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b) Privation du droit aux soins et exclusion de la citoyennet‚ sociale

La citoyennet€ ne se r€sume pas „ l’exercice de ses droits civils et politiques, mais int‚gre en outre les droits sociaux. La notion de † citoyennet€ sociale ‡ propos€e par Thomas Humphrey Marshall en 1950 est rest€e une r€f€rence (Marshall, 1950). Elle doit Štre resitu€e dans le contexte du d€veloppement de l’Etat-providence britannique, avec la reconnaissance progressive de droits sociaux, et dans la tradition de l’individualisme anglais. Cette derni‚re est caract€ris€e par la recherche permanente d’un €quilibre entre les libert€s individuelles et les protections sociales, indispensables supports pour qu’un individu se construise en tant que tel. D‚s lors, pour concilier ces deux facettes de l’individu, † la r€ponse sera progressivement construite autour de la citoyennet€, certains insistant sur les besoins de † lib€ration ‡ des entraves, d’autres reconnaissant le besoin de † protections ‡ ‡ (Martuccelli et de Singly, 2009 : 45). T.H. Marshall propose alors d’€tendre aux protections sociales la conception de la citoyennet€, celle-ci €tant appr€hend€e jusque-l„ en termes de citoyennet€ civique puis de citoyennet€ politique. Plus pr€cis€ment, la citoyennet€ sociale regroupe un ensemble de droits sociaux, dont chaque individu devrait b€n€ficier de mani‚re €gale pour garantir des conditions de vie dignes (droits concernant la sant€, l’€ducation, le travail…), ainsi qu’un ensemble de devoirs (dont la contribution au financement du syst‚me de protection sociale, par l’impŽt).

Patrick Hassenteufel a par la suite propos€ de compl€ter l’approche de T.H. Marshall (Hassenteufel, 1997). Selon lui, cette derni‚re ne se r€sumerait qu’„ une dimension de la citoyennet€, „ savoir la dimension statutaire qui fixe juridiquement les droits et devoirs des individus. Deux dimensions pourraient Štre ajout€es. La premi‚re est la dimension effective

de la citoyennet‚, … c'est-‰-dire l’existence concr‡te, observable empiriquement, des principes de la citoyennet‚ statutaire † (Hassenteufel, 1997 : 52) et dont les r‚sultats am‡nent une ‚galisation des conditions face aux risques sociaux. La seconde dimension est la dimension identitaire, … c'est-‰-dire des modes d’identification collective produits par la construction de l’Etat-nation † (Hassenteufel, 1997 : 52). Cette approche de P. Hassenteufel est int‚ressante ‰ double titre. Premi‡rement, elle int‡gre le crit‡re de l’effectivit‚ des droits d‚finissant la citoyennet‚ sociale, crit‡re important dans l’‚mergence du th‡me du non-recours, et, deuxi‡mement, elle tient compte du fait que l’exercice de ces droits participe au sentiment d’int‚gration ‰ une mƒme communaut‚ sociale et politique. Partant de l‰, il avance que … l’exclusion remet en cause fondamentalement la citoyennet‚ tant au niveau statutaire (perte des droits sociaux mais aussi parfois des droits politiques pour les sans-domicile-fixe en particulier) qu’au niveau identitaire (le d‚litement du lien social conduisant ‰ une perte d’identifications collectives) et au niveau effectif (creusement des in‚galit‚s face aux risques sociaux † (Hassenteufel, 1997 : 53).

Difficult‚ ‰ faire valoir ses droits sociaux, exclusion et citoyennet‚ sociales sont mises ensemble pour poser un autre regard sur les ‚volutions de la soci‚t‚ franŠaise. Pour le dire autrement, l’acc‡s et le non-recours aux droits sociaux deviennent alors, dans les ann‚es 1990, une … nouvelle clef de lecture de la question sociale† (Borgetto, 2004 : 14). Cette p‚riode o‹ la rh‚torique de l’exclusion a ‚t‚ le plus mobilis‚e, qui a vu ‚galement l’‚mergence du non-recours aux droits sociaux dans le d‚bat public, a favoris‚ un changement de repr‚sentation de la question sociale. Comme le rappelle A. Math, l’un des facteurs de l’‚mergence du non-recours tient ‰ la n‚cessit‚, d‡s lors que la notion d’exclusion s’est impos‚e, de pr‚ciser de quoi les personnes d‚sign‚es comme telles ‚taient exclues (Math, 2003b). Au-del‰ de l’acc‡s ‰ un bien-ƒtre mat‚riel, les analyses produites ‰ cette ‚poque par des chercheurs et des acteurs associatifs pointent les situations d’exclusion aux droits fondamentaux. L’id‚e se diffusant ‰ l’‚poque est que la d‚finition de la pauvret‚ ne peut ƒtre bas‚e uniquement sur des indicateurs ‚conomiques165. Cette id€e n’est pourtant pas nouvelle, les chercheurs en sociologie de la pauvret€ ayant depuis longtemps int€gr€ cet aspect. D‚s le d€but du 20e si‡cle, G. Simmel faisait de la citoyennet‚ un rapport particulier entre les pauvres et la communaut‚ nationale. Il avanŠait que … les pauvres ne sont pas seulement pauvres, ils sont aussi citoyens. En tant que tels, ils participent aux droits que la loi octroie ‰ la totalit‚ des

