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Ce premier chapitre a pour objet de présenter le contexte dans lequel la municipalité de Brive exerce son action agricole, ainsi que les composantes transversales de celle-ci. Ces composantes tiennent en partie à l’héritage de ville-marché, et sont en partie construites par la ville au cours de la période considérée. Il s’agit ici d’analyser le cadre de la question agricole dans l’institution (son poids politique, ses moyens), mais aussi le contexte historique et territorial dans lequel s’inscrit l’action de la mairie.

La période qui va de l’après-guerre aux années 1960 voit s’amorcer l’organisation et la structuration de l’agriculture en tant qu’activité professionnelle. Le conseil technique puis l’enseignement agricole sont coordonnés et structurés à l’échelle nationale, tandis qu’un syndicalisme agricole unifié (et issu des maquis dans le cas corrézien) émerge comme le représentant légitime des agriculteurs. Les lois de modernisation agricole du début des années 1960 entérinent ce processus et la représentativité du syndicalisme comme le partenaire de coordination de la politique agricole nationale avec l’Etat. L’action agricole de la municipalité, marquée par la multiplicité de ses objets, évolue face à ce contexte, de même que son discours officiel concernant l’agriculture et ses représentants professionnels. Afin d’analyser cette évolution, nous étudions d’abord l’action agricole au sein de l’institution municipale : ses objets, sa place dans l’institution et le cadre administratif et politique général dans lequel elle prend place. Nous abordons ensuite le contexte particulier de l’après-guerre, dans lequel le discours modernisateur et le poids politique du syndicalisme agricole issu des maquis orientent l’action municipale. Enfin, nous nous intéressons à l’héritage des fonctions de développement agricole de la ville face à la montée en puissance des structures professionnelles de l’agriculture, et leur évolution entre dessaisissement et renouvellement.

1.

UNE VILLE AUX PRISES AVEC LA QUESTION

AGRICOLE

Brive est depuis 1896 la ville la plus importante du département en nombre d’habitants, mais elle reste une commune à moitié rurale. Sur les 4 578,27 hectares cadastrés de la commune1, plus de 3 000 sont exploités par l’agriculture en 1952, par trois cent neuf

1 Selon la dernière révision du cadastre en 1914 avant le Recensement Général de l’Agriculture de 1955

(Arch. Dep. de la Corrèze, 539W78 à 87), elle compte aujourd’hui 48,6 km² (Résumé statistique de la commune de Brive-la-Gaillarde, INSEE, consulté sur la toile le 25 mars 2012 : http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/esl/comparateur.asp?codgeo=COM-19031).

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exploitants dont la plupart sont en faire-valoir direct1. Le cœur urbain est entouré de

vallées et coteaux exploités, mises à part les parties les plus escarpées qui sont boisées. La population agricole de Brive est portion congrue par rapport aux 5 000 actifs du secteur tertiaire et aux 5 200 du secteur industriel en 19542, mais le premier constat du

dépouillement des actes officiels de la municipalité de 1945 à 1970 est celui d’une préoccupation constante pour l’agriculture. Nous nous intéressons dans un premier temps à la diversité des actions agricoles de la municipalité, ainsi qu’à la place de celles-ci dans l’institution (en termes politique puis d’organisation municipale). Si Brive compte peu d’agriculteurs, elle est enchâssée dans une sous-région agricole qui engage sa modernisation : l’action municipale est alors analysée dans ce contexte, et la mairie en tant qu’acteur de la question agricole, aux prises avec les élites agricoles et l’Etat.

1.1. Une action municipale agricole et rurale diversifiée

Notre analyse du traitement municipal de la question agricole s’appuie en premier lieu sur les actes officiels de la municipalité que sont les délibérations du conseil municipal et les arrêtés du maire (voir Encadré 1.1). La question agricole est dans le fonctionnement de l’institution municipale divisée en plusieurs secteurs d’action, représentés par les qualificatifs « agricole », « rural » ou encore « économique ». Si le qualificatif de « rural » est à cette époque presque synonyme d’agriculteur, la question rurale à la mairie revêt une définition plus particulière : il s’agit des aménagements de la zone rurale de Brive – voirie, électrification et eau courante. En effet, commune partiellement rurale, Brive doit prendre en charge, au même titre que pour le centre urbain, les aménagements en voirie et réseaux divers.

Le qualificatif « agricole » revêt plusieurs domaines. Tout d’abord, il concerne les services que procure la ville aux agriculteurs pour l’amélioration de la production (verger d’études fruitières, informations sur les traitements arboricoles), ainsi que le financement des structures de l’enseignement agricole présentes à Brive.

D’une part, la ville administre la production de son territoire, en prenant des initiatives ou en relayant dans ses arrêtés la législation sanitaire : campagnes de vaccination contre la fièvre aphteuse3, règlement sanitaire municipal qui restreint l’élevage d’animaux dans le

centre urbain4, ou approbation des installations d’établissements dangereux, insalubres ou

incommodes de première classe que constituent des élevages industriels5. La ville doit aussi

traiter avec les industriels de l’agro-alimentaire présents à Brive – et notamment dans le centre-ville – en raison des nuisances provoquées par ces industries.

1 Seuls neuf d’entre eux sont fermiers ou métayers (statistiques agricoles recueillies par la mairie de Brive,

Arch. Mun. de Brive, 3F71 à 89).

2 Chiffres du recensement de la population de 1954 cités par A. Meynier, 1962, « Les activités urbaines dans

le bassin de Brive », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, T. 33, pp49-71

3 Délibération du 30 décembre 1960, Arch. Mun. de Brive, 1D90.

4 Délibérations des 21 décembre 1953 et 22 décembre 1954, Arch. Mun. de Brive, 1D53. 5 Délibération du 29 décembre 1967, Arch. Mun. de Brive, 1D163.

Relativement à la commercialisation des produits agricoles, le maire exerce ses pouvoirs de police sur les marchés et les foirails de la ville, qui font de Brive une place marchande importante. En 1944, la ville dispose d’une multitude de marchés de détail, d’un marché de gros pour les fruits et légumes, et de foires aux bestiaux qui se tiennent vingt-cinq fois par an.

La ville participe de plus en plus activement au cours de la période à la promotion de l’agriculture locale – nous définissons celle-ci dans un premier temps comme l’agriculture qui se trouve dans la proximité géographique de Brive, et / ou qui est en contact avec la ville par le biais de ses foires, marchés et comices. Les comices agricoles du canton et de l’arrondissement de Brive sont le plus souvent accueillis par la ville-centre, qui prend alors en charge leur organisation et une grande partie du financement. Avec la transformation en 1967 du comice cantonal en Festival de l’élevage, la municipalité déploie la portée de cet évènement sur l’ensemble du département. La promotion de l’agriculture locale prend aussi la forme de foires primées, où les meilleures bêtes sont choisies par un jury qui remet des plaques à l’éleveur. Par ailleurs, la mairie octroie chaque année des subventions aux sociétés agricoles locales qui travaillent à la promotion de la pêche, de la chasse, mais aussi de l’aviculture. Ces actions municipales prennent le titre de « manifestations agricoles ».

L’abattoir de Brive est inclus pour sa gestion dans la compétence agricole de la municipalité, mais à partir de 1959, la ville entre dans une période de planification autour de l’expansion économique et de la création de zones industrielles et artisanales, notamment autour du projet d’un nouvel abattoir. Une partie de la question agricole, qui concerne la transformation et la commercialisation des produits au sein de filières industrielles et / ou destinées au marché commun, est donc inclue dans une délégation « économique » ou de développement industriel.

Enfin, le Conseil municipal est une scène politique, et les décisions qui y sont prises, qu’elles apparaissent importantes comme la mise en place d’un nouveau projet ou qu’elles concernent la gestion d’un service existant, permettent aux élus d’affirmer leur position politique sur la question agricole en général ou d’autres sujets. Par ailleurs, les décisions politiques qui président à l’organisation des services pour l’agriculture et la mise en place de nouveaux projets sont inscrites dans la vie politique locale. Les relations entre la municipalité, la préfecture et les représentants locaux de la profession agricole déterminent un cadre politique, auquel participe la municipalité en tant que soutien ou acteur normatif.

Encadré 1.1 Les actes officiels de la municipalité : délibérations du conseil municipal et arrêté du maire

Les délibérations sont le premier document dont la légalité atteste de l’engagement par la mairie de telle ou telle politique. Les arrêtés municipaux sont des décisions d’ordre administratif, pris de manière unilatérale par le maire (les arrêtés ne font pas l’objet de débats en conseil municipal, même s’ils sont souvent la suite logique d’une décision prise par celui-ci). Ces actes officiels sont soumis au contrôle de légalité exercé par le préfet, et ne peuvent entrer en vigueur qu’après ce contrôle.

Si certaines actions ou évolutions ne nécessitent qu’une délibération – par exemple le recrutement d’un auxiliaire à l’abattoir pendant les congés d’été – les projets d’envergure font l’objet de plusieurs délibérations. Par exemple pour la construction d’un nouvel abattoir ou d’une zone d’activité industrielle, la municipalité doit d’abord poser les fondations politiques du projet et son objectif, cette étape donne généralement lieu aux débats les plus ouverts entre la majorité municipale et l’opposition. Ensuite, la municipalité doit rendre officielles, par des délibérations, ses démarches tout au long du processus : obtention de prêts et de financements, études préalables à l’acquisition des

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terrains nécessaires, à la construction et la rentabilité financière du projet, approbation du montage financier et technique du projet, lancement et réception des travaux, ventes des terrains aménagés à des entreprises dans le cas des zones d’activité, et enfin mise en service de l’outil.

