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Des problèmes de disponibilité et d’organisation

4. L’accompagnement du tutorat en action par les établissements de formation

4.3. Les visites en entreprises et les appels téléphoniques à l’initiative des enseignants et des

4.3.3. Des problèmes de disponibilité et d’organisation

Les visites et les appels téléphoniques effectués à l’initiative des enseignants et des formateurs pour suivre les actions de tutorat et favoriser les évaluations sur lesquelles elles doivent déboucher, représentent le point nodal de leur accompagnement. Or, ces démarches, dont les caractéristiques et les buts ont été précisés plus haut, se confrontent souvent à des problèmes de disponibilité et d’organisation, qui contribuent à entraver leur mise en œuvre et à entamer leur apport potentiel. Il est clair que les démarches d’accompagnement, et en particulier les visites en entreprise, ne sont pas toujours conduites « comme il faudrait ». Certaines visites normalement prévues ne sont pas effectuées, et ce pour des raisons tenant à la gestion des établissements de formation. Parmi ces visites non-effectuées, on compte surtout des visites de suivi, lesquelles doivent en principe se dérouler au début des PFMP ou au cours des premiers mois de l’année scolaire pour les contrats d’apprentissage, selon le fonctionnement visé par la plupart des établissements. Au mieux, on se contente alors d’un simple appel téléphonique pour s’assurer au moins auprès du tuteur que « tout se passe bien » ; au pis, on se résout à ne point réaliser le suivi auprès du tuteur. Par exemple, au lycée de l’Aéronautique, si l’objectif affiché par le directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques est qu’il y ait deux visites effectuées pour chaque PFMP, il arrive, semble-t-il, qu’il n’y en ait qu’une, et parfois même aucune.

En fait, la disponibilité des enseignants et des formateurs pour réaliser les visites n’est pas toujours parfaitement au rendez-vous. La programmation de ces visites est parfois difficile à organiser et à caler avec les heures de cours à assurer avec les autres élèves ou classes, ainsi qu’avec les autres actions à mener ou à animer, comme par exemple les « mini-stages » organisés par le lycée de l’Aéronautique pour recevoir des élèves de collège et se donner ainsi des chances d’en recruter des motivés. Cette programmation apparaît d’ailleurs quelquefois assez lourde et resserrée sur un temps limité. Certains enseignants ou formateurs doivent ainsi réaliser quantité de visites de structure (jusqu’à « 17-18 ») sur une période très courte, ce qui fait peser sur eux d’importantes exigences en termes horaires. En outre, comme nous l’avons vu, les enseignants/formateurs des matières générales ont moins de disponibilité que leurs collègues des matières techniques et professionnelles – et peut-être aussi souvent moins d’aisance pour se déplacer au sein des structures d’accueil, notamment lors de l’évaluation (cf. infra).

— Ils viennent en cours de stage, mais ça c’est plus pour vérifier le comportement de l’élève

— Donc il y a parfois une visite en cours de stage ?

— Ce n’est pas souvent. Ça arrive de temps en temps, mais pas souvent. — C’est un problème de disponibilité, souvent, qui fait que ?…

— Oui (tuteur, PME en maintenance aéronautique).

Tout ceci explique pourquoi des établissements, comme par exemple le lycée de la Sécurité, en viennent à opter pour de simples appels téléphoniques afin de procéder au suivi de l’installation des actions de tutorat, plutôt que pour des visites en entreprise.

Du point de vue des acteurs des établissements de formation, ce manque de temps ou de disponibilité traduit plus généralement l’insuffisance des ressources, notamment en « moyens humains », dont ils disposent pour conduire de façon satisfaisante leur accompagnement des actions de tutorat, cette insuffisance étant liée à certaines contraintes ou certains choix institutionnels ou organisationnels qui s’imposent à eux. Avec les moyens mis à leur disposition, des enseignants et des formateurs ont ainsi le sentiment que l’investissement requis en temps par l’accompagnement est trop élevé pour que celui-ci puisse être mené à la lettre : « malgré toute notre bonne volonté, à un moment donné, on arrive au bout du bout ».

Le choix d’attribuer à un enseignant ou un formateur la responsabilité du suivi des stages ou des contrats d’apprentissage n’est pas du reste une panacée. Au lycée de l’Aéronautique, le professeur affecté quelques heures par semaine à ce suivi apparaît « embourbé » dans la gestion de la « partie administrative », et compte finalement sur ses différents collègues de l’équipe pédagogique du bac pro aéronautique pour conduire et entretenir les relations avec les entreprises pendant les stages. Au lycée de la Sécurité, le professeur de sûreté dépêché à la gestion du suivi des relations avec les entreprises impliquées dans le domaine de l’apprentissage, et libéré dans cette perspective tous les mercredis, exprime la difficulté qu’il rencontre pour réaliser ses visites sur le terrain.

