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La diffusion d’une logique de contreparties dans le champ des politiques de sant•

b) Une application du • mod…le contractuel ƒ

2. D’UN DROIT A UN DEVOIR DE SOINS

2.2. La diffusion d’une logique de contreparties dans le champ des politiques de sant•

La circulaire de la CNAMTS, en mati‚re juridique, n’est pas du droit et n’a aucune valeur devant un juge. De plus, pour le moment, les demandes de conciliation ne sont pas nombreuses, qu’elles soient formul€es par les patients ou par les professionnels de sant€ (CISS/FNATH/UNAF, 2009). En ce qui concerne ces derniers, la possibilit€ qui leur est laiss€e de porter plainte nous para‹t plutŽt de l’ordre du politique. Elle semble destin€e „

r€pondre aux demandes d’une partie de ces professionnels229 qui se sont perŠus comme … stigmatis‚s † lors des d‚bats publics sur les refus de soins et qui voulaient d‚montrer une responsabilit‚ partag‚e avec les b‚n‚ficiaires de la CMU. A titre d’exemple, la Conf‚d‚ration des syndicats de m‚decins franŠais (CSMF) avait propos‚ en 2007 un … Pacte social † au ministre de la sant‚ et des solidarit‚s ainsi qu’au directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). Ce pacte se d‚clinait en sept points dont … la lutte contre les rendez-vous non honor‚s † et des … mesures sp‚cifiques pour les CMUistes en voie de marginalisation †230. La mise en place de cette circulaire peut ainsi ƒtre interpr‚t‚e comme un moyen de tenir compte des positions d’une partie des professionnels de sant‚ sur les refus de soins. Toutefois, au-del‰ de son application, c’est l’existence mƒme de cette circulaire qui retient notre attention.

En effet, elle permet de comprendre une autre raison de l’‚mergence du non-recours aux soins des populations pr‚caires. Si ce sont ces derni‡res qui sont au centre des pr‚occupations, c’est parce qu’il leur est demand‚ de plus en plus de respecter des contreparties individuelles aux droits et prestations sociales dont elles … b‚n‚ficient †. Les contreparties se d‚finissent comme … l’ensemble des mesures d’aide qui comportent des conditions, par opposition ‰ des aides ou des prestations attribu‚es de mani‡re inconditionnelle † (Dufour, Boismenu et No•l, 2003 : 12). Les d‚bats sur les contreparties ont eu lieu dans le domaine des politiques d’insertion, bien que l’histoire de la protection sociale en d‚montre un int‚rƒt irr‚gulier mais pr‚sent de longue date (Borgetto, 2009). Selon Diane Roman, la nature mƒme des droits sociaux en serait la cause : … un tel mouvement s’explique sur le plan th‚orique par le principe de solidarit‚ selon lequel, d‡s lors que le co•t des droits sociaux est mutualis‚, il est quasiment in‚vitable que la soci‚t‚ s’int‚resse ‰ la faŠon dont ces droits sont exerc‚s † (Roman, 2009 : 3).

L’instauration du dispositif du RMI en 1988 est consid‚r‚e comme l’‚tape marquant le principal d‚veloppement de la contrepartie. Ainsi que le rappelle R. Lafore, … escamot‚s dans les constructions juridiques de l’ayant droit et du b‚n‚ficiaire, comme plus largement

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Tout comme lors des d•bats sur l’existence de refus de soins, les professionnels de sant• ont •t• tr‚s divis•s sur l’initiative de la CNAMTS. Le COMEGAS a par exemple r•agi contre cette circulaire et la possibilit• laiss•e aux professionnels de sant• de porter plainte contre les b•n•ficiaires de la CMU-C. Il a notamment saisi la HALDE, d•non„ant le caract‚re ƒ discriminatoire ‡ de cette circulaire, bas•e sur des ƒ pr•jug•s id•ologiques et malsains ‡ et allant dans le sens contraire d’une ƒ politique de sant• publique r•duisant r•ellement les nombreuses in•galit•s sociales de sant• ‡. Voir le communiqu• du COMEGAS du 21 ao…t 2008 sur

http://leblogducomegas.blogspot.com/.

