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1. Les interprètes de terrain au CICR : présentation générale

1.1. Présentation du CICR

1.1.3. Les modalités de travail du CICR

Après avoir exposé les différentes activités de l’organisation, nous nous concentrerons essentiellement sur la protection et plus spécifiquement sur la détention et le tracing qui sont indissociables. En effet, les visites de lieux de détention supposent tout un travail de fond qui est mené par l’agence, pour ne citer que la censure des fameux messages Croix-Rouge (MCR) qui permet ensuite d’acheminer les nouvelles aux familles et aux personnes privées de liberté. Cet exemple permet par ailleurs d’aborder la question des modalités de travail du CICR. En effet, il peut paraître étonnant de censurer des messages. Or, le CICR se doit de le faire pour préserver sa neutralité, son impartialité et sa crédibilité auprès des autorités. Il ne suffit pas d’avoir de la bonne volonté pour travailler dans l’humanitaire, que ce soit comme interprète ou délégué, comme nous le verrons plus amplement par la suite. C’est un domaine où il

26 Ibid.

27 Musée International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 17 avenue de la Paix, 1202 Genève.

faut en effet faire preuve d’un grand professionnalisme. Ainsi, les messages sont censurés, dans la mesure où ils sont destinés exclusivement à donner des nouvelles d’ordre familial et ne doivent donc contenir aucune information de type politique ou militaire ; le cas échéant, ils sont renvoyés à l’expéditeur. Cette procédure est essentielle dans la mesure où le CICR n’est pas un service postal. Si l’organisation servait à faire passer des messages entre un détenu et un membre d’un groupe armé partie au conflit, elle perdrait sa crédibilité en tant qu’institution neutre et impartiale auprès des autorités, ce qui nuirait au dialogue qu’elle s’efforce d’entretenir avec toutes les parties au conflit.

C’est pourquoi il convient ici de revenir sur les principaux éléments des modalités de travail de l’organisation en matière de protection. Ces éléments sont mentionnés parce qu’ils sont spécifiques à l’approche du CICR et ont, de surcroît, un impact direct sur le travail de l’interprète. En effet, l’efficacité de l’action du CICR, particulièrement en ce qui concerne les visites de lieux détention, est intimement liée

« au respect d’une méthode de travail constante et rigoureuse dont font partie les modalités de visite et la confidentialité des démarches auprès des autorités »28. Comme le souligne Alain Aeschlimann dans le même article, le dialogue est la « pierre angulaire » de l’approche du CICR, avec les autorités et les détenus. Il explique plus loin que :

« Pour être fructueux et constructif, le dialogue continu tel que le conçoit le CICR doit s’ancrer solidement dans une relation de confiance. Cette confiance [] est instaurée et développée grâce, entre autres, à la nature

28 AESCHLIMANN Alain (2005) in « La protection des détenus : l’action du CICR derrière les barreaux » in Revue internationale de la Croix-Rouge. Genève, CICR, vol. 87, n°857, p. 33. Article traduit en anglais. Egalement disponible à l’adresse :

http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/review-857-p83/$File/irrc_857_Aeschelimann.pdf, consulté le 26 décembre 2008.

confidentielle de la démarche du CICR. La confidentialité est une méthode de travail et un choix stratégique. Elle n’est donc pas une fin en soi. Elle permet aussi de travailler sur des questions généralement très sensibles, en toute indépendance et sans subir la pression de l’opinion publique, des médias ou d’organisations politiques. En outre, il est indéniable que la confidentialité facilite l’accès, surtout à des endroits que les autorités sont réticentes à ouvrir à des personnes externes. »29

La confidentialité est donc un moyen de mener à bien l’action de l’organisation et elle a des répercussions sur le travail quotidien des délégués et des interprètes. Ces derniers sont en effet tenus de protéger leurs différents documents de travail : notes, rapports confidentiels, etc. Cette confidentialité du travail est bien plus contraignante que celle dont doit faire preuve un interprète de conférence. Elle touche en effet l’intégralité du travail ou du moins la majeure partie. Un interprète de conférence peut être amené à exercer dans le cadre de réunions hautement confidentielles à certaines occasions. À ce titre, l’article 2 du Code d’éthique professionnelle de l’AIIC stipule que :

« a) Les membres de l'Association sont tenus au secret professionnel total et absolu. Celui-ci doit être observé à l'égard de quiconque et concerne tout ce qui a été appris dans l'exercice de la profession à l'occasion de réunions non publiques.

b) Ils s'interdisent de tirer un profit personnel quelconque de toute information confidentielle qu'ils auraient pu recevoir dans l'exercice de leurs fonctions d'interprète. »30

Mais de manière générale, la confidentialité, qui fait partie intégrante de la déontologie du métier d’interprète, n’est pas aussi contraignante que celle imposée au personnel du CICR. Signalons à ce propos que les « Règles à observer par les

29 Ibid., p. 50.

30 Nous soulignons ici « non publiques », en effet, la quasi-totalité du travail d’un interprète de terrain au CICR n’est pas publique. Article en ligne :

http://www.aiic.net/ViewPage.cfm?article_id=24&plg=2&slg=2, consulté en le 26 décembre 2008.

collaborateurs du CICR », comprennent un paragraphe (§7) entier, très détaillé, sur l’engagement de discrétion. Citons par exemple l’alinéa 7.2. qui stipule que le collaborateur s’engage :

« À éviter de faire allusion à la situation politique ou militaire dans des communications privées ou officielles ouvertes, y compris dans des conversations, des appels téléphoniques, des messages radio, des télégrammes, des e-mails ou tout autre support de communication électronique et papier »31.

