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Les positions des présidents de Région et des universitaires relayées par la presse quotidienne régionale (PQR)

France et en Occitanie

Encart 4 Les positions des présidents de Région et des universitaires relayées par la presse quotidienne régionale (PQR)

A défaut d’avoir pu entreprendre une étude méthodique des publications de la PQR durant la période de la fusion régionale, quatre tribunes ont été retenues afin d’avoir une image de la réception de la fusion auprès d’acteurs emblématiques de ces territoires. Il s’agit d’abord des présidents de Région, Christian Bourquin2 et Martin Malvy3. Elles paraissent toutes deux le 4 juin 2014, la première dans le Midi Libre, la seconde dans La Dépêche du Midi. Des géographes universitaires et spécialistes de leur région respective se sont aussi exprimés, Jean-Paul Volle côté Languedoc-Roussillon4 et Robert Marconis côté Midi-Pyrénées5.

Christian Bourquin a des mots très forts quand il réagit face au projet de fusion. Il accuse le gouvernement de vouloir « briser notre succès » et affirme réaliser « un travail très différent » de celui de Midi-Pyrénées. Il fustige une « carte de France des copains » qui fait disparaître le Languedoc-Roussillon et parle « d’humiliation ».

De son côté, Martin Malvy a une position d’apaisement affirmant qu’il ne s’agit pas « d’asphyxier » une région mais d’en « créer une nouvelle », qu’il « ne s’agit pas d’une démarche de pouvoir mais de construction des territoires ». Il en profite néanmoins pour revendiquer le choix de Toulouse comme capitale régionale et avoue penser à la fusion avec la région Aquitaine même si le choix de Languedoc-Roussillon « rééquilibre » l’ensemble.

Enfin, Jean-Paul Volle soutient que le Languedoc-Roussillon doit rester une région car « il en a la taille, les capacités et la métropole ». L’histoire et la langue ne lui semblent pas être des arguments pertinents. Enfin il affirme qu’un découpage plus cohérent aurait été de séparer en deux la région, le sud allant vers Toulouse et le nord vers Marseille. La fusion renforcerait enfin la concurrence entre Toulouse et Montpellier. Robert Marconis évoque aussi la possibilité d’un d’éclatement du Langudoc-Roussillon qui verrait le Gard rejoindre la région Paca et la Lozère être rattachée à l’Auvergne.

Dans les arguments de ces acteurs on note que le Languedoc-Roussillon est considéré comme une région ayant une taille critique suffisante, notamment du fait de la présence d’une métropole. Les différences avec Midi-Pyrénées sont soulignées alors que les rattachements avec d’autres régions semblent plus naturels à Martin Malvy et Jean-Paul Volle.

1 Ibid., p. 152

2 « Christian Bourquin », Midi Libre, édition du 4 juin 2014

3 « Martin Malvy : ne pas se recroqueviller sur soi-même », La Dépêche du Midi, édition du 4 juin 2014

4 « La réforme oublie comment les gens vivent », Midi Libre, édition du 6 juin 2014

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A la crainte de l’absorption par Toulouse s’ajoute la faiblesse politique du Languedoc-Roussillon depuis les morts de son emblématique président Georges Frêche et de son successeur, Christian Bourquin, au cours de l’été 2014. Comme on l’a déjà vu avec le sondage BVA, seule l’Alsace fait l’objet de contestations comparables.

2.1.3 Des entretiens qui soulignent le sentiment d’annexion du Languedoc-Roussillon … L’approche par les entretiens permet de mieux saisir la réception de cette réforme car les propos tenus lors de ces derniers ont souvent tendance à être plus modérés que ceux qui s’expriment via les journaux, ces derniers étant souvent synonymes d’emphase et d’hyperboles. A titre d’exemple, en interrogeant Jean-Paul Volle on ne retrouve pas la rancœur exprimée dans le Midi Libre.

La comparaison doit être néanmoins relativisée. Les entretiens ont pour la plupart été menés deux ans après la fusion régionale là où les tribunes dans la presse avaient souvent pour vocation de réagir aux annonces très récentes du gouvernement. De plus, l’idée de réaliser cette extraction est venue a posteriori, sans qu’une question spécifique ait été prévue dans les entretiens au préalable. Les différents acteurs ont donc abordé spontanément cette question. Une troisième limite est liée au devoir de réserve auquel sont tenus un nombre important d’interlocuteurs, notamment les services de la région ou les cadres de la SNCF. Si l’anonymisation des personnes interrogées a sans doute permis à certains d’exprimer une parole un peu plus libre, elle est loin de gommer cette prudence naturelle.

C’est finalement une minorité d’acteurs qui se sont exprimés sur la question de la fusion « pour elle-même », c’est-à-dire sans entrer dans des considérations liées au domaine des transports. On note que ce sont principalement ceux qui ont un lien avec l’ancienne région Languedoc-Roussillon qui s’expriment (Tableau 5). Ils soulignent bien le sentiment « d’annexion », « d’absorption » du Languedoc-Roussillon vis-à-vis de Midi-Pyrénées, mais aussi, de Montpellier par rapport à Toulouse. Les propos relaient également une certaine violence dans le processus : « annexé », « choc culturel », « on va y laisser des plumes », « dans la douleur ».

