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La relève du staff : introduction au personnel soignant d’ « hémato »

2.1 Les corps soignants

2.1.1. La relève du staff : introduction au personnel soignant d’ « hémato »

Pour entrer vraiment dans les coulisses, pour bien observer l’organisation du travail dans le service, pour connaître les acteurs qui font partie du personnel, pour saisir les différents rôles et la prégnance de la hiérarchie, il faut du moins être présent à la relève.

La relève du staff est la réunion du personnel qui marque le roulement des équipes soignantes et le passage des consignes entre celles du matin, celles du soir et celles de la nuit. Pouvoir assister à la relève est, en quelque sorte, une « initiation » aux logiques qui sous-tendent le fonctionnement du service, qui garantissent la continuité sur les 24 heures de la prise en charge de tous les patients. Avoir le droit de « participer » à la relève signifie passer nettement du côté du soignant, car elle s’effectue toujours à portes fermées, à l’abri de regards indiscrets. Patients, familles, représentants, ne sont pas les bienvenus. La relève est l’espace exclusif des équipes soignantes d’hémato.

La première relève du matin, la seule à laquelle habituellement les médecins participent, a lieu à 8h20, et se déroule normalement dans la salle des infirmiers. Mais les moments de la relève peuvent être très différents : il y en a une à 13h00, une troisième à 20h30 et la dernière à 6h00. Si la logique est la même (le passage de consignes entre équipes), chaque relève est différente, selon les moments de la journée, et selon les différents jours de la semaine, en dépendant surtout de la présence ou non des médecins.

Lors de la relève du matin la salle est pleine. Les soignants présents prennent place dans les trois fauteuils qui se trouvent face aux ordinateurs, sur les espaces libres sur les bureaux tout autour, sur les caisses de médicaments périmés qui sont par terre, d’autres restent simplement debout.

Les « feuilles de la relève » sont imprimées juste avant par les infirmiers du matin et sont distribuées au fur et à mesure que les personnes prennent place dans la salle. Sur ce papier sont marqués les numéros des chambres avec les noms, les prénoms et l’âge des patients hospitalisés. Y figurent aussi toutes les indications et les informations inhérentes à la pathologie26 (très

26 Il faut dire que l’explicitation des pathologies n’est pas toujours claire ou bien définie. Parfois pour un simple

manque d’informations supplémentaire, en attente des examens, mais parfois pour des raisons «éthiques » : par exemple les patients atteints de HIV, à cause peut être du respect de la vie privée, sont marqués par un simple symbole sur le feuille de la relève. Mais les règles à suivre sur la discrétion autour des diagnostics ne sont pas forcement partagées par tout le personnel. Une fois le Dr. G. dit « Là c’est vraiment un truc à la con ! On peut pas

51 synthétiques), les symptômes, les possibles allergies et diabète, des traitements, les antibiotiques, les examens à faire, les contrôles de la glycémie, les numéros qui indiquent les jours du cycle de chimiothérapie : une quantité de sigles et d’abréviations incompréhensibles pour un profane. C’est un langage technique qui concerne surtout les soins infirmiers, car il indique notamment les modalités pour effectuer les injections, les posologies, les noms de médicaments spécifiques. C’est pour cette raison que la « relève » (mot qui dénote aussi le papier de la relève, comme par métonymie) n’est pas destinée à tous les soignants : les « filles » qui travaillent en tant que ASHQ ne sont pas vraiment concernées par les pathologies, par les dispositions médicales. Les AS, par contre, reçoivent toujours la « relève », et la gardent dans la poche de leur blouse tout au long de la journée, mais l’utilisent avec une toute autre modalité : la plupart des indications ne les concernent pas, ils se limitent à vérifier la correspondance du numéro de chambre avec le nom du patient, ils savent interpréter les sigles qui indiquent les cas de diabète (qui les concerne pour la distribution des repas et de possibles boissons sucrés) mais pour le reste les AS ignorent souvent le sens des autres abréviations et sigles du langage médical. Certes, celui-ci est le premier facteur discriminant de la position dans la hiérarchie du personnel soignant : la connaissance ou du moins la compréhension du langage médical à tous ses niveaux27. La démarcation hiérarchique relative à la maîtrise du langage médical va de pair avec la longueur de la formation de chaque catégorie professionnelle28 : jusqu’à 8 ou 10 ans pour les médecins spécialistes, 3 ans pour les infirmiers, 10 mois pour les AS et 3 jours pour les ASHQ.

Assister à la relève du staff du matin c’est comme voir la mise en scène des rôles, des modalités d’interactions hiérarchiques, des relations particulières entre le rôle du médecin et celui des professionnels paramédicaux. Emergent à cette occasion « les modèles d’identification et de différenciation des professionnels – autant de notions pour la plupart inconscientes […], les dynamiques sociales et les hiérarchisations informelles » (Vega, 1997 :107). La démarcation

écrire qu’il est séropositif mais on peut tranquillement dire et écrire ‘voilà, celui a le cancer, l’autre l’hépatite. Je ne comprends pas ».

27 « On peut opposer le métier paramédical à la profession reconnue par son absence relative d’autonomie, de

responsabilité, d’autorité et de prestige […] Mais il s’organise autour d’une profession reconnue et il partage avec elle certains aspects du professionnalisme [….] Le travailleur paramédical en tant qu’il est soumis à une ‘discipline’, est une réalité plus sociologique que technique » Freidson, 1984 :59.

28 Même s’il faudrait préciser que : « La formation (de longue durée, spécialisée et abstraites qui qualifie le statut

de profession) en tant que telle ne permet pas de distinguer clairement métiers et professions, seule est décisive la question de l’autonomie et du contrôle exercé par le métier sur la formation, pour autant que l’un et l’autre lui sont reconnus par une élite ou par un public persuadés de son importance » Freidson, 1984 : 88.

52 et la différenciation plus évidentes des acteurs sont ici celles des couleurs de blouses : les blanches pour les médecins, les internes, la cadre infirmière, les infirmiers. Le vert et le rose sont les couleurs des AS. Le bleu est celui des agents.

Souvent on peut assister à une confrontation (plus ou moins tendue) entre savoirs (des médecins spécialistes, des internes et des infirmiers) et savoir-faire (des AS et, encore, des infirmiers). La confrontation savoir /savoir-faire est, dans une certaine mesure, la confrontation entre personnel médical et paramédical, qui connaissent et approchent les patients à la fois de façon fort différente et complémentaire.

L’observation du travail d’un service, mais aussi les échanges de la relève, montrent clairement que le savoir médical ne pourrait pas se passer de la connaissance plus empirique du personnel paramédical : ce sont les infirmiers et les AS (et, dans hémato, même les ASHQ) qui s’occupent tous les jours et tout au long de la journée des patients, qui en observent directement les réactions aux thérapies, le développement de symptômes, les histoires de vies, les caractères, les humeurs, l’appétit, jusqu’aux besoins corporels.

Les AS participent à la relève de manière active : ils sont délibérément considérés comme participant à part entière aux soins, leur rôle est reconnu, par les médecins et les infirmières, comme une partie importante de la prise en charge des patients. Cette considération n’est pas toujours habituelle dans tous les services hospitaliers : cela découle de l’importance reconnue au « relationnel » dans ce service d’hématologie.

Les vrais « exclus » du passage de la relève, normalement, seraient les ASHQ, mais, dans ce service d’hémato, eux aussi sont présents, car la volonté des responsables est celle d’une prise en charge globale des patients, d’une collaboration à tous les niveaux de la hiérarchie29.