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A côté des productions de fruits et de primeurs de la Basse Corrèze, les spéculations des exploitations disponibles pour l’expédition sont les productions animales, qui elles concernent l’ensemble du département. Si la production corrézienne est faible dans l’après- guerre, ce sont les contours d’un bassin d’élevage bovin extensif qui commencent à apparaître pendant la période considérée. Les surfaces en herbe augmentent aux dépens des surfaces labourables, jusqu'à concerner plus des trois quarts de la surface agricole utile des exploitations (voir Tableau 1.3).

Tableau 1.3.: Répartition des surfaces agricoles dans les différentes productions, en France et en Corrèze, 1950 – 1988, % de surface agricole utile.

Surfaces en % de SAU

Herbe Fourrage Fruits et légumes 1950 1970 1950 1970 1950 1970 Corrèze 37,4 69,5 5,2 14,1 1,5 2,8 France 33,1 37,9 24,0 15,3 nd 5,4

nd = donnée non disponible

Sources : pour la Corrèze en 1950, statistiques de l’INSEE Limousin (Arch. Dep. de la Corrèze, PER 39), pour 1970 Recensement Général de l’Agriculture. Pour la France : M. Desriers, 2007, « L’agriculture française depuis cinquante ans : des petites exploitations familiales aux droits à paiement uniques », INSEE Références, consulté sur la toile le 22 octobre 2012, [http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/agrifra07c.pdf], et A.-M. Dussol, M. Hilal, J.- C. Kroll, 2003, « 30 ans de PAC : plus de grandes cultures, moins de fourrages, autant de disparités géographiques »,

Cahiers Agreste n° 3, ministère de l’Agriculture, consulté sur la toile le 22 octobre 2012,[

http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/articles03073A4.pdf].

Conjuguée à l'augmentation des surfaces en herbe, la baisse des surfaces de fourrage indique bien l'orientation extensive de l'élevage corrézien, et l'on voit se mettre en place un nouveau paysage, avec la disparition des labours et la multiplication des stabulations libres des bestiaux sur les herbages1.

Même si la production corrézienne est faible, elle dépasse largement la consommation locale : la filière corrézienne des marchands de bestiaux et bouchers est orientée vers l’expédition des productions animales vers les grandes places de consommation, expédition qui se fait en vif ou en mort. Les nombreuses foires du département, dont celle de Brive, sont le principal mode de mise sur le marché.

1 M. C. Kiener, 2001, « La fin d’un monde ? Ou bien d’un monde à l’autre ? L’évolution du monde rural

limousin depuis 1970 », pp. 91-118, in Pérouas L., Stamm A., Moratille E., Melhau J., Kiener M. C., Plas P., Grandcoing P., Danthieux D., Plantadis A., et Maclouf P., Le XXème siècle en Limousin, Colloque de Soudaine-

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Nous nous intéressons dans ce chapitre à l’évolution de la filière viande locale et de ses outils de commercialisation et de transformation. Dans l’après-guerre la filière corrézienne est morcelée, tant en terme de production, que d’outils de commercialisation (des foires très nombreuses) et de transformation (plusieurs abattoirs publics et une multitude de tueries). Cette filière évolue fortement pendant la période considérée. Le déploiement de la mobilité remet en cause l’organisation systémique du réseau des foires, celle des transports frigorifiques l’intérêt du circuit vif. Mais surtout, l’organisation de la filière corrézienne fait face à l’action modernisatrice de l’Etat sur la filière viande. Exigences sanitaires d’abord, entrée dans le marché commun ensuite : la filière viande française doit se moderniser, s’industrialiser pour être rentable et assurer l’approvisionnement du pays et de l’Europe en viandes bovines. A l’échelle locale, le plan départemental d’équipement en abattoir public décline la volonté de l’Etat. Les abattoirs publics, et donc les villes qui les soutiennent financièrement, ont une fonction renouvelée par la concentration et l’industrialisation de la transformation des viandes.

Nous nous intéressons dans les deux premières sections de ce chapitre au fonctionnement du réseau systémique des foires corréziennes, à son adéquation avec la production dans l’après-guerre d’abord, à son évolution sur la période considérée ensuite. Enfin, nous analysons le rôle de la mairie de Brive dans la polarisation d’une filière en cours de concentration et d’industrialisation.

1.

