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C REER LES CONDITIONS DE L ’ IMPLANTATION INDUSTRIELLE

CONTENUS IMMATERIELS DE L’AGRICULTURE

1. C REER LES CONDITIONS DE L ’ IMPLANTATION INDUSTRIELLE

1.1. Les atouts de la ville moyenne dans la dynamique

d’aménagement régional des années 1970

Contrairement à d’autres villes moyennes dans des régions denses, Brive peut d’autant plus solliciter la politique nationale d’aménagement du territoire et ses fonds particuliers qu’elle est avec Limoges la seule ville dépassant les 50 000 habitants en Limousin – et la seule en Corrèze. Par rapport au reste du département, la ville de Brive possède des atouts pour l’implantation d’établissements industriels : une bonne desserte (au croisement des axes routiers et ferrés Paris-Toulouse et Bordeaux-Clermont, voir Figure 2.1), une grande disponibilité de terrains (contrairement à la capitale administrative, Tulle, encaissée dans une vallée), et son maire, Jean Charbonnel, ministre de l’industrie, fréquentant pour son mandat national de nombreux grands patrons1.

Figure 2.1. Réseaux routiers et ferrés en Corrèze

Source : Carte IGN de la Corrèze.

1 Entretien avec Jean Charbonnel, maire de Brive de 1966 à 1995 et ministre du développement industriel

Par ailleurs, dans cette Corrèze encore très rurale, Brive est la seule ville ayant un budget conséquent et des services techniques de bon niveau – le directeur des services techniques a été débauché par le maire de Brive à la mairie de Paris1. Les négociations au

Conseil général autour de l’implantation de l’Unité Départementale d’Abattage (UDA, aussi appelée ici abattoir départemental) démontrent la capacité de la municipalité à attirer sur son territoire les grands projets industriels : une force économique certaine par rapport aux autres communes du département, mais aussi une capacité technique à suivre les programmes industriels et leur évolution, voire à en développer.

Les services techniques de la mairie sont en effet fortement mis à contribution par le développement de programmes industriels d’envergure – l’abattoir départemental, et en 1979 la construction d’un réseau de vapeur de qualité alimentaire2 – et des programmes de

test d’innovations – l’épandage des boues d’épuration en 19803 et la récupération du sang

des bovins à but alimentaire en 19824. Le développement de tels programmes provoque

l’intérêt des services déconcentrés de l’Etat qui veillent alors à leur bonne réalisation. Le directeur départemental de l’agriculture, George Pérol, est à la fin des années 1960 l’un des avocats les plus fervents de Brive pour l’implantation de l’abattoir départemental. S’installe alors entre les services techniques de la ville de Brive et les services préfectoraux une proximité organisationnelle, qui permet un investissement important des services préfectoraux dans le suivi et la réalisation des projets brivistes : « on a été toujours aidé par les successeurs de Pérol, par intérêt technique, c’était des techniciens, c’étaient des beaux jouets, ils y faisaient des tas de chose, y’a eu des expériences »5. La continuité de ces

relations traverse les évolutions de carrière des fonctionnaires : le maire se félicite en 1977 à propos de l’installation d’un atelier de découpe industrielle de viande à Brive « qu’il y a eu des complices actifs parmi les autorités agricoles de la région »6, mais aussi de l’aide d’un

ancien administrateur de l’abattoir départemental devenu chargé des questions agro- alimentaires à la DATAR « qui nous a beaucoup aidés dans cette affaire »7.

