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I. L’HERITAGE DES ANCIENS 19

I.2. A L’ESCLAVAGE DANS LA PENINSULE IBERIQUE 57

L’esclavage en tant que modèle d’organisation des forces économiques et de relations sociales des pays du continent européen remonte à l’antiquité gréco-romaine. Des sociétés bâties sur un modèle social fondé sur l’esclavage.

Nous étudierons la période hellénique et certains aspects de cette société à travers les philosophes grecs. Ce sont eux, en effet, qui se trouvent à l’origine des outils de réflexion et des concepts usités par les anciens pour justifier l’esclavage et élaborer des modèles de classification des esclaves dans les sociétés qui ont émergé après la Reconquista, à la fin du XVe siècle, dans la péninsule Ibérique.

Voici ce qu’observe l’historien Marc Bloch concernant la société romaine. « Dans le monde romain des premiers siècles, l’esclave était partout : aux champs, à la boutique, à l’atelier, à l’office. Les riches en entretenaient des centaines de milliers ; il fallait être bien pauvre pour n’en posséder au moins un. […] ».63

Il en allait de même au haut Moyen Âge, sous la domination wisigothe et musulmane, comme le montrent bien les nombreux ouvrages sur la question écrits par Pierre Bonnassie, Marc Bloch, Charles Verlinden, et d’autres auteurs importants. On peut donc se demander en toute logique : qu’est-ce qu’un esclave dans ces sociétés ? Le vocabulaire qui tente de rendre compte de l’expérience humaine des esclaves ne répond pas toujours à la réalité de leurs statuts et des définitions juridiques. Dans l’Europe occidentale, le cas le plus marquant est celui des « servi », au Moyen Âge.

Les historiens ne s’accordent pas toujours sur la traduction de ce terme : s’agit-il de « vrais esclaves » ou de serfs ? La transmission héréditaire du statut, chez l’esclave comme chez le serf, et la dépendance personnelle vis-à-vis d’un dominus ne recouvrent pas la même condition. Il ne suffit pas que quelqu’un porte des entraves pour en faire un esclave, car les esclaves n’ont pas toujours des fers aux pieds, alors qu’a contrario les forçats étaient enchaînés à vie. La fonction économique ne caractérise pas davantage l’esclavage puisque qu’il n’y a pas eu de tâches ou forme de production exclusivement réservées aux esclaves.

La recherche historique et anthropologique montre que, dans toutes les régions du monde, il existe – ou il a existé – des sociétés esclavagistes où Blancs ou Noirs, agriculteurs ou       

éleveurs, sédentaires ou nomades, possédaient des esclaves, en chiourme ou dispersés. L’historien Alessandro Stella souligne qu’il est important de distinguer « l’esclavage d’autres formes de dépendances serviles ou para-serviles, de les comparer à des statuts et à des conditions proches ou similaires, de saisir les tenants et les aboutissants de la fabrication d’esclaves. Sachant que le statut d’esclave, comme tant d’autre statuts sociaux, est d’abord une construction relationnelle avant d’être codifié ».64

Les esclaves sont avant tout un corps étranger à la communauté, à la nation dans laquelle ils vivent. Au Portugal aussi bien qu’en Espagne, ils entrent bien dans cette catégorie. Au début, dans la péninsule Ibérique, il s’agit majoritairement de Bosniaques, Bulgares, Caucasiens, Guanches, Barbaresques, Turcs, Indiens, Africains. La construction mentale pour justifier la mise en esclavage des Maures en Espagne est plus délicate puisqu’ils étaient nés sur le même sol, comme les autres descendants des Ibères, des Romains ou des Wisigoths. Ils étaient étrangers non pas au sol de la Péninsule, mais à la religion chrétienne.65

L’autre grand paradoxe de cet état de fait est la situation des Morisques, qui, bien que convertis au christianisme, étaient considérés comme crypto-musulmans et insoumis. Plus étrange encore : le sort des enfants d’esclaves, nés et baptisés, élevés dans la maison du maître. Dans ces deux derniers exemples, l’historien Alessandro Stella relève que, en plus de l’incidence de la « loi du ventre », la couleur noire de leur peau les rendaient davantage étrangers à la communauté dominante. L’autre cas de figure concerne les mulâtres, qui, étant fils du maître et de l’esclave, restaient stigmatisés par la bâtardise, donc, étrangers à la communauté familiale légitime.66

On le voit, l’esclavage s’est nourri d’un large faisceau d’idées permettant la fabrication idéologique d’un corpus à partir de la notion de l’étranger, qui puise ses justifications dans la xénophobie, la croisade, la pureté de sang, le racisme. Tout de même, ces attitudes mentales n’expliquent pas tout des réalités que vivaient les esclavages dans la Péninsule.