UN RESEAU DEPARTEMENTAL DE FOIRES AJUSTE

A L’ECONOMIE AGRICOLE CORREZIENNE DE L’APRES-

GUERRE

Dans l’enquête préfectorale de 1948 sur les foires et marchés tenus en Corrèze, certains petits bourgs n’indiquent que des foires, qui correspondent à la fois aux marchés aux bestiaux et aux marchés pour l’approvisionnement en détail des habitants – il n’y a que pour les gros bourgs et villes que la foire et le marché désignent une réalité différente (voir Encadré 1.2). En 1948, donc, une grande partie des communes de Corrèze tiennent des foires : 102 sur les 286 communes que compte le département. Cependant il est souvent précisé que sur ces foires ne se commercialisent plus de bestiaux, mais seulement des volailles, légumes et autres produits de la ferme1. On ne trouve d’ailleurs pas mention des

foires de ces communes dans la presse locale de 1950 où sont indiqués les apports et les cours des bestiaux de nombreuses communes. Nous pouvons donc considérer que ces foires sont en fait des marchés et ne sont pas utilisées pour la commercialisation du gros bétail. Elles ne gardent le qualificatif de foire que pour éviter le processus officiel de suppression, création ou transformation d’une foire en marché.

Dans cette partie qui analyse la structure et l’évolution du réseau des foires en Corrèze ainsi que la place de Brive au sein de ce réseau, nous nous intéressons donc au commerce

des bestiaux, et avons retiré de notre échantillon les foires qui, bien que désignées comme telles, n’accueillent pas de bestiaux1. Sur les 102 communes du département déclarant des

foires en 1948 et qui n’ont pas été supprimées par la suite, il n’en est en fait que 58 en 1950 et 25 en 1970 qui participent au réseau du commerce de bétail.

Nous nous penchons d’abord dans cette section sur la concordance du réseau systémique des foires avec le fonctionnement des exploitations corréziennes dans l’après- guerre.

1.1. Un réseau de foires ajusté à la faible spécialisation

des exploitations…

Contrairement à d’autres régions où les principales transactions sur les foires sont effectuées entre négociants-bouchers et marchands de bestiaux2, les foires corréziennes ont

la particularité d’accueillir presque uniquement des producteurs du côté des vendeurs, et ceux-ci sont nombreux au regard de la faiblesse de leurs apports individuels (en général un porc et un veau, ou deux veaux ou deux porcs3). Cette situation restera inchangée même

avec l’arrivée des veaux de batterie au cours des années 1960, où les producteurs corréziens qui utilisent ce mode de production intensif ne produisent que 10 à 15 veaux « à la fois »4,

c’est-à-dire tous les quatre ou six mois. En 1964, la chambre d’agriculture déplore que les nouvelles aides de l’Etat pour l’élevage sont basées sur un cheptel trop important, et ne concerneront que 12 % des 20 000 éleveurs que compte le département5.

Malgré la modernisation des exploitations qui commence dans l’après-guerre, nombre d’entre elles n’ont pas un seuil de capitalisation suffisant pour adopter des innovations chères et, faute de pouvoir se développer, elles restent dans une économie de l’exploitation considérée comme archaïque6, fondée comme nous avons pu le voir dans le chapitre deux

sur la polyproduction animale et végétale, et une petite production spéculative. C’est ainsi que dans l’immédiat après-guerre mais aussi jusqu’aux années 1970, les exploitations corréziennes qui ne se modernisent pas trouvent dans les foires du département un moyen de mise sur le marché des bestiaux adapté aux caractéristiques de l’élevage peu modernisé : temporalité de la mise sur le marché aléatoire tant que l’insémination artificielle ne s’est pas

1 C’est-à-dire les foires des communes pour lesquelles il est précisé dans l’enquête de 1948 qu’elles

n’accueillent plus de bestiaux, ainsi que celles pour lesquelles on ne trouve aucune référence ou donnée sur les cours et les apports dans la presse locale.

2 Meynier, op. cit., pp. 333-340.

3 Nous avons recueilli ces données d’après un contrôle de police effectué sur les véhicules amenant des

animaux à la foire de Tulle du 10 décembre 1948 (Arch. Dep. de la Corrèze, 208W6889). Les cinq véhicules contrôlés amenaient en tout 3 veaux et 9 porcs. La faiblesse des apports reste la règle aujourd’hui, les producteurs amenant au maximum veaux (entretiens avec des producteurs lors de deux foires à Brive, 4 octobre et X novembre 2011.

4 Entretien avec M. Guy, l’un des plus gros marchand de bestiaux du département et directeur de la société

d’exploitation de l’Unité Départementale d’Abattage à sa création en 1971, le 15 novembre 2011.

