• Aucun résultat trouvé

1. Les interprètes de terrain au CICR : présentation générale

1.2. Les interprètes du CICR

1.2.1. Le recrutement et les profils recherchés

Afin de mieux cerner le profil des interprètes du CICR, revenons à l’annonce de recrutement. Les tâches décrites par l’offre sont les suivantes :

« Profession : Interprète / Traducteur arabe. Sur le terrain.

Votre tâche :

traduction orale de l'arabe à l'anglais et de l'anglais à l'arabe lors d'entretiens confidentiels avec des détenus, de diffusions institutionnelles, de distributions de messages Croix-Rouge et de visites de familles

traduction de l'arabe écrit (articles de journaux, correspondance, etc.) à l'anglais écrit

analyse et reporting des conditions de détention, de la situation de sécurité ainsi que tout ce qui a trait au mandat du CICR. »37

On constate immédiatement que le cahier des charges est assez varié et suppose des compétences de traducteur et d’interprète mais aussi une flexibilité certaine en fonction

37 Extrait de l’offre d’emploi en ligne du CICR pour traducteur/interprète de langue arabe, disponible au lien suivant : http://icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/fd-arabic-interp, consulté le 26 décembre 2008.

des besoins opérationnels. En matière de compétences linguistiques, l’annonce précise plus loin qu’une « maîtrise de l'arabe et de l’anglais » est requise tandis qu’une connaissance du français constitue « un atout ». Quant à la formation, une « formation universitaire ou un minimum de 2 ans d'expérience professionnelle »38 sont mentionnés parmi les critères d’engagement. Il ressort clairement ici que les candidats recherchés le sont pour leurs compétences linguistiques qui n’ont pas besoin d’être assorties d’une formation préalable, ni d’une expérience particulière comme traducteur et/ou interprète.

L’expérience montre cependant qu’une partie des interprètes arabophones ou arabisants possèdent une expérience antérieure dans la traduction ou l’interprétation39. Il n’y a pas vraiment de pré-requis non plus pour ce qui est de la langue maternelle. Les compétences linguistiques requises sont à ce titre bien différentes de celles exigées dans le domaine de la traduction ou de l’interprétation de conférence, qu’il s’agisse du métier lui-même ou même de postuler à une formation en interprétation de conférence.

Le candidat au poste envoie un dossier, qui, s’il est retenu, est suivi d’une journée de tests et d’entretiens. Cette journée prévoit plusieurs tests, l’un d’une demi-heure porte sur la connaissance de l’organisation, et, un second vise à examiner les capacités rédactionnelles et de synthèse du candidat. Deux autres tests sont à

38 Ibid.

39 Voir à ce propos l’article de MOSER-MERCER Barbara et BALI Grégoire (2007) in « Interpreting in Zones of Crisis and War: Improving Multilingual Communication through Virtual Learning* », op. cit.

Un tableau rapporte en effet le type de formation reçue d’après les réponses des interprètes en mission (toutes langues confondues) au questionnaire conçu par l’ETI. Il s’agissait d’une question à choix multiple portant sur la formation en interprétation, avec la possibilité de cocher plusieurs options. 7,69%

des personnes ayant répondu affirment avoir une expérience antérieure en tant qu’interprète communautaire ou auprès des tribunaux. 11,54 % affirment avoir reçu une formation d’interprète de conférence et 3,85 % une formation d’interprète de terrain. Ces résultats ne permettent pas d’identifier les personnes ayant une formation ou une expérience de traducteur. Néanmoins, si l’on considère qu’il n’y a pas de redondance pour les trois réponses citées ci-dessus (or, il est fort probable qu’il y en ait), cela signifierait qu’à peine 23% des interprètes en mission ayant répondu au questionnaire ont reçu une formation ou ont une expérience antérieure en interprétation. Nous ne sommes pas en mesure de fournir d’estimation chiffrée pour l’arabe uniquement.

proprement parler des tests d’évaluation du niveau linguistique. Ce sont ces deux derniers qui nous intéressent particulièrement. Le premier est un examen d’une heure environ visant à évaluer le niveau d’anglais écrit, pour les candidats dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Cet écrit est suivi d’un entretien oral à partir d’un texte afin d’apprécier le niveau de langue oral du candidat. Enfin, le dernier test est un test d’une heure environ, portant sur le niveau de langue arabe ainsi que l’aptitude à traduire de l’arabe vers l’anglais et inversement.40 L’entretien se déroule en arabe en vue d’évaluer les capacités du candidat en arabe littéraire. En fonction de l’examinateur, le candidat peut être soumis à un court entretien visant à évaluer sa compréhension des différents dialectes. Il est ensuite invité à traduire deux courts textes de l’arabe vers l’anglais et de l’anglais vers l’arabe. Enfin, le dernier exercice est une dictée d’arabe afin d’apprécier son orthographe. Signalons que de manière générale les examinateurs pour ces tests sont des interprètes de conférence de langue arabe. L’auteur de ce travail n’a pas été soumis à un exercice d’interprétation à proprement parler, mais il semblerait que certains candidats aient un exercice de traduction à vue pendant le test de langue arabe. Enfin, le candidat a deux entretiens de motivation en plus des exercices évoqués ci-dessus.

Lesdits entretiens portent essentiellement sur la motivation humanitaire du candidat, ainsi que ses capacités d’adaptation, de travail en équipe. Enfin ils visent à apprécier l’aptitude du candidat à supporter psychologiquement de vivre pendant une longue période dans des contextes difficiles. Si le candidat est retenu, il doit également effectuer un bilan médical afin de s’assurer que son état de santé psychique et mental lui permette de partir en mission.

