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Des caractéristiques matérielles sources de contraintes pour l’action publique ? François Caron rappelle que lors de la création des infrastructures ferroviaires en France,

matériels et institutionnels

Encart 8 : L'étoile, l'arête et le ruban

1.2. Des caractéristiques matérielles sources de contraintes pour l’action publique ? François Caron rappelle que lors de la création des infrastructures ferroviaires en France,

ses caractéristiques techniques, loin d’être standardisées, constituaient une mosaïque de solutions qui s’adaptaient le mieux possible aux contraintes locales. Cette diversité dans la réalisation des travaux était même devenue une doctrine à laquelle s’ajoutait « le goût du beau et du grandiose dans la réalisation des travaux d’art sur des lignes dont le trafic prévisible était limité ». En Occitanie, la ligne reliant Villefranche-Vernet-les-Bains à Latour-de-Carol en est un exemple éloquent. Ces prouesses entraînent aujourd’hui des coûts d’entretien très importants liés à la grande diversité des techniques employées.

Du fait des contraintes liées aux pentes et aux rayons de courbure, les coûts de construction d’une ligne peuvent énormément varier selon les réalités topographiques rencontrées. Pour franchir des zones de reliefs de nombreux ouvrages d’art vont alors être nécessaires. Les réseaux de la Compagnie du Midi et du PO s’inscrivent pour une grande partie dans des zones montagneuses qui ont nécessité de très forts investissements. De plus, les faibles perspectives de trafic liées à la faible industrialisation de ces régions, aux distances importantes et aux forts contrastes de densité, ont poussé les grandes compagnies à innover dans l’infrastructure pour réduire les coûts d’exploitation1.

Aussi, beaucoup de lignes ont été construites à l’économie, privilégiant les voies uniques et un armement léger. Il en résulte de fortes contraintes en termes d’exploitation puisque les possibilités de croisement y sont réduites. En Midi-Pyrénées, 70% du réseau est ainsi composé de lignes à voie unique, 61% en Languedoc-Roussillon alors que la moyenne nationale est de 52%. En termes d’armement, le rail double-champignon (DC) constituait une innovation qui devait permettre de faire baisser les charges d’exploitation pour la Compagnie du Midi. Ce rail au profil symétrique devait pouvoir s’utiliser des deux côtés, doublant ainsi sa durée de vie. Cet espoir fut vain, les deux parties s’usant simultanément. Aujourd’hui il présente des faiblesses importantes. Les coussinets métalliques bloquant le rail sur son support étant fragiles, cela entraîne des baisses de la vitesse de circulation de la part de SNCF Réseau2. Enfin, du fait de l’éloignement des principaux gisements de charbon et de la présence de ressources hydroélectriques importantes, la Compagnie du Midi a rapidement électrifié, à partir de 1909, les lignes de son réseau les plus proches des sources en électricité. Pour cela elle 1 Baron N., Messulam P., 2017, op. cit.

2 Wolff J.-P., 2016, « La Région Midi-Pyrénées : plus de dix ans de compétence ferroviaire », Géotransports, n°8, pp. 75-94, en ligne, geotransports.fr/Revue/n08/pp-75-94.pdf

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mit en place des caténaires spécifiques dont les normes d’entretien sont devenues problématiques. Durant l’été 2018, une partie des caténaires de la transversale sud ont ainsi été remplacées par de nouvelles dites CSRR (Caténaire Simplifiée Renforcée Régularisée) qui permettent une meilleure fiabilité ainsi que des coûts de maintenance réduits1. Généraliser ce type de travaux sur les lignes secondaires aurait désormais un coût prohibitif. Ces coûts d’entretien très élevés sont parfois jugés insupportables, à tel point que les caténaires ont été supprimées sur les lignes Oloron – Bedous et Montréjeau – Luchon. Ce sont donc des locomotives diesel qui circulent sur la première alors que les circulations sont interrompues sur la seconde.

