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REGARDS ÉTRANGERS SUR LES INSTITUTIONS DE LA PRINCIPAUTÉ DE NEUCHÂTEL AU XVIII e SIÈCLE

Dans le document Quand la Suisse s’expose (Page 143-168)

à la nouvelle Constitution : une histoire des institutions

REGARDS ÉTRANGERS SUR LES INSTITUTIONS DE LA PRINCIPAUTÉ DE NEUCHÂTEL AU XVIII e SIÈCLE

« Des peuples jaloux de leurs privileges et de la liberté que leur assurent leurs pacta conventa.»

Baron de Tott, 1767

« Pour un petit état, la constitution de Neuchâtel est peut-être la plus heureuse du monde. »

MmeGauthier, 1790

« Un chef-d’œuvre en politique. »

François Robert, 1790

Le voyage en Suisse et l’helvétomanie du XVIIIesiècle

On sait que le XVIIIe siècle connaît les débuts de ce qui sera baptisé à la fin du XIXe, dans un français à base d’anglais, le tourisme. Parallèlement se développe avec rapidité, surtout dès 1750, la « littérature de voyage » : récits d’une part, guides d’autre part – ainsi que tous les textes qui relèvent en même temps de ces deux genres bien souvent difficiles à distinguer1. Dès le milieu du siècle commence en effet à disparaître le caractère excep-tionnel du voyage d’agrément, resté marginal par rapport aux fins princi-palement utilitaires des déplacements internationaux des XVIe-XVIIesiècles.

Le territoire du Corps helvétique, jusque-là davantage espace de transit que lieu de destination, pays montagneux, sauvage et dangereux, qui repoussait plutôt qu’il ne séduisait, reçoit un statut nouveau et devient un objet classique d’attirance « prototouristique »2. A l’origine de cet intérêt, une mutation culturelle de large échelle, soit une nouvelle perception de la nature, plus particulièrement de la haute montagne. Les Alpes, puis les paysages suisses dans leur ensemble, sont l’objet d’un véritable enthou-siasme ; la montagne est réhabilitée, idéalisée, vénérée. Les habitants de la montagne, puis la Suisse et les Suisses en général, bénéficient des mêmes préjugés favorables. A l’Alpenerlebnis s’ajoute une Schweizerbegeisterung3,

1 Sur la difficulté de ces distinctions, voir Raphaël BÉGUELIN, Le regard des autres. Les Montagnes neuchâteloises d’après les relations de voyages (1750-1820), Neuchâtel, mémoire de licence ès lettres, 2000, vol. 1, pp. 18-19, avec références théoriques. Sur les guides en général : Laurent TISSOT, Naissance d’une industrie touristique. Les Anglais et la Suisse au XIXesiècle, Lausanne, 2000, pp. 13-42.

2 Sur la littérature de voyage relative à la Suisse, on se référera aux indispensables 1750 pages de Claude REICHLER et Roland RUFFIEUX (dir.), Le voyage en Suisse. Anthologie des voyageurs français et européens de la Renaissance au XXesiècle, Paris, 1998 (voir en particulier les analyses introductives, spéc.

pp. 3-19 et 1101-1104). Encore intéressant : Gustav PEYER, Geschichte des Reisens in der Schweiz. Eine culturgeschichtliche Studie, Bâle, 1885.

3 Eduard ZIEHEN, Die deutsche Schweizerbegeisterung in den Jahren 1750-1815, Francfort/Main, 1922.

une helvétophilie admirative parallèle à la multiplication des relations de voyage et au développement de la littérature des Lumières et du préro-mantisme, qui en sont les relais principaux. « Depuis quelques années », note l’auteur d’un guide en 1793, « nous avons un nombre prodigieux de descriptions de la Suisse, de voyages en Suisse en forme de journal, de sorte qu’un voyageur peut se trouver embarrassé à choisir parmi tant d’ouvrages celui qui doit lui servir de lecture préliminaire. »4

