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de la fusion territoriale

1.1. Les dictionnaires usuels

La notion de fusion étant peu présente dans les dictionnaires de géographie, l’analyse des dictionnaires dits « usuels » est apparue comme une étape incontournable afin d’avoir une vision « élargie » de cette notion. Les dictionnaires mobilisés regroupent aussi bien des formats en ligne1 que des formats papier2. Des rapprochements réguliers avec la dimension territoriale que peut prendre la fusion sont établis afin de rester au plus près de notre sujet.

1.1.1 Définir la fusion

Fusion nucléaire, fusion régionale, couple fusionnel, fusion-acquisition, point de fusion … Utilisée comme nom ou comme adjectif, la fusion renvoie à une très grande diversité de domaines parmi lesquels il n’est pas toujours évident de trouver un dénominateur commun.

Le mot « fusion » vient du latin fusio et du verbe fundere, « fondre ». L’ensemble des dictionnaires distingue plusieurs sens. Le sens premier relève d’un phénomène naturel, propre 1 Le Larousse.fr, www.Larousse.fr (consulté le 17 janvier 2018) ; Le Centre National de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), www.Cntrl.fr (consulté le 17 janvier 2018) ; Wikipédia, www.wikipédia.org (consulté le 17 janvier 2018)

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au domaine de la chimie, il s’agit du « passage d’un corps de l’état solide à l’état liquide sous l’action de la chaleur », formule reprise telle quelle par les trois dictionnaires papiers. Un exemple récurrent est celui de la fonte de glaçons dans un verre d’eau. La fusion est donc un moment, celui du changement d’état d’un corps physique. On dit ainsi que le « point de fusion » de l’eau est 0°C. A partir de l’exemple des glaçons, contrairement à des synonymes, comme « groupement », « réunion » ou « assemblage », on peut considérer que la fusion se caractérise par un processus de rapprochement dont la particularité serait d’être irréversible. On note d’ailleurs que pour un grand nombre de ces synonymes il existe des antonymes qui se forment par l’ajout d’un préfixe à fonction privative : « désintégration », « désunion », « désassemblage » ou « dégroupement », ce qui n’est pas le cas de la fusion.

La fusion a également un sens figuré dérivé de son sens premier. Ce qui distingue la fusion de ces synonymes serait alors un degré d’intensité plus élevé. On le retrouve dans les définitions suivantes.

2. Fig. Réunion, combinaison étroite de deux éléments, de deux groupes. (Le Petit Larousse) 3. Union d’éléments distincts en un tout homogène (Dictionnaire Hachette)

II. FIG. Union intime résultant de la combinaison ou de l’interpénétration d’êtres ou de choses (Le Petit Robert)

3. Union étroite et intime (Larousse.fr)

2. Au fig. Combinaison, mélange intime de deux éléments (Cntrl.fr)1

On retrouve dans ces définitions l’emploi de nombreux noms de sens proche : réunion, combinaison, union, interpénétration, mélange. Cependant, l’emploi de ces synonymes n’est jamais suffisant et nécessite systématiquement l’emploi d’adjectifs renforçant leur intensité : « intime » à trois reprises, et « étroite » par deux fois. Quand ce n’est pas un adjectif qui précise le sens, c’est un groupe prépositionnel comme dans la définition du dictionnaire Hachette : « en un tout homogène ». La fusion apparaît donc comme une union ou un mélange dont le degré d’intensité est très élevé. Dans l’absolu, les deux corps se « fondant » l’un dans l’autre, le résultat produit un nouvel élément « homogène » où on ne distingue plus les entités précédentes, à l’image des glaçons fondus dans le verre d’eau.

A la distinction entre le sens propre et le sens figuré s’ajoutent dans la plupart des dictionnaires des définitions relatives à des domaines plus spécifiques. On retiendra ici les

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domaines juridico-économique et de la physique. Le second domaine est systématiquement mentionné alors que le premier ne l’est qu’à trois reprises. Le domaine juridico-économique constitue celui qui est le plus directement en lien avec la fusion régionale.

ECON. Opération juridique consistant à regrouper plusieurs sociétés en une seule (Cntrl.fr) Droit. Regroupement de deux ou plusieurs sociétés indépendantes en une société nouvelle réunissant les biens sociaux des sociétés d’origine. (On distingue la fusion, la scission, la fusion-absorption et la fusion-scission.) (Larousse.fr)

Fusion de société : procédé de regroupement des sociétés consistant pour une ou plusieurs d’entre elles à se faire absorber par une autre (fusion-absorption) ou à en constituer une nouvelle (fusion par création de société nouvelle) avant de se dissoudre (Le Petit Larousse)

Comme le précise le CNTRL1, la fusion peut donc être une opération juridique. C’est d’ailleurs le cas de la fusion régionale. Les sociétés sont alors « simplement » remplacées par des collectivités territoriales. Les définitions précédentes précisent qu’il existe plusieurs types de fusions quand il s’agit de sociétés. La fusion-absorption correspond ici peu aux définitions que nous avons étudiées jusque-là puisqu’elle n’implique pas la disparition des deux sociétés précédentes pour en former une nouvelle. Elle distingue une société absorbante et une société absorbée. Seule une entité disparaît dans le processus. La fusion « simple » ou « fusion par création de société nouvelle » en revanche renvoie bien au processus chimique. La fusion serait donc une opération qui peut prendre plusieurs formes et ainsi donner lieu à une véritable typologie dans le domaine juridico-économique. Dans le domaine de la physique, la définition du CNTRL est celle qui se montre la plus précise. On y retrouve l’idée d’une recomposition des deux éléments initiaux.

