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B LE RECYCLAGE DU BESTIAIRE CLASSIQUE ET L’INVENTION DE L’HOMME-

I. L’HERITAGE DES ANCIENS 19

I.1. B LE RECYCLAGE DU BESTIAIRE CLASSIQUE ET L’INVENTION DE L’HOMME-

Pendant le Moyen Âge, la physiognomonie a connu un vif succès et a influencé l’œuvre du médecin Galien, à qui revient la première tentative de systématisation rationnelle de la connexion entre la théorie aristotélicienne de l’environnement et la physionomie. Cette dernière discipline « scientifique » est restée en vogue jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles, ayant largement été diffusée par les auteurs qui ont lu les textes classiques.27

La période médiévale est globalement marquée par un « rejet » des animaux, malgré l’intérêt que leur portent les clercs et la culture de la chrétienté. Deux approches tranchées se dessinent sur la question en matière d’idées et de sensibilités. Certains opposent ontologiquement l’homme, créé à l’image de Dieu, et l’animal, créature soumise et imparfaite. D’autres auteurs et clercs pensent qu’il y a un lien diffus entre tous les êtres vivants et supputent l’existence d’une parenté, et même d’une transcendance, entre l’homme et la bête.

Dominant, le premier courant de pensée oppose d’une manière radicale l’homme et l’animal, et ce dernier faisant figure de repoussoir et devenant le réceptacle de tous ces symboles et métaphores douteux, qui méritent réflexion. Ce présupposé conduit à une répression accrue de tout comportement de nature à entretenir l’ambiguïté entre l’être humain et l’animal. D’où les interdictions de se déguiser en animaux, de fêter l’animal ou de lui manifester une trop grande affection, au risque de sombrer dans le crime extrême et diabolique de la sorcellerie ou de la bestialité.

Le second point de vue, fondé sur la pensée d’Aristote, notamment dans son livre De Anima, considère qu’il y a une communauté d’intérêts entre tous les êtres vivants. Ce courant de pensée s’appuie également sur une certaine tradition médiévale se voulant plus conciliante, qui s’inspirait de passages d’écrits de saint Paul, comme l’Epître aux Romains : « La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté et la gloire des enfants de Dieu. »

Les théologiens à cette époque se sont aussi posé la question de savoir si le Christ était venu sauver l’ensemble des créatures et si les animaux étaient également des « enfants de Dieu ». Mais, le processus de christianisation n’étant pas alors achevé, il a fallu faire tomber de       

son piédestal un animal bien ancré dans les traditions européennes, surtout celles du Nord : l’ours. Il sera remplacé par le lion, qui représente un double héritage biblique et gréco-romain. La Bible évoque le symbole du lion et souligne sa force, mais elle le considère comme un être ambivalent réunissant en un seul animal le bon et le mauvais. Dans cette tradition, c’est le mauvais côté qui est souligné. Le lion est présenté comme dangereux, cruel, rusé, impie ; il incarne les forces du mal, les ennemis d’Israël, les tyrans et les rois indignes, les hommes vivant dans l’impureté. Psaumes et prophètes le considèrent donc comme un animal dangereux et demandent à être délivrés de sa gueule.

Le Nouveau Testament ne perçoit pas le lion autrement, faisant du lion une figure du Diable. Le livre saint lui reconnaît toutefois un bon côté par lequel il est au service du bien commun. Ses rugissements expriment la parole divine, et il est le symbole de la tribu de Juda.

Comme dans la tradition biblique, les auteurs classiques grecs et latins connaissent bien le lion, surtout par les jeux des arènes. Ils sont nombreux à lui accorder une place spéciale parmi les autres animaux, tel Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C) qui voit en lui le rex bestiarium (roi des bêtes), mais pas encore le rex animalium (roi des animaux).

L’on retrouvera les mêmes symboles ambigus du lion biblique dans la période de la chrétienté médiévale au haut Moyen Âge, la plupart des Pères de l’Église faisant de lui un animal diabolique, violent et cruel, dont la force brutale n’est pas au service du bien. Sa gueule est associée au gouffre de l’Enfer, et combattre un lion c’est combattre Satan.

Cependant, cette vision n’est pas partagée par tous les Pères, qui, aux côtés d’auteurs comme Ambroise ou Origène, adopteront une autre approche de cet animal. Chez eux, le lion devient le seigneur des animaux, et, en conséquence, la figure du Christ. Dès lors, il fallait revaloriser cette figure dans les textes et dans l’imagerie. Cette mutation s’est effectuée sous l’influence des bestiaires latins dérivés du Physiologus grec compilé à Alexandrie au IIe siècle de notre ère. 28

Dans les traditions orientales aussi, le lion était présenté dans certaines fables comme le rex omnium bestiarium (roi de toutes les bêtes fauves). Il faut toutefois attendre les grandes encyclopédies du XIIIe siècle telles que celles de Thomas de Catimpré, de Barthélemy l’Anglais ou de Vincent de Beauvais pour que le lion devienne le rex animalium « (roi des animaux). Ces       

encyclopédistes soulignent sa force, son courage, sa largesse et sa magnanimité, toutes qualités attribuées à la royauté, et c’est ainsi qu’il devient le roi des animaux.29

Dès lors, le lion revêt des dimensions christiques et se trouve promu dans de multiples domaines. A partir de là, de nombreuses questions se poseront aux auteurs et imagiers du Moyen Âge, notamment comment traiter le côté négatif du lion. Que faire de l’animal mauvais dénoncé dans des psaumes, par saint Augustin, par les Pères de l’Église et dans la culture cléricale du Moyen Âge ?

Une solution a donc été trouvée vers les XIe et XIIe siècles : faire du lion diabolique un autre animal, portant un nom qui lui soit propre pour le distinguer radicalement du lion christologique. Ce sera le léopard. Précision importante : il s’agira non pas du véritable panthera pardus, mais d’un animal chimérique doté de certains caractères et aspects formels du lion (sans la crinière), affublé d’une nature mauvaise.

Dans la littérature et l’héraldique, il est mis en scène comme un demi-lion, être hybride, bâtard, raillé… C’est un « mauvais lion », fruit des amours adultérines, de l’accouplement de la lionne et du mâle de la panthère - le pardus des bestiaires latins.30 Cet animal est devenu la

figure péjorative par excellence dans les armoiries attribuées à des personnages littéraires ou imaginaires – créatures mythologiques ou vices personnifiés.31

Comme le souligne Marcel Détienne, « l’iconographie des mythes ne peut se satisfaire

d’une vérité zoologique toute nue ». Il convient ici de s’interroger sur la symbolique de cet

animal dans la tradition grecque. Alors qu’ils disposaient de différents termes pour désigner le lion et le tigre, ils n’avaient pas de moyens linguistiques pour distinguer une panthère d’un guépard ou d’un léopard. Ne pouvant différencier ces espèces animales du genre felis (panthera et acynonyx), les Grecs anciens utilisent indistinctement deux mots : párdalis et pánthēr.32

Dans cette civilisation, la párdalis/pánthēr est un animal « parfumé ». Comme d’autres grands fauves, on ne la chasse pas ; c’est elle, le chasseur. Elle est considérée comme un animal       

29 PASTOUREAU, Michel, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Éditions du Seuil, Paris, 2004, p.

58-59.

30PASTOUREAU, Michel, in L’Ours – Histoire d’un roi déchu. « Aristote ne parle pas de l’accouplement de la

lionne et du léopard; c’est Pline qui transmet cette légende à Sollin, puis à la culture médiévale par le relais obligé d’Isidore de Séville : « léopardus ex adulterio leae et pardi nacitur » » (Etymologiae, éd. Cité note 3, livre XII, chap. II., p. 58-59.) Éditions du Seuil, Paris, 2007, p. 193.

31PASTOUREAU, Michel, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, éd. du Seuil, Paris, 2004, p. 30-32. 32DETIENNE, Marcel, Dionysos mis à mort, édition Gallimard, Paris, 1998, p. 12-16.

rusé, sachant « faire le mort », et secrète, qui capture ses proies grâce à sa bonne odeur, parfum invisible qui trompe ses victimes.

Dans le Physiologus, la technique de cette figure est encore plus raffinée, ce qui apportera aux bestiaires médiévaux la tradition du Dit de la panthère d’amors… Quand la panthère a déjeuné, elle s’éveille, lance un rugissement, et sa voix, parfumée d’aromates, attire toutes les bêtes ; devant cette odeur exquise, elles accourent se jeter dans la gueule entrouverte du fauve, qui les attend ; à cause de sa beauté et de sa taille, la párdalis est consacrée à Dionysos (Bacchus), dieu du vin et de l’ivresse, de la démesure.

Dans sa méthode de chasse, la panthère combine la tromperie et la séduction : le piège qu’elle tend à ses victimes n’est autre que son corps de fauve, dont le parfum fait oublier la mort vorace qu’il recèle en lui-même. Cette séduction par l’odorat devait entraîner l’intime association de la panthère avec l’image de la femme parfumée, au corps désirable. Pour Aristophane et ses contemporains, une courtisane est en effet une « panthère » (párdalis).33

On le comprend, l’usage du nom de ce fauve pour classer et définir l’identité des descendants d’Africains, dans la péninsule Ibérique puis dans les colonies (pardos et leopardo, usage archaïque), n’a rien d’anodin. Son assimilation à la Mulâtresse, charmeuse et sensuelle, reflète tous les fantasmes des propriétaires d’esclaves.

Dans leur imagerie des Africains, ils reprennent à leur compte les considérations de la physionomie aristotélicienne et de la Physiognomonie des pseudo-aristotéliciens. Egyptiens et Ethiopiens sont péjorativement caractérisés, marqués par la lascivité, la volupté et la « féminité » – à l’époque déjà, et encore de nos jours, traiter quelqu’un d’« efféminé » n’est pas vraiment un compliment.

Les autres termes employés par les maîtres s’inscrivent dans le cadre de cette classification attribuant une identité infériorisée à une population dominée et subalterne, ainsi conduite à jeter sur elle-même un regard nécessairement péjoratif. Une terminologie que l’on retrouve parfois dans les « annonces » des journaux du XIX siècle au Brésil, où l’on a bien du mal à distinguer dans les offres si ce sont des êtres humains, des chèvre ou des mules qui sont mis en vente ou que l’on recherche après une fuite désespérée des maisons des maîtres, dans les centres urbains, où l’on cherche une cabra, (une chèvre) qui venait de mettre bas ou

      

disposant de beaucoup de lait pour être vendue à qui aurait besoin d’avoir une nourrice pour les enfants des familles patriarcales.

Il n’était pas rare que l’on offre des récompenses rondelettes à tous ceux qui réussissaient à ramener à la maison d’un maître d’esclaves une cabra, (une chèvre) - c'est-à- dire un hybride de Noir(e) et Mulâtre(esse) - qui s’était enfui.34

Les premières traces de l’usage du terme « Mulato » en langue portugaise remontent au XIV siècle, mais des documents lusitaniens du Moyen Âge indiquent déjà que son étymologie provient du bas latin « mula ». En l’an 1113, ce terme est encore plus vulgaire que le masculin « mulo » (du latin mulu, un animal stérile).35

Le mot Mulato est répertorié en 1526 pour désigner également l’âne, et, dans la même période, il sert à catégoriser, au Portugal, une personne ayant une double origine, européenne et africaine, dans le sens de « métis », mestiço, tandis qu’en espagnol mestizo signifie au XIVe siècle sang-mêlé. Les deux termes ont d’ailleurs un ancêtre commun, le bas latin mixticius, pour signifier l’animalité d’une personne dont on ne souhaite pas qu’elle ait de descendants, alors même qu’elle en a beaucoup.36

Nous avons décelé le mot chez l’un des Pères de l’Église, saint Jérôme, qui l’a utilisé en référence au peuple égyptien et à la population de Ninive. Usage inattendu car, jusqu’alors, ce terme n’avait jamais été utilisé, du moins dans les textes qui nous sont parvenus (d’après Evelyne Samama) pour des êtres humains ; son emploi était uniquement réservé au mélange de plantes et d’animaux.

L’on peut dès lors s’interroger sur une telle conception de l’Église qui aboutit à l’assimilation d’hommes libres sous domination romaine au monde animal. A cette époque, en effet, l’esclavage n’était pas ethnicisé, associé à l’homme africain et à ses descendants ; au contraire, il était plutôt rattaché au monde slave et moyen-oriental, du moins au sein de la chrétienté.

      

34FREYRE, Gilberto, O Escravo nos anúncios de jornais brasileiros do século XIX, Companhia Editora Nacional,

vol. 370, Rio de Janeiro, 1979, 125p.

35 COROMINAS, Joan y PASCUAL, José A., Diccionário crítico e etimológico castellano e hispánico, tomo IV,

Madrid, 1981, p. 186-87; Grande enciclopédia portuguesa e brasileira, vol. XVIII, p. 103-105; Dicionário Houaiss da língua portuguesa, p. 2561.

36 COROMINAS, Joan y PASCUAL, José A, idem., p. 186-87; Grande enciclopédia ..., vol. XVIII, p. 103-105;

Les postulats de ce courant philosophique auront une importance capitale dans la pratique des Ibériques, au cours de leur expansion, dans leur perception des peuples non européens. Dans ce cadre, tous les descendants d’Africains seront classés du côté de l’animalité, avec le plus souvent des mots du « genre féminin » tels que « Mulâtre », pardos/pardalis.

Cette figure de la panthère concentre dans sa signification toute l’animalité par sa sémantique, préfixe et racine grecs pan (la totalité) et their (l’animalité par excellence et la bestialité). De même cabra, le mélange d’un Mulâtre et d’une Noire, renvoie à un ruminant, la chèvre. Autant d’appellations qui mettent à nu la vision que se font les maîtres d’esclaves de leurs « cheptels » d’origine euro-africaine, afro-indienne.

Clairement, ces qualifications ne servaient qu’à souligner l’animalité, ainsi que l’( héritage de la limpeza, pureza e corrupção do sangue, de même que de l’ infeccão das raças) attribués à des populations jugées inférieures et subalternes.37 C’est par le ventre de la

mère esclave que les enfants héritaient de leur statut, associé à la notion de l’animalité africaine. Le préjugé de l’animalité des Africains imposée au début des conquêtes par les Ibériques aura de nombreuses répercussions sur la vision de soi chez les populations africaines en contact, depuis la fin du XVe siècle, avec les conquérants sur le sol africain.

L’activité missionnaire portugaise débute dans la région avec l’arrivée de Diogo Cão à l’embouchure du fleuve Zambia, en 1482. Il entre alors en relation avec le Mani Kongo, qui se convertit par la suite à la foi catholique en avril 1491 et prend le nom chrétien de Afonso Ier, ouvrant une période d’échanges intenses et de diffusion dans le royaume de toutes sortes d’idées nouvelles venues du Portugal. Dès cette époque, les Portugais ne se faisaient guère une idée positive des Africains.

Bien avant l’arrivée de ce navigateur au royaume du Kongo, la présence africaine était déjà signalée au Portugal avec une perception très négative, comme l’indique le Bohémien Alexandre Sasek, secrétaire du baron voyageur Léon de Rosmital, au service de son seigneur le roi George de Podiebrad.

C’était fin 1465 - début1466, à l’occasion d’une visite à la cour du roi à Braga. Comme à l’accoutumée, quand il fut reçu par le roi Afonso V, le chef de l’ambassade lui demande, au moment des échanges de cadeaux, de bien vouloir lui offrir « en souvenir » deux Noirs à       

37 BOXER, R. Charles, The Portuguese seaborne Empire (1415-1825), Hutchinson & Co., 1969, London, p. 250-

ramener dans son pays. Voici ce que le secrétaire de l’ambassade raconte à ce propos dans ses écrits.

Le frère du roi [D. Fernando, Duque de Viseu…] qui a vu la scène de la demande, a eu un éclat de rire, en lui disant : « Ce que vous demandez, cher ami, cela ne vaut rien ; pourquoi vous ne demandez pas des choses de plus de valeur ? Demandez alors des choses plus importantes et décentes que deux Noirs. Mais comme vous désirez tant les avoir, acceptez donc, de ma part, un présent, à savoir un singe ; ainsi vous repartirez chez vous extraordinairement bien récompensé avec ces cadeaux. Il faut croire que dans votre contrée il n’y a ni Noirs ni des singes, vu votre insistance pour avoir ces choses.38

Vraisemblablement, parmi nombre d’Africains vendus en esclavage beaucoup savaient pertinemment comment les Portugais les percevaient. Le chroniqueur portugais Antônio Cadornega, qui a vécu en Angola au dernier quart du XVIIe siècle, raconte que des populations de l’Angola et de l’ancien royaume du Congo tentaient de se faire passer pour des singes afin d’éviter d’être vendus aux marchands d’esclaves portugais.