Ainsi, les Régions ne sont pas égales face à l’infrastructure qui leur a été léguée. Certaines profitent de nombreuses lignes à double-voie, électrifiées durant l’après-guerre et à l’armement robuste car calibré pour alimenter les industries lourdes, quand d’autres héritent de multiples contraintes comme celles que nous avons évoquées. Au sein même de chaque réseau, certaines lignes sont ainsi plus fragiles que d’autres. Les lignes du « H lozérien » sont particulièrement affectées par la multiplication des ralentissements liés à la présence de rail DC, à des caténaires midi en mauvais état et une infrastructure en fin de vie. Ce type de rail est également présent sur huit lignes régionales. Les normes d’entretien aussi peuvent se révéler plus ou moins élevées selon la situation géographique de la ligne. Comme nous le confiait un cadre régional de SNCF Réseau, les univers salins et la haute-montagne entraînent une maintenance plus soutenue.

La régionalisation des transports ferroviaires entraîne d’importantes différenciations sur ces questions. Certaines Régions se donnent les moyens pour faire face à cette déliquescence du réseau quand d’autres, estimant que le renouvellement du réseau ne relève pas de leur compétence ou que leur argent est mieux investi dans d’autres secteurs, laissent la situation se détériorer d’année en année. Ces choix politiques pris au niveau régional permettent ainsi de relativiser l’inertie dont les infrastructures sont porteuses et entraînent une vraie différenciation de l’action publique dans le domaine des transports. Les trajectoires des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon l’illustrent très bien.

Après les périmètres des généralités d’Ancien Régime, des foyers industriels et des Grands Réseaux du XIXe siècle, des départements ou de la France, la régionalisation ferroviaire

1 Transportrail, 2018, « Toulouse – Bayonne : la caténaire Midi régresse », mis en ligne le 25 août 2018,

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fournit ainsi de nouveaux périmètres d’action aux décideurs publics et de nouvelles discontinuités apparaissent à l’échelle nationale. En même temps, les Régions doivent composer avec des infrastructures héritées qui ont un pouvoir d’inertie très fort. Ces nouveaux périmètres ont-ils entraîné des formes de différenciations territoriales en matière de transports ? C’est ce que nous allons voir en retraçant les principaux traits des politiques de transport régionales en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon.

2. LE BILAN DE QUARANTE ANS DE POLITIQUE RÉGIONALE DES TRANSPORTS EN LANGUEDOC-ROUSSILLON ET EN MIDI-PYRÉNÉES

A partir des infrastructures léguées par les périodes précédentes et au fil de la montée en compétence des Régions en matière de transports, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ont développé des politiques régionales qui se différencient assez nettement. Alain Faure a montré qu’il existe dans ce domaine de véritables alternatives qui permettent d’identifier des « doctrines régionales des transports »1 propres à chaque Région. C’est à la mise en évidence de ces profils distincts que sont consacrés les développements suivants. Pour ce faire, nous disposons de sources très hétéroclites. L’organisation de cette sous-partie est donc contrainte par les différents matériaux de recherche que nous avons à notre disposition.

La littérature scientifique constitue une première approche qui nous permet d’aborder à la fois le temps long de la régionalisation des transports et d’éclairer certains moments clés dans les politiques menées en Languedoc-Roussillon et en Midi-Pyrénées. Relativement abondante dans les années 1990 et 2000 concernant nos régions d’étude, elle implique des approfondissements pour ce qui concerne la période plus récente. Les entretiens effectués auprès de personnes travaillant ou ayant travaillé au sein des services régionaux ou ceux de la SNCF ont permis d’étudier cette période plus récente.

A côté de cette entrée qualitative, nous avons souhaité nous appuyer sur des éléments quantitatifs afin d’avoir une mesure des écarts souvent décrits mais parfois difficiles à constater entre les deux politiques régionales. Une comparaison des offres régionales à partir d’indicateurs horaires nous a permis de comparer l’évolution des offres proposées au sein de chaque périmètre régional. Les bilans financiers de chaque région fournissent un autre élément de comparaison. Enfin, un récent rapport de l’ARAFER2 nous a permis d’avoir de nombreux

1 Faure A., 2011, op. cit.

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éléments de comparaisons sur des thématiques variées. Ces données sont présentées en préambule du fait de la diversité de ces thématiques. Elles seront rappelées par la suite. 2.1. Une amorce à partir des chiffres de l’ARAFER

C’est de ce rapport que nous avons extrait les chiffres présentés dans le tableau suivant (Tableau 10). Ces derniers nous permettent d’établir une première image concernant le transport ferroviaire de voyageurs dans les deux régions. La moyenne est établie à partir de vingt Régions, hors Ile-de-France.

