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DANS LA PENSÉE D’EMER DE VATTEL

Dans le document Quand la Suisse s’expose (Page 168-192)

à la nouvelle Constitution : une histoire des institutions

DANS LA PENSÉE D’EMER DE VATTEL

Dans l’histoire des institutions de notre pays se rapportant aux relations Eglise-Etat, c’est à plus d’un égard une place de pionnier qui revient à la République et Canton de Neuchâtel. Neuchâtel est, en effet, d’abord, avec la Genève de l’immédiat après-régime d’occupation française1, le premier canton à instaurer au milieu du XIXe siècle la laïcité de l’état civil et du mariage2, et cela par une législation-phare, qui servira de modèle, avec son corps spécifique d’officiers d’état civil, à la législation fédérale du 24 décembre 18743; c’est ensuite, avec Genève également, le seul canton à établir au XXe siècle au sein de la Confédération la séparation formelle de l’Eglise et de l’Etat4. S’il n’entre pas dans notre dessein d’analyser les causes et les conditions particulières de ces deux importantes mutations d’ordre institutionnel, qui diffèrent du tout au tout de celles du contexte genevois, nous ne pouvons nous empêcher d’être frappé, comme historien de la pensée juridique, par la similitude du terreau intellectuel dans lequel se sont préparées ces mutations caractéristiques de l’ordre politique moderne. C’est que la Principauté de Neuchâtel a constitué dans l’Ancien Régime, à l’instar de la République aristocratique de Genève, un des foyers privilégiés de rayonnement du jusnaturalisme moderne dans le monde de culture française5. Si elle n’a certes pas eu la chance de bénéficier de l’établissement d’une Académie comme celles de Lausanne ou de Genève, elle n’en a pas moins été un haut-lieu de fermentation intellectuelle, illustré notamment par quelques-uns des plus éminents représentants du leibnitzianisme6. Enfin, des trois grandes figures habituellement associées

1 Sur les péripéties de l’adoption du mariage civil obligatoire dans la République et Canton de Genève au début du XIXesiècle, voir Alfred DUFOUR, « Mariage civil et Restauration – Les aléas et les implications de l’introduction du mariage civil obligatoire à Genève sous la Restauration (1816-1824) », dans Zur Geschichte des Familien- und Erbrechts, Jus Commune, Sonderheft 32, Francfort/Main, 1987, pp. 221-245. Auparavant, c’est à peine deux mois après le Traité de Réunion du 26 avril 1798, soit le 22 juin 1798, que l’Administration municipale genevoise arrêtait de faire connaître « les formalités prescrites par les lois à l’égard des naissances, mariages et décès » ; cf. Extrait des Registres de l’Administration municipale (...) de Genève du 4 Messidor An Six de la République française.

2 Cf. Loi concernant le mariage du 30 décembre 1851, art. 44 ss, Recueil des Lois, t. IV, pp. 256-258.

3 Voir Alfred DUFOUR, « Conditions particulières, principes inspirateurs et étapes de la laïcisation de l’état civil en Suisse au XIXesiècle », dans Revue de l’état civil, Nospécial 10/11, 1976, Cent ans de laïcisation de l’état civil, pp. 329-330 et 340.

4 Cf. l’art. 71 de la Constitution neuchâteloise du 21 novembre 1858 suite à la révision constitu-tionnelle de 1941.

5 Voir à ce sujet Alfred DUFOUR, Le mariage dans l’Ecole romande du droit naturel au XVIIIesiècle, Genève, 1976, pp. XII-XV.

6 Cf. A. DUFOUR, ibid., p. XV et n. 25. Voir à cet égard l’excellente évocation de ce chapitre de l’histoire intellectuelle neuchâteloise par Michel Schlup dans Histoire du Pays de Neuchâtel, t. 2, De la Réforme à 1815, Hauterive, 1991, Septième partie : La vie intellectuelle, pp. 317 ss, notamment pp. 326-335.

à l’Ecole romande du droit naturel – celles de Barbeyrac (1674-1744), de Burlamaqui (1694-1748) et de Vattel (1714-1767) – la figure de ce dernier a assurément davantage contribué par son œuvre au rayonnement de Neuchâtel que ne l’ont fait pour Lausanne ou pour Genève l’éphémère enseignement de droit naturel de Barbeyrac à l’Académie lausannoise ou les leçons de Burlamaqui à celle de Calvin.

