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a) La mobilisation de l’argument •conomique dans le champ du soin

Nous pourrions faire la mƒme observation dans le champ particulier du soin. Mesurer l’impact ‚conomique de la prise en charge tardive ou nulle d’une pathologie pose des difficult‚s similaires. Mais, ‰ la diff‚rence d’autres droits sociaux, la repr‚sentation des cons‚quences ‚conomiques li‚es ‰ un d‚faut de soins, ou de pr‚vention, est plus facilement envisag‚e. A ce titre, il est int‚ressant de noter la mani‡re dont une chercheuse en ‚pid‚miologie et en g‚ographie, Emmanuelle Cadot, r‚pond ‰ la question des cons‚quences d’un renoncement ou d’un retard aux soins : … qui dit retard de soins, dit ‚tat de sant‚ aggrav‚, et prise en charge bien plus difficile. Il n’y a pas eu, ‰ ma connaissance, d’‚tudes statistiques pour ‚valuer le surco•t que cela repr‚sente ensuite pour la d‚pense publique mais, intuitivement on peut imaginer qu’une prise en charge plus tardive, plus difficile va entraˆner des co•ts suppl‚mentaires † (Cadot, 2009). Ici, l’accent est mis sur la dimension intuitive. Ailleurs, elle se mƒle ‰ l’observation de situations telles que celle ‚voqu‚e par C‚line Spolti, dans une th‡se de m‚decine g‚n‚rale traitant de

l’absence de prise en charge sanitaire des populations pr€caires. Elle y d€crit le cas d’une personne n€cessitant † 3 semaines de r€animation et 3 mois d’hospitalisation pour une h€patite toxique cons€cutive „ une prise d'antalgiques pour une fracture du p€ron€ non radiographi€e ni pl‰tr€e pour des raisons financi‚res ‡ (Spolti, 2006 : 36). Dans la continuit€, les €tudes sur la † mortalit€ potentiellement €vitable ‡, pr€sent€e comme un indicateur d’efficacit€ et d’€quit€ des syst‚mes de soins, permettent d’€valuer indirectement les cons€quences m€dicales et les co•ts €conomiques li€s „ des retards aux soins ou „ des soins ambulatoires inad€quats (Freund, 2009). Elles restent toutefois controvers€es, puisque rien ne vient dire que les soins auraient r€ellement empŠch€ l’hospitalisation et les crit‚res retenus pour d€finir ce qu’est une hospitalisation €vitable demeurent sujet de d€bats. Ces €tudes ne font que supposer des liens entre les difficult€s d’acc‚s aux soins (primaires) et les hospitalisations €vitables. Une €tude am€ricaine sur la mortalit€ potentiellement €vitable indique par exemple que † ceux sans assurance m€dicale pourraient ne pas recevoir les soins primaires ad€quats, pourraient retarder la consultation m€dicale n€cessaire, et ainsi pourraient Štre confront€s „ des hospitalisations €vitables, ou ils pourraient solliciter les urgences qui les soigneraient et les renverraient chez eux sans les garder „ l’hŽpital ‡ (Pappas, Hadden, Kozak et Fisher, 1997 : 815). Enfin, citons un r€cent document de travail de la DREES dans lequel toute une partie de l’analyse porte sur les † surco•ts ‡ induits par la prise en charge des patients pr€caires dans les €tablissement de sant€. Parmi les facteurs de surco•ts, les auteurs de cette €tude isolaient notamment les difficult€s d’acc‚s aux droits et aux soins, ainsi que la non-compliance des prescriptions (Maric, Gregoire et Leporcher, 2008). Aucune estimation chiffr€e de ces surco•ts n’est propos€e.

L’absence d’€tudes s’attachant „ mod€liser pr€cis€ment le co•t du non-recours aux soins n’empŠche donc pas la mobilisation de l’argument €conomique pour d€fendre l’int€rŠt „ porter „ ces situations. Bien au contraire, nombreux sont les acteurs „ s’y r€f€rer. Tous le font dans l’id€e qu’il est possible d’€viter des d€penses suppl€mentaires induites par l’aggravation de pathologies rest€es trop longtemps sans soin m€dicalis€ ou par une moindre pr€vention. Autrement dit, pour cette derni‚re, nous retrouvons certainement l’† id€e re…ue [qui] est que la pr€vention est par essence toujours rentable €conomiquement, comme le sugg‚re l’adage que mieux vaut pr€venir que gu€rir ‡ (Moatti, 1992 : 158) bien que cela fasse d€bat chez les €conomistes de la sant€. Cet int€rŠt €conomique est assez clair dans le cas de la CNAMTS. Dans l’entretien avec J.J. Moulin, nous percevons que ce qui int€resse la CNAMTS, c’est moins le non-recours aux soins en

tant que tel que le fait qu’il pr€suppose un d€ficit de pr€vention et un retard aux soins, co•teux €conomiquement. J.J. Moulin fait passer, d‚s la r€ponse „ notre question de d€part, la logique €conomique en premier :

€ - De quand date l’int…r‚t du CETAF pour le non-recours aux soins ?