MIDI -PYRENEES

LANGUEDOC

-ROUSSILLON MOYENNE

CARACTERISTIQUES DU RESEAU

Longueur de ligne du réseau en km 1482 1230 1349

Taux de lignes électrifiées 49% 67% 51%

Densité du réseau (km de ligne pour 100km²) 3,3 4,5 5,2

Intensité d’utilisation du réseau (train-km / km de ligne) 16 14 18

Age moyen du réseau 28 40 32

Part de la population régionale résidant dans une commune à moins de

10km d’une gare desservie par des TER 85% 86% 89%

CARACTERISTIQUES DE L’OFFRE

Nombre total de circulations de trains régionaux (en milliers) 88 49 103

Offre en milliers de train-km 8159 6007 8341

Sièges-km offerts 1,7 1,7 2,6

Sièges-km offerts par habitant 546 614 984

QUALITE DE SERVICE

Taux de déprogrammation 4% 4% 3,1%

Taux d’annulation « de dernière minute » 2% 2% 1,8%

Taux de retard de plus de 6 minutes 11% 13% 9,8%

Taux de retard en heure de pointe 13% 14% 11%

FREQUENTATION

Fréquentation en millions de passagers-km par jour 1,4 1,4 1,8

Passagers par kilomètre 511 501 652

Passagers-km par habitant 0,5 0,5 0,7

Part des non-abonnés dans la fréquentation 59% 61% 50%

Emport moyen des trains régionaux 203 287 307

Taux d’occupation 31% 29% 25%

BILAN FINANCIER

Revenu de l’entreprise ferroviaire en millions d’euros HT 187 151 196

Part des concours publics 80% 74% 75%

Centimes dépensés par passagers-km 29,2 22,3 22,6

Part des non-abonnés dans les recettes 74% 82% 72%

Recettes commerciales (en millions d’euros HT) 37,6 39,6 48,8 Tableau 10 : Chiffres relatifs aux transports ferroviaires régionaux en 2016

Sources : d’après l’Arafer1 ; Mise en forme : auteur

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A l’échelle nationale, les deux réseaux apparaissent peu denses et faiblement utilisés. La part de la population résidant à plus de 10km d’une gare est d’environ 15%, ce qui est supérieur à la moyenne régionale. L’offre en train.km comme en siège.km offerts est là aussi inférieure à la moyenne. Ces caractéristiques communes sont en grande partie liées à la répartition géographique de la population, avec de larges espaces très faiblement peuplés (Causses, Cévennes, Corbières), et à l’inadaptation d’un réseau dont la forme actuelle est le résultat de multiples contingences locales. Les Régions sont donc contraintes de faire circuler des trains sur des lignes très longues où les demandes de mobilité sont faibles et ne correspondent pas à l’offre proposée. Cela a des conséquences aussi bien sur les chiffres de fréquentation que sur les recettes commerciales, globalement en deçà de la moyenne régionale. A ces difficultés s’ajoute une qualité de service parmi les plus mauvaises de France qui agit comme un facteur accentuant ces écarts. On remarque que les chiffres de fréquentation sont étonnamment proches entre les deux entités. Le taux d’abonnés y est moindre que dans les autres régions, ce qui s’explique en partie par l’importance des motifs de tourisme et de loisir. Les taux d’occupation, parmi les meilleurs en France, soulignent à la fois la difficulté à répondre à la très forte demande dans les secteurs métropolitains et une bonne capacité d’adaptation du matériel roulant aux caractéristiques de chaque ligne.

Ces quelques éléments de convergence masquent cependant de nombreuses différences dans les politiques de transports menées de part et d’autre du seuil du Naurouze, ces différences, fréquemment soulignées par nos interlocuteurs, se retrouvent aussi à travers d’autres chiffres présents dans le rapport de l’ARAFER et nous les évoquerons au fil des développements suivants.