C’est assez dire l’intérêt que peut présenter, dans le cadre de la présente publication, une étude de la pensée de Vattel sur la place de la religion dans l’ordre politique en général et sur les rapports Eglise-Etat en parti-culier. Pareille étude apparaît d’autant plus opportune que cet aspect de la pensée juridique et politique du jurisconsulte neuchâtelois n’a guère fait l’objet d’une analyse systématique. Les rares auteurs, en effet, qui ont prêté quelque attention aux considérations de Vattel sur la place de la religion dans l’Etat et sur les relations Eglise-Etat ne l’ont pour la plupart effecti-vement fait que sous la forme de notes ou d’observations critiques relatives aux thèses du chapitre XII du premier livre du Droit des Gens intitulé De la Piété et de la Religion – c’est en particulier le cas des principaux éditeurs de ce traité aux XVIIIe et XIXe siècles7. Si certains s’y sont arrêtés plus longuement, comme A. Mallarmé en 1904 dans son important chapitre sur Vattel des Fondateurs du Droit international8, J. J. Manz dans sa thèse de droit de Zurich de 1971 sur Emer de Vattel9 et surtout U. A. Cavelti dans sa thèse de droit de Fribourg de 1976 traitant de l’influence de l’Aufklärung sur le droit ecclésiastique d’Etat suisse10, cela n’a été alors qu’en s’en tenant au seul Droit des Gens11 et dans la perspec-tive spécifique du droit civil ecclésiastique helvétique12.

Or Vattel, qui va consacrer dans le chapitre cité de son grand traité de Droit des Gens de 1758 près de trente-cinq pages aux considéra-tions en cause13, formule déjà nombre d’entre elles dès le début des

7 Voir entre autres, les notes de l’éditeur de la 3eédition du Droit des Gens de Vattel, Amsterdam, 1775, et celles de Pinheiro-Ferreira dans sa publication de Paris, 1838, les unes et les autres étant repro-duites dans l’édition du Droit des Gens de P. Pradier-Fodéré, Paris, 1863, en particulier t. 1, pp. 340-421.

8 Cf. A. MALLARMÉ, « Emer de Vattel (1714-1767) », dans Les Fondateurs du Droit international, éd. P. Avril, Paris, 1904, pp. 481-601, notamment pp. 522-526.

9 Cf. Johannes-Jakob MANZ, Emer de Vattel – Eine Würdigung, Zurich, 1971, p. 99.

10Cf. Ulrich A. CAVELTI, Einflüsse der Aufklärung auf die Grundlagen des schweizerischen Staatskirchenrechts mit besonderer Berücksichtigung des Schrifttums Emer de Vattels und Josef Anton Felix Balthasars, Fribourg/Suisse, 1976, pp. 81-116, en particulier pp. 99-116.

11C’est notamment le cas d’A. MALLARMÉ, « Emer de Vattel », pp. 522-526, et de J. J. MANZ, Emer de Vattel, p. 99.

12Tel est le cas de la thèse d’U. A. CAVELTI, Einflüsse, pp. 99-116.

13Cf. Emer de VATTEL, Le Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des Nations et Souverains, Londres, 1758, t. 1, L. I, ch. XII, pp. 116-152 ; nous citons d’après la réédition par reproduction photographique dans la collection des Classics of International Law, Washington, 1916.

Fig. 1. Portrait d’Emer de Vattel, 1844, lithographie de O. Domon (MAHN, H 2525).

années 175014 dans ses Questions de Droit naturel, publiées en 1762 en forme d’Observations sur le Traité du Droit de la Nature du Baron de Wolff15. Et précisément, pour bien comprendre sa pensée en la matière et ne point l’accuser hâtivement de contradictions, comme l’ont fait certains de ses plus récents commentateurs16, il importe de la rattacher à sa doctrine du droit naturel telle qu’elle ressort de ses Questions de Droit naturel et telle qu’il en expose les premiers principes dès les années 1740 dans ses essais sur le fondement du droit naturel17 et sur ses rapports avec les lois politiques18.

