• Aucun résultat trouvé

de la fusion territoriale

1.2. Les dictionnaires de géographie

Après cette première approche lexicologique, les entrées pour les notions d’union, d’intégration et de fusion ont été recherchées dans les principaux dictionnaires de géographie et d’urbanisme et aménagement à notre disposition1.

1.2.1 La fusion dans les dictionnaires de géographie

Dictionnaires de géographie Fusion Union Intégration

Bavoux J-J., Chapelon L., Dictionnaire d’analyse spatiale X X X

Brunet R., Les mots de la géographie X X

Castree N., et al., Oxford dictionary of human Geography X

Desse R-P., et al., Dictionnaire du commerce et de l’aménagement Emelianoff C., et al., Dictionnaire de l’aménagement du territoire

George P. Verger F., Dictionnaire de la géographie X

Gregory D., et al., The dictionary of human geography X

Hypergéo, http://www.hypergeo.eu/

Lacoste Y., De la géopolitique aux paysages X

Lévy J., Lussault M., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés X

Merlin P., Choay F., Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement X2 X Tableau 3 : Le référencement des concepts dans les dictionnaires de géographie

Source : auteur

1 Bavoux J.-J., Chapelon L., 2014, Dictionnaire d’analyse spatiale, Armand Colin, Paris, 608p ; Brunet R. (dir.), 1993 (1992), Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, La Documentation Française, Paris, 518p ; Castree N., Kitchin R., Rogers A., 2013, Oxford dictionary of human geography, Oxford University Press, 572p ; Gregory D. et al., 2013, The dictionary of human geography, Wiley-Blackwell, 1052p ; Desse R.-P. et al., 2008,

Dictionnaire du commerce et de l’aménagement, Presses Universitaires de Rennes, 355p ; Emelianoff C. et al.,

2009, Dictionnaire de l’aménagement du territoire. Etat des lieux et prospective, Belin, 317p ; George P., Verger F., 2013 (1970), Dictionnaire de la géographie, Presses Universitaires de France, Paris, 478p ; Hypergéo, en ligne,

http://www.hypergeo.eu/, consulté le 9 février 2018 ; Lacoste Y., 2009 (2003), De la géopolitique aux paysages :

dictionnaire de la géographie, Armand Colin, Paris, 413p ; Lévy J., Lussault M., 2013, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Editions Belin, 1127p ; Merlin P., Choay F., 2015 (1998), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Presses Universitaires de France, 839p

52

L’étude des dictionnaires de géographie fait ressortir (Tableau 3) que si la notion d’intégration apparaît comme une notion incontournable en géographie, le concept de fusion est beaucoup moins présent mais n’est toutefois pas complètement absent.

Les définitions proposées par Les mots de la géographie et par le Dictionnaire d’analyse

spatiale présentent des approches différentes.

Les mots de la géographie : [Fusion] réunion de deux territoires, de deux mailles, soit par décision, soit par le rapprochement1 de deux systèmes spatiaux. Les fusions délibérées sont fréquentes : les fédérations, les confédérations, sont des formes de fusions ; il y a eu de nombreuses tentatives de fusion entre certains pays arabes ; l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est semblent avoir fusionné en 1990, mais c’est bien plutôt une absorption ; les fusions de communes ont peu de succès en France, en raison de l’attachement aux fonctions édilitaires et de la crainte, précisément, que la fusion n’apparaisse comme une absorption. Les fusions systémiques sont affaire d’observation et d’appréciation ; elles se produisent lorsque certains groupes n’ont plus une masse suffisante pour assurer leur survie, ou par conquête ou rapt, laquelle passe éventuellement par la soumission et même l’esclavage ; lorsque certains systèmes géographiques sont affaiblis et d’autres, qui sont plus ou moins directement voisins, suffisamment conquérants ; ou lorsque deux systèmes s’avèrent complémentaires.

