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II. LA CONSTRUCTION DES DISCOURS D’ACCOMPAGNEMENT OU COMMENT LA

2.2. L ES DISCOURS D ’ ACCOMPAGNEMENT DU CHANGEMENT A LA LUMIERE DE L ’ APPROCHE INTERPRETATIVE . 64

2.2.4. Pour une approche stylistique des discours d’accompagnement du DMP

2.2.4.2. Le registre de langue employé

Selon les situations de communication, le lexique et les structures syntaxiques employées varient. Nous commenceront ici par tenter d’expliquer quels sont les différents types de registre, et quelles sont les particularités de chacun. Puis, nous verrons que plusieurs facteurs déterminent l’emploi de l’un de ces registres plutôt qu’un autre. En fin, nous tenterons d’identifier le registre utilisé dans le cadre de notre corpus.

67 BUFFARD-MORET, B. Introduction à la stylistique. Paris : Nathan/HER, 2000. 128 p.

On distingue généralement trois types de registre de langue : littéraire ou soutenu, courant ou non marqué et familier ou populaire. Le premier est caractérisé par l’emploi d’un vocabulaire riche et recherché, pouvant parfois même être qualifié de rare. Il s’agit d’un registre très majoritairement utilisé à l’écrit. Le deuxième se caractérise par un vocabulaire dit courant, faisant appel aux mots les plus utilisés, sans autre effet recherché que la transmission d’un message. Un mode d’emploi utilise par exemple souvent ce type de registre. Le troisième et dernier relève quant à lui plus de la langue parlée. Pouvant faire appel à un vocabulaire argotique, il relève de la spontanéité, et peut aller jusqu’à présenter des incorrections grammaticales. Si ces trois types de registre sont les plus couramment admis, on peut tout de même noter qu’au sein du registre courant, une hiérarchisation est possible. En effet, sans pour autant passer dans le registre soutenu, certains discours sont plus proches de celui-ci que du registre familier, de par l’emploi occasionnel d’un vocabulaire que l’on ne peut qualifier de

« courant », sans pour autant que le registre de langue soit particulièrement élevé dans son ensemble. Finalement, nous noterons également l’existence d’un quatrième registre dit interne, qui tient plus du jargon, et qui se caractérise par l’emploi de termes propres à un domaine : les informaticiens ont par exemple un parlé technique qui n’est pas à la portée d’un individu non initié. Le « verlan », qui consiste à inverser certaines syllabes dans les mots peut également être considéré comme faisant partie de ce type de registre.

L’emploi de l’un de ces registres plutôt qu’un autre peut s’expliquer de plusieurs manières, étant donné que cet emploi peut parfois relever d’un choix, et parfois se présenter comme une nécessité. Trois principaux facteurs entrent en compte dans l’emploi de ces registres : le locuteur, le mode de transmission du message, et le destinataire. Le locuteur peut en effet être en mesure de choisir l’un de ces trois registres, mais pour la plupart, nous ne sommes pas capables de maîtriser le langage soutenu. Faisant appel à un vocabulaire riche, et employant des figures de style, ce type de langage n’est pas à la portée de tous. De la même manière, certaines personnes sont incapables d’employer un registre très familier, s’ils ont été plutôt habitués à un registre soutenu. Ce premier facteur est lié au troisième, à savoir le destinataire.

Un individu qui n’est pas capable d’employer un registre soutenu pourra parfois ne pas non plus être en mesure de le comprendre, ou du moins, d’en cerner toute la complexité. Et un individu habitué à un registre soutenu ne sera pas toujours en mesure de comprendre un registre familier. Enfin, le mode de transmission du message est également déterminant du registre : comme nous l’avons évoqué plus tôt, alors que le langage soutenu est plus souvent utilisé à l’écrit, le registre familier est quant à lui un niveau de langage parlé.

Dans les discours d’accompagnement du DMP, il semblerait au premier abord que le registre employé soit de type courant. En effet, les phrases utilisées sont de type simple, c’est-à-dire qu’elles sont majoritairement composées d’une seule proposition de type sujet, verbe, complément (par exemple : « Ce dossier médical électronique sécurisé est accessible par Internet »). Mais si l’on y regarde de plus près, il semblerait que le vocabulaire utilisé ne soit pas toujours des plus courants, et sont parfois employés à des registres internes : « sécurité diagnostique et thérapeutique », « les logiciels de gestion de données de santé seront compatibles avec le DMP », « sur le portail DMP ». Encore faut-il savoir ce qu’est un « portail » en informatique, et ce que signifie la « compatibilité des logiciels de gestion ». A cela s’ajoute le fait qu’à plusieurs reprises, certaines tournures de phrase révèlent un choix stylistique. Pour exemple, on remarque l’emploi de quelques métaphores « Clé de voûte du parcours de soins »,

« d’avoir accès à une véritable « photographie » de la santé du patient », « un véritable service d’accueil dématérialisé ». Suite à cette rapide analyse, il semblerait que le registre utilisé ici ne soit pas des plus courants. S’il ne s’agit pas pour autant d’un registre soutenu à l’extrême, il n’en reste pas moins que la cible, aussi large soit-elle, ne paraît pas avoir été si bien évaluée.

L’emploi de figures de style et de termes appartenant à d’autres registres que le courant ne semble en effet pas simplifier la lisibilité des discours d’accompagnement du DMP.

Les discours d’accompagnement jouent, nous l’avons montré au cours de cette partie, un rôle majeur de production de sens social, et sont déterminant de l’appropriation ou non d’un objet technique comme le DMP. Ils se construisent autour des thèmes permettant de contrer les réticences des usagers, de faire évoluer leur interprétation de l’objet en question.

Si le changement technique inquiète, c’est souvent parce qu’il est source d’incompréhension.

En effet, certaines innovations complexes ne sont pas évidentes à saisir, et de ce fait, une appréhension nait. Il est difficile d’être enthousiaste face à quelque chose que l’on ne comprend pas. A cela s’ajoute le fait qu’un objet technique engendre des changements d’usages, qui ne sont pas toujours identifiables au préalable. Le changement crée l’incertitude.

Finalement, un changement technique s’accompagne toujours d’un changement social, et tous deux sont profondément liés.

Le principal principe de construction des discours d’accompagnement du changement semble en effet se baser sur les représentations sociales des usagers, en les identifiant et en faisant en

sorte de les faire évoluer dans le sens du changement. Ces représentations fonctionnant selon une dynamique particulière, il s’agit donc de comprendre ce fonctionnement, et de l’utiliser pour agir sur ces représentations. Mais comme nous l’avons finalement montré au cours de cette partie, il semblerait que ces discours, s’ils ne tentent pas de persuader de manière explicite, sont construits selon une logique délibérative visant à convaincre, en ne proposant notamment qu’une seule réponse à chaque question posée, et en utilisant un registre de langue qui peut parfois troubler des lecteurs non avertis.

Mais au-delà de ce principe selon lequel les discours d’accompagnement du changement ont a priori le pouvoir d’agir sur les représentations sociales, nous avons montré, au cours de ce chapitre que l’utilisation de la communication mise en œuvre par les sciences de gestion dans leurs méthodes de conduite du changement n’était pas suffisante. Nous avons donc proposé une autre manière d’utiliser la communication en tant qu’elle est capable de construire du sens. Or dans le cadre d’un changement technique, la construction d’une vision commune de l’objet est nécessaire à son appropriation.

Mais l’objet de la partie suivante sera de montrer que cette approche n’est pas non plus infaillible. En effet, les discours d’accompagnement du changement, au-delà de leur forme et de leur contenu perceptible, doivent être construits de manière à poser les conditions du changement, et la communication, si elle est bien utilisée, peut y parvenir.

III. Les discours d’accompagnement ou comment susciter la co-construction du changement.

Au cours de la partie précédente, nous avons souhaité montrer que la communication peut être employée de manière différente dans la construction et la diffusion des discours d’accompagnement du changement. Mais nous avons également montré que l’efficacité de son usage dépend de la manière dont on l’appréhende. En effet, la communication est vaste, et différents courant se l’approprient. Mais il semblerait que seul celui des sciences de la communication en mesure vraiment toute la portée.

La tendance des sciences de gestion, présentée précédemment, met au jour le fait que sous une apparente interactivité, les managers considèrent l’organisation comme un tout, fonctionnant selon certaines règles, et pouvant être influencée par la mise en œuvre de quelques méthodes de conduite du changement. Or une organisation est avant tout constituée d’un ensemble de personnes interagissant continuellement. Il semble donc un peu réducteur de considérer que toutes les organisations fonctionnent selon le même schéma. Ce groupe d’individus structuré par certaines règles, et selon certaines pratiques, interagissent donc ensemble, mais également avec l’environnement matériel au sein duquel ils évoluent. C’est de cette manière que nous tenterons d’envisager l’organisation au cours du chapitre qui va suivre. Et cette prise en considération de l’organisation comme un ensemble d’individus va nous aider à comprendre comment les discours d’accompagnement du changement peuvent véritablement l’accompagner.

En effet, au-delà d’une identification des représentations sociales liées à un objet technique particulier dans le but de les faire évoluer, il semblerait que la communication permette de construire une véritable stratégie d’action par les discours. Pour cela, l’identification préalablement nécessaire n’est autre que celle des conditions humaines nécessaires au bon fonctionnement de l’objet technique, et la construction d’une stratégie permettant de produire, ou d’affirmer ces conditions. Et l’objet de cette partie sera de montrer que la communication organisationnelle rend cette stratégie possible.

Nous commencerons pour cela par reconsidérer notre vision du changement technique. Jusque là, ce dernier a été envisagé comme un élément pouvant être accompagné de manière exogène, en proposant une vision commune de l’objet technique, ou en accompagnant les acteurs dans leur apprentissage des nouveaux usages suscités par cet objet. Or il semblerait

que le changement, en tant que modification de l’organisation, trouve son principe de fonctionnement dans celui de l’organisation. Nous verrons donc, à l’aide d’une approche dite discursive, de l’organisation, que l’une des conditions de la réussite d’un changement réside dans sa capacité à susciter le dialogue. Cela nous permettra d’identifier les erreurs commises jusque là, et de proposer une manière de construire les discours d’accompagnement en fonction de ces nouveaux éclaircissements.

Puis nous reviendrons sur les appréhensions souvent suscitées par la mise en place d’un changement, et tenterons de comprendre comment, au-delà des représentations sociales, ces appréhensions se déclarent. En effet, il semblerait que la notion de confiance soit primordiale pour la réussite d’un changement. A la lumière d’une tentative de définition de cette notion, nous verrons que c’est son absence qui motive les appréhensions, et que c’est en la réinstaurant qu’il deviendra possible de faire accepter le changement.

Enfin, nous verrons au cours de la troisième partie comment les discours d’accompagnement du changement peuvent tenir compte de ces deux conditions, et faire en sorte de susciter leur production. Pour cela, nous reviendrons sur notre cas particulier du DMP, en montrant que si les discours sont construits de manière stratégique, ils peuvent parvenir à réunir ces conditions.

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