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L’articulation droits et devoirs de soins : des discours „ son application

b) Une application du • mod…le contractuel ƒ

2. D’UN DROIT A UN DEVOIR DE SOINS

2.1. L’articulation droits et devoirs de soins : des discours „ son application

Le constat de la diffusion de discours insistant sur l’articulation des droits et des devoirs dans le champ de la sant€ n’est pas nouveau. L’ouvrage de Claudine Herzlich et de Janine Pierret (1991), analysant sur une vingtaine d’ann€es d’€cart le statut du malade dans la soci€t€ fran…aise est €clairant „ ce sujet. Parmi les changements qu’elles observent, ces sociologues d€montrent que la notion de droit „ la sant€ est pass€e d’un † droit d’Štre malade ‡ (et de b€n€ficier d’une offre de soins accessible „ tous) „ un † devoir d’Štre bien portant ‡ (en suivant des habitudes de vie responsables). Peu „ peu, elles constatent

l’€mergence de discours sur les devoirs de sant€, port€s selon elles par le corps m€dical et les responsables administratifs et politiques, dans un souci pr€ventif mais €galement €conomique. Ce que les auteurs nomment une † nouvelle €thique ‡ repose sur le principe selon lequel † votre sant€ est votre affaire ‡ et sur la figure d’un † usager responsable ‡ et non † d’un malade passif ‡ (Herzlich et Pierret, 1991 : 288), avec ce que cela entra‹ne comme risque d’€riger une morale culpabilisatrice222.

L’anticipation d’une intensification de la diffusion des devoirs de sant‚ et de sant‚, que font C. Herzlich et J. Pierret en 1991, est confirm‚e par des observations actuelles. Un ensemble d’‚l‚ments viennent en t‚moigner. Dans le champ m‚dical, nous pouvons citer la position du Conseil de l’ordre national des m‚decins (CNOM) lors des d‚bats pr‚sidentiels de 2007. Parmi les trois th‡mes composant son … Manifeste pour la qualit‚ de la m‚decine †, le CNOM revient sur la loi du 4 mars 2002223, donnant de nouveaux droits aux patients224, pour insister sur les devoirs attendus des patients envers la collectivit‚ et les m‚decins. Il ‚nonce que … les citoyens sont acteurs de leur sant‚, collectivement mais aussi individuellement, et les m‚decins ne sont pas de simples distributeurs de soins ou prestataires de services †, demandant alors au patient d’ƒtre … sujet de sa sant‚ †225. Un point de vue similaire se retrouve dans le champ universitaire, ‰ travers les propos d’Anne Laude. Ce professeur de droit ‰ l’Universit‚ Paris Descartes est ‚galement codirectrice de l’Institut Droit et sant‚226. Elle avance dans un entretien que … tr‡s logiquement, si le malade se voit reconnaˆtre des droits, il est ‚galement tenu au respect d’un certain nombre d’obligations. […] La responsabilit‚ peut en second lieu se concevoir de mani‡re plus

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Nous retrouvons la mŒme pr€caution dans les propos de John M. Last : † le droit • la sant€ existe-t-il ? Les mouvements sociaux revendiquent le concept de sant€ comme un droit de l’homme, mais cette approche comporte plusieurs probl…mes. S’il existe un droit • la sant€, il doit n€cessairement y avoir un devoir li€ • ce droit ; • qui revient ce devoir ? La r€ponse pourrait Œtre que ce devoir revient • l’individu pour qui la sant€ est le † droit ‡ en question – mais cela encourage le victim blaminglorsque la sant€ est affaiblie ‡ (Last, 1998 : 388). Traduction personnelle.

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A noter d’ailleurs † propos de cette loi qu’elle inclut, comme le rappelle Didier Tabuteau, l’article L1111-1 qui pr•cise que ƒ les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilit•s de nature † garantir la p•rennit• du syst‚me de sant• et des principes sur lesquels il repose ‡. D. Tabuteau, au cours d’un colloque intitul• ƒ De l’observance † la gouvernance de sa sant• ‡ (Laude et Tabuteau, 2007), mettait en garde sur le recours possible † cet article pour accro‹tre la responsabilit• du patient et ainsi conditionner les remboursements des soins en fonction de l’observance des patients.

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Cette loi affirme par exemple le droit † l’acc‚s direct au dossier m•dical, mais •galement le droit † la cod•cision entre patient et professionnels de sant•. C’est ce dernier qui a •t• vu par le corps m•dical comme une attaque † leur exercice professionnel et une trop grande extension des droits des patients.

