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CHAPITRE I – Olympe de Gouges en son temps

I. 1. d De l’utilité de l’honnête-femme

Dans l’article « Philosophe » de l’Encyclopédie de Dumarsais, on peut lire :

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; […] il veut trouver du plaisir avec les autres […] : c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile. […]

1 Ibid., p. 205. 2 Ibid., p. 207-208.

3 Jean Starobinski, L’invention de la liberté, 1700-1789 : suivi de, 1789, les emblèmes de la raison, Paris, Gallimard,

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La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui [le philosophe] sur la terre ; il l’encense, il l’honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, et par un désir sincère de n’en être pas un membre inutile ou embarrassant.1

Cette définition est particulièrement éclairante pour montrer en quoi Olympe de Gouges est une philosophe des Lumières. En effet, l’ensemble de ses écrits politiques témoigne de son acharnement à vouloir se rendre utile à la société, réalité que l’on trouve sous sa plume dans les termes de « peuple », « Patrie », « Nation », « tous », « la France », « les Français », etc.

En novembre 1788, Olympe de Gouges fait paraître une brochure intitulée Lettre au Peuple ou le

projet d’une Caisse patriotique qui présente plusieurs réformes destinées à servir le bien public2. Au demeurant, la dernière phrase de cette Lettre au peuple énonce la promesse d’Olympe de se comporter en femme utile à la société : « C’est avec ces sentiments de fraternité, que je suis pour tous mes compatriotes, la plus zélée et la plus sincère Citoyenne3 ». De même, vers la fin de ses Remarques patriotiques (décembre 1788), l’auteure introduit le récit d’un songe utile qu’elle a fait dernièrement et dont il est essentiel de s’inspirer pour le bien de tous :

Ce songe, tel bizarre qu’il soit, va lui [la Nation] montrer un cœur véritablement citoyen, et un esprit toujours occupé du bien général. Mon imagination pleine de tous ces projets en faveur de la France, m’a poursuivi jusque dans mon sommeil. […] [L]es fictions que j’ai eues sont tellement frappantes et patriotiques, que je ne peux me dispenser de les rapporter […].4

Olympe de Gouges désire montrer à ses concitoyens qu’elle se soucie beaucoup du bien public. Par son habileté à la mise en scène et son sens de la formule, elle énonce ses idéaux. Dans le cas présent, la fiction concerne une conciliation entre le Roi et le peuple en vue de l’amélioration des conditions de vie dans les rues de Paris, spectacle d’une profonde misère.

Après les violents reproches que la révolutionnaire essuie concernant son projet d’impôt patriotique (son élan réformateur ne plait pas aux ultraconservateurs de la Cour qui n’hésitent pas à la railler et à la dénigrer en mettant en doute ses bonnes mœurs), Olympe de Gouges rédige

l’Avis pressant, ou réponse à mes calomniateurs (mai 1789) où elle expose les nombreux

sacrifices qu’elle a faits pour le bien public :

1 César Chesneau Dumarsais, « Philosophe », dans Diderot et D’Alembert, Encyclopédie (1751-1772), op. cit.,

Vol.12, p. 510.

2 Nous étudions ces propositions sociales (la création d’un impôt sur les revenus des plus riches, la distribution des

terres en friche à des paysans ou des coopératives, la création d’établissements de maternité et de foyers solidaires pour les plus nécessiteux…) dans les chapitres suivants.

3 Olympe de Gouges, « Lettre au Peuple, ou projet d’une Caisse patriotique », dans Écrits politiques, op. cit., p. 45. 4 Ibid., p.57.

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Que ne puis-je faire l’aveu de mes sacrifices ! Si je n’ai point fait un commerce de mes ouvrages, si je les ai donnés gratuitement à tous les Français, et si j’ai perdu mon repos et ma santé à cette ardeur patriotique, qui m’a portée vers ce genre de composition, j’avouerai à tout un public que je n’ai obéré que ma bourse et altéré mes jours ; mais la cause en est belle et précieuse à mes yeux.1 Plusieurs éléments marquent ces paroles d’une sérieuse capacité de persuasion. D’abord, Olympe de Gouges regagne sa crédibilité par le renoncement à faire un quelconque profit de ses productions. Puis, elle insiste sur le fait qu’elle agit avec abnégation, à en perdre la santé. Ensuite, elle invite les lecteurs à saisir la raison de tant de pugnacité : la cause reste infatigablement la même, soit « voir refleurir la France2 ».

Enfin, la question de se rendre utile à la société transparaît également dans son théâtre. Dans Le couvent ou les vœux forcés3 (octobre 1790), pièce anticléricale engagée, elle fait dire à l’un de ses personnages que « le droit de se choisir librement une place dans la société appartient, par la nature, à tout être pensant, et que le premier de tous les devoirs est d’être utile4 ». En plus de l’utilité de l’honnête-homme, plusieurs autres composantes récurrentes se retrouvent dans cette parole : le droit, la liberté, la société, la nature, le discernement.

À l’analyse des manifestations tangibles que nous livrent les Écrits politiques, la preuve est faite que la pensée d’Olympe de Gouges s’articule sur les mêmes fondements que ceux employés et prodigués par les Lumières, à savoir, le raisonnement, la défense de grandes causes, la liberté comme principe fondamental et la valorisation d’une existence utile. Dès lors nous pouvons définir Olympe de Gouges comme une philosophe de son temps. Ceci étant, ses textes rendent aussi compte de son importante propension à s’émouvoir du sort d’autrui (ce qui tient également des Lumières).