Or la littérature de voyage est un des lieux d’expression privilégiés de cette nouvelle perception. Un autre guide, célèbre, celui de Johann Gottfried Ebel, pour lequel « il n’est certainement aucune contrée, aucune partie de notre Globe, qui soit, à tant de divers égards, aussi remarquable

& aussi intéressante que la Suisse », souligne très explicitement l’utilité du voyage éclairé en Suisse et plus spécialement de l’examen des systèmes politiques cantonaux :

« Nul ne trouvera autant à y nourrir son esprit, que celui qui fait de l’homme l’objet de ses recherches ; qui épie, d’un œil pénétrant, la grande influence de la constitution physique, de la position, du climat, du sol, et de l’organisation civile et politique du gouvernement de chaque petit pays (...). Si l’on veut apprendre à connoître le Gouvernement purement populaire ou ce qu’on appelle la pure Démocratie, on la trouvera dans les montagnes de la Suisse ; & quiconque cher-cheroit, en général, à s’éclairer sur les formes des Sociétés civiles, sur les avantages ou les désavantages de telle ou telle constitution, qui désireroit enfin de se frayer, d’après ses propres observations, & en comparant ces constitutions entre elles, une route vers la connoissance des vérités politiques, ne sauroit s’arrêter nulle part où il puisse parvenir plus facilement à son but. »

Pour lutter contre les idées préconçues, pour former en particulier le jugement et le caractère des jeunes, « point encore aveuglés par un orgueil indomptable ou par la foiblesse de leur esprit », rien de tel qu’un séjour attentif en Suisse5.

Ainsi beaucoup de voyageurs décrivent, apprécient, voire analysent les institutions politiques des cantons ou de leurs principaux alliés6; beaucoup sont fascinés, éblouis, et peinent à déceler les réalités socio-politiques derrière les apparences7; d’autres, mais minoritaires et souvent indulgents,

4 Hans Ottokar REICHARD, « La Suisse », dans Le Voyageur en Europe, Weimar, 1793.

5 [Johann Gottfried] EBEL, Instructions pour un voyageur qui se propose de parcourir la Suisse de la maniere la plus utile..., Bâle, 1795, pp. 6-7 et 25-26.

6 Willi VOGT, Die Schweiz im Urteil einer Reihe von ausländischen Publikationen aus der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts, Zurich, 1935.

7 Sur la perception française : François JOST, La Suisse dans les lettres françaises au cours des âges, Fribourg, 1956, pp. 80-101 (« Une démocratie de naissance ») ; « On pourrait remplir un gros in-folio si l’on se proposait d’accumuler les témoignages français rendant hommage à la sagesse politique et gouvernementale des ligues suisses » (p. 101).

sont plus critiques, surtout à l’extrême fin du siècle. La plupart sont éton-nés : « La constitution politique de la Suisse ne ressemble à celle d’aucun Peuple de l’Europe. »8 Avant même Rousseau, le regard est prioritairement dirigé vers les plus anciens cantons de Suisse centrale, dont les institutions en apparence intégralement démocratiques captivent9. A travers une approche impressionniste où s’entremêlent, sans trop de méthode, des considérations géographiques, historiques (voir la mystique des origines de la Confédération)10, politiques, économiques, sociales ou ethnographiques, s’élabore un modèle théorique helvétique, un mirage qui aura la vie longue ; les stéréotypes insistent sur le « bonheur suisse », étroitement lié à l’égalité des « citoyens » et à la liberté politique dont jouissent les habitants de cette nature arcadienne, protégée des corruptions de la civilisation, rêve de Rousseau ou d’Albert de Haller :

« La Suisse l’emporte sur l’Italie par le spectacle de la félicité publique, opérée par de sages institutions, par des loix qui ont couvert les rochers d’hommes &

d’habitations, par des loix qui ont suscité l’activité & l’industrie dans des contrées infécondes, & qui ont fait germer l’abondance & la richesse dans des climats voués par la nature à la désertion & à la solitude (...). Les Suisses n’ont pas nos plaisirs bruyans, mais chez eux existe la plus grande somme de bonheur & de contentement qui se retrouve chez aucun Peuple de la Terre. »11

On trouve un belle version du mirage helvétique, aux lecteurs évidem-ment innombrables, dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, article

« Suisse », sous la plume de Louis de Jaucourt12. Le passage par Neuchâtel

La question que nous voudrions aborder ici, en nous limitant au plan institutionnel, est celle de la place de la Principauté de Neuchâtel dans ce processus de mythification du XVIIIe siècle.

