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France et en Occitanie

Encart 5 Quand Stendhal redécoupait la France en régions

Les Français n’ont attendu ni les géographes ni 1851 pour proposer des découpages du territoire national. L’extrait suivant issu des Mémoires d’un touriste1 rédigées par Stendhal en 1837 nous montre une division basée sur les représentations de l’auteur. Le statut du Sud-Ouest y est ici aussi très incertain. On peine à savoir si le changement de paragraphe au moment de mentionner Toulouse en fait une région distincte du Languedoc. On note également que Rodez y est rattaché à la Gascogne et que Nîmes est aussi l’objet de confusions :

« J’ai toujours partagé la France, dans ma pensée, en sept ou huit grandes divisions2, qui ne se ressemblent pas du tout au fond, et n’ont de commun que les choses qui paraissent à la surface […].

Après les cinq divisions du nord, la généreuse Alsace, Paris et son cercle égoïste de quatre-vingts lieues de diamètre, la Bretagne dévote et courageuse, et la Normandie civilisée, nous trouvons au midi la Provence et sa franchise un peu rude. Les partis politiques donnent des assassinats en ce pays : le maréchal Brune, les mameluks de Marseille en 1815, les massacres de Nîmes.

Nous arrivons à la grande division du Languedoc, que je compte de Beaucaire et du Rhône jusqu’à Perpignan. On a de l’esprit et de la délicatesse en ces contrées : l’amour n’y est remplacé par Barême ; il y a même, vers les Pyrénées, une nuance de galanterie romanesque et d’inclination aux aventures qui annonce la noble Espagne.

A Toulouse, on trouve une véritable disposition pour la musique. J’expose rapidement les sensations que j’ai rencontrées dans mes voyages, et je ne garde pas toutes les avenues contre la critique : je sais, par exemple, que Nîmes est sur la rive droite du Rhône.

En remontant des Pyrénées vers le nord, nous voici à cet heureux pays où les gens se peignent tout en beau, et ne doutent de rien. La Gascogne, de Bayonne à Bordeaux et Périgueux, a fourni à la France les deux tiers des maréchaux et généraux célèbres. […] Le paysan est tout à fait barbare vers Rodez et Sarlat, mais rien n’égale son génie naturel. »

Si ce travail permet de montrer que la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon est loin d’aller de soi au vu des découpages proposés entre 1851 et 1960, les limites méthodologiques relevées plus haut tendent à limiter fortement l’actualité de ce constat basé sur des découpages désormais anciens et qui ne sont pas opérationnels. C’est pourquoi nous avons choisi de reprendre la méthode de construction de cette carte pour l’appliquer à des découpages actuels et opérationnels.

1 Stendhal, 2014, Mémoires d’un touriste, Editions Gallimard, pp. 101-103

2 Ce chiffre est en fait erroné puisque l’on compte en réalité neuf à dix divisions selon que l’on distingue Toulouse du Languedoc : la Lorraine, l’Alsace, Paris, la Normandie, la Bretagne, la Provence, le Languedoc, (Toulouse), la Gascogne et le « Sud-Est » autour de Grenoble.

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2.2.2 Des découpages opérationnels actuels qui vont à l’encontre d’une région Occitanie Pour réaliser cette nouvelle carte nous nous sommes donc appuyé sur le travail de Pascal Orcier qui dans Régions à la découpe1 fournit pas moins de 128 cartes. Dans cet ensemble les

découpages opérationnels2 ont été retenus, contemporains (toujours en vigueur en 2014), s’appuyant sur les limites départementales et proposant un pavage de l’ensemble du territoire métropolitain sans superpositions (Tableau 6). Le choix a aussi été fait de ne retenir que les propositions qui réduisent le nombre de régions. Ce choix permet de nous placer dans l’optique d’une fusion annoncée. On note toutefois que ces deux derniers critères n’ont pas eu beaucoup d’impact sur l’échantillon retenu tant la plupart des découpages opérationnels s’appuient sur une base départementale et un maillage relativement large du territoire (12 cartes rejetées pour 40 conservées). Nous avons enfin distingué les découpages issus d’organismes publics de ceux liés à des organismes qui ne le sont pas : principalement des entreprises (assurances, grande distribution, éditeurs, constructeurs automobiles …) mais aussi des associations (banque alimentaire) et une organisation religieuse (provinces ecclésiastiques).

L’échantillon est donc constitué de 40 découpages, dont 15 issus d’organismes publics. En moyenne, la France métropolitaine est ainsi divisée en 10,4 régions avec des découpages légèrement plus grands pour le secteur public : 9,7 régions contre 10,8 pour les autres. Cette moyenne nous autorise donc à comparer les résultats issus de cet échantillon au découpage effectif en 13 régions. Néanmoins, les écarts demeurent importants puisque le nombre de régions varie de 5 à 21.

En reprenant la méthode d’Arnaud Brennetot et Sophie de Ruffray et des données du Tableau 6, nous avons pu établir une carte qui se concentre sur le cas des départements de la région Occitanie (Figure 12). Nous avons également établi des cartes selon que l’organisme soit de type public ou non mais les différences entre les deux nous sont apparues relativement peu significatives3.

1 Orcier P., 2015, Régions à la découpe, op. cit.

2 Nous n’avons cependant pas retenu les découpages fondés sur des critères trop liés à la géographie physique comme les agences de l’eau

3 Le trait le plus marquant, mais qui n’est pas surprenant pour autant, est que les organismes publics s’appuient beaucoup plus sur le découpage régional et qu’on ne trouve que deux occurrences de dyades intrarégionales contre trente-cinq pour les autres. Les autres caractéristiques sont globalement proches.

