d’entrer dans un récit de fiction est similaire au fait d’entrer dans la connaissance du passé. Comme nous l’avons vu précédemment, le récit est ultérieur aux faits antérieurs qu’il raconte. P. Ricœur parle d’un ‘’quasi-passé’’ en fiction. Critiquant Harald Weinrich qui soutient que « les temps verbaux seraient seulement des

signaux adressés par un locuteur à un auditeur, »2 il explique, par l’intermédiaire de la voix narrative, que c’est pour elle une sorte de ‘’passé’’ qu’elle raconte :

Une voix parle qui raconte ce qui, pour elle, a eu lieu. Entrer en lecture, c’est inclure la croyance que les événements rapportés par la voix narrative appartiennent au passé de cette voix.3

Cette manière de croire à ‘’une voix qui raconte un passé’’ nous paraît être un argument assez intéressant. Les deux aspects de l’historicité et de la fictionalité sont présents dans l’acte de la narration. Le récit devient le lieu de la ‘’vérissimilitude’’ (le

1 RICŒUR P. : op. cit (Tome 3), p. 344. 2 RICŒUR P. : idem., p. 343.

terme est de P. Ricœur) qui le rend probable ou possible. Reprenant la position d’Aristote, l’auteur de Temps et récit précise que « l’histoire prend soin du passé effectif, la poésie se

charge du possible. »1Il reste dans la logique du philosophe grec :

Le possible est ‘’persuasif’’ : or, ce qui n’a pas eu lieu, nous ne croyons pas encore que ce soit possible, tandis que, ce qui a eu lieu, il est évident que c’est possible. (1451b 15-18)2

Notons que ce ‘’possible’’ est l’activité mimétique même, non dans le sens de la simple imitation, mais :

C’est précisément lorsqu’une œuvre d’art rompt avec cette sorte de vraisemblance qu’elle déploie sa véritable fonction mimétique.3

Au moment de l’invention du ‘’probable’’ ; ce qui est donc proche du vrai, le paradoxe de la fiction devient la ‘’vérissimilitude’’ qui crée le ‘’possible réel’’ dans une ressemblance au factuel.

* Référentialité de la fiction

Nancy Murzilli propose :

Je pense que nous rendrions mieux justice aussi bien à ‘’l’effet de fiction’’ qu’aux ‘’effets de la fiction’’ si nous considérions que celle-ci prend place dans notre réalité en la ‘’possibilisant’’.4

Intéressante position qui permet à la fiction de s’inscrire dans la réalité et l’abstraction de la pensée : une sorte d’expérimentation idéelle. Cette référence est prise en compte dans ce mouvement de réflexion d’un postulat d’existence correspondant à la relation entre les mots et le monde dans la démarche saussurienne. Dépassant cet axiome, N. Murzilli écrit :

Le texte de fiction est indissociable des conditions pragmatiques dans lesquelles il s'inscrit, qu'il s'agisse de son contexte culturel et historique ou de ses conditions de production et de réception. 5

1 RICŒUR P. : idem., p. 345. 2

RICŒUR P. : idem., p. 345-346. 3 RICŒUR P. : idem., p. 346. 4

MURZILLI, N. « La fiction ou l'expérimentation des possibles ». Dans L'effet de fiction. [Colloque en ligne]. Paris : Fabula, 2001. Colloque organisé par Alexandre Gefen et le groupe de recherche Fabula au printemps 2001. URL : <http://www.fabula.org/effet/interventions/11.php>.

La lecture est une autre manière de consigner le réel dans la fiction, N. Murzilli associe la réception à la référentialité de la fiction dans une démarche ricœurienne :

À travers l’acte de lecture, la fiction ‘’possibilise’’ le monde. La fiction, loin de faire surgir l’universel du singulier ou la nécessité de l’accidentel, expérimente l’indétermination de diversification et de complexification de notre monde.1

* Les mondes possibles de la fiction

N. Murzilli fait état des mondes possibles de D. Lewis (entre autres) qui pense que les faits de fiction ne sont pas faux, mais qu’ils sont ‘’possibles’’ dans un autre univers. Elle explique ce monde possible comme étant :

Une entité fictionnelle (qui) aurait donc pour référent un monde possible. Pour Lewis, la vérité fictionnelle est une vérité modale, possible. Les mondes possibles sont, selon lui, aussi réels que le nôtre, et il va de même pour les objets qui les composent. »2

Nous avons ‘’les mondes possibles’’ de T. Pavel, que nous avons signalés précédemment au point de vue de leur conception, mais qui nous intéressent présentement pour leur appréciation. T. Pavel souscrit à l’idée de N. Goodman qui parle non pas de la

‘’vérité des mondes possibles’’, mais de leur ‘’justesse’’ (T. Pavel évite le terme ‘’vrai.’’).