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Le m€decin de France. Journal de la CSMF, † Un pacte social pour les patients en CMU ‡, nˆ1077, 29 d€cembre 2006 : 23.

dans celle de l’usager du service public, les † droits ‡ et les † devoirs ‡ sociaux qui fondent tout syst‚me de redistribution vont progressivement r€appara‹tre dans le champ de la protection sociale. Ils commencent „ s’imposer de fa…on spectaculaire dans les d€bats qui conduisent „ l’institution du RMI par la loi du 1er d‚cembre 1988 † (Lafore, 2009 : 35-36). Cette prestation est en effet assortie de conditions qui ont certes ‚t‚ introduites au d‚part dans une optique p‚dagogique et non de contreparties, telles que la signature d’un contrat d’insertion, mais qui le sont devenues petit ‰ petit (Duvoux, 2007). Ainsi le b‚n‚ficiaire du RMI doit signer un contrat d’insertion qui, individualis‚, peut par exemple int‚grer des actions de sant‚ (‚ducation ‰ la sant‚, sport, passation d’un examen p‚riodique de sant‚ dans les centres d’examen de sant‚…). Depuis lors, la demande de contreparties dans le champ de l’insertion s’est traduite en France dans diff‚rents dispositifs, le plus r‚cent ‚tant le Revenu de solidarit‚ active (RSA) introduit en 2009. A un degr‚ diff‚rent du

workfare

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„ l’œuvre dans les pays anglo-saxons, le texte de loi d€finissant le RSA introduit bien la notion mŠme de devoirs en €change des droits – notamment l’obligation, pour le b€n€ficiaire, de rechercher un emploi, d’entreprendre des d€marches en vue de son insertion sociale ou professionnelle et d’en faire la d€monstration.

Ces demandes de contrepartie s’€tendent progressivement dans le champ de l’insertion €conomique, tout en se diffusant €galement „ d’autres champs : politiques de sant€, politiques d’immigration, politiques familiales232. Question qui … m‚rite plus que jamais de retenir l’attention †, elle … contribue ‰ irriguer voire ‰ renouveler des pans entiers de notre syst‡me global de protection (Borgetto, 2009 : 4). Ce processus, aussi divers soit-il, r‚pond ‰ diff‚rents objectifs. L’analyse de leurs fondements ne se r‚sume pas ‰ une lecture uniquement en termes de contraintes. Marc-Henry Soulet rappelle bien que … l’‚change d’activit‚ contre les prestations ne doit en effet pas ƒtre lu comme l’application du principe de la carotte et du b‘ton † (Soulet, 2005). Trois aspects motivent les demandes de participation croissante des individus disposant de droits, selon Pascale Dufour, G‚rard Boismenu et Alain No•l (2003). La premi‡re est d’ordre ‚conomique. La contrepartie prend le sens ici d’un meilleur contr„le des droits financ‚s par la collectivit‚.

231

Le workfare correspond initialement • l’obligation faite aux b€n€ficiaires des prestations chŠmage de travailler, dans le sens d’un † remboursement par le travail de l’aide offerte par la collectivit€ ‡. Il est • distinguer du welfare to work, plut€t mis en œuvre en France, qui lui repose sur ‚ une activation des politiques sociales en vue de replacer les individus sur le marchƒ du travail „ (Pƒrivier, 2008 : 175-176). Une autre distinction courante est entre lehard workfareet le soft workfareselon le degr• d’obligation auquel est soumis le b•n•ficiaire d’une aide sociale (Willmann, 2007).

232

Pour ces deux derniers exemples, voir respectivement les articles de Dani…le Lochak et M. Chauvi…re paru en 2009 dans le num€ro 1, tr…s complet, de la Revue de droit sanitaire et social consacr€ aux † Devoirs sociaux ‡.