Tout ceci rejoint et renforce en fin de compte ce qui a été dit au sein du premier chapitre, à propos des écueils rencontrés pour rechercher des places de stage ou d’apprentissage.

Au vu des entretiens, il semble qu’il est possible d’ajouter à ces éléments une autre dimension : la façon de s’impliquer, en tant qu’enseignant ou formateur, dans l’accompagnement effectif des actions de tutorat. De fait, un tel accompagnement ne peut être vu comme le simple résultat d’un calcul académique ou gestionnaire, en termes d’heures libérées et donc a priori disponibles. Il suppose avant tout une grosse implication de la part des enseignants et des formateurs, qui repose sur une certaine prise de distance avec les questions purement administratives de gestion horaire. Pareille implication se manifeste sans conteste très souvent32. Bon nombre d’enseignants et de formateurs n’hésitent pas à faire et à regrouper des visites sur une partie de « leur temps libre » (c’est-à-dire le temps où ils n’ont pas à être présents au sein de l’établissement de formation, notamment pour assurer des cours). On peut toutefois se demander si l’organisation des établissements de formation n’a pas parfois tendance à inciter les enseignants et les formateurs à s’en tenir à un raisonnement où les visites sont strictement rapportées aux heures de cours ainsi libérées et doivent donc à tout prix avoir lieu dans ces créneaux-là, limitant du coup leur disponibilité potentielle pour pouvoir accomplir ces visites.

De plus, l’implication dans les démarches d’accompagnement diffère inéluctablement en intensité selon les différents enseignants ou formateurs. Cela renvoie, entre autres, à la manière dont chacun construit en priorité son rapport au travail : spécialiste d’une discipline ? Accompagnateur de jeunes ? Enseignant en lycée professionnel ? Etc. Un directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques interviewé au sein d’un lycée a même suggéré que certains enseignants (une toute petite minorité) iraient même jusqu’à éviter de se déplacer, « faute de professionnalisme ».

Après il y en a qui tiennent à leur quota ! Puisqu’on fait une répartition par rapport au nombre d’heures qu’ils peuvent avoir avec les élèves, j’ai des collègues aussi, quand on fait un quota mathématique, parfois on va se retrouver avec 1,5. Alors on leur dit : « Tu ne peux pas m’en prendre deux ? —

32 Cette implication prend parfois des formes exemplaires. Un exemple : alors que chaque année, quelques

élèves du lycée de l’Aéronautique partent en Angleterre faire un stage dans le cadre d’un partenariat construit par ce lycée, un enseignant est amené à les suivre et à accompagner leur évaluation en allant les voir sur place, ainsi que leur tuteur. Cet enseignant part alors un mois. Il est accueilli dans une famille à l’instar des stagiaires. Son déplacement est financé par la taxe d’apprentissage collectée par le lycée.

Non ! » On n’insiste pas. Par contre on a des collègues qui vont dire : « Moi je peux t’en prendre une en plus. » Voilà. C’est une histoire de personnes.

Bien entendu, ce mode d’implication ne se réduit pas, dans la très grande majorité des cas, à une simple affaire de bonne ou de mauvaise volonté. Il réfère plus fondamentalement à la façon dont chacun voit son métier et se positionne pour gérer l’ensemble des contraintes qui lui sont propres (ex : préparation de l’ensemble de ses cours vs temps à consacrer aux visites). En outre, il est surtout à appréhender et à comprendre dans la complexité de l’organisation globale du temps et des conditions de travail dans les établissements de formation, à l’image de ce l’on constate pour les tuteurs dans les structures d’accueil.

Ces différents problèmes nuisent néanmoins au suivi et à l’évaluation pratiqués. Ils ne jouent pas de fait dans le sens d’un rapprochement entre enseignants/formateurs et tuteurs d’entreprise, et traduisent à nouveau la sous-exploitation pédagogique des périodes passées en entreprise, déjà pointée. Les enseignants et les formateurs n’ont pas toute la disponibilité et les moyens nécessaires pour se déplacer et réfléchir ainsi à toutes les compétences évaluables en entreprise. Du coup, ils sont privés de la possibilité de valider tout un ensemble de compétences qui pourraient l’être en entreprise, et qui doivent l’être ainsi, par défaut, en contrôle en cours de formation au sein de leur établissement : « On est bloqués par une question de temps et d’organisation Education nationale». Certains tuteurs, notamment en sécurité, regrettent ces situations. Ils semblent d’ailleurs souhaiter que les enseignants/formateurs les rencontrent davantage.

J’ai été un peu surpris, parce que… au début je pensais qu’on allait avoir plus de collaboration, et aujourd’hui j’ai un peu le sentiment que c’est : « On vous a mis l’apprenti en place, débrouillez-vous ». J’ai eu une visite pour l’évaluation dans l’année, c’est tout. Mais j’aurais pensé quand même… […] Alors j’ai cru comprendre, M. [X] m’a expliqué qu’ils ont cette classe-là à s’occuper, ils en ont d’autres, ils sont surbookés… En plus, ils disent – et les papiers le disent aussi – que ce n’est pas le [lycée de la Sécurité] qui est responsable d’eux. Ils viennent en enseignement au [lycée de la Sécurité], mais eux ils viennent du CFA de [X], l’UFA, ils sont détachés en fait. En fait l’alternance, comme ce n’est pas leur établissement, c’est l’UFA… voilà. Et l’UFA, alors là, je n’ai jamais eu personne qui m’a appelé, encore moins qui s’est déplacée. Là c’est purement administratif. […]. C’est un peu flou (tuteur, TPE dans le domaine de la sécurité-incendie).

Un tel souhait se vérifie souvent chez les tuteurs qui débutent dans l’activité du tutorat et prennent à cœur leur responsabilité en la matière. Par exemple, au moment de l’enquête (nous en sommes alors au dernier jour de stage du jeune), le tuteur d’une PME prestataire en sécurité n’a eu pour l’instant aucune relation avec les enseignants du lycée de la Sécurité. La semaine qui suivra, il rencontrera la professeure de français du stagiaire, qui viendra sur le site pour procéder à l’évaluation du stage. Ce sera le seul contact établi avec le lycée durant le stage. Pour ce tuteur, l’absence de relations avec des enseignants a manqué pour pouvoir faire le point sur le déroulement du stage, être beaucoup « plus factuel », bien comprendre les besoins, prendre connaissance des définitions au préalable. « La communication est toujours intéressante », ne serait-ce que pour partager l’information. De son point de vue, il aurait été utile de se voir, de se parler avant le début du stage, de faire un point hebdomadaire. Cela aurait été profitable au stage et donc au stagiaire. « C’est peut-être un travail en plus, de trop, pour les enseignants, qui manquent de temps, de moyens ».

Les acteurs des établissements de formation évoquent aussi à rebours le manque de disponibilité de certains professionnels. Les exigences de productivité (en particulier en aéronautique) les empêchent de disposer de tout le temps qui serait nécessaire à l’évaluation de certaines tâches, comme par exemple, en sécurité, la participation à une ronde sur un site de grande taille. Surtout, elles ne permettent pas toujours de décrocher des rendez-vous avec les tuteurs, provoquant alors

des difficultés pour réaliser l’évaluation : « Je ne peux pas me substituer au tuteur pour donner une note ».

En ce qui concerne les PFMP en aéronautique, « au-delà d’une demi-heure, tout le monde a le sentiment de perdre son temps ». Notamment, les personnels des petites entreprises de ce secteur sont souvent débordés, compte tenu d’aléas ou d’imprévus fréquents à gérer, qui contraignent parfois à remettre au dernier moment les rendez-vous : « Dans les petites structures, on a toujours peur de leur faire perdre leur temps. Généralement, le tuteur, c’est le patron. Parfois, ils ont un truc sur le gaz »33.

Une tentation de vouloir faire au plus vite lors des visites se manifeste dès lors fréquemment. Elle risque de nuire à l’action d’accompagnement et de déboucher sur des co-évaluations appauvries, centrées seulement ou avant tout sur l’attitude des jeunes : « On le voit, il y a des moments, […] on va visiter l’élève, pour que la visite se passe vite, on met des plus partout, finalement l’élève est bien, il est là toujours à l’heure, et on se dit : « S’il est parfait comme ça, on peut lui donner le bac maintenant » ».

En outre, les acteurs des établissements de formation signalent que certains tuteurs restent « désespérément » rétifs à ce qui leur est demandé, malgré l’accompagnement et les visites dont ils bénéficient. Cela se constate surtout au niveau des évaluations, où à en croire ces acteurs, les tuteurs en question demeureraient obstinément sourds aux propositions de contournement de la grille officielle de compétence qui leur sont parfois faites, notamment pour tenter de débloquer des situations. Ils affirmeraient que les compétences du référentiel sont vraiment trop éloignées de leur situation quotidienne de travail, sinon trop « insensées » par rapport à elle.