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1. Les interprètes de terrain au CICR : présentation générale

1.2. Les interprètes du CICR

1.2.3. Les aptitudes requises

L’absence de formation préalable à l’embauche en tant qu’interprète ou traducteur, et, l’absence de formation technique pour le métier en lui-même au sein de l’organisation ne signifie cependant pas que le travail de l’interprète est d’une grande facilité. En effet, être interprète/traducteur sur le terrain suppose une connaissance minimale des instruments juridiques, à commencer par les Conventions de Genève et leurs Protocoles48, mais aussi d’autres instruments du DIH et des droits de l’homme.

Les limites de ce travail ne permettent pas d’aborder plus en détail les différents textes et traités qui sont d’une grande complexité.

Nous nous contenterons de quelques exemples afin de mettre en évidence certaines nuances qu’un interprète doit être en mesure de saisir. De manière général, il convient par exemple de faire la différence entre les corpus du DIH et des droits de l’homme ayant force obligatoire et ceux qui n’ont pas force obligatoire. A ce titre la Déclaration universelle des droits de l’homme n’a pas force obligatoire, elle est considérée comme admise par tous mais il n’y a pas d’instance chargée de l’appliquer.

En revanche les Conventions de Genève ont force obligatoire dans les Etats qui les ont ratifiées. De même L’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus49 n’est pas un texte contraignant comme l’est la Convention contre la torture50 dans un

48Manuel du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, op. cit.

49Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, le 30 août 1955, voir le lien :

http://www1.umn.edu/humanrts/instree/french/glsmrf.htm, consulté le 26 décembre 2008.

50 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987, voir le lien : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/h_cat39_fr.htm, consulté le 26 décembre 2008.

Etat qui l’a ratifiée. Il en résulte qu’on ne se réfère pas de la même manière, ni pour les mêmes raisons à ces textes en fonction de leur portée. Il est en effet possible de se référer à L’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus dans un Etat ou auprès d’une autorité non-étatique dans la mesure où ce texte a en quelque sorte valeur universelle. Il est en revanche difficile d’invoquer la Convention contre la torture, le cas échéant, si l’autorité pénitentiaire est un groupe rebelle et par essence non-étatique.

Ainsi, les arguments et textes juridiques qui servent de cadre ne sont pas les mêmes si l’interlocuteur est un Etat ou un groupe rebelle.

Revenons maintenant aux textes qui offrent un cadre juridique en cas de conflit, à savoir le DIH et les Conventions de Genève. Les quatre Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels constituent la pierre angulaire du DIH. Les Conventions de 1949 ont été adoptées après révision des trois premières, et, adjonction de la quatrième Convention portant sur la protection des populations civiles suite aux persécutions dont ces dernières furent victimes pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les quatre Conventions s’intitulent comme suit :

I Amélioration du sort des blessés et malades dans les forces armées en campagne II Amélioration du sort des blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer III Traitement des prisonniers de guerre

IV Protection des personnes civiles

Les deux Protocoles additionnels datent de 1977 et visent à « renforcer la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) et non internationaux (Protocole II) »51.

Il convient cependant, en tant qu’interprète, de savoir quels sont les textes juridiques offrant un cadre légitime d’intervention au CICR dans le contexte donné. Par exemple, s’il s’agit d’un conflit international, ce sont les Conventions et le Protocole I qui s’appliquent. En revanche, dans le cas d’un conflit non-international ce serait plutôt l’article 3 commun aux quatre Conventions52 (appelé aussi « droit d’initiative »), ainsi que le Protocole II. L’interprète/traducteur doit également être familiarisé avec les principes essentiels du DIH. Notamment le principe de distinction, ce dernier interdit aux belligérants de prendre les civils pour cible, ainsi que les biens civils. Un hôpital ne doit en effet pas être pris pour cible, ni un monument historique marqué par le bouclier bleu53. Citons également le principe de proportionnalité qui préconise un équilibre entre les intérêts militaires et l’exigence d’humanité. Le CICR a ainsi appelé les parties au conflit à respecter le principe de proportionnalité pendant la Guerre Israël-Liban en juillet 2006, estimant que les intérêts militaires poursuivis ne justifiaient pas autant de dommages.