Aussi dans la présente contribution nous proposons-nous de rendre compte des positions de Vattel concernant la place et le statut de la religion dans l’Etat comme les relations Eglise-Etat sur la base de ses écrits jusnatu-ralistes – des essais précités à ses Questions de Droit naturel de 1762 – autant que de son Droit des Gens de 1758. Sans prétendre à une étude exhaustive de la pensée politico-juridique de Vattel en la matière, qui mériterait à elle seule toute une thèse, nous voudrions tout à la fois mettre en lumière la spécificité de sa démarche et la situer par rapport à sa mouvance originelle sur le plan philosophico-juridique – celle de l’Ecole wolffienne du droit naturel – comme par rapport aux grands courants de la doctrine du droit ecclésiastique moderne dont elle apparaît le reflet, que ce soit sous la forme du territorialisme ou sous celle du collégialisme. Ce faisant, nous pensons pouvoir montrer en Vattel, à raison, d’une part, de la place dévolue dans sa pensée à l’individu autant qu’à la nation en matière religieuse comme à raison, d’autre part, de la virulence et de la radicalité de ses positions antipapistes et anticléricales, un représentant caractéristique de ce qu’il faut bien appeler, en reprenant une formule quelque peu surannée, l’Ecole protestante du droit naturel.

14Cf. la lettre de Vattel à J. H. S. Formey (1711-1797) du 25 mars 1753, citée par Edouard BÉGUELIN, « En souvenir de Vattel », dans Recueil de travaux offert par la Faculté de Droit de l’Université de Neuchâtel à la Société suisse des Juristes, Neuchâtel, 1929, p. 60, n. 173, p. 136.

15Emer de VATTEL, Questions de Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le Baron de Wolff, Berne, 1762, pp. 368-428. Les observations citées de Vattel sur le Traité de Wolff qui nous retiendront portent alors sur différents paragraphes – du § 471 au § 955 – de la Pars Octava du Jus Naturae methodo scientifica pertractatum, Halle, 1748.

16Ainsi J. J. MANZ, Emer de Vattel, p. 99, et U. A. CAVELTI, Einflüsse, p. 99, dans le sillage des propos d’A. MALLARMÉ, « Emer de Vattel », p. 522.

17Cf. Emer de VATTEL, « Essai sur le fondement du droit naturel et sur le premier principe de l’obligation où se trouvent les hommes d’en observer les lois » (1741), éd. dans Pièces diverses, Paris, 1746, pp. 161 ss, et dans Le Loisir philosophique, Dresde, 1747, pp. 3-70 ; nous citerons d’après cette dernière édition.

18Cf. Emer de VATTEL, « Dissertation sur cette question : « La loi naturelle peut-elle porter la société à la perfection sans le secours des lois politiques ? », éd. dans Pièces diverses, Paris, 1746, pp. 232 ss, et dans Le Loisir philosophique, Dresde, 1747, pp. 71-94 ; nous citerons d’après cette dernière édition. A noter que les deux essais précités sont reproduits en tête de l’édition du Droit des Gens de P. Pradier-Fodéré, t. 1., pp. 1-32 et 33-45.

Concernant d’abord la mouvance intellectuelle originelle de Vattel sur le plan philosophico-juridique, nous n’étonnerons personne en rappelant que l’auteur de la Défense du système leibnitzien19se rattache délibérément à la tradition jusnaturaliste wolffienne. C’est ce qui apparaît en toute clarté dans le premier essai de philosophie juridique du jurisconsulte neuchâtelois : l’Essai sur le fondement du Droit naturel et sur le premier principe de l’obligation où se trouvent tous les hommes d’en observer la loi.

Dans cet Essai, Vattel, qui prend une nouvelle fois la défense de Leibnitz – ici contre les attaques de Barbeyrac – fonde le principe d’obli-gation du Droit naturel, à l’opposé de Pufendorf et de son traducteur français, non sur la volonté de Dieu, mais sur la nature des choses, dans la ligne du réalisme métaphysique de la philosophie juridique wolffienne :

« Si par le fondement du Droit naturel on entend la source de laquelle on peut en dériver les règles et les préceptes, le principe dans lequel on trouve ce qui peut servir à rendre raison pourquoi ces règles et ces préceptes sont tels, on ne saurait chercher ce fondement ailleurs que dans l’essence et la nature de l’homme et des choses en général. »20

Vattel renoue par là avec la fameuse formule grotienne d’origine scolastique – que reprendront précisément Leibnitz (1646-1716) et Wolff (1679-1754) – selon laquelle « les règles du Droit naturel s’imposeraient même si Dieu n’existait pas ou s’il ne s’occupait pas des choses humaines » :

