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I. L’ACCOMPAGNEMENT DU CHANGEMENT TECHNIQUE : UNE ETAPE ESSENTIELLE DANS

1.3. L ES HOMMES FACE A L ’ INNOVATION

1.3.3. La question de l’appropriation d’une technique

Dans le processus d’acceptation d’une innovation technique, il y a notamment une part d’appropriation. Il semble donc utile de s’intéresser, pour une nouvelle technique donnée, à la manière qu’ont les individus de s’en emparer, et surtout, à ce qui va déterminer le fait qu’ils s’en emparent ou non. Par appropriation, nous entendons ici un usage personnalisé d’un outil donné, qui inclut aussi bien le savoir-faire commun que les détournements effectués à l’échelle individuelle.

Nous commencerons donc ici par effectuer un retour sur la théorie de la traduction présentée lors de la première partie de ce chapitre, en tant qu’elle permet de montrer l’importance de cette appropriation des techniques. En effet, une technique qui n’est pas utilisée n’a pas lieu d’être, et ce n’est que lorsqu’elle aura fait l’objet d’une appropriation que son usage sera optimal. Puis, nous verrons que l’une des manières de s’approprier un objet technique peut consister à le détourner de son usage initialement envisagé par ses concepteurs.

1.3.3.1. Retour sur la théorie de la traduction

La théorie de la traduction de Michel Callon et Bruno Latour semble se révéler utile ici afin de mieux appréhender le changement. En s’intéressant à la manière dont les sciences sont produites et aux conditions dans lesquelles elles sont produites, ils se sont interrogés sur la construction des discours scientifiques. Ils s’appuient pour cela sur la notion de réseau pour tenter d’expliquer les comportements des individus face à la mise en place d’une innovation technique.

Comme nous l’avons dit précédemment, les différentes théories concernant la diffusion de l’innovation laissent l’utilisateur de côté : il doit s’adapter à la technique qu’on lui impose.

Mais il apparait que tant que les acteurs du changement n’expliquaient pas clairement les enjeux de leur action, l’appropriation de l’innovation ne se faisait pas. « Une innovation scientifique est le résultat d'une rencontre entre des acteurs dont les enjeux sont différents et qui, pour une action donnée, se sont mis en relation et ont agi ensemble sur un point particulier. »45 C’est pourquoi il s’agit de bien cerner l’innovation et de la présenter de manière à ce que tous les acteurs concernés se sentent impliqués et intéressés. C’est ce que l’on entend par le terme de contextualisation. Il s’agit de faire en sorte qu’aucun des acteurs ne se sente exclu du processus d’innovation, qu’il comprenne bien quels avantages il pourra en tirer. Il semble également que la notion de participation s’impose dans ce processus. Chaque individu doit se sentir concerné par le projet, et impliqué dans sa mise en œuvre.

En tenant compte de ces différents points, la constitution d’un réseau devient effective : les acteurs du projet, quels qu’ils soient, deviennent capables de travailler ensemble, de se fixer des objectifs communs. Ce réseau devra sans cesse être réaffirmé, de sorte que le processus ne s’effondre pas, car quelle que soit l’innovation en question, la base du processus est constituée de ce réseau. S’il connait une faille, c’est tout le projet qui sera remis en cause.

Cette théorie a notamment aidé à comprendre qu’il était nécessaire de trouver un intérêt et des objectifs communs à des acteurs qui n’avaient a priori aucune raison de travailler ensemble.

Le contexte dans lequel se déroule un processus d’innovation semble donc avoir une réelle influence sur son déroulement. Or le rôle du communicant n’est-il pas de construire un

45 BERNOUX, P. « Théories sociologiques et transformations des organisations ». in Les sciences économiques et sociales [en ligne] 23 janvier 2006 [consulté en mars 2007] Disponible sur : < http://ses.ens-lsh.fr/>

contexte qui donnera sens à l’action ? Il semble donc que l’accompagnement du changement doive démarrer dès le lancement du projet.

Mais le contexte n’est pas le seul facteur déterminant de l’acceptation ou non d’une innovation par les usagers potentiels. Un objet technique qui n’est utilisé par personne, même s’il présente toutes les qualités nécessaires, sera abandonné. L’un des enjeux, dans la mise en œuvre d’une innovation, est donc de trouver preneur. Le fait par exemple d’avoir proposé des téléphones portables personnalisables (choix dans les couleurs, les options, les forfaits) a aidé l’usager à se l’approprier, à le considérer comme sien. Mais ce phénomène de personnalisation peut prendre d’autres formes. Le détournement d’une technique peut parfois permettre son appropriation.

1.3.3.2. Le détournement d’une technique

Certains objets techniques connaissent un succès que l’on qualifie par la suite d’imprévu. En effet, il arrive qu’une innovation voie le jour et que les usages qui en sont faits dévient, ou ne correspondent pas à ce que ses concepteurs avaient prévu. Pour en revenir à l’exemple du téléphone portable, il s’avère que si le succès de cette innovation était plus ou moins prévisible, il n’en reste pas moins que le public ciblé par cette technologie n’a pas été le seul à répondre à l’appel.

A sa sortie, au début des années quatre-vingt-dix, le téléphone portable vise surtout les professionnels. Dès 1992, cet objet technologique propose un nouveau service : le SMS (Short Message Service), à l’origine destiné à transmettre des messages de service provenant de l’opérateur téléphonique, le SMS a joué un rôle majeur dans le succès du téléphone portable. C’est en 1993 qu’un étudiant en ingénierie chez Nokia a effectué le premier envoi d’un SMS à partir d’un téléphone portable. Avant cela, les ordinateurs étaient les seuls émetteurs de SMS.

Une fois cette fonctionnalité découverte par les usagers, la machine était lancée. Un public plus jeune a commencé à s’intéresser au téléphone portable. Quand les prix ont commencé à baisser, le téléphone portable s’est généralisé très rapidement. Et le SMS est devenu l’un des moyens de communication les plus populaires.

Ce détournement de l’usage du téléphone portable, à l’origine prévu uniquement pour téléphoner, montre que les usagers, en cherchant à comprendre les technologies qui les entourent, tombent parfois sur des fonctionnalités insoupçonnées. Cela constitue une forme d’appropriation de l’objet technique. L’usager utilise cet objet d’une manière qui lui est propre, et peut chercher volontairement à le détourner pour le rendre plus unique, plus original, plus à lui.

Au regard des théories de l’innovation, il semble qu’elle ait souvent été pensée comme étant un tout, indépendant, que l’on met en place quand le besoin s’en fait ressentir, sans se soucier des éventuelles conséquences. Pourtant, la capacité d’innovation d’une entreprise dépend de la manière dont elle la met en œuvre. Un changement technique engendrera nécessairement un changement social, car tout objet technique nécessite des usagers.

Qu’elles soient positives ou négatives, les réactions provoquées par des changements techniques peuvent créer un obstacle à la mise en place d’une innovation du fait de l’imprévisibilité qu’elles engendrent. Et il est impossible d’établir une règle universelle permettant de remédier à cette incertitude, car chaque individu aura, face à la technologie, une réaction qui lui sera propre, trouvant sa source dans une expérience particulière, un rapport particulier entretenu avec le changement technique, sur lequel on ne peut intervenir.

En revanche, s’il n’est pas possible d’influencer directement une opinion sur la technique en général, il semble que l’on puisse, pour une innovation particulière, aider à l’acceptation. Au sein des organisations, les changements techniques sont très souvent accompagnés de discours visant à favoriser les conditions leur de mise en place. Comment sont construits ces discours ? Aident-ils vraiment à accepter le changement ? Sont-ils réellement nécessaires ? C’est ce que nous tenterons de voir au cours de la partie suivante, en nous basant notamment sur l’expérience de professionnels, rencontrés lors d’entretiens.

II. La construction des discours d’accompagnement ou comment la

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