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De la bonne ambiance Les conduites de cohésion du groupe soignant

2.4. La définition des identités et des frontières : la relation aux patients

2.4.3. De la bonne ambiance Les conduites de cohésion du groupe soignant

L’identité d’un service hospitalier dépend de plusieurs facteurs et de différentes variables. D’abord il faut prendre en compte la nature des maladies qu’on y traite. « La spécialisation du service, les techniques qu’on y emploie, ce que les patients en attendent et ce qu’elles leur demandent. Il est impossible de parler de l’hôpital général comme d’une organisation homogène » (Peneff, 1984 : 136). Un service de médecine, en général, ne pourra pas être comparé à un service de chirurgie : les tâches quotidiennes, le caractère d’urgence, la façon d’y

97 exercer l’autorité ne seront pas les mêmes. Mais les spécificités qui caractérisent un service dépendront aussi, naturellement, de la conception du service et du « style de direction » des responsables : le comportement d’un service varie selon « l’idéologie qui y règne et les caractéristiques personnelles des gens qui y travaillent » (ibid. : 138). L’identité d’un service comme celui d’hémato-oncologie est le résultat des interactions entre les membres du personnel et les malades. Ici « l’esprit d’équipe », qui découle de la volonté des responsables, est fondamental. Les motivations en amont de ce choix sont évidemment la nécessité de faire face à une prise en charge des patients souvent difficile, longue, où la « guérison » (et donc la perception d’être « efficace » pour le personnel soignant) ne peut pas être vue de la même façon que dans d’autres services. Les tâches thérapeutiques suivent, forcement, une autre perspective par rapport aux soins. La centralité de « l’accompagnement», résonne souvent dans les discours du personnel. Bien que certains, au niveau surtout des soins infirmiers, soient fières de déclarer que le service d’hémato-oncologie nécessite des compétences techniques spécifiques et non négligeables, ici la conception « technicienne » des soins est loin d’être la seule applicable. Depuis les médecins spécialistes jusqu’aux ASHQ, tous participent à la prise en charge des patients. En même temps, l’observation du personnel de ce service m’a permis de comprendre que la nécessité de créer une « équipe soudée » est aussi une exigence du personnel face à une prise en charge de la maladie et de la douleur qui les expose aux dangers d’une implication émotive, qui comporte parfois une engagement personnel dans la relation avec le patient. Cela est observable en particulier pour le groupe paramédical, car «le groupe est le collectif exposé aux mêmes contraintes, au même pouvoir, qui déjoue la même surveillance, qui reste en contact étroit pour élaborer une contre-stratégie » (Peneff, 1992 : 188).

La cadre infirmière recrute le personnel paramédical avec une attention particulière concernant la relation de chacun avec la douleur et la mort:

« Par exemple, les derniers entretiens que j’ai eus pour un poste AS … donc j’ai demandé d’abord leur parcours, leur formation, … je m’axe sur les soins palliatifs, sur la douleur, le toucher, les massages, la réflexologie, qui sont importants pour la prise en charge de nos patients… j’associe un côté hygiène parce que c’est prépondérant dans notre service, donc je pose des questions d’hygiène. Je pose aussi des questions par rapport à la mort, parce que… pour pouvoir aborder la fin de vie il faut pouvoir être clair avec soi-même par rapport à la mort, et puis aussi quelles sont les ressources de la personne pour affronter les moments difficiles qui pourraient survenir dans le service » (Marie, cadre infirmière, entretien).

98 Lors d’un autre entretien, Annie, une ASHQ qui a travaillé aussi dans de nombreux autres services, m’explique :

« Ce qu’il y a de bien c’est qu’on a l’impression vraiment de travailler en équipe… Et ce qu’il y a de bien, c’est que moi, en tant que ASH, je vais m’entendre aussi bien avec les infirmières qu’avec une AS… et cela n’arrive pas forcement dans les autres services… Oui, je veux dire, on peut avoir autant un bon contact avec le médecin qu’avec l’infirmière, ou la cadre… un travail d’équipe. Le fait que tout le monde travaille dans le même objectif,… le but c’est le bien être du patient ! Alors que dans d’autres services on pourrait dire ‘ l’ASH n’a pas le temps d’assister aux relèves’, donc elle n’y est pas, dans la plupart des services. Elle ne sait rien des patients, comme si elle était mise un peu à part… elle est là pour le ménage point barre. Je veux dire : on est la pour faire les ménages, il y a un protocole d’hygiène, quand même, qu’on doit connaitre bien… mais on a tous un rôle, tous, ce n’est que pour discuter avec le patient qui en a besoin, et …chacun a un rôle, je veux dire … de l’ASH au médecin on a tous un rôle … même le visiteur a un rôle et même le kiné aura un rôle, et même le psychologue aura un rôle, n’importe quelle personne qui aura un contact avec le patient de toute façon il aura un rôle quelque part.. » (Annie, ASHQ, entretien).