La circulaire de la CNAMTS pourrait ƒtre analys‚e de cette mani‡re. Dans un contexte de contraintes budg‚taires, elle apparaˆt dans un objectif de contr„le de l’usage fait d’une prestation telle que la CMU-C, de mani‡re ‰ accroˆtre son utilit‚ et son efficacit‚. En ‚change, le b‚n‚ficiaire doit prouver qu’il m‚rite bien cette prestation en prenant en charge sa sant‚ le … mieux † possible et en participant ainsi ‰ l’‚quilibre des d‚penses publiques de sant‚. Une notion d‚crivant cette philosophie est celle de … l’activation † des d‚penses passives, sous-tendant la majeure partie des demandes de contreparties. L’activation s’articule ‚galement avec une deuxi‡me raison motivant le d‚veloppement de devoirs. Cette autre raison vise ‰ lutter contre la pauvret‚ et ce qui est appel‚ plus commun‚ment la … trappe ‰ pauvret‚ † ou … ‰ inactivit‚ †. Les aides et prestations sociales sont jug‚es sur leurs effets pervers : l’individu qui ferait un calcul entre le revenu issu d’un emploi et celui issu des aides sociales verrait la perte ‚conomique ‰ reprendre un emploi et serait alors enferm‚ dans une pauvret‚ sans fin car entretenu par l’assistanat. L’activation des d‚penses passives se comprend ici davantage dans le sens d’une activation des b‚n‚ficiaires, incit‚s ‰ se remettre dans une dynamique d’insertion socioprofessionnelle. Enfin, la derni‡re explication de ces demandes croissantes de contrepartie comprend les positions de ceux qui veulent laisser plus de place aux b‚n‚ficiaires, afin de satisfaire un besoin de … reconnaissance † et restaurer leur … dignit‚ † (Berthet et Glasman, 2005).

La question du m‚rite est au centre de chacune de ces explications, question d’autant plus importante qu’elle induit un renversement de la dette (Duvoux, 2007). Ce n’est plus aux pouvoirs publics, ou ‰ la collectivit‚, de prouver sa solidarit‚ vis-‰-vis de la personne vuln‚rable. Au contraire, c’est cette derni‡re qui, recevant une aide ou une prestation financ‚e par la collectivit‚, doit d‚montrer qu’elle m‚rite cette aide et qu’elle fait tout pour s’en sortir de mani‡re autonome et responsable233. Dans le champ de la sant‚, ce m‚rite se traduirait par la n‚cessit‚ de respecter certaines normes de soins et, plus g‚n‚ralement, de sant‚ (gestion responsable de son capital sant‚, attention continue ‰ son corps, d‚marche volontaire de pr‚vention, etc.) d‡s lors que l’on b‚n‚ficie d’une aide de la collectivit‚.

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A nouveau, les d€bats sur le RSA illustrent particuli…rement ces changements. Dans une critique de ce dispositif, Jacques Rigaudiat constate qu’† il ne s’agit donc plus comme avec le RMI d’€quilibre entre les droits et les devoirs r€ciproques. Il s’agit bien d’obligations auxquelles les pauvres sont soumis, d…s lors du moins qu’ils pr€tendent b€n€ficier du RSA ‡ (Rigaudiat, 2009 : 316). Derri…re le langage moderniste prŠnant la responsabilit€ et l’autonomie individuelle, il voit dans le RSA un retour d’anciens principes de gestion des pauvres, reposant sur la volont€ de les €duquer moralement et de les aider • transformer leurs comportements en €change des secours de la collectivit€.

Conclusion du chapitre 3

Les interventions destin‚es ‰ r‚duire le non-recours aux soins, en ciblant sur les populations ‰ … risque † se comprend ainsi comme une solution pour faire face ‰ la croissance des d‚penses publiques de sant‚. C’est le surco•t de ces situations qui retient l’attention ici, ‰ l’‚chelle collective, et non plus seulement les cons‚quences sanitaires, ‰ l’‚chelle individuelle. D‡s lors, la relation de l’individu ‰ son corps et ‰ sa sant‚ n’est plus une relation priv‚e, mais se publicise. Tout un chacun, en sa qualit‚ de citoyen, est invit‚ ‰ se responsabiliser, ‰ g‚rer sa sant‚ en tant que … capital † individuel et collectif en ‚vitant des comportements ‚conomiquement d‚favorables. Le mouvement de subjectivation, observable dans les politiques sociales, se retrouve ici sous la forme d’une invitation ‰ ce que chacun soit acteur de sa sant‚ de mani‡re appropri‚e, r‚fl‚chie et rationnelle.

Ce … mod‡le contractuel † concerne certes chaque individu. Toutefois, nous avons vu que les discours s’orientaient plut„t vers une population particuli‡re, les populations pr‚caires, b‚n‚ficiaires des prestations sociales. Elles sont au centre des regards parce que leur ‚tat de sant‚ est plus d‚grad‚ que la population g‚n‚rale. Elles le sont ