• Aucun résultat trouvé

Recruter à terme et contribuer à la formation des futurs professionnels du métier

2. À la recherche d’une structure d’accueil

2.4. La réception des demandes de stage ou de contrat d’apprentissage par les structures

2.4.4. Recruter à terme et contribuer à la formation des futurs professionnels du métier

Au sein des trois secteurs étudiés, on note aussi que des structures d’accueil peuvent avoir des intentions d’embauche plus ou moins marquées, plus ou moins avouées.

Sans doute, de telles intentions ont plus de chance d’apparaître et de jouer en apprentissage, du fait de la durée et de l’importance de l’investissement consenti dans ce mode de formation, par rapport à la voie scolaire. Mais elles peuvent aussi se manifester dans le cas des PFMP.

Certaines structures d’accueil peuvent donc poursuivre clairement un objectif d’embauche. Elles se caractérisent notamment par d’importants besoins de main-d’œuvre à satisfaire. On trouve surtout pareilles structures dans le secteur aéronautique depuis longtemps, mais aussi de plus en plus dans le secteur de la sécurité privée. Dans ce dernier secteur, un nombre croissant d’entreprises, intervenant dans le domaine ordinairement décrié de la sûreté, cherchent à améliorer la qualité de leurs prestations, à mieux répondre aux exigences de leurs clients en la matière et à gagner en légitimité sociale et professionnelle via un usage accru de la formation initiale et continue, comme on a pu déjà le mentionner dans ce chapitre (cf. section 1). Ces entreprises tendent ainsi à s’intéresser de plus en plus à l’offre du système éducatif en personnels formés. Certaines n’hésitent pas aujourd’hui à contacter le lycée de la Sécurité pour envisager de prendre des élèves en stage ou en apprentissage, avec une finalité explicite de pré-recrutement.

A présent, des entreprises de sécurité appellent le lycée dès septembre-octobre pour embaucher des élèves. Il y a alors plusieurs objectifs, il y a surtout plusieurs intérêts. On a un personnel compétent, vu qu’il est diplômé, on l’espère en tout cas. Quelqu’un qu’on va pouvoir un peu mettre « à la sauce » de l’entreprise, quelqu’un qui n’a pas forcément pris de mauvaises habitudes ailleurs, un effectif jeune, déjà, c’est bien, ça veut dire que potentiellement il va pouvoir faire une longue carrière dans l’entreprise, et du coup pérenniser l’investissement, peut- être, que cela implique. Du coup c’est tout bénéfice pour l’employeur, tout bénéfice (professeur de sûreté, lycée de la Sécurité).

Bien sûr, cette intention d’embauche aussi clairement revendiquée conduit les structures à se mobiliser réellement pour contribuer à la formation des jeunes qu’elles accueillent, mais avant tout par rapport à leur organisation, leurs besoins, leurs emplois spécifiques, dans une logique de socialisation organisationnelle.

Il n’en reste pas moins qu’une telle logique de pré-recrutement semble rarement dominer dans les intentions des entreprises, surtout pour ce qui est des PFMP. Dans notre échantillon (certes limité),

seule une structure enquêtée a explicitement relié en priorité son implication dans l’accueil et le tutorat de jeunes en PFMP à une volonté de procéder à terme à des recrutements par ce biais. Il s’agit d’une toute jeune PME spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d’un petit hélicoptère ultramoderne, et en forte croissance sur le plan de son activité et de ses effectifs : une trentaine de salariés en 2014, une cinquantaine en 2015, environ 80 en 2016 au moment de l’enquête. Et ses besoins portent en particulier (mais pas seulement) sur des profils BTS et bacs pros en aéronautique, pour occuper des postes de techniciens et d’électriciens/câbleurs aéronautiques. La réception de stagiaires de baccalauréat professionnel aéronautique a donc avant tout pour finalité de préparer d’éventuels recrutements. Elle se centre d’ailleurs plutôt en troisième année de bac pro.

Je suis la DRH de la société. […] Je travaille essentiellement sur des sujets liés au développement de notre société, donc beaucoup, beaucoup de recrutement et d’organisation des effectifs. On est aujourd’hui presque 80 collaborateurs, on était une petite cinquantaine, pas tout à fait, l’année dernière, et une petite trentaine l’année précédente, donc on est vraiment endéveloppement. […] Dans le cadre de ce développement, on embauche beaucoup de jeunes gens sortis de formation de type bac pro ou BTS. Après, on n’est pas à la recherche vraiment du diplôme mais plus de personnes motivées, parce qu’on sait aussi former, mais c’est vrai que c’est plutôt vers ce type de profil qu’on s’oriente, des bacs pro « Aéronautique » ou des BTS ou licence « Aéronautique ». […] On a eu des stagiaires, du lycée [de l’Aéronautique] essentiellement. Pas que, mais c’est vrai que c’est le lycée le plus proche et qui forme des jeunes à nos métiers. Donc on fait de l’intégration de stagiaires, la plupart du temps notre objectif étant quand même de les embaucher derrière. C’est vrai qu’on est sur des fins de parcours, soit ils sont en BTS en deuxième année, soit en licence, ça veut dire que derrière, potentiellement, il y a une réflexion pour pouvoir les embaucher après le stage. C’est un peu orienté quand même sur l’embauche. Au début on prenait des stagiaires surtout pour jouer le jeu. Aujourd’hui, comme on commence à grossir et à avoir ce besoin-là, on essaie un peu plus d’orienter dans le but de les embaucher (directrice des ressources humaines, PME dans la fabrication aéronautique).