Dictionnaire d’analyse spatiale : [Fusion] phénomène par lequel plusieurs éléments se mélangent pour former un tout. Les deux verbes fusionner et se fondre évoquent le même processus d’union intime de plusieurs choses qui se dissipent et disparaissent plus ou moins pour constituer une seule entité. La fusion est un mélange, la mixture de plusieurs substances, un mariage qui atteint difficilement l’harmonie parce qu’il mêle, entremêle et enchevêtre, c’est-à-dire associe des ingrédients différents, inégaux et composites, sans les ordonner, dans la confusion, avec le risque de n’aboutir qu’à un fouillis ou un capharnaüm. Un mélange n’est ni net ni pur, mais brouillé et embrouillé. Pourtant la marche du monde et la production de son espace se font toujours avec des brassages, en opérant sans cesse de nouveaux métissages ethniques, de fructueuses interpénétrations culturelles, de subtils syncrétismes religieux. Les hybridations, croisements entre des éléments appartenant à des genres, des variétés, des substances différentes, constituent un mécanisme banal. Elles sont notamment omniprésentes dans les processus de mondialisation à travers le jeu local/global ; un établissement installé par une firme multinationale, par exemple, doit mêler subtilement les caractéristiques générales de l’entreprise et les adaptations aux données locales qui vont permettre l’implant in situ. L’hybridité caractérise donc nombre d’objets géographiques qui combinent des composants divers, naturellement ou artificiellement réunis, participent de plusieurs ensembles et de trajectoires multiples, et conservent parfois longtemps certains caractères génétiques de leurs « parents » identitaires, ethniques, etc. Finalement, dans ces rapports de forces, qu’il s’agisse d’entreprises ou de groupes humains, soit, il y absorption (et l’entité absorbante demeure), soit il y a un processus fusionnel (et naissance d’une nouvelle entité).

On retient d’abord de la définition du dictionnaire dirigé par Roger Brunet la distinction établie entre les fusions « délibérées » qualifiées aussi de « fusions par décision » et celles qui sont « systémiques » ou appelées « fusions par rapprochement ».

53

La fusion délibérée renvoie à la fusion en tant qu’opération instantanée. On note l’acception très large des territoires pouvant fusionner. Il s’agit aussi bien d’Etats souverains que de communes. Cette première forme repose sur une intentionnalité forte, elle est issue d’une décision qui conduit à réunir deux territoires qui peuvent être très hétérogènes voire non contigus1. Les exemples de l’Allemagne et des pays arabes reposent néanmoins sur l’idée d’une unité passée qu’il s’agit de reconstituer. Les processus de fusions communales soulèvent des enjeux bien différents2. Cette fusion est donc validée par un acte juridique, qu’il s’agisse d’une constitution ou d’une simple loi.

La fusion systémique se rattache à l’idée de fusion comme processus. Elle est ainsi plus subjective, « affaire d’observation et d’appréciation » et n’est pas toujours le résultat d’une décision mais résulte d’un rapport de forces ou d’un constat. Cette définition évasive permet ainsi d’englober de nombreuses formes de fusion. Toutefois, l’usage de l’adjectif « systémique » peut prêter à confusion (voir I.1.3). Les deux premières modalités décrites correspondent à un phénomène d’annexion, celui d’un territoire affaibli par un territoire plus fort. Cette forme de fusion est donc le produit d’une conquête qui peut être violente. La troisième modalité, « lorsque deux systèmes s’avèrent complémentaires », s’attacherait à une forme plus équilibrée de rapprochement. On peut enfin noter qu’une fusion délibérée entraîne une fusion systémique de fait comme le montre le cas de la réunification de l’Allemagne. Ici, l’auteur relève toutefois la faiblesse de cette fusion systémique qui s’apparente plus à une absorption.

Le Dictionnaire d’analyse spatiale n’aborde la fusion qu’à partir de l’idée d’un

processus qui est donc proche d’une « fusion systémique ». Le groupe adverbial d’intensité « plus ou moins » qualifiant le degré de disparition des éléments fusionnés et la métaphore du « mariage qui atteint difficilement l’harmonie » impliquent cette dimension processuelle. L’usage de l’adverbe « finalement » en fin de définition entre aussi dans cette logique. La finalité de la fusion serait ainsi l’absorption ou le « processus fusionnel ». Elle recoupe la différence établie entre « intégration » et « fusion » (figure 3). L’absorption est une forme d’intégration où une entité est à l’origine de la fusion et demeure à l’issue du processus. Elle se traduit par la disparition des entités absorbées et le maintien de l’entité absorbante. Le processus fusionnel quant à lui se caractérise par l’indistinction entre les entités fusionnantes qui donne lieu à une entité nouvelle. Néanmoins, comme le rappelle la partie précédente de la définition,

1 C’est le cas de la fusion de l’Egypte et de la Syrie au sein de la République Arabe Unie entre 1958 et 1961

54

il s’agit davantage d’un gradient sur lequel s’apprécie la qualité de la fusion, gradient qui va de la « mixture » au « mariage », du « capharnaüm » aux « subtils syncrétismes ». La mondialisation y apparaît comme l’un des moteurs principaux de ce phénomène que les auteurs qualifient de banal et qu’ils élargissent finalement à la notion d’hybridité. Processus fusionnel et absorption seraient ainsi les deux principales trajectoires que peuvent prendre des territoires qui connaissent un rapprochement.

