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Vers le redécoupage des régions françaises : une question dans l’air du temps ?

France et en Occitanie

1.2. Vers le redécoupage des régions françaises : une question dans l’air du temps ?

Nul ne croit plus que l’on changera en France les limites départementales à terme prévisible, ni même les limites régionales – Roger Brunet (1997)1

Comme le montre cette citation de Roger Brunet, à la fin des années 1990, les limites des régions françaises apparaissent immuables et finissent par n’être plus que marginalement contestées. Dans ce même article, Roger Brunet questionne le rôle du géographe dans le découpage du territoire et rejette fortement l’idée d’une quelconque légitimité de ce dernier à s’exprimer dans ce domaine : « c’est affaire de géomancie, non de géographie »2. Il reproche ainsi aux « paveurs de territoires » d’instrumentaliser la géographie et de la réduire à un « fournisseur de légitimité ». Dès lors, il est vrai qu’on n’entend plus beaucoup de géographes venir compléter la collection de découpages régionaux entamée par Vidal de la Blache.

Cela est vrai jusqu’à la fin des années 2000. L’idée de la nécessité de modifier le découpage régional français refait surface. Ce redécoupage doit s’opérer dans le sens d’une fusion afin de réduire un nombre de régions jugé trop important. L’Union Européenne et le dogme libéral semblent être les facteurs explicatifs principaux qui président à ce renouveau3. En effet, sur la période 1851-2014, parmi les 73 découpages que retiennent Sophie De Ruffray et Arnaud Brennetot dans un article paru 20144, on note une absence de proposition de vingt ans entre 1989 et 2009. Cette date de 2009 n’est pas le fruit du hasard puisqu’elle correspond à la parution du rapport Balladur5. Ce dernier relance la question du découpage régional.

1 Brunet R., 1997, op. cit.

2 Ibid.

3 Voir chapitre 1

4 Brennetot A., De Ruffray S., 2014, « Découper la France en régions », Cybergeo : European Journal of

Geography, en ligne, mis en ligne le 23 juillet 2014, consulté le 28 mai 2018,

https://journals.openedition.org/cybergeo/26376

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1.2.1 Le rapport Balladur ou le nécessaire redécoupage des régions françaises

C’est lors de son discours du 22 octobre 20081 que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, annonce la création d’un comité dont la mission sera de faire des propositions pour réformer les collectivités locales. Parmi ces réformes, il est souhaité une réduction du nombre de collectivités2. L’argumentation est sommaire. Elle repose d’abord sur le registre de l’évidence : « tous, nous savons que nos collectivités sont trop nombreuses et trop petites »3. La volonté de « simplifier les structures » est clairement exprimée. Cela nécessiterait de revoir « la taille de nos collectivités, dans le contexte d’une compétition européenne croissante »4. Ce serait donc au nom de la compétitivité, à l’échelle européenne, qu’il conviendrait d’augmenter la taille des collectivités. La faiblesse de l’argumentation révèle ici la force du mythe rationnel managérial5 sous-jacent.

Le comité, présidé par Edouard Balladur, rend ses conclusions dans un rapport de 174 pages le 5 mars 2009. Dans un article paru dans Géoconfluences, Martin Vanier assimile ce rapport à un « bling blang territorial »6. Nous nous contenterons de commenter la question de la fusion régionale. La première des 20 propositions du rapport porte sur la fusion des Régions.

Proposition n°1 : favoriser les regroupements volontaires de régions et la modification de leurs limites territoriales pour en réduire le nombre à une quinzaine7

La justification d’un tel redécoupage, dont les contours ne sont d’ailleurs pas définis, est évoquée un peu plus haut.

Contrairement à ce qui est parfois soutenu, les régions françaises, loin d’être plus petites que les autres régions d’Europe, sont plus vastes. Mais leur densité est plus faible et, pour des raisons administratives, historiques ou politiques, leur périmètre géographique est parfois contestable, et d’ailleurs contesté. L’objectif consistant à doter les régions d’une population moyenne de l’ordre de 3 à 4 millions d’habitants serait de nature à leur donner force et vigueur. Aussi le Comité suggère-t-il que le périmètre de certaines des régions françaises soit revu, de telle manière que, sans méconnaître la force de certaines identités régionales

1 Sarkozy N., 2008, Paris : « Installation du Comité pour la réforme des collectivités locales », discours du 22 octobre 2008, Paris, http://discours.vie-publique.fr/notices/087003286.html

2 Le rapport Attali paru au début de la même année allait déjà dans ce sens. Dans son chapitre 3 il est ainsi question de la « nécessaire restructuration de nos collectivités territoriales autour de régions fortes et peu nombreuses » (Attali J., 2008, Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, XO Editions, La Documentation française, p. 195)

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Voir 1.2.2.2.a. Des réformes inspirées par un mythe rationnel managérial, p. 32

6 Vanier M., 2009, « Les propositions du Comité pour la réforme des collectivités locales : « bling blang » territorial ? », Géoconfluences, en ligne, consulté le 29/05/2018, mis en ligne le 02/04/2009,

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutViv2.htm

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attachées à des territoires d’importance inégale, le découpage des régions leur permette de mieux prendre rang dans l’ensemble européen des régions.1

C’est donc une « taille critique » en matière démographique qui est ici visée. Le fait de disposer d’une masse de population suffisante permettrait ainsi, mécaniquement, de leur donner « force et vigueur ». L’objectif final serait de leur donner une meilleure place « dans l’ensemble européen des régions ». L’expression de cette croyance, qui relève du big is beautiful, n’est pas plus argumentée que dans le discours présidentiel2. La question identitaire est évoquée pour être mieux évacuée. Les périmètres étant « contestables et contestés » et les identités « attachées à des territoires d’importance inégale », le redécoupage ne devrait pas poser de trop grandes difficultés. On retrouve le couple dynamique reliant revendications identitaires et rationalité économique (Figure 5) en toile de fond.

Les justifications sont globalement les mêmes lors de l’annonce de la fusion régionale de 2014. En revanche, la méthode préconisée change radicalement. Le rapport Balladur recommande en effet de laisser délibérer les collectivités régionales et départementales. Il est même évoqué la possibilité d’un recours au référendum.

Pour faciliter les regroupements de régions, il est proposé de simplifier la législation en prévoyant que suffiront, dans les régions qui le souhaitent, soit l’assentiment des conseils régionaux, soit un référendum. Pour les modifications des limites des régions, il est proposé que le vote du Parlement ne soit plus requis mais que suffisent les délibérations concordantes des régions et départements concernés, assorti d’un avis favorable des conseils généraux des départements de chaque région.3

Ces orientations seront retenues par le Président de la République qui, dans son discours à l’occasion de la remise du rapport, affirme vouloir :

Encourager - sur une base volontaire - la fusion de départements et de régions, car notre découpage administratif, hérité de l'histoire, passe parfois à côté de certaines synergies, et surtout certaines de nos régions sont à l'évidence trop petites pour porter les politiques économiques dynamiques dont nous avons besoin.4

La notion d’évidence apparaît ici de façon explicite. Si le gouvernement ne parvient pas à mettre en place une telle réforme durant le mandat de Nicolas Sarkozy, il reste que la question de la fusion régionale est mise à l’agenda politique et soulève des débats que l’on retrouve dans la presse, chez certains élus et chez quelques géographes.

1 Ibid. pp. 67-68

2 Elle est également présente dans les observations personnelles de Pierre Mauroy et André Vallini en fin de rapport : « Ces dispositions vont permettre la nécessaire montée en puissance des régions françaises à la hauteur des grandes régions européennes, interlocutrices privilégiées de l’Etat et de l’Union européenne » (Ibid. p. 130)

3 Ibid. p. 121

4 Sarkozy N., 2009, « Remise du rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales », discours du 5 mars 2009, Paris, http://discours.vie-publique.fr/notices/097000696.html

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Suite au rapport Balladur, et alors que celui-ci ne contient aucune précision sur l’éventuel découpage souhaité, plusieurs journaux diffusent des cartes. C’est le cas des titres,

Le Figaro, Le Télégramme de Brest et Libération avec des propositions de découpages variant

entre 15 et 17 régions1 (Figure 7). On note la volonté de prendre les départements et non les régions comme base du redécoupage. Ainsi, certaines d’entre elles se verraient divisées au profit de leurs voisines comme la Picardie ou le Poitou-Charentes.

Figure 7 : La carte des régions proposée par Le Figaro Source : Le Figaro2

Le dernier chapitre de l’ouvrage de Jean-Marie Miossec propose également un redécoupage régional (Figure 8). L’année de parution, 2008, peut toutefois faire douter de l’influence du rapport Attali. Ces propositions témoignent encore une fois de l’actualité nouvelle de la question. On note cette fois que même le cadre départemental n’est pas intangible puisque l’auteur n’hésite pas à en diviser certains comme l’Aveyron, l’Aisne ou la Haute-Loire. 1 Brennetot A., De Ruffray S., 2014, op. cit.

2 LeFigaro.fr, « Le comité Balladur dessine la France de 2014 », publié le 26 février 2009, en ligne,

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Enfin, en juin 2013, Jean-Christophe Fromantin, député des Hauts-de-Seine, propose, avec son parti « Territoires en mouvement », une nouvelle carte régionale (Figure 9).