PHYS. NUCL. La fusion nucléaire est une réaction nucléaire résultant d’une collision entre deux noyaux atomiques légers suivie d’un réarrangement des particules (neutrons et protons) qui les constituent, entraînant un dégagement important d’énergie (Cntrl.fr).

Cette définition du CNTRL invite à questionner les conséquences de cette fusion, sur le changement qui s’opère dans la matière. Ainsi, il est possible de se demander si, à l’image de la réorganisation des neutrons et des protons, la fusion, quand elle est territoriale, produit une redistribution des centralités et des périphéries, des hiérarchies urbaines et du positionnement des territoires au sein du nouvel ensemble. Si la fusion est un instant « t » qui marque la rupture entre un état antérieur et un état postérieur, elle implique aussi un « réarrangement des

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particules » qui s’inscrit dans une nouvelle temporalité, plus longue. Cet aspect se rencontre également dans l’approche de la fusion en tant que processus métallurgique.

Métallurgie. Dans les fonderies, temps nécessaire pour fondre une quantité déterminée de matière (Larousse.fr).

La fusion n’est donc plus ici conçue comme un instant « t » mais comme un processus caractérisé par une durée. Contrairement à l’approche juridique, la fusion n’est donc pas forcément instantanée. Cette approche par la métallurgie est déjà attestée par l’étymologie latine du mot, « fusio », qui avait déjà le sens de « fonte des métaux ». Néanmoins, en latin, fusio signifiait également « l’action de répandre » ou la « diffusion »1. Cette action de répandre peut alors être rapprochée du processus de conquête territoriale comme celle consistant à intégrer de nouveaux espaces au sein d’un empire. Enfin, la fusion métallurgique dépend de la quantité de matière. En filant la métaphore avec la fusion territoriale, on peut alors se demander si les fusions territoriales ne sont pas d’autant plus longues à devenir effectives que les différentes entités sont imposantes et hétérogènes. On peut d’ailleurs douter que les entités territoriales atteignent jamais une fusion totale comme en témoigne la persistance de « frontières fantômes ». Ces dernières tiennent plus de la discontinuité que de la frontière et sont franchies sans transgression. Elles caractérisent « les traces laissées dans les sociétés contemporaines par des territorialisations défuntes »2.

Si plusieurs aspects de ces définitions peuvent apparaître anecdotiques (fusion nucléaire, métallurgique), ils enrichissent toutefois l’appréhension de cette notion complexe en lui conférant un arrière-plan plus large. A l’issue de cette première approche, plusieurs éléments doivent être soulignés :

- 1. La fusion comme opération instantanée est une forme de rapprochement caractérisée par son intensité et par son irréversibilité. Ses effets entraînent des recompositions qui s’inscrivent dans une temporalité plus longue.

- 2. La fusion peut aussi être appréhendée en tant que processus. Elle peut alors faire l’objet d’une typologie établie à partir de son intensité, de sa temporalité ou du rôle plus ou moins prépondérant que les entités fusionnantes prennent dans la fusion.

1 CNRTL, op. cit.

2 Von Hirschhausen B., 2017, « De l’intérêt heuristique du concept de « fantôme géographique » pour penser les régionalisations culturelles, L’Espace géographique, n°46, pp. 106-125

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1.1.2 Le champ lexical de la fusion

Une des principales difficultés que pose l’approche de cette notion est le foisonnement de synonymes, de termes au sens plus ou moins proche. L’emploi de telle ou telle notion dans le langage courant, les médias et même la production scientifique n’est pas sans poser d’importantes difficultés sémantiques. Avant d’aborder le registre de son appréhension par les sciences humaines et sociales, une première tentative de classification de ce champ lexical très large a été établie.

Afin de mieux cerner le sens de la notion de fusion au sein de son champ lexical un classement systématique de vingt synonymes a été entrepris (Tableau 2). Les définitions que donne le dictionnaire en ligne Larousse.fr ont servi de base à ce classement.