51 In Droit international humanitaire : réponses à vos questions (2004). Genève, Publications du CICR, p.

10. Cet ouvrage constitue une excellente introduction aux différents instruments juridiques du DIH et leur application. Le Troisième Protocole fut adopté en 2005 et porte sur l’adoption d’un emblème additionnel : le cristal rouge, permettant aux sociétés nationales ne souhaitant adopter la croix rouge ou le croissant rouge comme signe distinctif d’adhérer au Mouvement malgré tout.

52 Cet article est considéré comme une convention miniature et fait état d’un ensemble de règles minimales à respecter par les parties contractantes en cas de conflit armé non-international. La protection est en effet plus difficile à renforcer lorsque le conflit n’est pas international dans la mesure où elle se heurte à la souveraineté de l’Etat.

53 Conformément à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés.

Ces connaissances sont indispensables, non seulement parce qu’elles permettent de mettre en place la terminologie juridique qui ne va pas toujours de soi, mais aussi parce que le droit est un domaine d’une grande complexité qui nécessite une expression subtile. On ne remplace pas un mot par un autre dans un texte juridique, et des termes qui pourraient sembler synonymes à l’auditeur non-averti ont en réalité des implications juridiques bien différentes. Prenons un exemple emprunté au domaine de la protection.

Un détenu, un prisonnier de droit commun, prisonnier de guerre, interné, détenu de sécurité ou une personne privée de liberté peuvent sembler être des termes relativement proches, ils ont cependant des implications juridiques qui diffèrent.

En effet, un prisonnier de guerre relève de la Troisième Convention de Genève, il s’agit d’un porteur d’arme fait prisonnier au combat, il n’appartient pas forcément à une armée régulière. Bien entendu, pour qu’il puisse y avoir prisonnier de guerre, il faut qu’il y ait une reconnaissance de l’état de guerre par les autorités. Ce point est essentiel, mais dans les faits, il n’est pas si évident qu’il n’y paraît à établir. En effet, si on prend l’exemple de l’Irak, la guerre s’est officiellement terminée le 9 avril 2003 au moment de la chute du gouvernement de Saddam Hussein, à cette date commença une période de transition régie par la Coalition Provisional Authority (CPA). Dans ce cas, seul un porteur d’arme arrêté avant cette date est considéré comme prisonnier de guerre.

Jusqu’au transfert de l’autorité par les Multinational Forces for Iraq (MNF-I), il s’agit d’une situation d’occupation54. Ensuite, le CICR fait appel à la notion de conflit non-international internationalisé (en raison de la présence ininterrompue des MNF-I sur le

54 Le 28 juin 2004, le pouvoir fut formellement transféré au Gouvernement intérimaire irakien, mettant un terme à la situation d’occupation et de conflit international au sens strict. L’interlocuteur du CICR est donc, en théorie, un Etat souverain à compter de cette date, il devient alors difficile de renforcer la protection juridique offerte aux civils par le DIH.

territoire irakien) et préconise l’application de la Quatrième Convention qui traite de l’internement, entre autres. La notion d’internement désigne la privation de liberté de civils pour des raisons de sécurité. Ces personnes se trouvent ainsi privées de liberté parce qu’elles sont considérées comme une menace, mais elle n’ont pas été inculpées, ni ne sont jugées, et n’ont pas été condamnées. En d’autres termes, elles ne purgent pas une peine pour réparer une faute commise. Il en découle que le régime prévu par la Quatrième Convention est plus souple que celui de la première ou la seconde. En effet, les autorités ont l’obligation d’offrir un régime différent de la détention lorsqu’il s’agit d’internement. Un détenu est quelqu’un qui purge une peine en réparation d’une faute.

On comprend dès lors que l’utilisation du terme interné ou détenu de la part des autorités ou du CICR a des conséquences lourdes. Le CICR peut en effet formuler certaines recommandations sur la base de la Convention IV. Les mêmes recommandations n’auraient aucune légitimité s’il s’agissait d’un système de détention à visée punitive. L’interprète doit pouvoir utiliser cette terminologie en connaissance de cause, le cas échéant.