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La pauvret€ est traditionnellement appr€hend€e par le calcul du taux de pauvret€ mon€taire, qui correspond • la part des individus disposant de revenus inf€rieurs • 60% du revenu m€dian.

citoyens, et cela en accord avec l’obligation qu’„ l’Etat d’assister les pauvres ‡ (Simmel, 2005 : 55). Plus tard, les travaux sociologiques d’inspiration culturaliste €voquent cette dimension. L’ouvrage classique d’Oscar Lewis, intitul€

Les enfants de Sanchez

, explique qu’un des traits de la … culture de la pauvret‚ † concerne la m‚fiance dans les institutions et une vie en marge qui prive les membres de cette culture de l’acc‡s aux ressources disponibles (Lewis, 1963). Citons ‚galement les ouvrages de Richard Hoggart (1970) ou de Michael Harrington (1993). Ce dernier, parmi les cultures de la pauvret‚ qui composent cette … autre Am‚rique † des ann‚es 1960, d‚crit une … pauvret‚ h‚r‚ditaire † qui se traduit par une distance vis-‰-vis des droits sociaux et des programmes d’aide sociale cibl‚s et conduit ‰ du non-recours – en cela cet ouvrage a particip‚ ‰ l’introduction de cette question dans le d‚bat public am‚ricain.

Un ensemble de facteurs remet cette repr‚sentation de la pauvret‚ en avant dans les ann‚es 1990, int‚grant les cons‚quences ‚conomiques de ces absences de droit et plus g‚n‚ralement reliant cette repr‚sentation ‰ la question de la citoyennet‚166. L’ONPES, dont l’une des missions est de rassembler les diff€rentes connaissances et approches sur la pauvret€ et l’exclusion, en est un bon exemple. Le dernier rapport, ainsi que les appels „ projets r€cents167, t€moigne d’un €largissement des conceptions de la pauvret€ en int€grant la privation de droits (et le non-recours) dans les facteurs de pauvret€ et d’exclusion. Ce rapport rappelle ce d€placement du regard, induisant un d€placement dans les objectifs d’intervention, en €non…ant que † les personnes en difficult€ sont donc moins consid€r€es comme des † inadapt€s ‡ que comme des citoyens dot€s de droits fondamentaux qu’il s’agit de faire valoir ‡ (ONPES, 2008 : 148). Enfin, en introduction des actes du s€minaire † Droit et pauvret€ ‡, quatre des membres de l’ONPES reviennent sur l’importance du droit pour comprendre les ph€nom‚nes de pr€carit€ et pauvret€ aujourd’hui. Ils avancent en particulier que † la question de l’acc‚s au droit semble parfois plus d€terminante, du fait de ses cons€quences pratiques, que celle du droit lui-mŠme ‡ (Brevan, Legros, Maurel et Outin, 2007 : 14) et invitent „ porter le regard sur le non-recours.

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Un t€moin en est l’organisation d’un programme de recherche, par le PUCA, dont l’intitul€ est : † les SDF. Visibles, proches, citoyens ‡. Toutefois, dans les actes du colloque clŠturant ce programme, N. Murad parle d’une † drŠle d’id€e ‡ d’interroger la citoyennet€ en partant des cat€gories les plus d€favoris€es de la soci€t€ (Murard, 2005). Sa r€action illustre du caract…re encore parfois inhabituel de se repr€senter la pauvret€ comme d€ficit de citoyennet€.

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Voir l’appel † projets intitul• ƒ Droit et pauvret• ‡ et men• avec la mission de recherche Droit et Justice ainsi que la DREES/MiRe.

Ce d‚tour pr‚sentant les caract‚ristiques et la mani‡re dont la question sociale est appr‚hend‚e permet de comprendre pourquoi les difficult‚s d’acc‡s aux soins et le non-recours aux soins ont ‚merg‚ dans le d‚bat public autour de la figure des populations en situation de pr‚carit‚ ou d’exclusion. D‡s lors, l’individu, dans ces situations de non-recours, est repr‚sent‚ comme loin de ses droits et exclu de la citoyennet‚ sociale. En effet, comme le pense P. Hassenteufel, … parmi la multitude d’autres indicateurs possibles, ceux concernant l’acc‡s aux soins sont […] particuli‡rement r‚v‚lateurs de la remise en cause de fait de la citoyennet‚ sociale † (Hassenteufel, 1997 : 54).

