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b Regard sur la Déclaration de la femme et de la citoyenne

CHAPITRE III – Postérités des Écrits politiques

III. 1. b Regard sur la Déclaration de la femme et de la citoyenne

Le texte complet, intitulé Les droits de la femme, comprend d’abord une adresse À la

Reine, puis une introduction éponyme Les droits de la femme ; vient ensuite la Déclaration

1 Olympe de Gouges, Théâtre politique (tome 1) Le couvent ou Les vœux forcés, Mirabeau aux Champs-Élysées, L'entrée de Dumouriez à Bruxelles ou Les Vivandiers, Préface de Gisela Thiele-Knobloch, Paris, Indigo - Côté

femmes, 2015.

2 Olympe de Gouges, « Format du contrat social de l’homme et de la femme », dans Écrits politiques, op. cit., p. 212

et suiv.

3 Olivier Blanc, « Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste, une femme politique », Nouvel Obs, 1er

novembre 2013, actualisé le 13 août 2014, [en ligne : www.nouvelobs.com, consulté le 4 juin 2016].

4 Archives des Jugements rendus par le Tribunal Révolutionnaire, brumaire an II. 5 Voir le chapitre III. 1. e. Postérité et débats actuels.

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proprement dite, avec ses dix-sept articles ainsi que ses préambule et postambule ; et, enfin, la

Forme du Contrat social de l’Homme et de la Femme (septembre 1791) clôt le sujet.

Dès le début, Olympe de Gouges invite Marie-Antoinette à se pencher sur le thème de la place des femmes, en l’incitant à soutenir la Déclaration pour rendre officielle la démarche d’égalité entre les sexes entre autres (il est aussi question de l’abandon des privilèges et de la défense de la liberté) : « Il n’appartient qu’à [la reine] de donner du poids à l’essor des Droits de la Femme, et d’en accélérer le succès1 ». L’auteure semble aussi considérer, peut-être avec ironie, que Marie-Antoinette soit capable de faire le bien intelligemment : « Si vous étiez moins instruite, Madame, je pourrais craindre que vos intérêts particuliers ne l’emportassent sur ceux de votre sexe2 » ; mais en même temps capable d’inconsistance à l’égard de l’enjeu soulevé : « cette Révolution ne s’opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort, et des droits qu’elles ont perdus dans la société3 ». Ce dernier propos pourrait certes conforter l’interprétation que suggèrent certains des détracteurs actuels de la figure d’Olympe de Gouges, en mettant en cause son féminisme en raison de son scepticisme vis-à-vis des femmes elles- mêmes. En fait, la révolutionnaire avait bien sûr remarqué (par exemple dans Le cri du Sage. Par

une femme4, mai 1789) qu’il tenait évidemment aux femmes elles-mêmes de maintenir un schéma archaïque et patriarcal ou de s’en dégager et de le sanctionner (peut-être à leurs périls). N’étant pas toujours comprise par ses contemporain(e)s (ni totalement aujourd’hui non plus), Olympe de Gouges tente de préciser son point de vue dans le Dialogue allégorique entre la France et la

Vérité, dans lequel elle assume son jugement sur l’attitude ambivalente des femmes : tantôt

outrancières, tantôt sauveuses du monde :

La Vérité :

- Leur jouissance est encore assez grande, et une femme qui voit prospérer dans les mains des hommes le fruit de ses utiles occupations, est assez récompensée.

La France :

- Comment ! Pas le moindre remerciement, pas une marque distinctive ! un bout de ruban de mérite ! tandis que souvent pour avoir fait un Éloge, une Comédie, les hommes obtiennent les honneurs et la noblesse. On doit convenir qu’une femme qui travaille sans cesse au bien de son

1 Olympe de Gouges, « Séance royale, discours du Roi à la Nation, ou le songe de l’auteur », dans Écrits politiques, op. cit., p. 105.

2 Id. 3 Id.

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pays, mérite non seulement l’estime de tous les hommes, mais encore quelques marques distinctives. J’en connais une qui se sacrifierait en Romaine pour sauver son pays.

La Vérité :

- Et ton pays ne ferait aucun sacrifice pour la sauver ! la gloire, le patriotisme ont fait des héros intrépides chez les hommes ; mais quand cette gloire et ce patriotisme s’empare [sic] de la tête d’une femme, le plus grand péril ne saurait l’arrêter, et lorsque les femmes font tant que se dévouer au bien, leurs opinions sont invariables, malgré l’instabilité de leur caractère. 1

Si le Dialogue allégorique porte en général sur des revendications relatives à l’égalité entre les sexes dans le domaine politique (droit de monter à la Tribune de l’Assemblée, droit d’être élue, droit d’entreprendre…), l’extrait ci-dessus contribue à clarifier plus particulièrement l’approche d’Olympe de Gouges quant à la capacité combative des femmes de son temps. Elle se représente elle-même femme dans le personnage de « La France » et imagine sa propre conscience (spirituelle) dans le personnage de « La Vérité ». Ici, la femme française (« La France ») soutient l’idée de valoriser l’effort et le dévouement des femmes, là où la vertu (« La Vérité ») montre que ce courage est désintéressé et n’attend donc pas de reconnaissance.