Cependant, c’est la seule entreprise de notre petit échantillon pour laquelle le pré-recrutement est formellement sa principale motivation pour s’engager dans l’accueil de jeunes en formation. De plus, cette logique ne lui est venue et ne s’est imposée à elle que progressivement, après qu’elle soit d’abord rentrée dans le dispositif avec une logique de service, en ait fait positivement l’expérience, et ait pu l’associer à son projet de développement, en tant que levier de recrutement à actionner de façon privilégiée.

Les autres structures enquêtées, où l’on trouve aussi la trace de cette logique de pré-recrutement dans leurs intentions, n’en font pas en fait leur priorité, du moins de façon explicite. Pour elles, le recours à un stagiaire peut se conclure par un recrutement, mais cette intention n’est pas à l’avance affichée en tant que telle. L’embauche ne se fera que si un besoin se manifeste à l’instant t, au moment où le stagiaire aura terminé sa formation, et après qu’il ait bien sûr donné entière satisfaction. Et le nombre de jeunes accueillis dépassera toujours de loin le nombre de jeunes finalement recrutés. On se situe donc là davantage dans l’implicite que dans l’explicite. On repère par exemple ce mode de fonctionnement au sein du petit atelier de maintenance aéronautique investigué, lequel procède de temps à autre, selon l’évolution de ses besoins, à des recrutements dans le vivier des jeunes sortant du lycée de l’Aéronautique et ayant fait auparavant un ou plusieurs stages en son sein.

Dans le secteur des services à la personne, ce mode de fonctionnement est également courant. Sur le marché du travail du secteur, les aides-soignantes sont en permanence très demandées ainsi que les faisant fonction, c'est-à-dire des personnes embauchées pour réaliser une partie du travail d’aide-

soignante sans en avoir le diplôme. Accueillir des stagiaires c’est en quelque sorte pour les structures constituer un vivier de candidatures possibles pour des remplacements l’été dans un premier temps, voire au-delà si le candidat(e) convient.

Quand je suis arrivé il y avait moins de stagiaires que maintenant. Moi je suis un pro-stagiaires, ça c’est clair. Pour moi c’est important d’avoir des stagiaires, et pour notre personnel et pour les stagiaires. Et puis pour l’avenir de la profession, tout simplement, parce que si on ne forme pas on n’aura pas le personnel, déjà qu’on en manque. Donc oui, on a… je ne sais même pas à l’année, mais on en a énormément, oui. Aides-soignantes, bac professionnel (cadre infirmier en EHPAD).

Notons une tendance, dans le cas de certaines petites structures, à vouloir parfois compenser un positionnement défavorable sur le marché du travail via un recours significatif au système de formation initiale dans une logique de pré-recrutement. Ce positionnement défavorable renvoie aux rémunérations et perspectives de carrière qu’elles sont en mesure d’offrir à leur personnel, par rapport à celles proposées par les structures de plus grande taille de leur secteur ou de leur filière d’appartenance, ou avec lesquelles elles sont en relation, notamment en tant que sous-traitantes ou prestataires de services. Cette tendance a été pointée par un enseignant du lycée de l’Aéronautique. Elle semble en tout cas se vérifier pour les deux petites entreprises du secteur qui ont été investiguées.

Le mécanisme général est le suivant : les grandes entreprises ou les unités appartenant à un groupe ont tendance à « débaucher » les personnels des petites (souvent les plus jeunes ou les relativement jeunes), en particulier lorsqu’elles sont leurs donneuses d’ordre. Elles sont en effet en capacité de leur proposer des salaires, des avantages (par exemple, la présence d’un comité d’entreprise), des possibilités d’évolution plus intéressantes, des horaires de travail plus réguliers ou plus souples. Les petites entreprises ne peuvent pas suivre en général, et ont besoin régulièrement de procéder à des recrutements pour compenser ces départs. Certaines optent alors pour l’embauche de jeunes, en particulier en concourant à leur formation initiale. Ils servent ainsi de « tremplins » aux plus grosses ou aux plus solides financièrement, et adoptent une « culture » favorable à la formation des jeunes, dans une perspective de GPEC « à la sauce » TPE-PME, c’est-à-dire plus pensée et assimilée a priori qu’instrumentée et formalisée à part entière.

Les petites structures, elles ont une culture de la formation qui est totalement différente, parce qu’elles savent qu’elles ont un besoin, et ce besoin il faut qu’elles le satisfassent d’ici quatre-cinq ans, parce qu’il y a un turn-over quand même, les bons, ils partent, de toute façon. Donc après ils ont besoin d’avoir des jeunes à former qui soient productifs rapidement, surtout les petites structures, donc eux elles ont cette notion de formation. Dans les grosses boîtes… Oui, [X] ils ont cette culture de formation, mais d’autres… Ils se disent : « On verra. On verra… Ouais… » Il faut prendre des stagiaires, parce qu’au niveau financier il faut qu’on prenne tel nombre de stagiaires pour avoir ses déductions fiscales et autres, pour entrer dans les clous. En gros c’est ça (professeur de construction et de dessin industriel, lycée de l’Aéronautique).