Il y eut ainsi tout un « groupe de gens qui employaient un langage émettant des sons comme des clicks et qui ne parlaient pas pour ne pas travailler », rapporte le chroniqueur39. Un

siècle plus tard le même phénomène sera signalé par un jésuite portugais, João Daniel, missionnaire dans la région amazonienne de la colonie portugaise du Brésil.

Ce Jésuite a parlé à des Indiens de la région qui lui ont assuré qu’ils connaissaient « des

gens qui refusaient l’usage de la parole et essayaient de se faire passer pour des singes en

utilisant un langage de signes pour ne pas parler ; ainsi, ils échappaient au travail forcé que les Portugais les contraignaient de fournir tous les jours pour ramer les bateaux des blancs »40.

Ce changement de comportement, en Angola et en Amazonie, aura un grand impact d’ordre anthropologique sur certaines populations esclaves, au Brésil comme dans l’espace       

38TINHORÃO, José R., Os negros em Portugal – Uma presença silenciosa. “O irmão do Rei [en parlant du D.

Fernando, duque de Viseu, (...)], que presenciara este pedido, entrou a rir, dizendo: “Isso que pedes, amigo, não vale nada; pede coisa mais importante e decente que dois negros. Mas, já que tanto os queres, aceita uma dádiva minha, que é um maccaco, e assim irás para a tua terra egregiamente presentiado. É de crer que nas tuas regiões não haja negros nem macacos, visto a insistência com que pedes estas coisas.”, Editorial Caminho, Lisboa, 1998, p. 85.

39CADORNEGA, O. Antonio de, História geral das guerras angolanas, vol. III. Divisão de Publiccões e biblioteca

Agência Geral das Colônias, (Revisto e anotado por Manuel Alves da Cunha), Lisboa, 1942, p. 173-174.

40ALENCASTRO, Felipe., de, O trato dos viventes– Formação do Brasil no atlântico sul, São Paulo, 2000, p.

atlantique. Cela se répercutera sur le champ religieux et dans la littéraire orale, car c’est à partir de ces épisodes que les esclaves intégreront cette vision de l’Africain comme un Autre animalisé. Ainsi émergeront une « resignification » des anciennes mythologies et une nouvelle divinité du candomblé, Jeje de Bahia, Lebabimibome.

De même, les mythologies, surtout yoruba et fon, seront introduites dans les contes populaires par l’intermédiaire des fables. Eshu-Legba revêtira une importance cruciale dans ces phénomènes de transculturation et de transmission aussi à d’autres régions des Amériques où les diasporas africaines ont contribué à élaborer des cultures locales maintenant ces pratiques en vigueur par la relecture et la préservation réinterprétée des cultures issues de l’Afrique occidentale et centrale.

Ces transformations, au Brésil, se traduisent aussi dans la culture populaire orale par diverses histoires où le singe est le héros principal. Sous l’apparence anodine des contes d’animaux, l’esclave pourra émettre des critiques contre l’ordre esclavagiste sans être menacé par l’autorité patriarcale de son propriétaire, échappant ainsi également au regard inquisiteur de l’Église catholique. Nous retrouvons le même phénomène dans le sud des Etats-Unis avec les histoires populaires du Signifying Monkey, ainsi que dans les narratives des guijes ou des poèmes des jigues en Cuba.41

La question de l’ « animalisation » tient une grande place dans les cultures issues des colonisations portugaise et espagnole, façonnant la construction des identités des populations soumises à ces régimes ou issues d’un tel processus. Un historien spécialiste de l’esclavage dans la péninsule Ibérique, qui a analysé de nombreux documents de ventes rangés dans les archives espagnoles et portugaises du XVIe au XVIIIe siècles, souligne que ce processus de