Le travail dans le domaine de la protection et plus particulièrement de la détention impose en effet une extrême rigueur au personnel qui a accès a des lieux que les autorités n’ouvrent pas facilement. Par exemple, une partie de l’information en question ne peut être partagée avec les collègues nationaux. Par ailleurs, l’accès à de tels lieux fait que le personnel expatrié fait souvent l’objet d’une surveillance rapprochée, qui peut passer par des écoutes téléphoniques, tant de la part des autorités que des autres interlocuteurs avec qui le CICR est en contact.

Un autre pilier garantissant l’efficacité de l’action menée par le CICR est sa neutralité, déjà évoquée ci-dessus. Il ne relève pas de ce travail de débattre des liens entre la neutralité historique de la Confédération helvétique et la neutralité du CICR en tant qu’institution32. Signalons cependant que jusqu’en 1989, c’est-à-dire la fin de la Guerre froide marquée par la chute du mur de Berlin, l’exercice du métier de délégué (qui entre autres se devait d’être polyglotte) auprès du CICR était réservé aux détenteurs

31 In « Règles à observer par les collaborateurs du CICR », p. 7.

32 Voir à ce propos l’article de Brigitte TROYON et Daniel PALMIERI (2007) intitulé « Délégué du CICR : un acteur humanitaire exemplaire ? » in Revue internationale de la Croix-Rouge. Genève, CICR, n°865, pp. 97-112. Article traduit en anglais. Egalement disponible à l’adresse :

http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/review-865-p97/$File/IRC_89_1_Troyon_fre.pdf, consulté le 26 décembre 2008.

d’un passeport suisse. Cette mesure était censée garantir la neutralité et l’impartialité des représentants de l’institution. Or, la neutralité n’est pas seulement une question de nationalité, comme en témoigne l’internationalisation du personnel du CICR qui eut lieu par la suite. La neutralité va de pair avec l’impartialité, toutes deux sont préservées par un certain nombre de mesures. Ainsi, un délégué ou un interprète ne sera jamais envoyé en mission dans le ou les pays dont il est ressortissant, ni dans les pays limitrophes.

Cette mesure vise à assurer la neutralité du personnel ainsi que sa sécurité, tout en rendant difficile la tâche des ressources humaines en matière de recrutement. En effet, les activités liées à la protection, et plus spécifiquement à la détention, relèvent du personnel expatrié exclusivement pour deux raisons. Tout d’abord, il est difficile d’être neutre et impartial dans un conflit qui nous touche directement33, ce qui pourrait nuire à la neutralité et l’impartialité de la démarche du CICR. De plus, le caractère sensible de l’information exposerait au danger un employé national ressortissant du pays34. Une conclusion découle de cette pratique : il n’y a pas d’interprètes (particulièrement dans la protection) recrutés « sur place », au sens où ils seraient ressortissants du pays, dans les zones de conflit où intervient le CICR. En effet, contrairement aux différentes missions d’observateurs militaires de l’ONU, entre autres, qui emploient des assistants linguistiques recrutés sur place35, la politique du CICR en la matière élimine d’emblée un certain nombre de problématiques d’ordinaire associées à ce domaine d’interprétation.

33 Comme le souligne dans son article Zrinka Stahuljak, rapportant l’expérience de locaux interprétant pour la Mission de surveillance en ex-Yougoslavie de l’Union européenne. Voir Zrinka STAHULJAK in

« The Violence of Neutrality in and of the War (Croatia 1991-1992) », op. cit.

34 Voir au sujet de la sécurité, l’article de THOMAS Roy (2003). « There’s No I in Team ? Why and How Interpreters Must Be Made Members of the Team », in The Liaison, op. cit.

35 Ibid.

Enfin, il convient de mentionner brièvement les modalités de travail du CICR en détention plus spécifiquement. En effet, le CICR ne visite des lieux de détention que si certaines conditions lui permettant d’accomplir sa mission sont remplies. Pour commencer il lui faut obtenir l’autorisation des autorités qui est en général prévue par l’accord de siège conclu avec les autorités locales. Ensuite, le CICR ne visite un lieu de détention que s’il peut visiter quand il le souhaite, et, s’il a accès à l’ensemble des locaux du lieu visité. Les autorités doivent en outre, fournir une liste des personnes détenues dans le lieu. Cette liste permet d’avoir un suivi et d’éviter notamment la disparition de personnes. Enfin, les délégués doivent avoir la possibilité de mener des entretiens sans témoins (EST) avec les personnes privées de liberté. Cette mesure est essentielle car elle vise à pouvoir véritablement établir un dialogue de confiance avec la victime sans crainte de mesures de représailles ou d’intimidation de la part des autorités.