De plus, une fois des grands éléments de la filière viande corrézienne installés à Brive, les services déconcentrés de l’Etat veillent à éviter la dispersion des investissements productifs, et les nouveaux investissements étatiques de la filière sont automatiquement fléchés vers la ville, comme le montre l’exemple du centre d’allotement8 construit par le

Groupement des producteurs de veau de lait fermier de Corrèze (GPVLFC). Installé à Saint-Féréole, à 10 km de Brive, ce groupement commercialise des veaux de lait fermiers pour la boucherie, mais aussi des veaux de boucherie dits « rouges », des vaches de réformes et de jeunes bovins pour l’engraissement. Souhaitant agrandir son centre d’allotement dans l’optique de la réforme du marché de la viande entrant en vigueur en juin 1976 – les bovins devront être classés par qualité avant leur commercialisation afin de garantir un prix minimum à l’éleveur – ce groupement demande une subvention du

1 Entretien avec Jean Charbonnel, maire de Brive, 9 mai 2012. 2 Délibération du 23 février 1979, Arch. Mun. de Brive, 1D219. 3 Délibération du 23 octobre 1980, Arch. Mun. de Brive, 1D228. 4 Délibération du 4 février 1982, Arch. Mun. de Brive, 1D234. 5 Entretien avec Jean Charbonnel, maire de Brive, 9 mai 2012. 6 Délibération du 22 décembre 1977, Arch. Mun. de Brive, 1D214. 7 Ibid.

8 Un centre d’allotement est une infrastructure qui permet de rassembler un nombre conséquent de

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ministère de l’Agriculture au titre de la rénovation rurale. Alors que deux communes de Corrèze proposent une subvention au groupement1 pour ce centre qui verra un transit

annuel de 9 000 bestiaux2, le ministère indique que le groupement ne pourra prétendre à

une subvention que si le centre est construit à proximité de l’abattoir départemental installé à Brive3. Le centre d’allotement est alors implanté à Brive et mis en service en 19764.

Les échelles administratives du département et de l’Etablissement public régional, encore peu sollicités pour la réalisation des politiques nationales, sont court-circuitées par les relations entretenues entre la ville et l’Etat, en Corrèze ou à la capitale grâce aux responsabilités nationales du maire : « il faut qu’on montre l’exemple, il faut pas qu’on attende les autres, […] à ce moment là, la région c’était pas grand-chose, le département c’était pas grand-chose […] il avait pas la puissance qu’il a maintenant […]. Donc il fallait que la ville comme on dit prenne le taureau par les cornes et propose sa propre politique »5,

tout en s’appuyant fréquemment sur les ressources étatiques : « on était très lié à la possibilité d’avoir une aide de l’Etat »6.

1.2. Une situation favorisée par rapport au reste du

département

Dans le contexte de la déconcentration industrielle, c’est l’ensemble du territoire national qui est en concurrence pour l’accueil des industries. Si l’on considère, selon les études de la DATAR et de l’INSEE de l’époque, les motivations des industriels en matière de localisation7, les premiers facteurs sont la disponibilité de la main d’œuvre et la desserte.

Dans cette région relativement enclavée qu’est le nord du Massif Central, Brive bénéficie d’avantages comparatifs de desserte et de liaison au réseau national déterminants par rapport au reste de la Corrèze et du Limousin.

Dans un premier temps, à la fin des années 1960, Brive bénéficie de la prime spéciale d’équipement, qui subventionne l’investissement pour la création ou l’extension d’entreprises existantes sous réserve de création d’emplois. Cette prime spéciale d’équipement, versée par le Fonds d’Intervention pour l’Aménagement du Territoire, ne concerne pour son taux maximum que quelques villes dans le grand sud-ouest français : Bordeaux, Limoges, Toulouse, mais aussi Brive8 – le maire s’en félicite : « nous ne sommes

1 Lettre du président du groupement au maire-adjoint de Brive en charge des affaires agricoles, 10 avril

1975, Arch. Mun. de Brive, 102W10.

2 Lettre du président du groupement au maire de Brive, 16 octobre 1973, Arch. Mun. de Brive, 102W10. 3 Lettre de la Société pour la mise en valeur du Limousin et de l’Auvergne au groupement, 17 octobre 1973,

Arch. Mun. de Brive, 102W10.

4 Réunion de la commission des affaires agricoles, 29 janvier 1976, Arch. Mun. de Brive, 102W13.

5 Entretien avec René Boisserie, conseiller municipal aux affaires agricoles de 1977 à 1983, le 7 octobre

2011.