Puis, sur un ton revendicatif, les Droits de la femme amorcent une remise en question de la supériorité de l’homme, par la dénonciation de son manque de jugement naturel dont témoigne le fait d’avoir hiérarchisé les sexes, alors qu’il n’existe rien de plus arbitraire et injustifié :

Homme, es-tu capable d’être juste ? […] Dis-moi ? qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? […] [C]herche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux […].2

L’auteure tire parti d’observations empiriques afin de fonder sur la Nature son argumentaire. Ainsi, grâce à cette assise théorique et universelle, Olympe de Gouges amorce son plaidoyer avec une grande force de conviction, afin de reprocher à ses contemporains d’avoir omis les femmes dans les grands principes sur lesquels est appelée à se fonder la société issue de la Révolution :

Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, […] il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.3

1 Olympe de Gouges, « Dialogue allégorique entre la France et la Vérité, Dédié aux États-Généraux », dans Écrits politiques, op. cit., p. 67.

2 Olympe de Gouges, « Les droits de la femme », dans Écrits politiques, op. cit., p. 206. 3 Id.

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La dernière phrase vient clore les développements consacrés à la mise en perspective critique des évènements de 1789 et donne force à l’idée d’une nécessaire déclaration des droits des femmes (qui ont été oubliées par l’ingratitude des hommes), texte qui figure immédiatement après.

Par ailleurs, sur la question de l’éducation des femmes, Pierre Choderlos de Laclos devance Olympe de Gouges de presqu’une décennie. Dans son texte « Ô femmes ! Approchez et venez m'entendre », tiré du traité Des femmes et de leur éducation1 (1783), il explique le

conditionnement dans lequel les femmes sont enfermées, en comparant l’ascendance masculine arbitraire à la notion d’esclavage : les femmes ne sont ainsi pas libres de s’instruire et donc, de s’émanciper.

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne emprunte, comme son nom l’indique, une forme plus déclarative. Son préambule fait d’abord entendre la vive réaction de la pamphlétaire relativement à l’absence de droits accordés aux femmes dans la Constitution finale (inspirée de la Déclaration des droits de l’homme) qui vient tout juste d’être ratifiée par Louis XVI2 : « [L]’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements3 » - affirmation mettant en cause une question paritaire qui, au demeurant, reste tout autant essentielle à l’heure actuelle.

S’ensuivent dix-sept articles réinterprétant le droit général à partir d’un point de vue féminin. L’Article premier donne le ton au texte et en indique la teneur : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droit4 », concept qui heurte fortement la doxa. Puis, dans l’article III, Olympe de Gouges valorise à nouveau le sens et l’importance de l’altérité en considérant que l’harmonie de la société se base sur l’entente entre les hommes et les femmes : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme5 ». Pour assurer des droits aux femmes, l’auteure ne manque pas d’en stipuler les devoirs associés (articles V à IX). Par ailleurs, l’article XII souligne l’importance de

1 Pierre Choderlos de Laclos, De l'éducation des femmes, Paris, FB Éditions, 2015. (Il existe une variation du titre

selon les éditions). Voir l’article de Madeleine Raaphorst, « Choderlos de Laclos et l'éducation des femmes au XVIIIe siècle », Rice University Studies, 1967, p.33-41.

2 Remarquons donc la pertinence (ou l’impertinence) d’avoir dédiée la Déclaration des droits de la femme à la

Reine, femme de Louis XVI.

3 Olympe de Gouges, « Les droits de la femme », dans Écrits politiques, op. cit., p. 206.

4 Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », dans Écrits politiques, op. cit., p.

207.

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protéger ces droits : « La garantie des droits de la femme et de la citoyenne nécessite une utilité majeure1 ». En outre, par le biais du thème de la propriété, le dernier article, le dix-septième, mentionne scrupuleusement l’égalité des sexes et institue le droit des femmes divorcées : « Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés2 ». L’ensemble des articles concourt à donner aux femmes un statut légal de personnes responsables, pensantes et capables de prendre part à la République.