40 Cette description s’appuie sur l’expérience de l’auteur de ce travail et ne peut être considérée comme la façon dont se déroulent systématiquement les tests. En effet, cela peut varier d’un examinateur à l’autre, et d’un candidat à l’autre, en fonction de s’il est de langue maternelle arabe ou non notamment. L’objet de cette description est de donner une idée générale sur le recrutement des interprètes.

En réalité ces tests et ces entretiens mettent l’accent sur les connaissances linguistiques du candidat ainsi que sa motivation à travailler dans l’humanitaire.

L’aspect traduction/interprétation n’est qu’un aspect dans le parcours du recrutement, et il n’est en aucun cas requis d’être de niveau professionnel. Nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de différentes tâches dévolues à l’interprète une fois en mission.

Soulignons également que le fait de ne pas exiger au niveau du recrutement un niveau professionnel est dû en partie à la difficulté pour les ressources humaines de trouver des candidats ayant le profil décrit ci-dessus41. En effet, l’organisation peine à trouver des interprètes de langue arabe et certainement encore plus pour des langues rares, telles que le urdu, le farsi ou l’amharique. Notons, que cette difficulté pourrait bien expliquer partiellement l’absence de pré-requis en matière de dialecte pour l’arabe.

Une autre contrainte s’ajoute à cela, celle de la neutralité. En effet, afin de préserver la neutralité de l’organisation, comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, un interprète/traducteur ou même un délégué ne doit pas être envoyé en mission dans un pays ou une région dont il est ressortissant. Sachant que les besoins en interprètes sont proportionnels à l’ampleur du conflit, le Moyen-Orient et le Soudan étant actuellement les pôles les plus demandeurs, cette contrainte a deux conséquences directes pour l’interprétation : l’absence d’exigence en matière de dialectes et le fait d’être ou non de langue maternelle arabe. En effet, même un interprète dont l’arabe est

41 Voir à ce propos l’article de Brigitte Troyon et et Daniel Palmieri qui constatent que le délégué en plus de l’impartialité, de la capacité à négocier et prendre des décisions, doit faire preuve de ténacité, rigueur et modestie, et des « qualités suivantes : équilibre, résistance à la frustration, sens de l’observation, honnêteté, bon sens, fiabilité, tolérance, altruisme. Dévouement, etc. Critères auxquels s’ajoutent tout de même des motivations humanitaires ! […] On comprend dès lors que la quête de l’oiseau rare soit un véritable défi », pp.10-11 de l’article imprimé depuis :

http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/review-865-p97/$File/IRC_89_1_Troyon_fre.pdf, op.cit.

la langue maternelle se trouve au moins à une reprise, si ce n’est plus, dans une situation où il doit interpréter avec et à partir d’un dialecte qui n’est pas le sien. Or, entre le dialecte marocain par exemple et le dialecte irakien, il y a tout de même des différences notoires. Nous reviendrons ultérieurement (2.3.) sur cette question qui mériterait, à elle seule, tout un chapitre. La nécessité de préserver la neutralité et le jeu des nationalités (dans certains pays, les détenteurs d’une double nationalité ne sont pas forcément bien accueillis par les autorités) fait que parfois les interprètes ne sont ni de langue maternelle arabe ni anglaise. Ils sont donc amenés à interpréter dans certains cas dans ce qui équivaudrait à un B<>C ou même un C<>C42, selon la classification des langues actives et passives établie par l’AIIC.

Enfin, un dernier point mérite d’être mentionné afin de mieux cerner le profil des interprètes : le poste d’interprète/traducteur constitue pour beaucoup une porte d’entrée au sein de l’organisation. En effet, les critères d’engagement pour les interprètes/traducteurs de langue arabe et les délégués arabophones/arabisants sont sensiblement identiques mis à part qu’une expérience professionnelle de deux ans est exigée pour les délégués43. Un délégué aura en outre besoin d’avoir un certain talent de négociation, et, savoir travailler en équipe, voire gérer une équipe sous sa responsabilité. Ainsi, un candidat qui ne remplit pas les conditions pour être délégué aura tendance à postuler en tant qu’interprète, ou se voit parfois proposer un poste d’interprète, et il exercera cette fonction par dépit d’une certaine façon. Cela ne signifie

42 La langue B est une langue active à partir de laquelle et vers la quelle on interprète depuis sa langue maternelle. Une langue C est un langue passive depuis laquelle on interprète vers sa langue maternelle.

Voir à ce propos la classification des langues actives et passives de l’AIIC à http://www.aiic.net/glossary/default.cfm?ID=94, consulté le 26 décembre 2008.

43 Voir à ce propos l’offre d’emploi ligne sur le lien : http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/fd-arabic-delegate, consulté le 26 décembre 2008.

pas que le travail effectué est de mauvaise qualité, mais que la personne exerçant cette profession n’a pas de formation et n’a pas l’intention d’occuper ce poste à long terme.

L’expérience d’interprète sert souvent de tremplin pour devenir délégué ultérieurement.

Cet élément peut avoir son importance dans la mesure où l’absence de motivation profonde à exercer en tant qu’un interprète/traducteur, ainsi que la perception erronée dont souffre la profession, qui se retrouve dans cette différence d’exigences au niveau du recrutement, peut avoir des répercussions sur le travail ainsi qu’engendrer une forme de désengagement. De plus, le caractère parfois ad hoc des interprètes devrait être pris en compte pour envisager ou concevoir une formation spécifique. Une formation longue serait par exemple peu pertinente puisque la plupart des interprètes n’exercent cette fonction que temporairement. Or, comme nous le verrons par la suite, le travail effectué par l’interprète/traducteur sur le terrain nécessite parfois un haut degré de professionnalisme, qui ne semble pas toujours suffisamment pris en compte au moment de l’embauche.