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II. CONTINUITES ANCESTRALES ET HYBRIDATIONS 66 

II.2 L’INVENTION RELIGIEUSE 129 

La permanence et l’évolution des religions africaines au Brésil tiennent aussi à ce qu’il y avait déjà, en Afrique occidentale, une conversation spirituelle régulière entre les religions yorouba et fon-ewé, notamment, comme le révèle la recherche historique sur les religions africaines. C’est depuis 1973, avec Yves Person, dont on a publié de nombreux travaux analysant la dimension historique des religions dites traditionnelles,121 que la recherche sur

l’histoire des religions africaines a trouvé sa voie et s’est amplifiée. Dans cette nouvelle démarche, ces religions n’étaient plus perçues comme des objets passifs, immuables. Les traditions elles-mêmes comportaient un modèle global de stabilité auquel elles se référençaient, des forces de changement qui n’étaient pas uniquement liées aux puissances anticoloniales mais qui existaient bien avant les contacts avec les religions monothéistes, le christianisme et l’islam.122

Cette nouvelle approche et son corollaire nous semble plus approprié pour étudier les bouleversements spirituels et l'invention religieuse, ainsi que les religions africaines au Brésil, le candomblé en particulier. Dans le champ d’études : l’attribution et le développement de nouveaux rôles pour les anciennes divinités, l’émergence d’autres qui s’adaptent aux cadres socio-historiques du contexte brésilien.

L’apparition du vodum Lebabimibome est une réponse directe à la crise profonde apparue au sein des religions africaines dans le Nouveau Monde. Les anciennes divinités n’étaient plus en mesure de répondre aux angoisses et aux problèmes posés par la déportation des Africains et leur insertion dans une économie mercantiliste fondée sur l’esclavage.

Il a fallu faire face à des nombreux défis majeurs, opérer des adaptations, des transferts et réinterprétations d’anciens cultes qui, dorénavant, devaient participer à la culture politique et religieuse locale en adoptant d’une façon syncrétique des éléments extérieurs au groupe. C’est l’une des raisons qui ont conduit ces religions africaines à chercher et trouver dans la société en mutation des niches secrètes », comme disait Roger Bastide. Une évolution nécessaire pour       

121 CHRÉTIEN, J-P. (org.), « Religion et histoire en Afrique au Sud du Sahara », p. 7-8, In L’Invention religieuse

en Afrique – Histoire et religion en Afrique noire. Publié avec le concours du CNRS. Éditions Karthala et ACCT, Paris, 1993.

122PERSON, Yves., « Pour une histoire des religions africaines », Archives de sciences sociales des religions,

pouvoir s’adapter et reconstituer une nouvelle identité en y intégrant des cristallisations et des références ethniques propres dans le cadre officiel.

En effet, l’existence des « nations » dans le contexte brésilien a été facilitée par les mesures administratives du pouvoir colonial portugais, qui provoquait et favorisait ainsi à la fois la division entre les communautés africaines pendant l’époque de l’esclavage.

Le gouverneur portugais de la capitainerie de Bahia, le comte dos Arcos, avait ainsi promulgué en 1808 une loi accordant aux différents groupes ethniques africains organisés en « nations » le droit de pratiquer une fois par semaine, les dimanches ou jours fériés, leurs danses et les manifestations culturelles de leurs pays d’origine, de jouer de leurs instruments, de chanter dans leurs langues. Si ces populations pouvaient ainsi s’amuser, le gouverneur savait bien que sa décision contribuait à entretenir les divisions ethniques et religieuses entre esclaves, créant une opposition, parfois radicale entre les différents groupes dans les plantations et dans les villes lorsqu’ils se constituaient en nations ethniques.

L’Invention religieuse en Afrique, de J-P. Chrétien, met en lumière l’importance de l’approche historique et sa pertinence pour l’étude des religions africaines dites traditionnelles dans leur dynamique interne propre.

Sous les intitulés croyances traditionnelles, fétichistes, religions du terroir, religions tribales, polythéismes, animismes, etc., se retrouvent une grande variété de convictions et de rituels, de cultes villageois, de cérémonies officielles ou de mouvements collectifs de grande ampleur, de pratiques quotidiennes ou de cérémonies sécrètes, qui ne sont pas déconnectées de la temporalité car ces religions changent et évoluent dans le temps.

Cette méthode éclaire diverses formes de changements dans les sociétés étudiées : l’adaptation à de nouvelles activités, la proposition de réponses à des crises, les réinterprétations ou transferts d’anciens cultes participant à la culture politique, l’adaptation d’éléments extérieurs au groupe, la reconstruction de sociétés en quête d’identité, la cristallisations de références ethniques. Chercheurs et historiens s’appuient dans leur travail sur cette possibilité d’une mise en valeur sur la durée des continuités rattachées à cette réalité religieuse. Ils ont traité du passage aux monothéismes venus de l’extérieur, analysé des phénomènes d’acculturation plus ou moins consciente lors de conversions calculées ou motivées au christianisme ou à l’islam, en Afrique au sud du Sahara.