Figure 8 : La carte des Régions proposée par Jean-Marie Miossec Source : Miossec J.-M., 20081

Figure 9 : La carte proposée par le parti "Territoires en Mouvement" Source : Fromantin.com2

1 J.-M. Miossec, 2008, op. cit., pp. 460-461

2 Fromantin.com, blog politique, en ligne, consulté le 29/05/2018, publié le 21 janvier 2014,

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De ces trois propositions on peut retenir quelques points convergents :

1. Une réduction du nombre de région métropolitaines (nombre variant de 8 à 17). 2. La souplesse du découpage, les régions ne sont pas découpées en bloc, les départements peuvent en être détachés. La proposition du géographe envisage même la scission de certains départements (Aude, Aveyron, Haute-Loire, Charente, Aisne).

3. Le choix récurrent de certaines capitales régionales : Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Marseille, Strasbourg.

4. Une extension de l’Ile-de-France qui va de l’adjonction d’un département (l’Oise) à un ensemble de quatorze départements !

5. Certaines villes ne sont jamais associées. C’est le cas de Toulouse et Montpellier ou de Reims et Strasbourg

La fusion régionale décidée en 2014 ne respecte que les points 1 et 3 de cette liste. Si elle reprend la plupart des objectifs cités à l’occasion du rapport Balladur, la méthode employée est beaucoup moins consensuelle.

1.2.2 « Je propose de réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone »1

C’est le 14 janvier, à l’occasion de l’annonce de la feuille de route du gouvernement pour 2014 que François Hollande annonce vouloir procéder à une réduction du nombre de régions. On y trouve un certain laconisme qui place cette réforme sous le signe de l’évidence : « « Les collectivités seront également incitées et invitées à se rapprocher. Les régions d’abord, dont le nombre peut aussi évoluer. Il n’y a pas de raison à ce qu’il soit le même dans quelques années, par rapport à aujourd’hui »2.

Le Président s’est vraisemblablement appuyé sur un autre rapport, présenté au Sénat le 8 octobre 2013 : le « Rapport sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République » de Yves Krattinger3. Sa deuxième partie s’intitule « des régions plus fortes, plus étendues ». L’exemple de la Bourgogne est cité : ses limites territoriales « ne sont pas en cohérence avec les problématiques posées par le territoire »4. Le changement de taille des régions et la réduction 1 Valls E., 2014, « Déclaration de politique générale du Premier Ministre », discours du 8 avril 2014, Paris,

http://discours.vie-publique.fr/notices/143000798.html

2 Hollande F., 2014, « Feuille de route du gouvernement pour 2014 », discours du 14 janvier 2014, Paris,

http://discours.vie-publique.fr/notices/147000102.html

3 Krattinger Y., 2013, Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur l’avenir de

l’organisation décentralisée de la République », Rapport adopté le 8 octobre 2013, 121p

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de leur nombre, entre huit et dix, doivent permettre de les « adapter aux enjeux de concurrence territoriale », de « conduire des politiques d’investissement préparant les territoires aux enjeux stratégiques de demain » ou de « créer des communautés d’intérêts stratégiques ». Elles auraient ainsi « une réelle vocation d’aménagement du territoire ». Il y est toutefois mentionné que « la puissance économique d’une région n’est pas liée à sa démographie ou à sa superficie mais repose sur les compétences exercées et les moyens dont elle dispose »1.

C’est donc en partie sur ce rapport que s’appuie la volonté du gouvernement de réformer les périmètres régionaux. Il faut par la suite attendre la déclaration de politique générale de Manuel Valls le 8 avril 2014 de la même année pour que soit confirmée la volonté présidentielle.

Nos régions doivent disposer d'une taille critique. Ainsi elles auront tous les leviers, toutes les compétences, pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales.2

On retrouve la rhétorique de la taille critique. Par ailleurs une confusion est entretenue entre l’élargissement du périmètre régional et l’attribution de nouvelles compétences. Dans sa tribune parue dans la presse régionale le 3 juin 2014, François Hollande réaffirme la capacité de l’élargissement des régions à les renforcer de facto en leur donnant une dimension européenne. C’est aussi le cas de Manuel Valls lors de son discours au Sénat sur la réforme territoriale :

[Les régions] sont à l’étroit dans des espaces qui sont hérités de découpages administratifs remontant au milieu des années soixante. […] Pour les renforcer je propose de ramener leur nombre de 22 à 14. Elles seront ainsi de taille européenne et capables de bâtir des stratégies territoriales.3

C’est également à ce moment-là que la question du découpage lui-même est abordé et qu’une première carte est définie. Comme le dira par la suite Vincent Feltesse, un conseiller du Président, c’est suite à cette tribune « qu’un petit cauchemar débuta »4. Ce cauchemar est lié à l’arbitrage des regroupements à effectuer.

1 Ibid. p. 21

2 Valls E., 2014, op. cit.

3 Hollande F., 2014, « Réformer les territoires pour réformer la France », Tribune parue le 3 juin 2014 dans la presse régionale, http://discours.vie-publique.fr/notices/147001226.html

4 Feltesse V., 2018, Et si tout s’était passé autrement. Chronique secrète de l’Elysée sous François Hollande, Plon, p. 59

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