Intensité Hiérarchisation Disparition Catégorie

Absorption ++ Oui Oui Intégration

Alliance - Non Non Union

Annexion ++ Oui Oui Intégration

Assemblage + Non Non Réunion

Assimilation - Oui Oui Intégration

Amalgame -- Non Non Mélange

Association - Non Non Réunion

Combinaison - Non Non Réunion

Concentration - Non Non Réunion

Groupement -- Non Non Réunion

Insertion + Oui Non Intégration

Intégration + Oui Oui Fusion

Jonction + Non Non Union

Mélange + Non Oui Réunion

Rapprochement -- Non Non Relation

Rattachement + Oui Oui Union

Réunion + Non Non Rassemblement

Symbiose ++ Non Non Relation

Union + Non Non Relation

Tableau 2 : Etude du champ lexical de la fusion Source : auteur

Le terme de « rapprochement » est retenu pour englober de façon très large ce champ lexical. Après avoir répertorié ces définitions, plusieurs critères ont été établis afin de classer ces différents noms :

- L’intensité : elle traduit l’étroitesse de la relation entre les entités rapprochées et peut s’apprécier par la violence ou par le degré d’irréversibilité du processus.

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- La hiérarchisation : elle permet de classer de façon binaire les termes selon qu’ils impliquent ou non une hiérarchie entre les entités rapprochées. Ainsi, le « rattachement » implique la distinction entre un élément rattacheur et un élément rattaché alors qu’une telle distinction ne peut pas être établie dans le cas d’une union. - La disparition : elle implique que les entités rapprochées cessent d’être autonomes une

fois le rapprochement effectué.

- La catégorie : il s’agit du nom de sens proche qui apparaît dans la définition du mot. On constate ainsi que plusieurs mots reviennent de façon récurrente.

A partir de ce travail de classement, on peut établir une distinction forte entre les termes qui hiérarchisent les entités et les autres. Ces termes impliquent souvent la disparition des entités et se rapprochent de la notion « d’intégration ». A l’inverse, pour les termes qui n’impliquent pas de hiérarchisation, les entités ne disparaissent pas. Il s’agit d’une forme proche de l’union/réunion (Figure 3). Une troisième catégorie renvoie à des termes qui apparaissent plus problématiques. Il s’agit des notions rattachées aux catégories de « relation », de « rassemblement » ou de « fusion ». Ce sont pour la plupart des notions plus englobantes comme le rapprochement, l’union, la réunion et l’intégration. Le terme de « symbiose » est lui plus original. Comme le terme de fusion il suppose une certaine égalité dans la relation entre les entités et une intensité très forte de cette relation mais, contrairement à lui, il n’implique pas la disparition des anciennes entités qui sont pourtant interdépendantes. L’originalité de la notion de fusion vis-à-vis de ces synonymes est liée à l’intensité du processus qui relève d’un rapprochement maximal et qui implique leur disparition. Ce dernier point distingue la fusion des processus « d’union » et la rapproche de la catégorie des phénomènes « d’intégration ». C’est en revanche l’absence de hiérarchie supposée dans le processus qui la singularise de la catégorie « intégration ». Cette hiérarchisation est une caractéristique de l’ensemble des processus d’union. En dehors de son aspect juridique de fusion-absorption, la fusion n’établit pas une telle hiérarchie préalable.

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Figure 3 : La fusion et ses synonymes Source : auteur

La figure ci-dessus (Figure 3) propose un classement selon deux axes. L’axe des ordonnés est un gradient d’intensité. Il comporte des seuils dont le plus important est celui de la disparition des anciennes entités. La présence de ce seuil explique que la notion de « symbiose » soit placée en dessous d’une notion comme celle de « mélange » alors qu’elle suggère une union plus étroite et intime des éléments. La plupart des synonymes peuvent ensuite être classés selon le degré d’intensité de relation qu’ils supposent, la notion de « juxtaposition » faisant office de limite basse. L’axe des abscisses trie les mots selon le degré de dissymétrie du processus. La plupart des notions de la catégorie « union » ne suggèrent aucune hiérarchisation. La notion « d’amalgame » suppose quant à elle une certaine disparité entre les entités. Le cas du « rattachement » est intermédiaire. Une fusion peut être considérée comme un rapprochement réciproque alors qu’une annexion peut être vue comme le rattachement d’une entité annexée à une entité conquérante. Ce classement renforce les conclusions de la sous-section précédente et permet de préciser le premier point.

- 1. La fusion comme opération instantanée est une forme de rapprochement caractérisée par une forme d’irréversibilité. Ses effets entraînent des recompositions qui s’inscrivent dans une temporalité plus longue. Elle n’établit pas de hiérarchie entre les entités

fusionnantes.

- 2. La fusion peut aussi être appréhendée en tant que processus. Elle peut alors faire l’objet d’une typologie qui peut être établie à partir de son intensité, de sa temporalité

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ou du rôle plus ou moins prépondérant que les entités fusionnantes prennent dans la fusion.

Maintenant qu’ont été établies ces grandes catégories à partir des dictionnaires usuels, elles vont être confrontées à leur emploi dans les sciences humaines et sociales et plus particulièrement en géographie. L’objectif est de déterminer si des distinctions similaires existent et, si c’est le cas, en quoi elles peuvent entrer en résonnance ou en contradiction avec nos analyses.