L’autoreprésentation du personnel soignant d’ « hémato » a une efficacité très concrète : l’idée de devoir se présenter souriant devant aux malades, de rire, de garder cette « bonne ambiance » fait que la bonne humeur règne dans le couloir. On peut rencontrer, surtout pendant les moments creux du week-end ou des jours féries, des AS qui prennent du temps pour bavarder dans les chambres avec des patients et leurs familles, des ASHQ qui font des blagues pendant le nettoyage de la chambre, ou des infirmiers qui s’intéressent à la vie personnelle du patient seul qui a envie de se raconter.

La conception des soins en « hémato » est très proche de celle qu’on pourrait rencontrer dans soins palliatifs : la « guérison » effective d’une pathologie devient moins importante par rapport à l’idée d’ « accompagnement ».

Lors de notre entretien, Magali, une jeune infirmière avec déjà beaucoup d’expérience dans le service, me parle de ses relations avec le reste de l’équipe :

« J’aimerais beaucoup travailler en collaboration avec les AS… mais plus étroitement, et parfois j’aimerais que il y ait un peu plus d’entraide…. d’être vraiment ensemble pour les patients…pour faire des massages par exemple : on pourrait mieux s’organiser pour trouver le temps, parce que moi, en tant qu’infirmière je n’ai pas souvent le temps… ».

99 Elise, toutefois, à la même question sur ses relations avec le personnel d’ « hémato » me répond : « Ça dépend des périodes… En général, moi quand je suis arrivée, j’ai trouvé que c’était une équipe beaucoup… soudée … mais tellement soudée que c’est difficile de faire sa place. Après ça s’est fait petit à petit … moi je suis quelqu’un d’assez timide, il n’est pas toujours facile de prendre sa place ici… »

Et quand je lui demande quelles sont les principales difficultés pour elle du fait de travailler dans ce service, elle me dit :

« Du coup je me rends compte que c’est le relationnel de manière générale. Avec les patients et avec le personnel. En fait je trouve que c’est très difficile d’être… enfin je suis venue ici pour être en relation avec les gens et du coup je me rends compte à quel point c’est difficile ».

C’est un lundi après-midi. Je passe un peu de temps avec Amélie, une infirmière très jeune qui n’est dans le service que pour une semaine. On s’occupe d’une patiente, une dame très affaiblie, on l’aide à prendre une douche. En attendant devant la porte fermée de la petite salle de bain de la chambre elle me parle librement de ses impressions sur le service :

« Ici, j’ai l’impression qu’on s’entend bien. Je trouve qu’il y a une bonne ambiance dans l’équipe. Quand, par contre, dans d’autres services où je suis allée, il y a beaucoup de tension, …parfois à un point tel que, tu vois, on n’a pas envie le matin d’y aller travailler. Je trouve qu’une bonne équipe ça fait 80% de la qualité d’un service ».

C’est vrai aussi que, par rapport à la plupart des autres services de médecine, la charge de travail dans ce service en particulier est différente : le nombre des patients est réduit et celui du personnel est suffisant. Un après-midi de décembre je croise Fanny, la nouvelle AS, dans le couloir :

« La seule couche que je devais changer est partie à se promener ! Maintenant je prends les températures. Mais dans ce service c’est comme si je me prenais les vacances par rapport à neuro ou même au service d’en face : là est tout très mal organisé. »

Le travail dans « hémato » peut être, parfois, très agréable. La qualité des relations entre le personnel fait parfois la différence. Ici le but implicite de garder une « bonne ambiance » n’est pas celui de faire face à une surcharge de travail, mais plutôt de créer un groupe soudé, une identité solide de l’équipe, parce qu’il est considéré de toute façon un service « lourd ». La prise en charge des patients chroniques et de la fin de vie est la charge la plus pénible, face à laquelle on ne voudrait pas se retrouver « seuls ». Ainsi, même les moments plus difficiles ou les

100 périodes d’incertitude (comme on a vu au moment des décès), qui peuvent faire basculer la vie d’un service, sont réintégrés dans cet esprit de gaité du groupe.

La « bonne ambiance » d’hémato est perçue par de nombreux patients, qui parfois viennent saluer ou remercier des infirmiers, des AS, ou même les ASHQ, avant de repartir.

Néanmoins, la « bonne ambiance » est le revers de la médaille d’une prise en charge de la douleur complexe de la part des soignants, à la fois d’un point de vue émotif et personnel. L’autre aspect qui l’accompagne est représenté par ce que les soignants nomment la « juste distance ». Il s’agirait d’une sorte de « barrière invisible » mais que tout soignant connaît et doit apprendre sur le terrain à mettre en place. L’ambiance parfois rigolote, le sens d’appartenance à une équipe soudée, servent aussi bien à améliorer la prise en charge du patient qu’à se protéger.

3. TROISIEME PARTIE : La prise en charge de la douleur par le personnel