Le contraste avec les propos tenus par leurs homologues de Toulouse est important puisque ceux-ci utilisent des mots plus neutres comme « amalgame » ou « rattachement » voire positifs quand il est question de complémentarité. Néanmoins, ces derniers partagent le constat de la difficulté à faire accepter cette fusion, ce qui se retrouve surtout dans certaines tournures de phrase : « il a bien fallu », « ils sont partis de loin », « contrairement à ce qui a été ressenti ».

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Le caractère « hétérogène » et bipolaire est un autre élément récurent. Certains interlocuteurs évoquent ainsi une forme de juxtaposition territoriale qui leur paraît difficile à dépasser.

On note enfin que les représentants de la SNCF se sont très peu exprimés sur le sujet, et, quand ils l’ont fait, ils ont adopté une position surplombante avec l’emploi de vérités générales (« c’est toujours la région absorbante qui pilote au final ») et des jugements sévères (« de façon souvent aussi bête que méchante »).

A travers les formules et le vocabulaire employés, on constate que pour les acteurs locaux il est véritablement question de rivalités de pouvoirs importantes. Cela nous conforte dans notre analyse de ce phénomène sous l’angle de la « géopolitique locale ». On y retrouve le vocabulaire de la discipline à travers des acteurs (« les Toulousains ») et les notions de « puissance », de « pouvoir » ou « d’annexion ».

Dans chacun des corpus que nous avons étudiés on retrouve donc une très forte hostilité de la part des représentants de la région Languedoc-Roussillon. On rencontre également l’affirmation selon laquelle Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon sont des régions de taille suffisante et bénéficiant d’une métropole, ce qui rendrait la fusion inutile. Le manque de complémentarité est souvent dénoncé mais est plus nuancé. Il a ainsi été noté dans certaines tribunes comme lors de quelques entretiens que des fusions entre Midi-Pyrénées et Aquitaine d’un côté et Languedoc-Roussillon et la région Paca de l’autre auraient été plus cohérentes. Ces affirmations s’appuient sur des représentations dont il s’agit à présent d’explorer les fondements à travers l’étude de différents découpages régionaux concernant le Sud-Ouest de la France.

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Tableau 5 : Perception de la fusion régionale en Occitanie par les acteurs rencontrés Source : auteur

Acteur Région Organisme Extrait de l’entretien

E. Boisseau LR FNAUT « Dans cette fusion c’est Midi-Pyrénées le chef de file, elle a annexé Languedoc-Roussillon ». Agent DITM LR Région Occ. « Il y avait des craintes importantes avant la fusion »

Agent DITM LR Occitanie Région

« Ici, en Languedoc, la fusion a été mal vécue. »

« Il y a eu une défiance politique, il y a eu aussi une défiance administrative, clairement, une crainte, crainte qui était liée à la différence de taille entre les agglomérations de Toulouse et Montpellier. Je pense que Montpellier avait un peu une crainte d’absorption finalement par rapport un peu au poids de Toulouse, qui était prépondérant. Donc pour moi, la fusion s’est plutôt faite dans la contrainte et même dans la douleur. »

Cadre

régional LR SNCF-Mobilité

« C’est toujoursla région absorbante qui pilote au final, c’était une illusion de croire que Montpellier, parce que le Languedoc-Roussillon s’était opposé à la réforme territoriale, de façon souvent aussi bête que méchante, allait pouvoir conserver un certain nombre de prérogatives, de pouvoirs. Ça déjà c’est toujours la région absorbante qui l’emporte sur l’autre, sur la région absorbée. » Agent LR Montpellier Métropole « Naturellement les réunions se font entre Toulousains, les décisions se prennent entre Toulousains. La vision régionale du territoire elle

passe après. »

JP. Volle LR Université « C’est progressivement. » une puissance « Midi-Pyrénées » qui s’impose J.L. Artis LR Association « Cette fusion c’est une annexion, c’est pas autre chose. Tous les responsables administratifs c’est ceux de Toulouse.»

J.-L. Gibelin LR Elu régional

« Dans la fusion la question de l’existence d’une région était posée, d’autant que pendant longtemps, de ce côté de la région [Languedoc-Roussillon], l’exécutif et l’administration régionale avaient porté l’idée qu’il ne fallait pas la fusion, elle était clairement rejetée. L’existence d’Occitanie, elle n’était quand même pas d’une logique à toute épreuve »

L.