La notion de fusion est donc peu présente dans les dictionnaires de géographie avec seulement deux occurrences dans les ouvrages consultés. Ces dernières traduisent une certaine difficulté à circonscrire ce phénomène qui empiète sur d’autres notions et notamment celle d’intégration qui nécessite un éclaircissement.

1.2.2 La fusion, une forme particulière d’intégration ?

Contrairement à la fusion, l’intégration est un concept très présent en géographie au point de posséder une entrée dans la quasi-totalité des dictionnaires1 (Tableau 3). A la lecture de ces définitions, on peut établir un premier constat, celui de la polysémie de cette notion. Ainsi, on évacuera les acceptions portant sur l’intégration sociale2 et sur l’intégration relative aux entreprises3. On relève aussi de façon récurrente la mention de formes de coopérations interétatiques dont l’Union Européenne est le plus souvent citée en exemple. Plusieurs dictionnaires se limitent pourtant à ces aspects-là4 de l’intégration alors que d’autres proposent une approche plus englobante. Parmi ces derniers, on peut citer les extraits suivants :

The creation and maintenance of intense and diverse patterns of interaction and control between formerly more or less separate social spaces […] It takes place in different registers – economic, political and cultural – and so is an inherently uneven process. […] Historicaly, colonialism and imperialism have been powerful vehicles of integration, although the processes were highly asymmetric and shot through with differentials of power and profit5. Incorporation complexe d’une réalité dans une autre. […] La notion d’intégration peut être utilisée chaque fois que la rencontre entre deux réalités distinctes donne lieu à un mélange dissymétrique (intégration n’est pas fusion) produisant une nouvelle réalité6.

1 Seuls les dictionnaires se bornant à des champs plus spécifiques, et notamment à l’aménagement, ne possèdent pas cette entrée.

2 C’est-à-dire la question de la place des étrangers dans une société d’accueil

3 Elle est qualifiée d’industrielle, de technique ou de financière selon les dictionnaires. Le Oxford Dictionary of

human geography distingue d’ailleurs deux entrées : integration (economic) et integration (social)

4 Lacoste Y., 2009, op. cit. ; Merlin P., Choay F., 2015, op. cit. ; George P., Verger F., 2013, op. cit. ; Castree N.,

et al., 2013, op. cit.

5 Gregory D. et al., 2013, op. cit.

55

Ces deux définitions mettent en avant l’idée d’une « incorporation » inégale entre deux entités jusque-là « séparées » ou « distinctes ». En effet, la seconde évoque un « mélange dissymétrique » et la première mentionne « an inherently uneven process1 » et prend pour exemple l’impérialisme et le colonialisme, les qualifiant de « highly asymmetric2 ». Cette inégalité dans la relation entre les entités rapproche le processus d’intégration du principe de l’annexion. On note que pour le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés3,

« intégration n’est pas fusion » alors même qu’elle doit produire une réalité nouvelle.

D’autres définitions s’intéressent à la qualité du processus intégratif. La qualité de ce mélange peut être évaluée sur un plan économique, politique ou culturel. Certains dictionnaires proposent des moyens de mesurer le degré d’intégration d’un ensemble :

L’intégration géographique se mesure à la relation des lieux, entre eux ou par l’intermédiaire d’un chef-lieu ; un espace mal intégré est un espace dont les liens fonctionnent mal, dont les parties ont éventuellement plus de relations avec l’extérieur qu’entre elles.4

La qualité du processus intégratif au sein d’un système spatial dépend de sa capacité à intensifier l’interdépendance des sous-systèmes spatiaux et l’homogénéité globale afin d’éviter la désintégration : c’est tout l’enjeu évolutif, par exemple, des périphéries intégrées.5

A travers ces deux remarques, on peut considérer que l’intensité de l’intégration peut s’étudier par l’analyse des flux, qu’il s’agisse de personnes, de marchandises, de capitaux ou d’informations. Deux éléments peuvent alors contrarier l’intégration territoriale : l’importance des relations vers l’extérieur du territoire et une dissymétrie dans les relations entre les anciennes entités fusionnées. Il s’agit là d’une analyse d’ordre géographique qui repose sur la définition de centralités (ce que peut être le chef-lieu), de périphéries intégrées6 ou délaissées. Cette typologie peut être aujourd’hui enrichie par une nouvelle catégorie, celle de la marge (voir Chapitre VIII.3). C’est bien cette grille de lecture que nous chercherons à appliquer à nos terrains d’étude.

1 Un processus intrinsèquement inégal

2 Fortement asymétrique

3 Ibid.

4 Brunet R., 1993, op. cit.

5 Bavoux J.-J., Chapelon L., 2014, op. cit.

6 Reynaud A., 1981, Société, espace et justice : inégalités régionales et justice socio-spatiale, Presses Universitaires de France, 266p

56