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Intitulé de l’organisme (et page) Organisme public Nombre d’entité

Electricité de France (p. 56) Oui 8

Institut National de l’Origine et de la Qualité (p. 57) Oui 8

Les Caisses Régionales de Sécurité Sociale Minière (p. 58) Oui 6

Le Cerema (p. 59) Oui 8

L’Office National des Forêts (p. 60) Oui 9

Les Conservatoires Botaniques Nationaux (p. 61) Oui 11

Les directions interrégionales des Douanes (p. 63) Oui 10

Les Chambres Régionales des Comptes (p. 64) Oui 15

Directions interrégionales des services pénitentiaires (p. 66) Oui 9 Directions interrégionales des Polices Judiciaires (p. 67) Oui 10

Les Communautés d’Université et Etablissements (p. 69) Oui 18

Provinces ecclésiastiques (p. 70) Non 16

Régions de gendarmerie (p. 72) Oui 7

Centres météo interrégionaux (p. 73) Oui 7

Pôles de gouvernance de France 3 (p. 74) Oui 5

L’Etablissement Français du Sang (p. 78) Oui 14

La Banque alimentaire (p.79) Non 9

La MACIF (p. 80) Non 11

Groupama (p. 81) Non 9

La Banque populaire (p. 83) Non 17

La Caisse d’Epargne (p. 84) Non 17

Les Centres financiers de la Banque postale (p. 85) Non 18

L’Union des auto-entrepreneurs (p. 88) Non 10

Cadremploi (p. 89) Non 7

Le réseau Ticketmaster (p. 90) Non 8

Carrefour billetterie (p. 91) Non 7

Système U (p. 96) Non 11

Directions régionales du groupe Casino (p. 97) Non 7

Régions de recrutement du réseau de proximité de Casino (p. 97) Non 6

Groupe Carrefour (p. 98) Non 6

Cafés Richard (p. 100) Non 11

Fenwick (p. 102) Non 20

Bureaux commerciaux de France Air (p. 103) Non 9

Comptoirs commerciaux de France Air (p. 103) Non 21

Directions régionales du groupe Citroën (p. 104) Non 7

Régions commerciales de SAMI (p. 105) Non 8

Délégués pédagogiques des éditions Hachette (p. 106) Non 11

Régions des représentants régionaux des éditions Belin (p. 107) Non 12

SFR (p. 109) Non 6

Bouygues Télécom (p. 110) Non 6

Tableau 6 : Découpages retenus dans l'ouvrage de Pascal Orcier Source : Orcier P., 20151. Mise en forme : auteur

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Figure 12 : Frontières régionales les plus fréquentes (découpages opérationnels) Source : Orcier P., 20151. Mise en forme : auteur

Comme dans la carte issue des découpages réalisés entre 1851 et 1960 (Figure 11), on retrouve des superpositions particulièrement fortes au nord de la région (Figue 12). Les ressemblances se limitent là. On remarque ensuite deux renversements de tendance marquants : la frontière entre Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées est devenue plus évidente au nord qu’au sud et les limites intrarégionales sont devenues beaucoup plus faibles que celles extrarégionales.

On peut y lire l’importance du découpage régional de 1964 sur lequel se base la majorité des découpages opérationnels. Ainsi, la fréquence de la dyade interrégionale la plus faible est de 13 (entre Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Atlantiques) soit deux fois plus que les six occurrences de la dyade intrarégionale la plus élevée (entre l’Aude et l’Hérault et entre le Gard et la Lozère). La région Midi-Pyrénées apparaît également légèrement plus cohérente que sa voisine avec une moyenne de deux occurrences par dyade intrarégionale contre quatre en Languedoc-Roussillon.

Enfin, et c’est sans doute le point le plus intéressant quand on envisage la question de la réception de la fusion régionale, parmi les sept frontières régionales représentées, celle entre 1 Ibid.

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Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon est particulièrement sollicitée : 28,4 occurrences (Tableau 7). Cela signifie que seulement 30% des organismes regroupent les deux régions et cela alors que le nombre de régions moyen issu de l’échantillon est de 10,2 ! Les organismes étudiés privilégient beaucoup plus des fusions entre Languedoc-Roussillon et Paca (60%), Midi-Pyrénées et Aquitaine (62%) voire Midi-Pyrénées et Limousin (35%).

Frontière régionale (avant fusion) Nombre d’occurrences moyen

Aquitaine – Midi-Pyrénées 15,2 Limousin – Midi-Pyrénées 26 Auvergne – Midi-Pyrénées 36 Auvergne – Languedoc-Roussillon 35 Rhône-Alpes – Languedoc-Roussillon 31,5 Paca – Languedoc-Roussillon 16 Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées 28,4

Tableau 7 : Nombre d'occurences frontalières par Région Source : auteur

Pour un nombre très important d’organismes, aussi bien publics que privés, la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées est donc loin d’aller de soi. Les découpages régionaux, qu’ils soient anciens et fictifs ou contemporains et opérationnels, distinguent tous des ensembles régionaux forts autour de Toulouse et de Montpellier. Les découpages tendent également à montrer que ces ensembles se sont renforcés autour des limites des régions officielles instaurées il y a plus de cinquante ans. De plus, il apparaît qu’en cas de regroupements régionaux, les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon sont moins fréquemment réunies entre elles qu’elles ne le sont avec l’Aquitaine ou la région Paca. Ces éléments sont sans doute présents dans les représentations des acteurs locaux qui se sont montrés plutôt réticents à cette fusion.

Nous allons à présent voir en quoi ils peuvent être liés au fonctionnement même des territoires en étudiant l’organisation générale du territoire d’un point de vue démographique, économique et systémique.

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