Grandjacquet LR FNAUT

« Nous qu’est-ce qu’on attendait c’était la fusion, on s’est dit bien sûr on va y laisser des plumes, bien sûr que Midi-Pyrénées va peser plus lourd que Languedoc-Roussillon. Mais ce sera pas pire qu’une région qui est complètement à la ramasse et qui fait plus son boulot. »

Agent DDTM LR DDTM Hérault C’est une juxtaposition des deux anciennes régions mais ce n’est pas une unification telle qu’on peut la voir en Nouvelle Aquitaine. On est restés au milieu du gué en Occitanie

G. Ardinat LR Elu régional (RN) « C’est une fusion artificielle, le territoire est bipolarisé et le reste. » Ex-Agent CD LR Conseil Dép. (48) « La fusion ça a été un choc culturel »

Agent DITM MP Occitanie Région

« Peut-être que, contrairement à ce qui a été ressenti, c’était le territoire dans lequel c’était le plus facile à faire. »

« Pour Midi-Pyrénées l’ouverture à la Méditerranée est une ouverture incontestable et pour Languedoc-Roussillon le rattachement à Toulouse est un atout aussi considérable. La locomotive économique elle est à Toulouse. Même si Montpellier est aussi bien accroché à la locomotive. Quand même, le poumon économique, il est ici. Du coup, je pense que les deux anciens territoires nourrissent l’autre et se complètent quand même. »

Elu CCI MP CCI Occitanie « Donc ce qui s’est passé c’est qu’il a bien fallu faire l’amalgame des deux, et ils sont partis de loin ! »

R. Marconis MP Université

« Plus on y regarde, plus on s’aperçoit qu’on a fait la plus belle des bêtises qui soit de fusionner ces deux régions »

« Je ne vois pas comment avec une donne aussi hétérogène, des héritages aussi différents, on peut donner des orientations à part des trucs très généraux »

Agent DREAL MP DREAL Occitanie

« Pour le coup c’est nos collègues de Montpellier qui ont vu leurs interlocuteurs changer. Moi je dirais que ça fait 6 ans que je travaille avec les mêmes personnes, on a juste un territoire qui s’est un peu étendu. »

C. Broucaret A FNAUT « Le fait de s’associer avec Montpellier c’est pas non plus une réussite. Ça fonctionne pas. De toute façon quand on voit comment ça s’est passé. Ça s’est joué sur un coin de table ! »

2.2. Deux régions que tous les découpages séparent ?

Afin de mieux comprendre la vigueur de ces oppositions, il apparaît pertinent de chercher des éléments objectifs permettant de valider l’hypothèse d’une fusion contre-nature entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Il n’est pas question d’identifier ici un introuvable « découpage naturel » ou « objectif » mais plutôt de révéler des dynamiques territoriales présentes. Pour cela, une analyse de la fréquence d’association de certains départements en ensembles régionaux plus larges a été entrepris. Il s’agit là d’une approche par les représentations qui peut en partie expliquer la plus ou moins grande acceptation de ces fusions régionales.

Pour ce faire, une approche diachronique qui mobilise des découpages anciens et qui a déjà fait l’objet de travaux de documentation très riches de la part des géographes1 est d’abord mobilisée. Elle permettra de mettre en perspective certains découpages actuels que l’on pourrait qualifier de sectoriels et qui ont été compilés à partir de l’ouvrage de Pascal Orcier2.

2.2.1 Des découpages anciens qui dessinent des espaces régionaux incertains

Dans l’article qu’ils font paraître en 2014 dans la revue en ligne Echogéo, Arnaud Brennetot et Sophie de Ruffray3 superposent 41 propositions de découpages, depuis les circonscriptions divisionnaires de 1851 jusqu’aux régions économiques proposées par J. Labasse en 1960, c’est-à-dire à la veille de l’établissement des régions officielles. Ils ne retiennent que les découpages inédits et excluent les découpages opérationnels. Leur méthode consiste ensuite à mobiliser les découpages s’appuyant sur les frontières départementales et de comptabiliser la fréquence de citation des frontières régionales pour chaque dyade. Leurs résultats sont présentés en se limitant à la partie sud de la France (Figure 11).

1 Brennetot A., De Ruffray S., 2014, op. cit. ; Miossec J.-M., 2013, op. cit.

2 Orcier P., 2015, Régions à la découpe, Atlande, 143p

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Figure 11 : Frontières régionales les plus féquentes de 1851 à 1960 Source : Brennetot A., De Ruffray S., 20141

On constate que ce sont les frontières du nord de l’actuelle région Occitanie qui sont les plus largement citées. En dehors de ce segment continu allant de la Dordogne à la Haute-Loire, certains segments ressortent sans que les linéaires soient continus. C’est le cas de la frontière ouest de l’Ariège, de celle entre Gard et Bouches-du-Rhône ou encore de celle entre Tarn et Hérault. Au contraire, certains segments apparaissent faibles, à l’ouest de l’Aveyron comme au sud de l’Aquitaine. A l’intérieur des anciennes régions on note principalement les incertitudes autour du rattachement de l’Aveyron et de la Lozère, mais aussi du Gers et des Hautes-Pyrénées.

Cette carte rend difficile la lecture d’ensembles régionaux distincts dans le Sud-Ouest français. En revanche on constate que la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur se détache nettement. On distingue néanmoins deux ensembles relativement cohérents autour de Toulouse (Ariège, Tarn, Tarn-et-Garonne et Lot) et de Montpellier (Gard, Aude, Pyrénées-Orientales). L’Aveyron et, dans une moindre mesure, la Lozère, peuvent être rattachés à l’un ou à l’autre.

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On notera enfin que les frontières sont généralement plus ténues entre Aquitaine et Midi-Pyrénées par rapport à celles entre Midi-Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon