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CHAPITRE II – Les Écrits politiques d’Olympe de Gouges : une généalogie envisageable pour

II. 2. c Prendre parti

Un des aspects primordiaux de l’époque révolutionnaire a été de permettre une mise en acte des principes humanistes, un passage de la pensée à l’action. Pour ce faire, il a été indispensable de prendre parti. Et même si de nombreuses femmes impliquées dans les changements de société3 ont pu s’exprimer dans les lieux et places qui leurs étaient destinés (les clubs de femmes, les bancs des tricoteuses), Olympe de Gouges a adopté une posture presque inédite en son temps, c’est-à-dire donner publiquement son point de vue, ses engagements politiques (au sens large), et signer personnellement ses textes publics.

Dans la Seconde partie du Discours de l’aveugle aux Français, elle tente de mettre le peuple en garde contre les calomniateurs : « C’est ainsi que je me range du parti de la justice, de l’innocence et des persécutés. J’ose croire que mon opinion ne sera point rejetée4 ». L’année suivante, elle s’insurge contre le conservatisme des colons et leur nuisance, mais aussi contre l’opposition qu’ils manifestent à l’égard de ses pièces de théâtre prônant l’abolition de l’esclavage :

1 Olympe de Gouges, « Adieux aux Français », dans Écrits politiques, op. cit., p. 161.

2 « [E]lle n’était rien et était tourmentée du désir d’être quelque chose. Elle parlait toujours et ne savait pas dire deux

phrases de suite en bon français ; elle faisait des livres et ne savait à la lettre ni lire ni écrire. […] Elle était toujours pressée ; […] Sans cesse agitée, furieuse, emportée […] », Jacques-Antoine Dulaure, Extrait de Mémoires inédits, paris, H. Fournier, 1838, p. 31, [en ligne : books.google.ca/books?id=rpL0HVltjPEC, consulté le 18 février 2017].

3 Les « frondeuses », ces femmes politiquement « incorrectes », pleines d’espoir en la Révolution, furent décapitées,

comme Mme Roland, ou enfermées à l’asile, comme Théroigne de Méricourt.

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Les Colons me reprochent de varier dans mes opinions ; ils disent que je suis royaliste décidée ; je ne m’en défends pas, et j’en fais gloire, et que cependant je prêche pour une liberté incendiaire dans les colonies.1

Un peu plus loin, elle considère les deux Ordres privilégiés comme responsables des maux passés : « J’abhorre l’avarice du Clergé, je déteste l’ostentation de la Noblesse ; tous les deux nous ont perdus […]2 ». Ses idées politiques sont donc multiples, mais non contradictoires. Elles consistent à lutter contre les injustices et les inégalités, tout en défendant l’idée d’une monarchie constitutionnelle. Cette vision de gouvernance, à mi-chemin entre le pouvoir du peuple et celui du roi, s’apparente à de la modération ou au consensus. En effet, Olympe de Gouges croit fermement à la valeur ajoutée d’un système composé au sein duquel l’alliance fait la force. Mais cette conception détonne en 1789, car elle est difficilement identifiable à l’heure où les prises de position se radicalisent et où l’opinion publique se polarise.

Olympe de Gouges constate d’ailleurs elle-même que « tout est l’affaire du moment à Paris3 », d’où la complexité de sa posture et la mise en danger que celle-ci engendre : « [M]alheureux citoyens, peuple infortuné, voyez avec quel courage je m’expose, pour mettre sous les yeux du Monarque les tableaux effrayants de vos tristes situations4 », s’exclame-t-elle dans ses Remarques patriotiques, puis dans sa Lettre aux littérateurs Français : « [J]amais auteur n’a été maltraité comme je l’ai été depuis huit ans5 » déplore-t-elle. Olympe de Gouges est ainsi incomprise au point de devoir rétorquer à l’Assemblée, accablée, mais non sans ironie :

Les uns veulent cependant que je sois Aristocrate, les Aristocrates prétendent que je suis démocrate. Je me trouve réduite comme ce pauvre agonisant à qui un Prêtre rigoureux demandait à son dernier soupir : « êtes-vous Moliniste ou Janséniste ? Hélas ! répondit le pauvre moribond, je suis Ébéniste».6

1 Olympe de Gouges, « Départ de M. Necker et de Mme de Gouges, ou les Adieux de Mme de Gouges aux Français

et à M. Necker » (mai 1790), dans Écrits politiques, op. cit., p. 159.

2 Ibid., p. 160.

3 Olympe de Gouges, « Remarques patriotiques », dans Écrits politiques, op. cit., p. 51. 4 Ibid., p. 49.

5 Olympe de Gouges, « Lettre aux littérateurs Français, Par Mme de Gouges », dans Écrits politiques, op. cit., p. 139. 6 Olympe de Gouges, « Lettre aux représentants de la Nation, Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur »,

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Dans cette parabole1, la distinction entre les deux doctrines théologiques semble, a priori, incontournable pour que le prêtre scrupuleux puisse absoudre le mourant de façon scrupuleuse. Mais cette précision n’a, en fait, que peu d’importance, eu égard à l’ignorance de l’homme agonisant. L’ironie réside donc dans la réponse aussi sincère que décalée : « Hélas ! […] je suis Ébéniste ». Olympe de Gouges met ainsi en évidence l’absurdité de devoir choisir entre royalisme et patriotisme. Elle assume une vision politique audacieuse.

En outre, comme le signale Olivier Blanc, Louis-Sébastien Mercier, l’ami proche d’Olympe de Gouges, s’inquiéta de la voir persévérer à participer au débat public :

En 1789, Mercier s’alarmait de voir son amie signer des textes à caractère politique : « Lorsque, dit-elle, Monsieur Mercier me vit lancée dans la glorieuse carrière où tant d’hommes ont trébuché, il me recommanda de rétrograder quand il en était encore temps. Mais fière et hardie comme Jean- Jacques, je n’en poursuivis pas moins mon entreprise ».2

C’est alors que, convaincue du bienfondé de son engagement, elle n’hésita pas à s’exprimer jusqu’à son exécution, à la fois pour rendre compte de ses sentiments vis-à-vis des malheureux, mais aussi pour dénoncer les abus et les malveillances. Ses discours témoignent d’une parole humanitaire dont il est intéressant d’étudier les topiques.