5 Arch. Dep. de la Corrèze, 1639W_DEP36. Le cheptel de base à partir duquel l’on obtient les aides de

l’Etat permet de voir le caractère artisanal des exploitations corréziennes : 15 vaches laitières, ou 30 bovins à l’engraissement, ou 100 porcs d’élevage ou 100 brebis.

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développée1, hétérogénéité de l’offre et impossibilité de constituer des lots importants ou

homogènes.

Le caractère aléatoire de l’offre et son atomisation sont un obstacle à l’intégration industrielle de la production bovine et ovine2. Tout processus d’industrialisation a besoin

pour assurer sa rentabilité de régulation, de coordination verticale et de normes, caractères qui correspondent peu à l’élevage bovin jusqu’aux années 19703. Les formes organisées

d’échanges (marchés abstraits, contractualisation avec l’industrie ou la grande distribution) s’avèrent dans le cas de l’élevage corrézien à cette époque moins efficaces qu’un réseau relativement dense de foires, par lesquelles les négociants en bestiaux et bouchers peuvent composer des lots dont les caractéristiques correspondent à leurs attentes – « on achetait du tout venant, et puis on triait »4.

Si les grosses exploitations sont plus facilement liées à l’industrie agro-alimentaire ou aux coopératives, les foires en tant que marchés physiques traditionnels trouvent leur pertinence au regard de la faible spécialisation des exploitations : parmi les caractères liés à la présence des marchés physiques, Wackermann5 cite les « plus faibles dimensions des

exploitations agricoles, [les] techniques de production peu évolutives (innovations faibles), [les] produits traditionnels, hétérogènes, non normalisés ». Par ailleurs, le fait de pouvoir porter une ou deux bêtes en foire indique que les producteurs en ont le temps, ce qui est de moins en moins le cas au fur et à mesure que se développent et se spécialisent les exploitations6.

Le maintien d’un nombre important de foires jusqu’en 1960 en Corrèze (58 en 1950 et 44 en 1960) montre bien leur adaptation à l’état de la spécialisation agricole, ainsi qu’aux conditions physiques et de transport d’une région de moyenne montagne. De même que l’on constate un certain archaïsme des structures de production, le maillage dense du réseau des foires semble une survivance de la fragmentation physique du marché départemental et de l’archaïsme des structures commerciales constatés au XIXème siècle par rapport à

d’autres régions françaises.7

Adaptées pour partie aux besoins propres des exploitations corréziennes encore peu spécialisées, les foires commercialisent une grande partie de la production animale du département : l’équivalent de 20 % des gros bovins, 90 % des veaux, 30 % des porcins et 50 % des ovins produits par le département en 1950 (voir Tableau 1.4).

1 Les premiers veaux issus de l’insémination artificielle apparaissent sur les foires en 1960 (Arch. Dep. de la

Corrèze, 142-143Pr1).

2 Il n’en est pas de même pour la production porcine qui se prête plus facilement à l’industrialisation, et a

donc été relativement rapidement intégrée verticalement à l’aval de la filière (Lauret, Soufflet, op. cit., pp3- 11).

3 Lauret, Soufflet, op. cit., pp. 3-11.

4 Entretien avec M. Guy, marchand de bestiaux, 15 novembre 2011. 5 Wackermann, op. cit., pp. 8-22.

6 En effet, lors des entretiens avec les producteurs aux foires de Brive en 2011 et 2012, la première raison

avancée par les producteurs pour justifier pourquoi certains ne vont pas à la foire est le manque de temps.

Tableau 1.4. Rapports entre la production animale, l’abattage et les apports en foire en Corrèze.

Animal / année Production (têtes) Abattages (têtes) Apports foires (têtes) % d'apport en foire de la production % de la production abattue sur le département GROS BOVINS 1950 20 000 9 620 4 000 20 48,1 1969 25 333 17 640 8 000 31,58 69,63 VEAU 1950 89 571 84 791 80 000 89,31 94,66 1969 107 990 176 204 52 000 48,15 163,17 PORCINS 1950 176 216 73 287 55 000 31,21 41,59 1969 145 148 168 702 10 000 6,89 116,23 OVINS 1950 74 857 44 063 39 000 52,10 58,86 1969 132 563 127 311 2 500 1,89 96,04

Sources : ce tableau a été reconstruit d’après les données sur la production et l’abattage disponibles dans les statistiques de l’INSEE pour la période (Arch. Dep. de la Corrèze, Per39), et d’après les apports en foire reconstitués d’après le contrôle de gendarmerie des foires (Arch. Dep. de Corrèze, 206W6823, 208W7036 D et E, Séries de presse locale 131Pr, 137Pr, 142-153Pr, 133Pr).

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