Comment, par exemple, expliquer que des Morisques convertis, marginalisés et opprimés, pouvaient à leur tour posséder des esclaves noirs ? Et que d’anciens esclaves affranchis devenaient parfois eux aussi propriétaires de ce type d’esclaves ? Le fait est que de nombreux Moresques vivant en Andalousie au XVIe siècle jouissait d’une bonne situation       

64 STELLA, Alessandro, Histoires d’esclaves dans péninsule ibérique, édit. EHESS, Paris, 2000, p. 27-31. 65 STELLA, Alessandro, idem., p. 27-31.

matérielle. L’identité de classe prenait alors le dessus sur les origines, les rapprochant ainsi des vieux Castillans riches.67

Stella reprend la même analyse pour expliquer le comportement des affranchis ou des descendants de deuxième ou troisième génération d’esclaves originaires d’Afrique subsaharienne. Réussissant à gravir les échelons de la hiérarchie sociale dans la société dans laquelle ils étaient intégrés, ils avaient tendance à s’éloigner de leurs semblables.68

Aurelia Martin Casares a démontré qu’un bon quart des Barbaresques vendus à Grenade étaient dits de couleur noire, tandis que d’autres étaient classés comme métis. Mais elle ne précise pas s’ils étaient déjà en esclavage en Afrique du Nord, descendants d’esclaves intégrés dans la société barbaresque, arabophones et musulmans. Nul ne sait au juste.69

Revenons sur les étymologies du mot à l’origine du phénomène historique de l’esclavage : « servus ». Depuis Lévy-Bruhl, on sait que tout esclave était d’abord un « étranger ».70 Émile Benveniste acceptait l’idée, répandue parmi les historiens, que le terme

servus venait du latin « servare » (conserver, garder en vie). D’après lui, ce mot proviendrait plutôt de l’étrusque, tout comme le terme « doulos », courant parmi les Grecs anciens pour désigner l’esclave, aurait son origine chez les peuples d’Asie Mineure, connue pour être un réservoir d’esclaves dans l’Antiquité.71

Charles Verlinden parvient à une conclusion similaire concernant le vocable qui, vers le XIe siècle en Occident, a remplacé le terme latin servus : sclavus. Le mot a d’abord été employé par les Germains ; son synonyme « slave » (esclave) est repris par les Byzantins et apparaît dans les documents d’archives vénitiens et génois dès la fin du XIIe siècle.72

Le mot esclave était jusqu’à cette période un mot ethnique, en français comme dans les autres langues, latines - escravo, en portugais, esclavos, en espagnol - ou non latines, tel « slave » en anglais. Elles ont toutes conservé ces valeurs originelles, sous des formes légèrement différentes. Pour faire référence aux peuples, ont dit Slavs (en anglais), eslavos (en portugais et en espagnol), et slaves (en français), etc. Ce changement s’explique surement par       

67 STELLA, Alessandro, ibid., p. 27-31.

68 STELLA, Alessandro, STELLA, Alessandro, Histoires d’esclaves dans péninsule ibérique, édit. EHESS, Paris,

2000, p. 27-31.