Le postambule qui clôt la Déclaration cherche finalement à mobiliser les femmes elles- mêmes, dans un esprit éclairé, capable de susciter une révolution dans la Révolution. Dans un entretien avec Olivier Blanc, Sylvia Duverger précise que la révolutionnaire ne sermonne pas ses semblables avec fatalisme :

Il me semble qu’Olympe de Gouges n’accable les femmes que pour les exhorter à reprendre possession d’elles-mêmes, à devenir les sujets de leur destinée : « La contrainte et la dissimulation ont été leur partage », explique-t-elle dans le postambule de La déclaration des droits de la femme

et de la citoyenne, parce que les hommes les ont privées de leurs droits : « Ce que la force leur

avait ravi, la ruse leur a rendu ».3

La chercheuse sur le genre met en relief la clairvoyance d’Olympe de Gouges quant aux rapports de domination masculin/féminin, qui ont été constitutifs de leur ambiguïté. Ces derniers ont, selon Olympe, conditionné les femmes de telle sorte qu’elles y ont apporté une réponse comportementale pervertie : elles sont devenues sournoises, malgré elles, par privation de libertés. C’est pourquoi l’auteure de la Déclaration confère une dimension solennelle à son intervention en commençant par cette exhortation : « Femme, réveille-toi ; […] reconnaît tes droits. […] Ô femmes ! quand cesserez-vous d’être aveugles ?4 ».

Et si Olympe de Gouges réagit à l’influence générale que l’autorité masculine a exercée en favorisant des déséquilibres dans la société, elle y oppose concrètement la Forme du Contrat

social de l’Homme et de la Femme. Ce texte, qui fait suite au postambule de la Déclaration,

ménage un effet de symétrie dans l’ensemble, en étant le pendant de l’avis sur lequel s’ouvrent

1 Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », dans Écrits politiques, op. cit., p.

208.

2 Ibid., p. 209.

3 Sylvia Duverger, « Olympe de Gouges était-elle un homme ? », entretien avec Olivier Blanc, Nouvel Obs, 21

février 2014, [en ligne : www.NouvelsObs.com, consulté le 6 septembre 2016].

4 Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », dans Écrits politiques, op. cit., p.

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Les droits de la femme. Entre les lignes du contrat conjugal non institutionnalisé élaboré par la

pamphlétaire s’affirme une vive défense de la condition des mères et des enfants. Ainsi, ce texte prolonge, d’un point de vue pragmatique cette fois, l’esprit féministe qui anime les pages précédentes, en même temps qu’il comporte un intérêt philosophique plus large, puisqu’il repose sur des principes dont la portée peut se voir comme étant celle d’un contrat social : « Nous N et N, mus par notre propre volonté, […] nous entendons et voulons mettre nos fortunes en communauté1 ». Non sans rappeler le Contrat social2 de Jean-Jacques Rousseau, la Forme du

Contrat social de l’Homme et de la Femme fait également référence à plusieurs autres catégories

de personnes susceptibles d’avoir été malmenées jusqu’à présent par les mœurs en usage et le droit : « notre bien appartient directement à nos enfants, de quelque lit qu’ils sortent, et tous indistinctement ont le droit de porter le nom des pères et mères qui les ont avoués3 ». La protection des enfants « bâtards » reste donc un point récurrent dans l’esprit d’Olympe de Gouges. Elle ajoute : « Je voudrais encore une loi qui avantageât les veuves et les demoiselles trompées par les fausses promesses d’un homme à qui elles se seraient attachées4 ». Il semble que ces paroles soient autant liées à son combat idéologique que rattachées aux souffrances et désillusions qu’elle essuya au cours de sa vie d’enfant, puis de femme5.

Tout en proclamant sans aucune hésitation ses idées volontaires et provocatrices, elle ajoute en plus : « Ajoutez-y le mariage des prêtres6 », puis choisit d’évoquer, par le biais des conflits dans les colonies, la liberté en général :

[C]contraindre [la résistance] avec violence, c’est la rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c’est acheminer toutes les calamités vers l’Amérique. Une main divine semble répandre par tout l’apanage de l’homme, la liberté7.

Elle fait référence non seulement aux Noirs insurgés dans les colonies, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui s’engagent pour défendre leurs droits humains et civiques. L’expression mise en italique « la liberté » correspond à la fois à celle des Noirs, des femmes et des progressistes.

1 Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », dans Écrits politiques, op. cit., p.

211.

2 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, GF Flammarion, 2012.

3 Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », dans Écrits politiques, op. cit., p.

211.

4 Olympe de Gouges, « Format du contrat social de l’homme et de la femme », dans Écrits politiques, op. cit., p. 212. 5 On peut lire à ce propos les travaux de Paule-Marie Duhet : Les Femmes et la révolution 1789-1794, Paris, Julliard,

1971.

6 Olympe de Gouges, « Format du contrat social de l’homme et de la femme », dans Écrits politiques, op. cit., p. 212. 7 Ibid., p. 213.

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En somme, la composition de l’ensemble que forment Les droits de la femme montre l’ampleur et l’audace de l’engagement féministe d’Olympe de Gouges, et reprend aussi ses grandes idées démocratiques. Pourtant, n’oublions pas que d’autres femmes (et hommes) ont servi les mêmes causes.