Conclusion 1.

L’int€rŠt pour l’observation et la mesure de l’effectivit€ des droits sociaux sont les principales raisons de l’€mergence du non-recours en France, contrairement „ d’autres pays oŒ la question a pu Štre introduite suite „ des changements en profondeur des syst‚mes de protection sociale – comme aux Pays-Bas – ou „ des injonctions ext€rieures aux pays – comme en Espagne et en Gr‚ce oŒ les plans d’inclusion sociale europ€ens ont eu une incidence (EXNOTA, 2005). Il est €galement int€ressant de noter que la question du non-recours est inexistante dans des pays oŒ la cat€gorie des † droits sociaux ‡ n’est pas pens€e comme telle ou ne fait pas l’objet de revendication. C’est le cas de la Pologne (Barcik, 2008) et du Qu€bec, les droits sociaux y €tant envisag€s comme des † privil‚ges ‡. Quoi qu’il en soit, la question du non-recours ne deviendrait ainsi un probl‚me public qu’„ condition d’avoir des droits sociaux reconnus autant que les droits civils et politiques et traduits en offres publiques.

La position fran…aise se comprend comme le r€sultat de revendications, de la part de la † soci€t€ civile ‡, pour la reconnaissance des † droits „ ‡, ces droits dits cr€ances dont l’Etat doit Štre le garant de leur bonne application. Parmi ces droits, nous avons vu que celui relatif „ la sant€ a €t€ d€fini dans les textes l€gislatifs comme un droit aux soins. Cette perspective permet de comprendre les int€rŠts port€s par diff€rents acteurs pour le non-recours aux soins. Ce dernier est utilis€ pour r€interroger l’effectivit€ d’un droit aux soins dont les personnes pr€caires auraient d’autant plus besoin qu’elles sont en plus mauvaise sant€ que la population g€n€rale. Toutefois, ce n’est plus cet argument sanitaire qui s’impose ici. Etre priv€ du droit aux soins revŠt une dimension propre „ la citoyennet€ sociale. Si le non-recours est un probl‚me social, c’est qu’il traduit explicitement la rupture

du lien de citoyennet€, l’un des quatre types de liens fondamentaux selon S. Paugam (Paugam, 2005). Il met alors l’accent sur le fait qu’un individu est exclu ou pr€caire d‚s lors qu’il ne peut b€n€ficier de ces droits sociaux, de mani‚re €gale „ tout citoyen.

2. NON-RECOURS ET CRITIQUES DU SYSTEME DE SOINS

Le th‡me du non-recours ‚merge dans les d‚bats sur les difficult‚s ‰ garantir l’effectivit‚ du droit aux soins. Les acteurs associatifs et chercheurs qui font ce constat ‚voquent ‚galement les causes de ces difficult‚s. En l’occurrence, ils insistent sur le fait que, au sujet des populations pr‚caires, … les situations de sant‚ et les parcours de soins (ou leur non-recours aux soins) r‚v‡lent les obstacles et rat‚s de notre syst‡me de sant‚ et de protection sociale † (Chauvin et Lebas, 2007 : 339). La posture privil‚gi‚e est une posture critique vis-‰-vis de la mani‡re dont le syst‡me de sant‚ r‚pond, ou non, aux besoins des populations pr‚caires. Observer comment sont trait‚es ces populations apparaˆt comme l’‚talon permettant d’‚valuer ce syst‡me, de la mƒme mani‡re qu’une soci‚t‚ est ‚valu‚e en fonction du traitement qu’elle fait de la pauvret‚.

Plus pr‚cis‚ment, deux types de critiques sont port‚s ‰ l’encontre du syst‡me de soins. Nous pouvons les pr‚senter en suivant la dichotomie propos‚e ci-dessus par P. Chauvin et J. Lebas, entre celles relatives aux … obstacles † d’un c„t‚ et, de l’autre, aux … rat‚s † du syst‡me de soins.

2.1. Les ‚ obstacles ƒ : „volutions du syst†me de soins et difficult„s mat„rielles d’acc†s aux soins

Le premier type de critiques repose sur l’organisation et les r‚formes du syst‡me de soins. Dans cette perspective, plus qu’un simple t‚moin, les situations de non-recours aux soins sont pr‚sent‚es comme l’une des cons‚quences directes de la mani‡re dont l’offre de soins est constitu‚e, r‚partie et accessible. Il s’agit de montrer pourquoi et comment l’interaction entre la demande et l’offre de soins est contrainte par un ensemble de facteurs relevant du syst‡me de soins.

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