8 [François] ROBERT, Voyage dans les XIII cantons suisses, les Grisons, le Vallais, et les autres pays et Etats alliés, ou sujets des Suisses, vol. 1, Paris-Dijon, 1790, p. 4.

9 Claude REICHLER, « Une scène originaire de la démocratie : la Landsgemeinde », dans Michaël BÖHLER, Etienne HOFMANN et al. (dir.), Republikanische Tugend. Ausbildung eines Schweizer National-bewusstseins und Erziehung eines neuen Bürgers. Contribution à une nouvelle approche des Lumières helvé-tiques, Genève, 2000, pp. 77-92.

10 André RESZLER, Mythes et identité de la Suisse, Genève, 1986 ; Ulrich IMHOF, Mythos Schweiz.

Identität – Nation – Geschichte 1291-1991, Zurich, 1991.

11 [F.] ROBERT, op. cit., vol. 1, pp. 2 et 25.

12 Encyclopédie, tome 15. Cf. Diderot, d’Alembert. Une Suisse heureuse, Genève, 1994 (contient l’article « Suisse ») et Charly GUYOT, Le rayonnement de l’Encylopédie en Suisse française, Neuchâtel, 1955, pp. 64-65.

Entre 1707 et 1806, il est possible de considérer les institutions poli-tiques, administratives et judiciaires neuchâteloises non pas comme une abstraction commode et artificielle, mais comme un ensemble qui n’évolue pratiquement pas. Ce conservatisme, élément-clé de la compréhension du système, élimine les difficultés qu’aurait entraînées la nécessité d’une adaptation des réactions des voyageurs à des réalités mouvantes : tous parlent de la même chose, le rapprochement diachronique des éléments essentiels de leurs discours n’est donc pas incongru. Notons également que l’impression d’homogénéité d’une partie des relations de voyage découle des emprunts et des réemplois que les auteurs se font mutuellement, souvent sans le dire... Enfin l’information des rédacteurs peut avoir été nourrie de lectures « standard », comme – surtout – le remarquable article

« Neuchâtel » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, peut-être rédigé par un autochtone, Frédéric-Samuel Ostervald, et qui contient un développe-ment, fort bien renseigné, sur les institutions du pays, texte très souvent repris, voire froidement pillé13. De même, le Dictionnaire géographique, historique et politique de la Suisse, de Vincent-Bernard de Tscharner, paru à Neuchâtel en 1775 pour la première fois, est une référence commune14. Cela posé, les voyageurs s’intéressent-ils aux institutions neuchâteloises ? A-t-on, de l’extérieur, une claire connaissance du statut de la Principauté et de son fonctionnement ? Comment la « constitution » neuchâteloise est-elle considérée ? Dans quelle mesure sa perception relève-t-elle du

« mirage suisse » contemporain ? Nos tentatives de réponses se basent sur un échantillon d’une vingtaine de relations de voyage ou de guides, de plumes principalement anglaises, françaises et « allemandes » (dont deux féminines), qu’on peut considérer, peut-être un peu hardiment, comme partiellement représentatifs d’un ensemble très considérable et varié de textes ; quelques observations de diplomates compléteront ce corpus. Précisons encore que notre intention n’est pas de « corriger » nos voyageurs, du moins de façon systématique, en rapprochant leurs affirmations d’une connaissance histo-rienne des institutions, ni d’esquisser un tableau complet de ces institutions.

Il s’agit d’une approche des représentations qu’on s’en fait.