6 Entretien avec Jean Charbonnel, maire de Brive, 9 mai 2012.

7 Andrault M., 1983, « Une évaluation de l'impact des primes de développement régional (1976-1981) »,

Politiques et management public, vol. 1 n° 4, pp. 23-53.

8 Genty M., 1984, « Villes et bourgs du Périgord et du Pays de Brive. Le fait urbain dans des espaces de la

que cinq ou six villes […] au régime le plus élevé »1. Grâce à cet apport, les premiers

terrains viabilisés de la zone du Teinchurier sont vendus à deux entreprises de salaisons (Mounier et Bizac) à 9 F par mètre carré au lieu de 18 F/m2 entre 1970 et 1971 2 – la

subvention perçue pour l’achat des terrains est alors directement versée à la ville.

Brive bénéficie ensuite de la prime de développement régional, instaurée en 1972, qui subventionne l’extension et l’installation d’entreprises industrielles, par reprises ou création. Le territoire national est partitionné en trois zones plus ou moins aidées : le Massif Central est classé zone prioritaire, bénéficiant des taux de prime les plus importants, à l’exception du Bas-Pays de Brive qui bénéficie seulement du taux majoré (c’est-à-dire une prime à l’entreprise de 20 000 F par emploi créé, et 17 % de l’investissement effectué)3. Brive

bénéficie donc de conditions moins avantageuses que le reste du département, mais la ville est particulièrement bien située en termes de réseaux routiers et ferrés, et prend le parti de relier les zones industrielles créées, surtout celles de l’ouest de la ville, à ces réseaux.

Figure 2.2. Raccordement ferré et routier des zones industrielles à l’ouest de Brive

Source : cette thèse

1 Délibération du 23 juillet 1971, Arch. Mun. de Brive, 1D192. 2 Ibid.

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La route nationale 20, qui va de Paris à Toulouse, et la route nationale 89, qui va de Lyon à Bordeaux en passant par Clermont-Ferrand, deux axes routiers majeurs du Massif Central, se croisent à proximité de Brive. Rapidement après l’implantation de la zone industrielle du Teinchurier à l’ouest de Brive, la municipalité organise avec la préfecture un croisement fonctionnel de ces deux routes à hauteur de la zone1. Mais c’est

particulièrement en 1987 que Brive améliore sa place dans la desserte sous-régionale avec la réfection de la route nationale 20 en autoroute, apparemment décrochée en même temps qu’une promesse que l’autoroute Clermont-Ferrand – Bordeaux passe par Brive2, suivant

un tracé proche de la RN 89 mais évitant le centre-ville.

De même, Brive se trouve au croisement des lignes ferroviaires Paris-Toulouse et Bordeaux-Clermont. Ces deux lignent arrivent à l’ouest de la ville et longent la zone industrielle du Teinchurier, l’une par le sud et l’autre par le nord (voir Figure 2.2). A partir de 1974, la municipalité entreprend en collaboration avec la SNCF la construction de voies ferrées de desserte de la zone industrielle du Teinchurier, reliées à la ligne existante Paris- Toulouse3. Ce nœud de transports créé à l’ouest de la ville renforce la position de Brive, et

aide à l’implantation en 1987 du fleuron des salaisons corréziennes, l’industriel Limoujoux : « Limoujoux ne m’aimait pas, en politique c’était le clan de Chirac, mais il est venu s’installer à Brive parce que c’était son intérêt […] toutes les déviations, le développement, l’aérodrome, tout se faisait à l’ouest, c’était leur intérêt de s’installer là »4.

