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Le non-recours aux soins, un sympt‰me de la m„dicalisation de la soci„t„

b) L’approche pr•ventive du non-recours aux soins

2.3. Le non-recours aux soins, un sympt‰me de la m„dicalisation de la soci„t„

La question du non-recours aux soins, dans ses diff‚rentes formulations, est ainsi rattach‚e ‰ la notion de risque objectif. Oscillant entre une approche curative et une approche pr‚ventive, elle concerne alors autant les individus en mauvaise sant‚ que ceux en bonne sant‚. Cela induit un changement de regard, celui-ci s’‚largissant ainsi des malades aux personnes asymptomatiques, tout au long d’un

continuum

aux bornes ind‚finies. Cette derni‡re id‚e est tr‡s clairement exprim‚e dans le rapport d’Andr‚ Flajolet, publi‚ en 2008 et portant sur … les disparit‚s territoriales des politiques de pr‚vention sanitaire †. Ce d‚put‚ pr‚conise, pour r‚pondre ‰ l’enjeu majeur des … populations ‚loign‚es du syst‡me de sant‚ †, de d‚velopper une pr‚vention globale. Celle-ci reposerait sur … une gestion active et responsabilis‚e du patrimoine sant‚ dans tous les aspects de la vie pour un

continuum

pr‚vention soin † (Flajolet, 2008 : 50). Plus pr‚cis‚ment, ce

continuum

… engloberait la sant‚ dans son ensemble de l’apprentissage progressif depuis l’enfance de sa capacit‚ ‰ g‚rer sa sant‚, ‰ se faire soigner au bon moment, ‰ la r‚insertion post maladie et, ultimement, jusqu’aux soins palliatifs † (Flajolet, 2008 : 66).

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Un cas embl€matique concerne le d€pistage des cancers. Le d€pistage syst€matique, pr€coce, est organis€ sur le plan national, bien que des incertitudes subsistent sur l’efficacit€ des tests et leur €ventuelle contre-productivit€ (en conduisant • un surdiagnostic de cancers indolents, qui ne se seraient jamais traduits de mani…re symptomatique, ou en engageant des traitements incertains…). Une contribution r€cente • ce d€bat a €t€ apport€e par Gilbert H. Welch (2005).

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Marcel Calvez insiste bien sur le fait que les d€bats sur le risque dans le domaine de la sant€ publique sont aussi importants, voire plus, pour ce qu’ils pr€supposent par d€faut. Les d€bats sur le Sida et l’homosexualit€ que ce sociologue observe reposent sur le pr€suppos€ que les h€t€rosexuels, blancs de surcro„t, ne sont pas concern€s par les risques (Calvez, 2001).

Le constat selon lequel le non-recours illustre la tendance ‰ concevoir la sant‚ dans un

continuum

soin/pr‚vention (et derri‡re le

continuum

sant€/maladie) m€rite l’attention, au-del„ de son caract‚re factuel. Il permet de soulever une dimension importante qui sous-tend l’€mergence du probl‚me du non-recours aux soins. Cette derni‚re ne se comprend que replac€e dans un contexte de m€dicalisation de la soci€t€, dont elle para‹t Štre le symptŽme „ de multiples €gards.

Les principaux travaux sur ce qui est appel€ la † m€dicalisation ‡ de la soci€t€ datent des ann€es 1970 et ont €t€ principalement effectu€s par des historiens ou des sociologues. Le processus, quant „ lui, prendrait ses sources bien avant, d‚s le 19e si‡cle (Faure, 1998) et s’intensifierait ‰ la fin du 20e si‡cle. Nombreux sont les constats de son extension dans l’ensemble des pays d‚velopp‚s, ‚voquant l’av‡nement d’une … ‡re de la m‚dicalisation † (AŒach et Delano•, 1998) et de la … promotion de l’

homo medicus

† (Peretti-Watel et Moatti, 2009 : 9). Plusieurs facteurs expliquent ce processus. Les recherches qui lui sont consacr‚s mettent en avant le r„le du progr‡s technique dans le domaine m‚dical, la mise en place de l’Etat-providence ou encore la mont‚e de la valeur sant‚. Derri‡re ce constat partag‚, la notion de m‚dicalisation est utilis‚e pour traduire des ‚volutions soci‚tales diff‚rentes, devenant un concept aux multiples dimensions (Ballard et Elston, 2005). Pierre AŒach, qui a co-‚dit‚ avec Daniel Delano• un des ouvrages importants sur la question en France, observe quatre t‚moins principaux de la m‚dicalisation : l’extension du domaine m‚dical (‚voqu‚e dans les th‡ses sur le … contr„le social † effectu‚ par les m‚decins sur le corps des individus), l’extension du champ de comp‚tence de la m‚decine (le regard m‚dical ‚tant sollicit‚ sur des questions d’exclusion sociale, de scolarit‚, etc.), la … sant‚isation † de la soci‚t‚ (en r‚f‚rence au n‚ologisme … healthism †104 qui renvoie ‰ la place centrale de la valeur sant‚) et enfin la pathologisation croissante de l’existence (c'est-‰-dire la propension ‰ d‚clarer davantage de maladies ou de troubles).

L’‚mergence de la question du non-recours aux soins, oscillant entre l’aspect curatif et pr‚ventif, renoue avec deux dimensions de la m‚dicalisation. Isolons tout d’abord la question du non-recours aux soins curatifs. Elle rejoint le premier t‚moin de la m‚dicalisation ‚voqu‚ par P. AŒach, relatif ‰ … l’expansion du corps m‚dical et l’utilisation par les individus des services de sant‚ mis ‰ leur disposition † (AŒach, 1998 : 21). Selon ce sociologue, qui reprend les premiers travaux sur la m‚dicalisation (d‚velopp‚e notamment par Ivan Illitch dans son ouvrage sur la … N‚m‚sis m‚dicale †, en 1975), cette derni‡re

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peut Štre observ€e statistiquement par l’accroissement de l’offre de soins (le nombre de professionnels de sant€) et de la demande de soins (la consommation m€dicale). Les facteurs explicatifs de cette augmentation de la demande, outre les facteurs habituellement avanc€s (mise en place d’une assurance maladie, vieillissement de la population…), puiseraient directement leur source dans le processus de m€dicalisation. En effet, celui-ci diffuse l’id€e qu’† Štre malade, c’est Štre un † soign€ ‡ : le diagnostic, les prescriptions du m€decin, les examens et les traitements auxquels le patient se soumet, conditionnent sa gu€rison mais aussi rythment et structurent sa perception et son exp€rience de la maladie ‡ (Adam et Herzlich, 2003 : 36). Ainsi, la logique m€dicale – nomm€e par Philip M. Strong † l’imp€rialisme m€dical ‡ (Strong, 1979) – qui demande „ s’adresser „ un professionnel de sant€ au moindre doute est alors per…ue comme un progr‚s. En ce sens, le non-recours aux soins curatifs est „ contre-courant de ce mouvement, renfor…ant de la sorte l’id€e de risque. Ne pas participer „ cette €volution, que ce soit en consultant rarement un m€decin ou encore en n’adh€rant pas aux dispositifs ou „ † l’id€ologie de la pr€vention ‡ (d’apr‚s les termes de P. A“ach), rel‚ve d’une d€viance, sur laquelle il convient d’intervenir.

Une seconde dimension nous permet de dire que le non-recours aux soins est un symptŽme de la m€dicalisation. Il s’agit, en reprenant la typologie de P. A“ach, de celle relative „ la m€dicalisation de la vie. Elle repose sur la d€finition extensive de la sant€ – dont la d€finition propos€e par l’OMS en est le symbole – €largissant les niveaux de risque de l’individu sain jusqu’au malade av€r€ et passant ainsi d’une perspective clinique (oŒ la † sant€ ‡ €tait distincte de la † maladie ‡) „ une approche €pid€miologique fond€e sur la distribution de variables continues. Autrement dit, cela signifie une nouvelle approche du couple sant€/maladie, que nous observons avec le rapprochement entre les domaines curatifs et pr€ventifs dans le cas du non-recours aux soins. Auparavant bien distinct, ce couple sant€/maladie s’exprime maintenant sous l’angle d’un continuum. Le r€cent travail de J. Collin permet d’€clairer ce passage qu’elle nomme la † transition €pid€miologique ‡, refl€t€e par un † changement du regard m€dical, allant du chevet du malade „ la sph‚re publique et de la clinique „ la surveillance des populations normales ‡ (Collin, 2007 : 101). Elle appuie son analyse sur l’€volution historique de trois maladies (l’hypertension, la dysfonction €rectile et la d€pression) qui d€montrent toutes le d€veloppement de la † quŠte du mieux que bien ‡. Concr‚tement, cela a un impact sur le champ d’action de la m€decine qui se trouve €largi. Il passe ainsi de la r€paration et du contrŽle de la maladie

chronique au r€tablissement fonctionnel en passant par l’am€lioration des potentialit€s de l’individu (

enhancement

).