13Encyclopédie, vol. 11, 1765, pp. 108-113 ; article signé en fait « D. J. » (de Jaucourt) ; sur l’attribution vraisemblable à Ostervald : Ch. GUYOT, op. cit., p. 74 ; la Biographie neuchâteloise de F. A. M. JEANNERETet J.-H. BONHÔTE, Le Locle, 1863, n’émet aucun doute à ce sujet. Sur Ostervald : Jacques RYCHNER et Michel SCHLUP, « Frédéric-Samuel Ostervald, homme politique et éditeur (1713-1795) », dans Biographies neuchâteloises, vol. 1, Hauterive-Neuchâtel, 1996, pp. 197-201. Sur la dimension « transtextuelle » ou « intertextuelle » des relations et des guides de voyages, voir R. BÉGUELIN, op. cit., vol. 1, pp. 126-141, qui en étudie de près une jolie manifestation à propos du passage dans les Montagnes neuchâteloises.

14Sur ce classique, Clorinda DONATO, « La géographie républicaine : Republic and Representation in Vincenz Bernhard von Tscharner’s Dictionnaire géographique, historique et politique de la Suisse 1775 », dans Michaël BÖHLER, Etienne HOFMANNet al. (dir.), Republikanische Tugend..., op. cit., pp. 301-335.

Si le voyage en Suisse débouche dès le XVIe siècle sur une production littéraire, le genre ne prend de l’ampleur qu’au XVIIIe, pour devenir massif au XIXe. Dans un ouvrage classique, Gavin Rylands De Beer a dénombré 538 voyageurs ayant écrit sur la Suisse au XVIIIe siècle (les rééditions et les traductions ne sont pas prises en compte) : 69 entre 1700 et 1750, 124 de 1751 à 1775, 345 de 1776 à 1800 ; les rédacteurs helvétiques sont compris dans ce total, mais ils sont très minoritaires, surtout pour les trente dernières années du siècle, sur lesquelles se concentrent 80 % de l’ensemble des titres ; parmi les auteurs étrangers, la domination anglaise est nette15.

Au sein de cette abondance, quelle est la part accordée au Pays de Neuchâtel ? Sur la base des itinéraires grossièrement reconstitués par De Beer, Raphaël Béguelin ne décompte, pour la première moitié du XVIIIesiècle, que 14 auteurs seulement ayant passé par Neuchâtel-Ville et 2 par Boudry. Dans la seconde moitié du siècle, on arrive à 82 textes faisant référence au chef-lieu, alors que 37 mentionnent Môtiers-Travers (Rousseau, bien sûr !), 24 La Chaux-de-Fonds, 22 Le Locle, 9 Les Verrières, 5 La Brévine, 5 La Tourne. Ces chiffres régressent sensiblement entre 1801 et 182016. Aussi approximative que soit cette quantification, elle montre bien l’inclusion du Pays de Neuchâtel dans les itinéraires conseillés et sa promotion temporaire parmi les principaux points de chute classiques du voyage en Suisse à la fin du XVIIIe siècle, même si ce n’est pas au tout premier rang.

On remarquera enfin que les notations principales relatives aux insti-tutions sont intégrées par la plupart des auteurs aux lignes consacrées à la ville de Neuchâtel, la « capitale », siège d’un pouvoir visible, symbolisé par le château. Cette option n’exclut cependant pas une certaine diffusion de remarques éparses, au gré des itinéraires, qui comprennent en général un passage ou une excursion dans les Montagnes. Mais l’essentiel est dit à propos du chef-lieu17.

15 Gavin R. DE BEER, Travellers in Switzerland, Londres-New York-Toronto, 1949 (avec brève mention des itinéraires suivis en Suisse par les auteurs) : ces chiffres doivent être considérés comme des minima. Voir aussi le recensement (plus de 6000 titres) d’Adolf WAEBER, Descriptions géographiques et récits de voyages et excursions en Suisse. Contribution à la bibliographie de la littérature suisse des voyages (de 1479 à 1890), Berne, 1899 (Bibliographie nationale suisse).

16 R. BÉGUELIN, op. cit., vol. 1, pp. 40-43.

17 Ainsi, dans les textes retenus par R. BÉGUELIN, op. cit., tous relatifs aux Montagnes neuchâteloises, on ne trouve pratiquement rien sur les institutions, pas plus que dans ceux sélectionnés par Michel SCHLUP, Le Haut-Pays neuchâtelois au XVIIIesiècle : notes et impressions de voyageurs, dans Nouvelle Revue neuchâteloise, hiver 1986, No12, pp. 3-28.

Neuchâtel suisse ?

Une des premières questions que se posent maints voyageurs à leur arrivée dans le pays, réputé terre « prussienne », est celle de son apparte-nance à la Suisse. Les avis divergent, selon l’optique adoptée. Le caractère ténu du lien diplomatique helvético-neuchâtelois est indéniable, comme le relève en 1714 le diplomate anglais Stanyan, ambassadeur auprès du Corps helvétique, présent à Neuchâtel lors du procès de 1707 :

« Les comtes de Neuchatel étoient anciennement alliés des Cantons de Berne, de Lucerne, de Soleure, & de Fribourg. Mais, depuis que les Etats de ce pays en ont donné l’investiture au Roi de Prusse, il paroît que l’alliance ne subsiste plus qu’avec le Canton de Berne ; & il paroît douteux qu’on veuille renouveller l’ancienne alliance avec les trois autres Cantons. »18

De même, pour le pasteur anglican londonien William Coxe, « à parler strictement, ces différens Etats [Grisons, Valais, Neuchâtel] ne sont que des Alliés des XIII Cantons & ne font nullement partie de la Suisse pro-prement dite »19. Pour un troisième voyageur anglais cependant, Martyn,

« ces comtés font partie du corps Helvétique »20. Le détail des alliances suisses de Neuchâtel est souvent mentionné21, et le rôle particulier de la combourgeoisie avec Berne relevé et illustré par une référence à l’affaire des fermes, en 176822. Mais le caractère disons « indirect » du statut helvétique de la Principauté est fréquemment mis en avant. Ce qui peut être renforcé par le sentiment qu’éprouvent certains voyageurs de changer de monde en passant du territoire des cantons à celui de la Principauté ; c’est le cas de l’homme de lettres français Charles Joseph Mayer, qui arrive en ville de Neuchâtel, jugée trop ostensiblement opulente : « Ce n’est plus la simplicité des Cantons démocratiques. Ce n’est plus la Suisse. »23

En revanche, dès qu’il est question du régime politique, quand, en abordant le sujet, nos textes insistent, ce qui est fréquent, sur les franchises ou sur l’« indépendance » des Neuchâtelois, l’assimilation de la Principauté

18[Abraham STANYAN], Tableau historique et politique de la Suisse. Où sont décrits sa situation, son état ancien & moderne..., [trad. N.-P. Besset de la Chapelle], Fribourg-Paris, 1766, p. 361 (1re éd.

Amsterdam, 1714).

19William COXE, Lettres de M. William Coxe à M. W. Melmoth sur l’état politique civil et naturel de la Suisse traduites de l’Anglois... [par L. F. E. Ramond de Carbonnières], vol. 2, Paris, 1782, p. 160 (1reéd. anglaise en 1779).

20[Thomas MARTYN], Guide du voyageur en Suisse, Genève, 1788, p. 43.

21Par exemple [F.] ROBERT, op. cit., vol. 2, p. 106.

22Par exemple [Madame GAUTHIER], Voyage d’une Française en Suisse et en Franche-Comté depuis la Révolution, vol. 2, Londres, 1790, pp. 355-356 ou [F.] ROBERT, op. cit., vol. 2, pp. 109-110.

23[Ch. J. de] MAYER, Voyage de M. de Mayer en Suisse en 1784 ou tableau historique, civil politique et physique de la Suisse, vol. 2, Amsterdam, 1786, p. 10.

à la Suisse est beaucoup plus immédiate. Le pays est alors bien intégré dans le monde de liberté(s) auquel on identifie les cantons constitutifs du noyau de la Confédération. En somme, la Principauté est considérée comme suisse plus par essence institutionnelle que par statut diplomatique.