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Disponible sur :http://bulletin.conseil-national.medecin.fr/article.php3?id_article=91.

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L’Institut Droit et sant•, h•berg• dans l’Universit• Paris-Descartes, a •t• cr•• en 2006. Il est compos• de chercheurs issus de diff•rentes disciplines (droit, sociologie, m•decine, •conomie…). Il a pour mission de ƒ mener des r•flexions juridiques dans le domaine du droit de la sant• ‡, assurant entre autres une veille juridique et des formations et publiant sur ces questions. L’Institut dispose •galement d’un ƒ observatoire des droits et responsabilit•s des personnes en mati‚re de sant• ‡. Voir : http://www.institutdroitsante.com.

individuelle et signifier aussi que le patient a l’obligation, ‰ l’instar de celle qui p‡se sur le m‚decin, de respecter dans sa demande de soins […] la plus stricte ‚conomie compatible avec la qualit‚, la s‚curit‚ et l’efficacit‚ des soins, voire mƒme qu’il a l’obligation de minimiser son dommage. A ce titre, pourrait peut-ƒtre s’en trouver renforc‚e l’obligation de collaboration […] ou l’obligation d’observance des recommandations des professionnels de sant‚ † (Laude, 2007).

L’extrait pr‚c‚dent avance quelques ‚l‚ments de ce que pourraient recouvrir les … obligations † et … devoirs † en mati‡re de soins. Pour le moment, ces derniers n’ont pas ‚t‚ beaucoup formalis‚s227, d’apr‚s D. Tabuteau. Dans un r€cent article sur † Sant€ et devoirs sociaux ‡ (Tabuteau, 2009), il avance quelques uns des devoirs pr€sents dans le code de la sant€ publique et le droit de la s€curit€ sociale. Il s’agit des devoirs de cotisation, de mod€ration, de soumission dans l’int€rŠt de la collectivit€ ou encore de suj€tion au m€decin. Mais D. Tabuteau avance €galement une tendance au d€veloppement de nouveaux devoirs, pour les usagers du syst‚me de soins, qui visent „ r€€quilibrer les droits et les devoirs. Il d€veloppe tout particuli‚rement le † devoir d’€conomie et d’observance ‡, n€ dans la continuit€ de l’article L.111-1-2-1 du Code de la S€curit€ sociale et selon lequel † chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacr€es par la Nation „ l’assurance maladie ‡ (Tabuteau, 2009 : 50). Ce devoir se retrouve dans des dispositifs de mani‚re explicite, comme dans ceux du m€decin traitant et des affections de longue dur€e, et implicite, dans le d€veloppement des programmes d’aide „ l’observance ou du

disease management

. Selon lui, nous n’en sommes qu’au d€but du d€veloppement diffus d’un devoir d’€conomie et d’observance, puisque ce dernier trouverait sa source dans l’am€lioration des connaissances m€dicales mais surtout dans les contraintes pesant sur les d€penses publiques de sant€. Il invite tout particuli‚rement les associations de d€fense des usagers du syst‚me de sant€ „ Štre vigilantes vis-„-vis de ce qui pourrait conduire „ † l’apparition d’un v€ritable principe de † remboursement conditionnel par l’assurance maladie ‡. Derri‚re la notion de † capital sant€ ‡ et l’invocation de la responsabilit€ individuelle pour pr€server ce capital, pourrait se profiler la tentation de diff€rencier la prise en charge des d€penses de sant€ en fonction des

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Il est d’ailleurs int•ressant sur ce point d’•voquer l’appel † candidatures pour un doctorat ou un post doctorat en sciences humaines et sociales, •conomie, droit, •thique et sant• publique, lanc• par la CNAMTS en 2008. L’un des cinq th‚mes •tait intitul• ƒ les droits et devoirs de l’individu face † sa sant• ‡. Il y •tait not• que ƒ l’Assurance maladie s’int•resse •galement, et de fa„on plus prospective, aux actions visant † •quilibrer les droits octroy•s au malade avec des responsabilit•s et des devoirs, qu’il s’agisse d’actions de promotion et d’•ducation † la sant• ou, plus prosa•quement, de mesures de prise en charge et de remboursement des soins visant † mettre † contribution le malade citoyen ‡. Cet appel † candidatures n’a pas •t• concr•tis•, faute de candidats.

comportements des assur‚s. Au-del‰ de la consultation annuelle chez le dentiste comme condition d’une am‚lioration du remboursement des soins dentaires, de tr‡s nombreux volets des assurances sant‚, obligatoires ou compl‚mentaires, pourraient, dans une telle logique, d‚pendre du respect de clauses imposant des bilans r‚guliers, des actions de pr‚vention et de d‚pistage, mais aussi le suivi de r‚gimes alimentaires ou la participation ‰ des activit‚s sportives † (Tabuteau, 2009 : 51). Il poursuit en indiquant que l’introduction de ce principe … signerait une d‚rive inacceptable, tant pour des raisons ‚thiques que de sant‚ publique, puisqu’elle conduirait in‚vitablement au renforcement des in‚galit‚s sociales face ‰ la sant‚ […], p‚naliserait vraisemblablement les cat‚gories les plus d‚favoris‚es et s’accompagnerait de retards accrus dans l’acc‡s aux soins, et plus encore ‰ la pr‚vention, pour ces populations † (Tabuteau, 2009 : 51-52).

Un texte, que D. Tabuteau n’a pas cit‚, permet de mieux comprendre ce que pourraient recouvrir les devoirs de soins. Il concerne les b‚n‚ficiaires de la CMU-C. Ces derniers se distinguent des autres populations dans le sens o‹, depuis peu, la voie l‚gale vient d‚finir leurs devoirs vis-‰-vis des soins.

Repartons pour cela du rapport public de J.F. Chadelat, remis le 30 novembre 2006 au ministre de la sant‚ et des solidarit‚s de l’‚poque, X. Bertrand. Il portait sur les refus de soins dont seraient victimes les b‚n‚ficiaires de la CMU-C et de l’AME. Le contenu de ce rapport associe aux constats un ensemble de propositions destin‚es ‰ r‚soudre les difficult‚s pos‚es par les refus de soins, en mobilisant les organismes de l’Assurance maladie, les associations ou encore les professionnels de sant‚. Les b‚n‚ficiaires de la CMU-C ne sont pas oubli‚s puisque l’avant-derni‡re des 13 propositions les concerne directement. C’est celle-ci qui nous int‚resse. D’apr‡s l’auteur du rapport, elle part des protestations r‚guli‡res, de la part des professionnels de sant‚, ‰ l’‚gard des comportements des b‚n‚ficiaires de la CMU-C. Ces protestations reposent sur le … train de vie [de ces b‚n‚ficiaires] incompatible avec les conditions de ressources † mais aussi leurs … comportements sp‚cifiques † qu’il qualifie … d’incivilit‚ face aux soins † (Chadelat, 2006 : 20). Prenant en compte ces plaintes, et soucieux de trouver un … parall‡le pour les b‚n‚ficiaires de la CMU † ‰ l’action sur les professionnels de sant‚, J.F. Chadelat avance l’id‚e de … mettre au point une fiche simple et courte leur indiquant leurs droits et leurs devoirs †. Plus pr‚cis‚ment, elle … exposerait le droit ‰ la gratuit‚ des soins, ‰ la dispense d’avance des frais, ‰ l’interdiction du refus de soins avec un t‚l‚phone vert ‰ contacter, etc. Parall‡lement seraient rappel‚s les devoirs de ne pas se consid‚rer comme prioritaire,

de suivre les traitements jusqu’au bout, de respecter les rendez-vous, le parcours de soins, etc. ‡ (Chadelat, 2006 : 20). A la mŠme page, la proposition 12 synth€tise cette id€e en pr€conisant de † remettre „ tous les b€n€ficiaires de la CMU une fiche simple et courte leur indiquant leurs droits et la mani‚re de les faire respecter, mais leur indiquant €galement leurs devoirs ‡. L’articulation entre les droits et les devoirs en mati‚re de soins, entendue comme un moyen de r€duire les refus de soins, est ainsi explicite dans les propositions du rapport de J.F. Chadelat.