Par-delà les grands événements politico-guerriers et les processus institutionnels, une histoire prenant en compte le vécu religieux permet de suivre les formes populaires d’adhésion à une nouvelle foi en tant que de fidélité à une tradition. Une telle démarche a permis aux historiens d’aller au-delà de la vieille approche figée et statique, permettant ainsi de mettre en valeur une histoire socioculturelle des imaginaires africains faisant écho aux recherches menées depuis quelques décennies sur l’histoire des mentalités en Europe (J-P. Chrétien, L’invention

religieuse…, p. 7-8).

Ces études révèlent la dynamique spécifique des représentations qui se nouent et qui agissent dans les manifestations religieuses en Afrique, en ne réduisant pas ces religions à jeu unique de symboles et de considérations théologiques. Elles insistent sur les rapports entre les religions et la gestion, matérielle et spirituelle, de l’environnement, de l’économie et des pouvoirs, aussi bien pour le passé lointain que dans le contexte idéologique contemporain.

Cette approche permet ainsi d’analyser les mythes et les rituels non pas par leur côté ésotérique, réservé à de rares initiés, mais selon un registre d’images dans des situations difficiles. Les transferts, les remodelages, les emprunts qui nourrissent cet imaginaire permettent ainsi de parler d’une « invention »123. Elle évite également d’éviter l’association et

la réduction simpliste de la religion à la vie sociale, en tant que superstructure ou « instance » reflétant de manière quasi mécanique des réalités de nature principalement socio-économiques. Ce défi implique le développement d’une histoire des conceptions et des pratiques religieuses qui soit intimement liée à l’histoire des phénomènes écologiques, démographiques, économiques, sociaux, politiques.

On ne gommera pas pour autant l’originalité créatrice et la force d’initiative des imaginaires, les formes d’adhésion et d’organisation, les exigences morales individuelles ou collectives, les aspirations et les contraintes, les espoirs et les peurs mis en branle, à ce niveau de relations, avec le « surnaturel ». Ainsi, un culte privé qui devient collectif, peut s’imposer à tout un village ewé, mais être rejeté ailleurs ; cela dépend des besoins des hommes auxquels répondent ces cultes, qui ne sont jamais définitivement achevés.

      

123Au sens d’E. Hobsbawn & T. Ranger (eds.) The invention of tradition. Sur une anthropologie historique de

l’imaginaire, cf. J. FERNANDEZ, Bwiti.An ethnography of the religious imagination in Africa. Princeton, 1982. Voir aussi de K. Fields, Revival and rebellion in colonial Central Africa, Princeton, 1985; aussi D. Lane, Guns and rain: guerrillas and spirit in Zimbabwe, Londres, 1985. Sur la place spécifique de l’invention religieuse dans la vie sociale, voir aussi, W. Van Binsbergen & M. Schoffelers (eds.), Theoretical explorations in African religion, Londres, 1985.

Dans les anciennes religions africaines, on décelait déjà des signes d’évolution prouvant que, loin d’être renfermées sur elles-mêmes, elles ont su se montrer au fil du temps perméables à la « demande » des fidèles, et à l’impact de la conjoncture sur la demande, ainsi qu’aux influences extérieures. L’ensemble des caractéristiques attribuées aux religions africaines perdureront de l’autre côté de l’Atlantique au sein des différentes diasporas dans l’élaboration des divers syncrétismes.124

Pour mieux comprendre les religions afro-brésiliennes nous devons d’abord essayer de cerner la vision spirituelle des Africains avant leur transplantation vers le Nouveau Monde, particulièrement dans leurs territoires d’origine de d’Afrique occidentale, autour du golfe du Benin. Cela couvre les zones qui, avant la colonisation, étaient sous l’administration de l’ancien royaume du Dahomey, ainsi que les nombreux royaumes yoruba. Cette région comprend aujourd’hui les États modernes du Bénin, Togo et Nigeria. Il convient de signaler que l’Afrique centrale a elle aussi énormément contribué à la formation des nouvelles émergences spirituelles au Brésil avec l’arrivée de peuples de langues et cultures bantou de l’Angola et du Congo actuels.

Nous n’approfondirons pas l’étude de leurs mythologies, notre recherche portant principalement sur l’émergence d’une entité dont le culte et la description font partie du panthéon d’un temple de la nation jeje marrim (Mahi) de Bahia, rattaché à la culture éwé/fon. Il s’agit du terreiro, Seja Hundê (« Tereiro do Ventura ») de la région de Cachoeira, qui revendique un lien direct avec les anciens royaumes de l’espace culturel fon de l’Afrique. Nous évoquerons également les mythologies et mythes nagôs des autres nations constitutives du Candomblé, qui revêtent une grande importance dans la formation et la structuration du Candomblé qui se rattache aux anciens royaumes yorouba.