69 STELLA, Alessandro, idem., p. 27-31. 70 STELLA, Alessandro, ibid., p. 37-39. 71 STELLA, Alessandro, ibid., p. 37-39. 72 STELLA, Alessandro, ibid., p. 37-39.

la provenance des hommes et des femmes soumis à l’esclavage, puisqu’ils venaient d’Europe centrale et orientale dans leur immense majorité. Notons que, s’il y avait encore quelques esclaves en Europe occidentale et centrale aux XIe et XIIe siècles, presque tous étaient des étrangers originaires de ces régions.73

La traite transsaharienne avait pourvu en esclaves aussi bien le monde musulman que les chrétiens d’Europe pendant le Moyen Âge, mais, historiquement, c’est un fait d’importance secondaire. En effet, la plupart des esclaves, chez les chrétiens, étaient constitués de prisonniers des guerres menées contre les musulmans et de la traite orientale. Les esclaves à cette époque, bien que perçus comme « étrangers » et humiliés, étaient de peau blanche, comme celle de leurs maîtres. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que l’Africain, alors dénommé « Éthiopien » ou « Soudanais » dans la terminologie en usage, se confondra avec l’ « esclave ». Ultérieurement apparaîtra le mot nègre comme équivalent d’esclave, avec le premier chargement d’Africains de la traite atlantique débarqués dans la ville portugaise de Lagos, en 1441.74

Pour la période moderne les récits des chroniqueurs nous font remonter cette pratique aux voyages des bateaux portugais dans l’océan Atlantique autour de l’an 1419, quatre ans après la chute de Ceuta, prise aux Maures, et à l’expansion des Portugais vers les côtes africaines.

Cela se fera avec l’accord de l’Église qui, en acceptant les demandes de la couronne portugaise, promulguera successivement quatre importantes bulles papales en faveur de la cour du prince Henry et de ses proches successeurs, les bulles : Dum diversas et Divino amore communiti (18 juin 1452) ; Romanus Pontifex (8 janvier 1455) ; et Inter caetera (13 mars 1456).

Dans le premier document papal, le Vatican donne l’autorisation au roi du Portugal de mener des attaques, de conquérir et de subjuguer les Sarrasins, les païens et d’autres infidèles ennemis de l’Église ; de prendre possession de leurs biens et de leurs territoires, de réduire en esclavage perpétuel et de céder leurs pays et leurs propriétés au roi du Portugal et à ses successeurs.

La portée de cette bulle va bien au-delà de la simple conquête de la ville côtière de Ceuta, car les références aux païens et aux autres ennemis de la foi chrétienne se rapportent

      

73 BLOCH, Marc, idem., p. 279-80. 74 STELLA, Alessandro, ibid., p. 37-39.

sûrement aux populations de la côte du Sahara et aux Noirs de la Sénégambie avec qui les Portugais étaient déjà en contact depuis un certain temps.75

Grâce à la publication de ces documents papaux de 1452, les Portugais n’auront d’avancer des prétextes religieux pour leur entreprise de conquête – mission pour le salut des âmes - ou pseudo-scientifiques tels que l’obtention de la part des autochtones d’informations pour compléter leurs connaissances cartographiques ou géopolitiques. Des justifications qu’ils faisaient valoir jusqu’alors pour affirmer la convergence de la position d’un groupe dominant où s’alliaient la noblesse, les bourgeois et les militaires intéressés dans les conquêtes et le contrôle des richesses et du commerce extérieur.76

Leur entente sera scellée une fois pour toutes face aux habitants des terres nouvellement découvertes. La situation conduit à faire des Portugais les « seigneurs » ; les natifs des pays conquis, eux, restent les pourvoyeurs de richesses en tant que main d’œuvre soumise à l’esclavage, même si les Portugais s’efforçaient encore de préserver une apparence de bonne entente lors de ces échanges bilatéraux.

Cette nouvelle stratégie découle de ce que les deux bulles Dum Diversus et Divino Amore Communiti en 18 juin 1452, en accordant le droit de la mise en esclavage des païens, satisfaisaient les requêtes des marchands portugais qui se plaignaient du coût très élevé de leurs voyages. Certains historiens en déduisent que ces documents ont valeur de soutien explicite de l’Eglise à l’implantation du capitalisme moderne, car il est désormais possible d’exploiter une main-d’œuvre d’esclaves dans des projets agricoles pour l’exportation. En plus du droit de conquête conféré par la première bulle de Nicolas V, une autre loi, De Jure (1454), octroie aux Portugais le monopole des routes de navigation.77

Le pape Calixte III poussera plus avant la participation active de l’Église à l’entreprise de concertation en promulguant l’Inter Coetera (13 mars 1456), qui confirme les termes de la Romanus Pontifex antérieure. Elle réserve, à la requête du roi Alphonse V et de son oncle le prince Henry, le droit exclusif du Padroado Real à l’ordre militaro-religieux Ordem do Cristo

      

75 BOXER, R. Charles, The Portuguese Seaborne Empire (1415-1825), Hutchinson & Co., London, 1969, p. 20-

21.