Les arrêtés municipaux peuvent concerner l’ensemble du champ des compétences de la municipalité. Ceux qui concernent les questions agricoles et rurales relèvent en grand nombre de la gestion du personnel affecté aux foires et marchés (les receveurs-placiers doivent être autorisé par l’autorité municipale à percevoir des droits de places ou de pesage en son nom). Les autres arrêtés participent à l’exécution concrètes des mesures décidées en conseil municipal relatives à l’organisation des foires et marchés : règlements, emplacements, horaires, circulation des véhicules aux abords des marchés, etc.

1.2. Les questions agricoles : un des grands domaines de

l’action municipale…

Les orientations politiques du traitement des domaines de la question agricole ou de la mise en place de nouveaux projets sont données à l’institution par le collège des élus (au sein duquel tous n’ont pas le même pouvoir). Au sein du conseil municipal, après chaque élection, sont élus un maire (la tête de la liste électorale majoritaire) et des adjoints au maire auxquels sont confiés des délégations particulières. Les autres membres du Conseil municipal sont les conseillers, qui peuvent eux aussi être chargés d’une délégation particulière (ce qui est le cas à Brive pour les questions agricoles et rurales à partir de 19651)

moins étendue que celles des adjoints, et qui participent aux prises de décision municipale dans le cadre de Commissions thématiques. Il n’est pas rare que les débats en Conseil municipal sur la gestion des services agricoles ou sur la mise en place de nouveaux projets soient l’occasion pour les élus de l’opposition de marquer leur différence politique par rapport à la majorité municipale. La question agricole en tant que question politique nationale ou internationale (avec l’entrée de la France dans le marché commun) peut être aussi débattue dans ce cadre. Cependant, si certaines questions de politique générale comme celle des prix agricoles peuvent donner lieu à des débats enflammés entre le maire radical-socialiste et l’opposition communiste2, on remarque une grande constance dans le

vote à l’unanimité des délibérations qui concernent les projets et la gestion des services agricoles, ainsi que pour la promotion de l’agriculture.

Les Commissions thématiques sont en général établies lors de la première réunion du Conseil municipal suivant les élections, et elles regroupent sous l’autorité d’un adjoint des conseillers municipaux afin de travailler, rendre des rapports et des avis, et mettre en œuvre des secteurs précis de l’action municipale. Les questions agricoles et rurales bénéficient tout au long de la période d’une commission thématique dédiée, dont le nom ou l’étendue de la délégation peut évoluer (voir Figure 1.1). Les six à huit commissions désignées à l’installation du Conseil municipal ont en charge les thématiques suivantes : éducation nationale ou instruction publique, jeunesse et sport, hygiène et santé publique, travail et syndicat, urbanisme, expansion économique et enfin affaires agricoles ou rurales. Ces

1 Délibération du 2 avril 1965, Arch. Mun. de Brive, 1D135. 2 Délibération du 15 septembre 1948, Arch. Mun. de Brive, 1D38.

dernières sont donc bien considérées par les municipalités de la période comme l’un des grands domaines de l’action municipale.

L’élection des adjoints selon une hiérarchie particulière représente le poids politique de certains membres du Conseil municipal, et le choix des premières délégations qui leurs sont confiées, par arrêté municipal, peut marquer l’orientation politique de la municipalité. Par exemple, le fait de confier une délégation relative aux relations économiques au Premier adjoint en 19591, alors que cette délégation n’existait pas auparavant, ou plus précisément

n’était pas formulée comme telle, montre la volonté de porter cette question aux premières loges de l’action municipale.

Figure 1.1. Organisation municipale du traitement de la question agricole à Brive : maires, adjoints et commissions de 1946 à 1970.

Sources : Délibération du conseil municipal, Arch. Mun. de Brive, 1D36 à 185.

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De 1947 à 1953, on retrouve dans les quatre premières délégations l’instruction publique et les affaires scolaires, les questions de santé et salubrité, et toujours les questions rurales et agricoles1 (voir Figure 1.1). A partir de 19592 l’expansion économique et

l’aménagement urbain sont en général attribués aux deux premiers adjoints avec les affaires scolaires, mais la question agricole, qui commence à recouvrir plus précisément les foires et marchés et l’abattoir reste parmi les trois premières délégations octroyées, et ce jusqu’en 19713. La place accordée à la question agricole dans les commissions thématiques et l’octroi

de cette délégation aux premiers adjoints montre bien l’importance que revêtent pour la municipalité les services et le commerce agricoles.

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