De la même manière, une situation de conflit implique que les interlocuteurs sont souvent des militaires. Aussi faut-il se familiariser un minimum avec les grades militaires, les armes, et le vocabulaire connexe. Enfin, l’interprète peut être amené à travailler avec le délégué médical pendant des EST médicales. Cela suppose que la terminologie de l’anatomie est déjà en place afin de pouvoir chercher la terminologie précise des pathologies au cas par cas. Pour le vocabulaire technique (médical, juridique ou militaire), il est vivement conseillé de se constituer un ou des glossaires. Ce travail préalable facilite grandement la tâche par la suite, et constitue un base solide. À

ce titre, le CICR a l’avantage d’offrir un grand nombre de publications en plusieurs langues, il est relativement aisé de se les procurer auprès du service communication de la délégation. Mais c’est à l’interprète de prendre l’initiative, de parcourir les différents documents disponibles afin de chercher les équivalents du vocabulaire qui revient régulièrement et qui pourrait poser problème. Les documents comme les bulletins d’information, les rapports, les fascicules destinés à la diffusion d’information sur le DIH ou les activités de l’organisation de manière plus générale, s’avèrent très utiles.

Pour finir, une dimension essentielle du travail de l’interprète/traducteur sur le terrain, qui nécessite d’autant plus de flexibilité, est le travail en équipe. En effet, contrairement à un interprète free-lance contracté à la mission, l’interprète de terrain fait entièrement partie de l’équipe au sein de laquelle il travaille. Il lui faut donc trouver sa place, savoir s’adapter aux différents collègues avec lesquels il exerce. C’est, en effet, un travail qui se fait en binôme, et, pendant une visite de détention, l’interprète peut être amené à travailler pendant une semaine ou plus avec la même personne, avec un volume horaire chargé et des conditions parfois stressantes, sans compter la charge émotionnelle que suppose une semaine de visite et d’entretiens avec des personnes privées de liberté.

Il faut donc pouvoir s’adapter aux différents délégués, aux différents interlocuteurs et supporter de travailler dans des conditions difficiles tout en évinçant tout désaccord personnel, le cas échéant. L’interprète doit également pouvoir trouver sa place auprès de la personne avec laquelle il travaille, ne pas être trop présent, ni trop discret, assurer la communication sans interférer. Nous reviendrons sur cette question de rôle plus en détail par la suite (2.3.4. notamment).

Le travail en équipe offre cependant un certain nombre d’avantages qu’il faut savoir exploiter. En effet, l’équipe est constituée de délégués qui ont tous un parcours différent et une expérience plus ou moins longue au sein de l’organisation ; elle peut également comprendre un médecin et un conseiller juridique. Dans la mesure où l’interprète qui débute dans le métier, ou est en début de mission55, n’a pas forcément les connaissances suffisantes du contexte et de ses problématiques, et c’est tout à fait normal, il est essentiel de tirer profit du savoir des personnes dont il est entouré. La présence d’un médecin ou d’un conseiller juridique dans son équipe signifie que l’on peut aller les consulter régulièrement, en cas de doute ou de besoin d’éclaircissement sur un sujet, un concept ou une notion. À ce titre, le travail en équipe peut s’avérer extrêmement enrichissant. De la même manière, il ne faut surtout pas hésiter à se rendre dans le bureau d’un collègue avec qui l’on est amené à travailler, pour lui demander comment il travaille lorsqu’il est avec un interprète, et quels sont les sujets qui seront abordés pendant les entretiens.

Cette première partie visait à offrir un cadre général afin de remettre le travail des interprètes/traducteurs dans son contexte, celui d’une organisation de taille et complexe. La structure et le fonctionnement de l’organisation ont en effet des répercussions directes sur le travail de traduction et d’interprétation en mission. Enfin, il

55 Les missions d’interprètes ou de délégué au CICR durent en moyenne 9 ou 12 mois. Les missions de neuf mois sont assez rares et concernent uniquement les contextes très difficiles. Les positions hiérarchiques sont des missions plus longues (deux ans et plus, mais pas rarement supérieures à quatre ans). Il y a par conséquent, un roulement du personnel très fréquent au sein de l’organisation, et le personnel doit prendre l’habitude de se familiariser avec de nouveaux contextex rapidement et régulièrement. Ce turnover part également du principe qu’au terme d’une année il n’est pas très stimulant professionnellement d’occuper le même poste pour une durée plus longue.

s’agissait de recenser les aptitudes requises pour l’exercice de ce métier, dans ce contexte, ainsi que celles qui doivent être développées. Comme nous l’avons vu, il n’agit pas tant d’aptitudes et de compétences qui doivent être acquises préalablement, que de bons réflexes et de méthodes de travail conformes à l’esprit et au fonctionnement de l’organisation qui peuvent être apprises au fur et à mesure. C’est pourquoi, une éventuelle formation devra à la fois offrir des outils faciles à utiliser, mais aussi favoriser l’autonomie et sensibiliser à la nécessité d’apprendre en continu.