C’est le résultat de l’antiquité des relations helvético-neuchâteloises, d’une histoire dont les grandes lignes sont parfois évoquées. « Tout ce pays nommé la Comté de Neuchatel & Vallengin (...), par son voisinage, [par]

l’analogie de son Gouvernement & ses Alliances fait partie du Corps Helvétique. »24 Par contiguïté, par osmose, les Neuchâtelois se sont imprégnés des idéaux libertaires des Suisses, lesquels ont soutenu leur émancipation et dont les engagements diplomatiques ont nourri et protégé leurs spécificités : « Leur alliance avec les Suisses est le meilleur rempart de leur liberté & de leurs privilèges »25, que garantit, outre le contrat de 1707,

« leur qualité de Suisse, qui ne peut appartenir qu’à un peuple libre »26. L’influence du modèle helvétique sur la genèse des libertés neuchâteloises est lucidement reconnue par MmeGauthier, pour laquelle les « premiers souve-rains » du pays accordèrent privilèges et franchises autant pour encourager les défrichements que parce qu’ils craignaient « pour leur état l’exemple de la Suisse, si leur joug étoit trop sensible »27. Georges Bernard Depping, publiciste parisien d’origine allemande, considérera également, en 1813, que « la ville [de Neuchâtel] et le canton ont plusieurs privilèges qui sont un reste de la liberté des Suisses »28.

La prise en compte des bienfaits de l’appartenance aux Hohenzollern se mêle parfois à cette insistance sur l’influence helvétique, comme chez le Français Robert, qui, à son habitude, reprend, sans le dire et mot à mot, l’article « Neuchâtel » de l’Encyclopédie :

« La somme singulière de leur gouvernement est une suite nécessaire de leurs relations étroites avec le Roi de Prusse, comme Prince de Neuchâtel & avec le Corps Helvétique dont ils sont membres. Placés au milieu d’un peuple célèbre par son amour de la liberté, les Neuchâtelois pourroient-ils ne pas connoître le prix de ce bien inestimable, comme ils savent rendre ce qu’ils doivent au grand Prince qui les gouverne ! »29

24 J[ean] A[ndré] DELUC, Lettres physiques et morales sur les montagnes et sur l’histoire de la Terre et de l’homme, La Haye, 1778, p. 174.

25 [Denis NOLHAC], Voiage historique et politique de Suisse, d’Italie et d’Allemagne, vol. 1, Francfort, 1735, p. 75.

26 [F.] ROBERT, op. cit., vol. 2, p. 108 ; cf. Encyclopédie, « Neuchâtel », op. cit., p. 112, où l’on trouve la même expression.

27 [MmeGAUTHIER], op. cit., vol. 2, p. 353.

28 G[eorges] B[ernard] DEPPING, Voyage de Paris à Neufchatel en Suisse fait dans l’automne de 1812, Paris, 1813, p. 172.

29 [F.] ROBERT, op. cit., vol. 2, p. 108. Cf. Encyclopédie, op. cit., p.112.

Un important effet bénéfique des liens avec la Suisse est, pour Robert,

« l’indépendance absolue » dont jouit le pays par rapport à l’Empire, depuis la Paix de Bâle en 1499 et les Traités de Westphalie, car cette indépendance est acquise « non seulement aux Cantons suisses, mais encore à tous leurs alliés, membres du Corps Helvétique ; &, dans ces derniers, est essentiel-lement compris l’Etat de Neuchâtel »30. Même idée et mêmes termes forts (« indépendance absolue »31) sous la plume du diplomate d’origine hongroise François de Tott, au service de Louis XV, en mission à Neuchâtel en 176732. De sorte que Neuchâtel, par l’esprit de ses institutions, jouit, au même titre que les autres membres de cette bizarrerie de l’histoire qu’est le Corps helvétique, du « bonheur suisse » que l’enthousiaste Coxe décrit ainsi :

« La félicité de la Suisse ne consiste pas uniquement dans l’exemption des

« La félicité de la Suisse ne consiste pas uniquement dans l’exemption des

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