Conclusion 2.

Le non-recours aux soins ‚merge ainsi dans un contexte o‹ le … risque † se diffuse, ‰ diff‚rents domaines et sous diff‚rentes formes. En l’occurrence, il est accol‚ au risque sanitaire, entendu ‰ travers ses d‚clinaisons comme … facteur de risque † ou … comportement ‰ risque †. Le risque est au centre de ce qui constitue l’int‚rƒt port‚ aux populations en marge du syst‡me de soins105, que ces derni‡res aient ou non des besoins de soins. Les acteurs qui s’int‚ressent ‰ ces situations mobilisent l’argument du risque ‰ un moment ou un autre, notamment en l’objectivant

via

l’usage du paradigme €pid€miologique. Donner une telle dimension au non-recours aux soins fait pleinement entrer cette question dans le registre de la sant€ publique. Celle-ci – et par l„ les professionnels qui en composent le champ – trouve en effet sa l€gitimit€ dans l’observation, la pr€vention puis la gestion des risques. Avec son regard historique, Georges Vigarello note „ ce titre que † la r€volution de l’€pid€miologie ‡, fond€e sur l’objectivation des facteurs de risques, au plus pr‚s de l’individu, a boulevers€ d‚s la moiti€ du 20esi‡cle la mani‡re de consid‚rer la sant‚ ; il constate que, dor‚navant, … c’est ‰ ‚pier ces facteurs de risque que s’oriente le r‚gime de vie : adapter le comportement aux menaces individuelles et chiffr‚es † (Vigarello, 1993 : 305).

Les implications sont doubles, si nous reconnaissons avec D. Fassin que … faire de la sant‚ publique, c’est ainsi – pour le meilleur et pour le pire – changer ‰ la fois notre regard et notre intervention sur le monde † (Fassin, 2008 : 13). Son propos rejoint, d’une part, ce que nous venons d’aborder sur l’‚largissement du regard des individus sains, asymptomatiques, aux individus malades ou ‰ risque de l’ƒtre. La figure qui ressort des personnes concern‚es par le non-recours aux soins est celle d’individus souffrants ou

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Un r€cent exemple a pu Œtre donn€ dans les d€bats sur les risques de pand€mie grippale, li€s • la grippe A(H1N1). L’une des questions soulev€es €tait celle des dispositifs d’information et de pr€vention • mettre en place pour toucher les populations en marge du syst…me de sant€, telles que les SDF (ASH, 2009). L’objectif sous-jacent reposait sur un souci de protection de leur sant€ mais €galement de protection de la sant€ de l’ensemble de la population. Cette ambig‘it€, ainsi que l’opportunit€ de † levier contre l’exclusion ‡ que repr€sente la lutte contre la pand€mie grippale, a €t€ bien analys€e par Jean-Claude Ameisen (2007). Plus g€n€ralement, nous pouvons faire l’hypoth…se que l’int€rŒt port€ au non-recours aux soins tient • la volont€ de prot€ger la sant€ des individus qui sont concern€s directement mais €galement celle de l’ensemble de la population. Toutefois, peu d’€l€ments empiriques nous permettent de traiter cette hypoth…se.

vuln€rables. Et, d’autre part, D. Fassin nous invite „ comprendre en quoi cette modification du regard induit une modification dans les modes d’intervention en sant€ publique. C’est ce que nous allons traiter en analysant la mani‚re dont les incitations „ cibler ces interventions sur les † populations €loign€es du syst‚me de sant€ ‡ ont contribu€ „ l’€mergence du non-recours aux soins.

3. CONSTRUCTION DES ‚ POPULATIONS A RISQUE ƒ DE NON-RECOURS AUX

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