76 BOXER, R. Charles, ibid., p. 21-21. 77 TINHORÃO, R. José, ibid., p. 55-56.

(l’Ordre du Christ). Le prince était l’administrateur et le gouverneur de cet organisme, représentant l’autorité spirituelle sur toutes les régions jusqu’alors conquises par les Portugais.78

Dans les années suivantes, l’Inter Coetera accordera des droits, des privilèges et des devoirs de la part de la papauté à la Couronne portugaise sur un vaste ensemble s’étendant des Cap Bojador et Nun jusqu’aux Indes, en passant par la Guinée ; à l’époque, la Guinée couvrait une zone allant des côtes de l’Afrique occidentale jusqu’à l’embouchure du fleuve Kongo, dans le royaume du même nom.79

Avec la troisième bulle, Romanus Pontifex, les choses se précisent puisque ce document fait le point sur les conquêtes menées à terme par le prince Henry depuis 1419. C’est d’ailleurs pourquoi elle est considérée comme la « charte de l’impérialisme portugais ». Elle salue le dévouement missionnaire en tant que véritable « soldat du Christ » et « défenseur de la foi » d’Henry, sa volonté de propager le Glorieux nom du Christ, même dans les terres les plus lointaines, et de contraindre les Sarrasins et autres incrédules à rejoindre le giron de l’Église.80

La bulle évoque aussi son entreprise de colonisation des îles inhabitées de Madeira et des Azores, et son effort d’évangélisation des îles Canaries. Enfin, elle crédite le prince de son intention d’entreprendre de la circumnavigation autour de l’Afrique pour entrer en contact par la voie des mers avec les habitants de l’Inde censés honorer le Christ, afin de poursuivre, grâce à cette future alliance, la guerre contre les Sarrasins et d’autres ennemis de la Foi. Le prince est en conséquence autorisé à dominer et à convertir tous les païens qui peuvent vivre entre le Maroc et l’Inde.81

A la faveur de la grande traite atlantique, qui s’amorce alors, la présence des peuples d’Afrique subsaharienne ne cessera de se renforcer dans la péninsule Ibérique. Le phénomène débute avec l’arrivée d’un premier gros chargement d’esclaves venant de l’Ouest africain à Lagos, au sud du Portugal, en 1444. Cette ville continuera à approvisionner le marché ibérique jusqu’à l’abolition de la traite dans ce pays, le 19 septembre 1761. Il convient de souligner que, pendant les deux premiers siècles, les Portugais ont détenu un monopole absolu du trafic, en direction du marché européen et vers les îles Atlantiques et les Amériques.82

      

78 BOXER, R. Charles, ibid., p. 228-30. 79 BOXER, R. Charles, ibid., p. 228-29. 80 BOXER, R. Charles, ibid., p. 21. 81 BOXER, R. Charles, ibid., p. 21. 82 BOXER, R. Charles, ibid., p. 262.

Au cours du premier siècle, ce commerce a trouvé son principal débouché en Europe car, la traite vers l’Amérique ne se développant qu’à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. L’arrivée d’esclaves (ils auraient été 60 000 environ, en 1600) dans la colonie portugaise du Brésil marque un changement radical puisque, jusqu’alors, c’était les Indiens qui servaient massivement d’esclaves au Brésil.