- En fait c’est pas l’int•r„t du CETAF mais c’est l’int•r„t de l’Assurance maladie, de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salari•s, qui s’int•resse … ce probl†me du non-recours dans la mesure o• la CNAMTS a pour charge de faire en sorte que les d•penses de sant• coŒtent le moins cher possible au budget de l’Assurance maladie et que pour •viter… une des mesures pour •viter la croissance des d•penses c’est d’•viter que les sujets soient... que les maladies soient diagnostiqu•es le plus t€t possible. Or les gens qui sont en non-recours aux soins voient leur m•decin trop tard, … un stade avanc• de la maladie et … ce moment l… ‡a coŒte beaucoup plus cher de les prendre en charge que si on les voyait plus t€t. Or pour ces populations-l…, elles sont en non-recours aux soins pendant longtemps, ‡a fait des diagnostics tardifs et des maladies qui sont vues … un stade beaucoup plus avanc•. De mani†re g•n•rale, les agents de l’Assurance maladie essaient d’identifier les causes de non-recours aux soins parmi certaines populations, et parmi les causes il y a apr†s … essayer d’y rem•dier, de trouver des solutions pour que les gens ne soient plus… soient le moins possible en non-recours aux soins.208Š

J.J. Moulin fait r‚f‚rence ici ‰ la … politique de gestion du risque †, notion apparue dans la loi du 13 ao•t 2004 r‚formant l’Assurance maladie. Depuis, elle est plac‚e … au cœur de l’action de l’Assurance maladie † dans la Convention d’objectifs et de gestion 2006-2009. Elle y est pr‚sent‚e comme … l’action sur les comportements des assur‚s [qui] doit amener ces derniers ‰ am‚liorer la prise en charge de leur sant‚, notamment par le recours aux soins appropri‚s et ‰ des actions de pr‚vention †209. C’est d’ailleurs dans la partie se r€f€rant „ la gestion du risque que les actions † men€es en direction des populations les plus €loign€es du syst‚me de sant€ ‡210 sont int‚gr‚es. La gestion du risque repose principalement, dans cette COG211, sur les assur‚s qui sont pr‚sent‚s comme

208

Entretien avec Jean-Jacques Moulin, le 15/10/2008. 209

Convention d’objectifs et de gestion sign•e entre l’Etat et la CNAMTS pour la Branche maladie, ao…t 2006, p.2.

210

Ibid, p.4. 211

Nous ne rendons compte que de 5 orientations de la politique de gestion du risque, telles qu’adopt€es par le Conseil de la CNAMTS en 2005. Ces 5 orientations sont les suivantes : le d€veloppement de la pr€vention pour contenir la d€pense des soins, c'est-•-dire agir sur le comportement avant l'apparition d'une pathologie ;

les acteurs centraux. D’eux d‚pend … la mise en œuvre de ce cercle vertueux [passant] par la connaissance des parcours de soins et l’application de mesures de pr‚vention ou d’incitation †212. La signification du … risque † ici est diff‚rente de celle ‚voqu‚e dans le premier chapitre. Ou tout du moins, elle n’en reprend qu’une partie. En effet, elle est d‚finie comme … la politique qui vise ‰ promouvoir un recours aux soins et une organisation du syst‡me de sant‚ les plus efficients possibles213† ou autrement dit, ‰ … [maˆtriser] l'‚volution des d‚penses tout en am‚liorant l'‚tat de sant‚ de la population214 ‡. Il s’agit d’une † gestion ‡ du risque positionnant les imp€ratifs budg€taires en arri‚re plan de toute d€marche de sant€ publique. L’objectif est d’€tablir l’€quilibre entre ces deux dimensions, l’une sanitaire et l’autre budg€taire. Nous retrouvons ici un des traits caract€ristiques des discours de responsabilisation, analys€s dans le champ de la sant€ par John Cultiaux et Thomas P€rilleux. Reprenant les travaux de Luc Boltanski et Laurent Th€venot, ces auteurs d€montrent comment sont mobilis€s, dans ces discours, les arguments du type † b€n€fices individuels ‡ et d’autres du type † bien commun ‡. Selon eux, † parler d’† argumentaire de la responsabilisation ‡ dans le domaine de la sant€ implique donc de se mettre „ l’€coute des † bonnes raisons ‡, pour les pouvoirs publics, les institutions et les citoyens eux-mŠmes, de favoriser, d’une part, certains comportements en mati‚re d’information, de pr€vention, de s€curit€ publique et de soin mais €galement, d’autre part, certaines conceptions des droits et devoirs des patients, des prestataires de soin et des gouvernements ‡ (Cultiaux et P€rilleux, 2007 : 135).