Une version fictive du monde n’est pas ‘’vraie’’, elle donne une ‘’possibilité de justesse’’ par rapport au monde réel : «Tout ce que nous apprenons sur le monde est contenu dans

des versions ‘’justes’’, »3dit N. Goodman, cité par T. Pavel.

Ce jugement est intéressant dans son approche subjective dans la mesure où il s’apparente au critère de littérarité du texte non fictionnel de Genette. En effet, juger qu’un texte factuel est ‘’littéraire’’ ou qu’une version de la fiction est ‘’juste’’, l’analyse est quasiment identique : le degré de littérarité ou de justesse dépend de l’utilisateur du texte (terme choisi pour avoir un éventail large qui va de la création à la réception.)

* Péritexte

Le terme est de G. Genette qui le définit comme l’ensemble des écrits se trouvant à la périphérie du texte tels que le titre, la dédicace, la préface et la fameuse phrase de

1 MURZILLI N. : idem. Par ailleurs, Murzilli ne souscrit pas entièrement à la démarche de P. Ricœur, car pour elle, « la cohérence, contrairement à ce que suggère Ricœur dans Temps et récit (1991 t1 p. 85), ne suppose pas l’universalité ou la nécessité. […] Le possible n’est pas l’universalisable. »

2 MURZILLI N. : idem. 3

l’auteur qui avertit le lecteur que « toute ressemblance à des situations vraies n’est que

fortuite. » Ce n’est qu’un exemple de formulation, mais le but recherché est le même : se

prémunir de ‘’quelque réalité’’ de la fiction. Mise à part la précision du genre ‘’roman’’, certains écrivains – puisqu’il s’agit ici de la responsabilité de l’homme non d’un personnage de ‘’papier’’ – ressentent la nécessité d’ajouter cette phrase pour ôter toute conséquence à ce qui est écrit. (Le cas extrême est celui de l’écrivain Sulman Rushdie menacé toujours par une fetwa iranienne, alors qu’il crie haut et fort que ce n’est qu’une fiction.) La question reste quand même posée : si dans un roman les faits ne sont que fictifs, pourquoi son auteur précise-t-il la fictivité de son oeuvre par cette fameuse phrase ? En fait, conscient des assertions rigoureusement vraies contenues dans son roman, il se protège ainsi afin de s’éviter tout procès attenté à son encontre.

1-2-3 Fiction et Histoire : une relation dialectique

Nous commençons par la position de T. Pavel qui pense qu’en fiction, le réel et le fictionnel sont tellement liés qu’il est pratiquement impossible de pouvoir les séparer :

Le monde fictionnel mélange si bien le vrai et l’inventé qu’il devient impossible de les distinguer.1

Dans L’Univers de la fiction, T. Pavel démontre comment la fiction tire toute son essence de la réalité. Il argumente que le monde réel est parfois fictif en s’appuyant sur plusieurs exemples dont celui (le plus convaincant à notre sens) des frontières géographiques. L’établissement des bornes entre les États est relativement récent. Ces délimitations garantissent la pérennité des pays2. Les frontières ne sont qu’une fiction puisqu’il est impossible de morceler l’écorce terrestre. Les bornages sont alors des représentations qui risquent d’être mouvantes : le mur de Berlin est un exemple édifiant.

Nous avons le célèbre cas de Galilée dont U. Eco rappelle l’histoire dans De la

littérature pour montrer que le monde a longtemps fonctionné scientifiquement sur la

fausse théorie de Ptolémée. Ce qui nous autorise à dire que si les fictions tirent leur essence de la réalité, le monde réel, lui, est ‘’habité’’ par la fiction. Alors, l’Histoire apporte une vérité relative qui peut basculer à tout moment.

1 PAVEL T. : op. cit., p. 134.

2 N’oublions pas le cas de Tchernobyl dont le nuage nucléaire a traversé les frontières pour polluer plusieurs pays européens, mais les gouvernants politiques avaient affirmé que la course de ce triste nuage s’arrêtait à leurs frontières.

Dans Fiction et diction, G. Genette avoue ne pas avoir suffisamment étudié le récit factuel1 parce que son analyse nécessite une vaste enquête et de grands moyens comme pour l’étude du récit fictionnel. Succinctement, il revoit l’ordre, la vitesse, la fréquence, le mode et la voix, puis il conclut :

Si l’on considère les pratiques réelles, on doit admettre qu’il n’existe ni fiction pure ni Histoire si rigoureuse qu’elle s’abstienne de toute ‘’mise en