Cette logique prendra forme dans la circulaire CIR-33/2008 de la CNAMTS, sign€e par le directeur g€n€ral de l’Assurance maladie le 30 juin 2008 et diffus€e

via

le num‚ro 29 de la

Lettre d’information aux m•decins

. La circulaire a pour objet … la prise en charge des r‚clamations et plaintes formul‚es par les b‚n‚ficiaires de la CMU compl‚mentaire ou par les professionnels de sant‚ †228, afin d’€viter les refus de soins. Elle permet, d’une part, la prise en compte des plaintes de patients s’€tant vu refuser des soins du fait du b€n€fice de la CMU-C. La circulaire rappelle en effet que ces pratiques de la part des professionnels sont contraires „ la d€ontologie m€dicale et „ de nombreux codes, et „ ce titre passibles de sanctions. Face „ cela, les personnes qui pensent avoir €t€ victimes d’un refus de soins peuvent saisir un conciliateur de l’Assurance maladie. Il est pr€vu que, lorsque le refus de soins est av€r€, le conciliateur demande au directeur de la caisse d’Assurance maladie de saisir le conseil d€partemental de l’ordre des m€decins. Mais, d’autre part, la circulaire donne €galement la possibilit€ aux professionnels de sant€ de porter plainte aupr‚s du conciliateur contre les patients b€n€ficiant de la CMU-C lorsque ceux-ci ne respectent pas leurs devoirs. Cette possibilit€ est justifi€e en ce qu’elle permettrait † d’€radiquer les facteurs potentiellement g€n€rateurs de refus de soins ‡. Les motifs de d€pŽt d’une plainte par les professionnels de sant€, qui sont €num€r€s, sont les suivants : † les rendez-vous manqu€s et non annul€s ‡, † les retards injustifi€s aux rendez-vous ‡ ou encore † les traitements non suivis ou interrompus ‡ ou encore † les exigences exorbitantes ‡. Nous voyons ainsi que certains de ces † griefs admissibles ‡ recoupent des comportements pouvant approcher le non-recours aux soins, dans une d€finition large. Dans tous les cas, elle permet d’entrevoir davantage ce qui est entendu „ travers la notion de devoirs de soins. Elle int‚gre tout ce qui est contraire au rŽle social du † bon ‡ malade, ce dernier ayant fait l’objet d’une conceptualisation par le sociologue fonctionnaliste Talcott Parsons (1951). Ce dernier partait du principe que le m€decin comme le malade luttent tous deux

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Circulaire de la CNAMTS CIR-33/2008 du 30 juin 2008 relative • la prise en charge des r€clamations et plaintes formul€es par les b€n€ficiaires de la CMU compl€mentaire ou par les professionnels de sant€.

contre la maladie, cette … d‚viance † ‰ laquelle il faut n‚cessairement r‚pondre. D‡s lors, dans cet objectif, le malade doit respecter des normes de comportement comme solliciter en priorit‚ un m‚decin en cas de troubles et coop‚rer avec ce professionnel – ou plut„t lui ob‚ir puisque T. Parsons conŠoit la relation m‚decin-malade comme ‚tant asym‚trique et fond‚e sur l’autorit‚ m‚dicale. Nous retrouvons ici la d‚finition du r„le du malade se devant de prendre en charge sa sant‚, avec ses caract‚ristiques mais ‚galement ses limites. En effet, comme C. Herzlich le commente, … l’individu malade n’accepte pas toujours ce r„le qu’on veut lui imposer, il le refuse parfois et se fait, en quelque sorte, d‚viant dans sa d‚viance. Ce sont les … malades difficiles † qui ne se conforment pas aux anticipations du m‚decin, de l’entourage, de la soci‚t‚ † (Herzlich, 1969 : 21).

La circulaire de la CNAMTS repr‚sente le document dans lequel l’articulation entre les droits et les devoirs est clairement pr‚sent‚e comme ins‚parable et dans lequel les devoirs des patients sont ‚num‚r‚s de mani‡re concr‡te. Elle t‚moigne de la diffusion de l’id‚e selon laquelle chaque individu a des obligations quant ‰ la prise en charge de sa sant‚, en faisant un usage … efficient † du syst‡me de soins puisqu’une part des d‚penses de sant‚ sont prises en charge par la collectivit‚. Toutefois, elle d‚montre que chaque individu n’est pas plac‚ sur un pied d’‚galit‚ face ‰ ces devoirs. En l’occurrence ce n’est qu’au sujet des personnes ayant la CMU-C que ce type de contrat est formalis‚. Nous pouvons faire l’hypoth‡se que cela s’explique parce qu’elles sont consid‚r‚es comme ayant les comportements les plus d‚viants ‰ l’‚gard du syst‡me de soins, mais ‚galement parce qu’elles b‚n‚ficient d’une prestation sociale financ‚e par la collectivit‚ qui est, ‰ cet ‚gard, de plus en plus conditionn‚e par l’exigence de contreparties.

2.2. La diffusion d’une logique de contreparties dans le champ des politiques de

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