« Ce n’est point déroger à l’autorité de Dieu », écrit en effet Vattel, « que de dire que tout ce qu’il nous prescrit dans les lois naturelles est si beau, si utile par lui-même, que nous serions obligés de le pratiquer, quand même Dieu ne l’aurait pas ordonné. »21 Ainsi le premier principe de l’obligation où se trouvent tous les hommes d’observer les lois naturelles ne repose-t-il pas sur un commandement divin, mais sur la nature des choses : « L’obliga-tion », écrit Vattel, « naît de la nature même des choses »22, et s’il est vrai que

« Dieu veut tout ce qui est bon », ajoute encore le jurisconsulte neuchâte-lois, « il n’en demeure pas moins que la qualité intrinsèque de l’action est déjà une raison de la préférer en faisant abstraction de la volonté de Dieu et que la volonté de Dieu même se règle sur cette action. »23 Aussi surprenant que cela puisse paraître, Vattel apparaît donc avec Wolff, au

19 Cf. Emer de VATTEL, Défense du système leibnitzien contre les objections et les imputations de M. de Crousaz, Leyde, 1741.

20 E. de VATTEL, « Essai », § 6, p. 6.

21 E. de VATTEL, « Essai », § 29 in fine, p. 41 ; cf. GROTIUS, De Jure Belli ac Pacis (Paris, 1625), éd. Wolff, Marbourg, 1734, Proleg., § XI.

22 E. de VATTEL, « Essai », § 35, p. 55.

23 E. de VATTEL, ibid., § 35, p. 56.

sein de l’Ecole du Droit naturel moderne du XVIIIe siècle, comme l’un des derniers défenseurs de la doctrine métaphysique réaliste de la perséité morale des actions humaines. Par là il se rattache en plein Siècle des Lumières à la grande tradition scolastique médiévale selon laquelle certains actes ne sont pas justes parce qu’ils sont voulus par Dieu, mais sont ordonnés par Dieu parce qu’ils sont justes.

Mais Vattel ne se borne pas à définir le fondement de l’obligation. Il cherche à en préciser le premier principe, « qui ne dérive d’aucun autre », et il lui paraît évident « qu’on ne peut le chercher que dans un motif géné-ral qui nous détermine sans qu’il tire son efficace d’aucun autre »24. Ce principe, à nouveau dans la droite ligne de Wolff, c’est dans la recherche de la perfection de notre état qu’il pense le trouver :

« Il n’est pas besoin de longues méditations pour se convaincre qu’aucun penchant, aucun désir, aucune affection ne nous est plus essentielle, n’est en nous plus primitive et plus générale que l’amour de nous-mêmes, qui nous porte à souhaiter et à rechercher notre bonheur ou la perfection de notre état. »25

C’est la mise en œuvre de ce principe de perfection, d’empreinte wolffienne, qui va conditionner, non seulement toute la philosophie du droit naturel de Vattel, mais encore sa pensée politique26.

Les prémisses de cette pensée politique transparaissent en fait dès le second essai de philosophie juridique de Vattel de 1742, révélant un autre aspect de son allégeance à la grande tradition scolastique médiévale, cette fois-ci dans la problématique des rapports entre droit naturel et droit positif.

Dans sa Dissertation sur cette question : « La loi naturelle peut-elle porter la société à la perfection sans le secours des lois politiques ? », publiée en 1746, s’il tient, en effet, pour manifeste que la loi naturelle est apte à régir toute société humaine – « cette loi est suffisante en elle-même pour porter la société à sa perfection » et qu’elle déploierait ses effets « si les hommes étaient tels qu’ils devraient être » et « si, n’abusant jamais de leur liberté, ils s’efforçaient de vivre convenablement à leur nature »27, force lui est d’admettre que les hommes sont « très différents de ce qu’ils devraient être » et que, par ailleurs, d’une part, la plupart ne connaissent pas toujours ce que la loi naturelle prescrit – « 1o la plupart ne connaissent point dans

24E. de VATTEL, ibid., § 19, p. 20.

25E. de VATTEL, ibid., § 20, p. 21.

26E. de VATTEL, Droit des Gens, L. I, ch. II : Principes généraux d’une Nation envers elle-même,

§§ 13-14 à 25, pp. 22-30 ; ch. VI : Principaux objets d’un bon Gouvernement : 1oPourvoir aux besoins de la Nation, § 72, p. 73, et ch. XI : Second objet d’un bon gouvernement : [2o] procurer la vraie félicité à la Nation, §§ 110-111, p. 101.