1.3. La croissance des emplois industriels

Le but premier du maire de Brive nouvellement élu en 1967, Jean Charbonnel, est le développement industriel : « ou bien on laissait filer Brive au fil de l’eau, ou bien on essayait de voir les atouts […], il fallait des emplois industriels »5. Le transfert de main

d’œuvre de l’activité agricole vers les secteurs secondaires et tertiaires, caractéristique du processus d’industrialisation, concerne singulièrement les villes moyennes, et Brive d’autant plus qu’elle se situe au cœur d’une région rurale. En effet, la ville moyenne intéresse particulièrement les investisseurs, « moins pour elle-même que pour son environnement démographique. […] L’existence d’une importante force de travail sous-employée, dans une aire suffisamment proche de la ville, crée un atout potentiel que l’économie industrielle ne peut manquer de mettre à profit »6. Par l’entremise de la ville moyenne, l’industrie

atteint la main d’œuvre rurale, parfois plus encline à se déplacer pour travailler dans une ville déjà fréquentée pour ses commerces et ses services que dans une grande agglomération industrielle plus lointaine.

1 Commission municipale des affaires agricoles, 13 octobre 1976, Arch. Mun. de Brive 102W13.

2 Brive notre ville, magazine municipal, Arch. Mun. de Brive, 4C5. Il m’a été précisé lors de conversations avec

des collègues de la municipalité qu’en plus de l’action du maire, Jacques et Bernadette Chirac aurait aussi milité pour que l’autoroute Clermont-Bordeaux passe par Brive au détriment d’un trajet plus au nord du Massif Central, mais il a été impossible de confirmer cette information.

3 Délibération du 1er février 1974, Arch. Mun. de Brive, 1D202. 4 Entretien avec Jean Charbonnel, maire de Brive, le 9 mai 2012. 5 Idem.

Brive, ville moyenne, est aussi « ville-moyen »1 pour l’industrie et les services d’accéder

à la main d’œuvre rurale : entre les recensements de 1968 et 1975, la croissance de l’emploi dans le secteur industriel participe de 40 % aux 3 000 nouveaux emplois brivistes (voir Tableau 2.1), et la croissance démographique de la ville est entre 1968 et 1975 due pour plus de 50 % au solde migratoire2. Parmi ces populations s’installant à Brive, plus de 40 %

viennent du département de la Corrèze, et 20 % des départements limitrophes (notamment le Lot et la Dordogne)3. Durant cette période, les emplois offerts à Brive (population active

au lieu de travail) croissent plus rapidement que la population (23 % contre 11 %) (voir Tableau 2.2). Le processus cumulatif de croissance industrielle est en route : l’installation d’établissements industriels fait croître la population, qui nécessite la création d’équipement commerciaux et de services, attirant à son tour de nouvelles populations4.

Tableau 2.1. Population et population active au lieu de travail, Brive, 1968 – 1990

BRIVE 1968 1975 1982 1990

Population 46 561 51 828 51 511 49 141 Population active (au lieu de

travail) 13 112 16 150 18 972 20 528 Agriculteurs (% pop. active) 1,0 1,0 0,4 0,3 Artisans, commerçants, chefs

d'entreprise (% pop. active) 13,4 10,5 10,4 7,9 Prof. Intellectuelles et cadres sup.

(% pop. active) 6,4 6,4 7,8 10,8

Professions intermédiaires (% pop.

active) 17,2 18,8 20,0 23,3

Employés (% pop. active) 25,4 26,7 28,1 28,0 Ouvriers (% pop. active) 36,6 36,6 33,3 29,6

Sources : Recensement Général de la Population, 1968, 1975, 1982 et 1990.

De 1968 à 1990, le processus cumulatif industriel est bien déclenché à Brive, alors même que la population départementale stagne puis régresse. L’aire urbaine de Brive affiche par rapport aux deux autres aires urbaines de Corrèze, Tulle (environ 31 000 habitants sur la période) et Ussel (de 12 à 13 000 habitants sur la période), la progression la plus importante tant en population résidente qu’en population active au lieu de travail (voir Tableau 2.2).

Avec la fin des Trente Glorieuses, l’entrée dans une série de récessions économiques et les grandes difficultés des filières industrielles traditionnelles (sidérurgie, métallurgie et textile), la question des emplois devient de plus en prégnante dans la politique nationale de développement industriel, et « la prime de développement régional devient petit à petit

1 Michel, 1977, op. cit. 2 Peyre M., op. cit., p. 38 3 Ibid, p. 38.

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