• Aucun résultat trouvé

Introduction

La notion de … non-recours † a suscit‚ une litt‚rature croissante en France depuis les ann‚es 1990. Son usage s’est ‚tendu ‰ des domaines autres que celui de la protection sociale et des prestations sociales. La sant‚ fait partie de ces domaines : le non-recours est l’objet de d‚bats et d’analyses, il est perŠu par les professionnels et donne lieu ‰ des mesures (Warin, 2005). Nous assistons ‰ … l’‚mergence de † la probl‚matique du non-recours aux soins et plus g‚n‚ralement du non-non-recours dans le domaine de la sant‚, dans le sens o‹ Pierre Favre l’entend, comme d’un moment distinct de … l’‚mergence dans † (le champ politique principalement)41(Favre, 1992 : 10).

Dans cette premi‡re partie, nous nous attacherons alors ‰ analyser les raisons de l’‚mergence, en France, du probl‡me du non-recours dans le domaine de la sant‚ et du soin. Nous suivrons en cela l’invitation faite par Antoine Math, un ‚conomiste qui a particip‚ ‰ l’introduction de la notion de non-recours aux droits sociaux dans le champ acad‚mique franŠais. Il sugg‡re d’ƒtre attentif aux raisons pour lesquelles la question ‚merge ou non selon les cat‚gories de population ou selon les services et prestations sociales (Math, 2003b). Ainsi, cela revient ‰ nous interroger, comme point de d‚part ‰ cette premi‡re partie, sur un aspect simple mais essentiel. Pourquoi y a-t-il un int‚rƒt particulier pour le non-recours dans le champ du soin, de surcroˆt lorsqu’il concerne les populations … pr‚caires † ? Quelles sont les raisons qui ont permis ‰ un fait individuel – ne pas r‚aliser des soins pour am‚liorer sa sant‚ – de devenir un probl‡me public et de revƒtir une dimension collective ?

Deux postures ‚pist‚mologiques s’offrent ‰ nous pour r‚pondre ‰ cette interrogation. En simplifiant42, nous pourrions suivre une premi‡re d‚marche dite r‚aliste ou positiviste. Elle rejoint la c‚l‡bre formule d’Emile Durkheim pour qui … la premi‡re r‡gle et la plus fondamentale est de consid‚rer les faits sociaux comme des choses † (Durkheim, 1988 :

41

Cette •tape de l’•mergence du non-recours ƒ dans ‡ le champ politique peut ˆtre observ•e dans d’autres champs que celui de la sant•. Le non-recours au Revenu de solidarit• active (RSA), tr‚s fort selon les premi‚res •valuations, devient par exemple une question politique : il viendrait montrer les limites et le peu d’int•rˆt port• † cette prestation fortement soutenue par le gouvernement.

42

Cyprien Avenel rappelle bien que la posture positiviste et celle constructiviste ne sont pas tant oppos€es que compl€mentaires. Chaque † probl…me social ‡ ne peut Œtre analys€ uniquement comme le produit d’une transformation objective, au risque d’oublier le rŠle des acteurs sociaux dans la d€finition des probl…mes, ni comme le r€sultat d’une construction sociale. En effet, † les repr€sentations li€es • un ph€nom…ne sont d’autant plus efficaces qu’elles correspondent • des transformations objectives et qu’elles s’inscrivent concr…tement dans des rapports sociaux ‡ (Avenel, 2005 : 15). Pour une illustration de cette compl€mentarit€, dans le champ de la sant€, voir Fassin, 2008.

108). Selon celle-ci, l’‚mergence du probl‡me du non-recours aux soins ferait suite ‰ un fait objectif, par exemple ‰ l’aggravation des difficult‚s d’acc‡s aux soins, pesant davantage sur les cat‚gories sociales les plus d‚favoris‚es. Autrement dit, il s’agirait d’analyser plus profond‚ment en quoi l’‚volution de cette situation, … r‚alit‚ † identifiable et mesurable par une s‚rie d’indicateurs, produit des situations de non-recours aux soins, quelles en sont les conditions et causes (r‚formes du syst‡me de soins, paup‚risation d’une partie de la population, etc.). Ici, le probl‡me serait social et public d‡s lors qu’il est le r‚sultat de dysfonctionnements de la soci‚t‚, touchant de nombreuses personnes, et qu’il est l’objet d’interventions publiques destin‚es ‰ y rem‚dier, comme une r‚ponse s’imposant naturellement.

Ce n’est pas cette d‚marche que nous avons souhait‚ privil‚gier dans cette partie. Nous suivrons la deuxi‡me posture, celle dite constructiviste. Comme sa d‚nomination le laisse entendre, elle analyse comment une situation ou une condition est socialement et progressivement construite en un probl‡me et qualifi‚e de la sorte. D’une part, elle nous a sembl‚ la plus adapt‚e pour r‚pondre ‰ notre interrogation initiale sur les raisons de l’‚mergence d’un int‚rƒt particulier pour le non-recours aux soins des populations pr‚caires. En effet, les travaux en science politique et en sociologie sur les probl‡mes sociaux – pensons par exemple ‰ ceux de John W. Kingdon ou d’Howard Becker – ont d‚montr‚ que l’attention accord‚e par la soci‚t‚ ‰ un fait social plut„t qu’‰ un autre, ‰ un moment donn‚, ‚tait issue d’un processus s‚lectif. Ainsi, pour rester dans le champ de la sant‚, certains ph‚nom‡nes deviennent des probl‡mes ayant une forte visibilit‚ et suscitant la mobilisation d’acteurs publics, comme l’alcool au volant (Gusfield, 2009), tandis que d’autres n’acc‡dent pas ‰ l’attention publique ou le sont en retard, comme dans le cas de l’amiante (Henry, 2007). Il s’agit alors de partir du postulat suivant : … aucune question ne constitue un probl‡me public

a priori

, et aucun probl‚me public ne l’est par essence ni automatiquement ‡ (Sheppard, 2004 : 348). D’autre part, la d€marche constructiviste permet de porter le regard sur la d€finition et la repr€sentation sociales du probl‚me, qui orientent en retour la mani‚re de conduire les politiques publiques s’y rapportant (Jobert, 1992). Le processus de probl€matisation €tant envisag€ comme le r€sultat de l’action ou de la mobilisation de plusieurs acteurs sociaux, la formulation d’un probl‚me et les discours produits „ son encontre doivent faire l’objet de l’analyse (Lahire, 1999). Ce qui nous int€resse ici, c’est que cette analyse permet de relever sur quelles normes et valeurs s’appuient ces discours pr€sentant les situations de non-recours comme un probl‚me.

Ainsi, si … de faŠon la plus simple, on peut dire d’un probl‡me qu’il devient public ‰ partir du moment o‹ il est pris en compte par une ou des autorit‚s publiques […] la question essentielle est de savoir comment et pourquoi un probl‡me donn‚ devient l’objet d’une attention publique † (Hassenteufel, 2008 : 39). Pour mener ‰ bien cette r‚flexion, nous pouvons poser plusieurs questions ouvrant chacune sur diff‚rentes dimensions du … probl‡me † ‚tudi‚. Sous quelles formes la question du non-recours aux soins des populations pr‚caires a-t-elle acc‚d‚ ‰ l’attention publique ? Dans quel contexte cette pr‚occupation apparaˆt-elle et en quoi ce contexte pourrait-il jouer ou non un r„le ? Qui sont les acteurs sociaux participant ‰ sa construction ? Quels sont les discours sur le non-recours et les usages institutionnels de la notion ? Quelles sont les repr‚sentations et dimensions du probl‡me qui ont ‚t‚ s‚lectionn‚es ?

Pour r‚pondre ‰ ces questions, nous organiserons notre propos en trois chapitres. Ces chapitres correspondent chacun ‰ trois hypoth‡ses sur les raisons de l’‚mergence de la notion du non-recours. Dans un premier chapitre, nous analyserons en quoi celle-ci prend place dans une logique de sant‚ publique, ‚tant associ‚e ‰ la valeur sant‚ et au paradigme du … risque †. Les deux chapitres suivants pr‚senteront en quoi le caract‡re extensif de la notion du non-recours aux soins permet ‰ des acteurs aux intentions diff‚rentes de l’utiliser. Le deuxi‡me chapitre d‚montrera que le non-recours peut ƒtre reli‚ par certains acteurs ‰ l’enjeu principal de l’effectivit‚ du droit aux soins. Cela fait du non-recours une question relative ‰ la citoyennet‚ sociale et ‚galement un d‚terminant des in‚galit‚s sociales de sant‚. Mais, et c’est ce que nous verrons dans un troisi‡me chapitre, la question est observ‚e aussi dans un ensemble de discours sur les incitations ‰ faire respecter des devoirs de soin. Le non-recours, envisag‚ au travers de son co•t ‚conomique, met l’accent sur les responsabilit‚s des citoyens dans le d‚s‚quilibre financier du syst‡me de soins franŠais. L’enjeu d’efficacit‚ est en toile de fond de ces usages-l‰ de la notion de non-recours aux soins.

CHAPITRE 1

L’EMERGENCE DU NON-RECOURS AUX SOINS

Outline

Documents relatifs