27E. de VATTEL, « Dissertation », § 12, pp. 79-80.

tous les cas ce qu’elle décide »28–, d’autre part, ils ne sont pas suffisamment éclairés sur leurs intérêts pour être sensibles à ses motifs – « 2o les hommes ne sont pas toujours assez éclairés sur leurs véritables intérêts pour être sensibles aux motifs dont la loi naturelle est accompagnée »29. Vattel en conclut alors, d’abord, à la nécessité de faire connaître la loi naturelle à tout le monde par la détermination de son sens, fixe et identique pour tous – « pour que cette Loi parfaite en soi devienne suffisante pour régler une société d’hommes tels qu’ils sont, il faut 1o qu’elle puisse être connue de tout le monde et qu’elle ait un sens fixe et le même pour tous les membres »30; ensuite, il conclut à l’opportunité de l’assortir d’une obligation nouvelle et positive par le moyen de sanctions édictées par une autorité publique – « 2o Il faut dans la société une autorité qui force au respect des Loix ceux qui ne sont pas dociles à la voix de la Raison et qui ajoute à l’obligation naturelle, trop faible pour la plupart des hommes, une obligation nouvelle et positive par le moyen de peines attachées à la désobéissance »31. Pareille transformation de la loi naturelle revient à en faire une loi positive de caractère politique – ce qui équivaut à démontrer pour Vattel que « dans l’état actuel où se trouve le genre humain, la loi naturelle ne peut porter la société à la perfection sans le secours des lois politiques »32. Dans la plus pure tradition jusnaturaliste wolffienne, qui mènera à la fin du siècle au « droit naturel prussien » de l’ALR – le Code prussien de 1794 –, Vattel va ainsi consacrer la dévolution à l’autorité politique en général et au législateur en particulier de la formulation du droit naturel en règles positives, ce qui aboutira à une réglementation minu-tieuse de toute la vie des hommes en société à la mesure de la finalité de perfection assignée au droit naturel par sa philosophie du droit. Il sera difficile de valoriser davantage l’ordre politique et l’autorité de l’Etat, et c’est bien ce qui explique la spécificité de l’approche que Vattel aura de la religion dans l’ordre politique et de la réglementation des rapports Eglise-Etat, approche qui se situera dans le champ de tension entre le plus sacré des droits de l’individu dans la tradition protestante – celui de la liberté religieuse – et la plus haute des responsabilités du pouvoir politique dans la mouvance jusnaturaliste wolffienne – celle de mener cet individu à la perfection de son état.

S’agissant alors précisément de la démarche intellectuelle de Vattel en la matière, elle a pour cadre général ses observations et ses développements sur l’autorité politique. Ainsi dans ses Questions de Droit naturel des années 1750, publiées en 1762, est-ce parmi ses observations sur les principaux paragraphes de la VIIIe partie du Jus Naturae de Christian Wolff consacrée au pouvoir public qu’il formule ses considérations sur la liberté religieuse et sur l’étendue des compétences de la puissance civile en matière reli-gieuse33; pareillement dans son Droit des Gens de 1758, c’est au cœur de ses développements sur les fonctions et finalités du pouvoir politique34 qu’il s’arrête en un substantiel chapitre à la place de la piété et de la religion dans la société politique du point de vue de l’individu comme de celui de la Nation, mais aussi et surtout dans la perspective des droits et des devoirs des Souverains en ce domaine35.

Pour la commodité de l’exposé, plutôt que de suivre le développement chronologique – au reste relativement hypothétique – des considérations de Vattel du début de la rédaction de ses Questions de Droit naturel dans les années 1750 à son Droit des Gens de 1758, nous nous en tiendrons au canevas des chapitres du premier livre de ce traité se rapportant aux fonctions et finalités du gouvernement36, en particulier au chapitre sur la piété et la religion37, en les complétant par les Observations tirées de ses

Pour la commodité de l’exposé, plutôt que de suivre le développement chronologique – au reste relativement hypothétique – des considérations de Vattel du début de la rédaction de ses Questions de Droit naturel dans les années 1750 à son Droit des Gens de 1758, nous nous en tiendrons au canevas des chapitres du premier livre de ce traité se rapportant aux fonctions et finalités du gouvernement36, en particulier au chapitre sur la piété et la religion37, en les complétant par les Observations tirées de ses

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