Ce double registre est tout aussi rep€rable dans d’autres exemples que celui de la CNAMTS. Prenons le rapport du s€nateur Bernard Seillier sur les politiques de lutte contre la pauvret€ et les exclusions. Ce rapport traite „ plusieurs endroits et de mani‚re explicite de la question du non-recours aux droits sociaux, qu’il per…oit comme une composante essentielle de la pauvret€ et de l’exclusion sociale. Parmi les propositions de ce rapport, il pr€conise de favoriser l’acc‚s „ la CMU, „ la CMU-C et „ l’ACS. Pour cela, une mesure

l'information et l'accompagnement de tous les acteurs du syst…me, en particulier les assur€s et les professionnels de sant€ ; la limitation des d€penses inutiles par le contrŠle du p€rim…tre des soins pris en charge, la fixation des tarifs et la justification m€dicale du recours aux soins ; l'organisation de l'offre de soins ; le pilotage et le contrŠle du syst…me de soins. La question du non-recours aux soins se retrouve dans la premi…re orientation. http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/connaitre-l-assurance-maladie/missions-et-organisation/l-assurance-maladie/metier-gestionnaire-du-risque.php. 212 Ibidp.25. 213

Point d’information mensuelle de l’Assurance maladie, 14 avril 2005.

214

Extrait de :

http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/connaitre-l-assurance-maladie/missions-et-organisation/l-assurance-maladie/metier-gestionnaire-du-risque.php..

consisterait ‰ … prot‚ger d’une ‚ventuelle suspension des droits ‰ la CMU les personnes de bonne foi, accus‚es de fraude ou de fausses d‚clarations de ressources, dont la situation financi‡re est particuli‡rement fragile † (Seillier, 2008 : 135). L’objectif de cette mesure est d’‚viter les suspensions de droits. Pour appuyer ses propos, B. Seillier avance qu’il … ne paraˆt en effet pas judicieux de placer des individus en grande fragilit‚ sociale dans une situation de non-recours aux soins. Le co•t pour la soci‚t‚ peut s’av‚rer ‰ terme plus ‚lev‚ que les ‚conomies r‚alis‚es gr‘ce ‰ ses nouvelles dispositions † (Seillier, 2008 : 135).

Un autre rapport, celui du d‚put‚ A. Flajolet sur les disparit‚s de pr‚vention sanitaire, t‚moigne d’une double argumentation lorsqu’il est question des populations ‚loign‚es du syst‡me de soins. Elle repose sur des ‚l‚ments ‰ une ‚chelle individuelle, avec un enjeu sanitaire, et ‰ une ‚chelle collective, avec un enjeu ‚conomique. L’une des principales recommandations du rapport, l’instauration de … communaut‚s de sant‚ †, a ainsi pour finalit‚ de … r‚ins‚rer dans le syst‡me de sant‚ les personnes et les populations qui en sont aujourd’hui absentes et arriveront tardivement dans le syst‡me de soins avec de lourdes cons‚quences humaines, financi‡res et ‚conomiques † (Flajolet, 2008 : 65).

Enfin, dernier exemple venant cette fois-ci du champ associatif, MDM recourt ‰ cette double argumentation, ‚voquant sur le long terme … la production d’‚conomies r‚elles † ‰ favoriser l’acc‡s aux soins (Leriche et Simonnot, 2004 : 51). A l’oppos‚, l’association d‚nonce … le co•t humain et financier sans commune mesure avec les soi-disant ‚conomies r‚alis‚es215†, co•t potentiellement caus‚ par les mesures de lutte contre la fraude ‰ la CMU-C. L’usage d’un argument ‚conomique vient ici appuyer les prises de position de MDM. Nous pouvons faire l’hypoth‡se que cela leur permet de susciter une adh‚sion plus grande ‰ la cause d‚fendue.

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M€decins du monde, † Lutter contre la fraude ou lutter contre les pauvres ? ‡, Communiqu€ de presse du 15 f€vrier 2008.

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