La même chronologie vaut pour les Indes de Castilles ; environ 32 000 licences furent expédiées par la Couronne d’Espagne dans la première moitié du siècle, contre 88 000 pour la seconde. Une partie des esclaves expédiés par la Couronne dans la première moitié du XVIe siècle était puisée dans le stock andalou et embarquée à Séville : plus de 6 000 dans les décennies 1530-1539 ; presque 2 000 entre 1590 et 1599. Cela signifie que la traite, avant de devenir triangulaire (Europe-Afrique-Amérique), fut d’abord bilatérale (Europe-Afrique) et que, pendant ce premier siècle de contact avec l’Afrique subsaharienne, le trafic esclavagiste fut d’abord dirigé vers la péninsule Ibérique.83

Au total, entre 1450-1750, des centaines de milliers d’Africains furent traînés, les fers aux pieds, vers la péninsule Ibérique, et de là, vers l’Italie du Sud et le golfe de Gênes). N’étant pas en mesure d’en chiffrer précisément le volume, l’historien Alessandro Stella avance une estimation de l’ordre de 700 000 à 800 000 personnes mises en esclavage et déportées par les Portugais.84

Au Brésil, le trafic négrier a probablement débuté au cours de la seconde moitié du XVIe siècle et s’est prolongé jusqu’à son extinction officielle, en 1850. Les opinions des historiens divergent sur le nombre d’Africains, toutes ethnies confondues, déportés dans ce pays vers les grands ports de traite : Salvador, Rio de Janeiro et Recife. Certains auteurs avancent le chiffre de 4 millions d’hommes. S’il est difficile d’obtenir un nombre plus précis, comme cela est possible pour d’autres pays, cela tient beaucoup à ce que, deux ans après l’abolition de l’esclavage, le ministre de la Justice de l’époque, Rui Barbosa, a ordonné que tous les registres se trouvant dans les archives des grands ports du pays soient détruits par le feu. Un autodafé destiné à effacer la tache qui souillait l’histoire du pays puisque dans ces registres étaient consignées des informations sur le nombre et les ports de départ des Africains vers le Brésil. Cette mesure arbitraire et néfaste empêche de disposer aujourd’hui d’éléments précis sur le nombre d’Africains déportés au Brésil, et a fortiori sur leurs origines ethniques.

      

83STELLA, Alessandro, Histoire d’esclavage dans la péninsule ibérique, Éditions de l’EHESS, Paris, p. 61. 2000. 84 STELLA, Alessandro, idem., p.64-65.

Nous l’avons vu dans les chapitres précédents, toute conception et perception de l’autre, toute conscience de soi ou de l’autre dans les sociétés étudiées est le fruit d’une histoire, de leurs histoires. Nous avons tenté d’établir un inventaire, certes non exhaustif, de divers domaines de la connaissance historique et philosophique s’inscrivant dans un discours constitutif de l’« héritage des Anciens ». Une conception débouchant sur une vision des populations non européennes déformée par les prismes religieux ou ethnique, et sur catégorisation faisant des Africains et de leurs descendants l’image de l’Autre par excellence.

Ces images prendront forme d’une manière plus spécifique à partir de la « Reconquista », puis avec l’expansion des Portugais et des Espagnols aux Amériques, en Afrique et en Asie. Des données relevées dans les recherches des historiens montrent clairement que les « Conquistadores » avaient puisé leur vision du monde dans un corpus assez classique, constitutif des valeurs de la civilisation européenne catholique des XVe et XVIe siècles.

De tels héritages ont fourni aux différents colonisateurs un puissant dispositif idéologique pour créer diverses catégories de populations subalternes, esclaves, affranchis et pauvres de tous ordres, de façon à exercer un contrôle absolu sur ces populations en leur attribuant des noms d’animaux et en les dépouillant de leur humanité. Au regard de ces politiques et stratégies coloniales, nous verrons comment les réalités de cet Autre sont prises en compte dans certaines sociétés, spécifiquement dans le monde lusophone sous domination portugaise, l’Angola et le Brésil. Cela passe par un examen sur le plan symbolique des figures narratives au travers de récits relevant de la tradition orale (les contes) et de l’invention spirituelle et religieuse.

Avec un certain nombre de données évoquées jusqu’ici, nous aborderons des phénomènes que nous traiterons dans la Partie II de cette thèse, relevant de l’émergence d’un Vudum à Bahia. Dans une troisième partie, nous verrons comment les populations en esclavage se sont inspirées de leurs expériences spirituelles ancestrales pour réélaborer et raconter leur vécu par la tradition orale des contes d’animaux analysés ayant le singe comme héros principal.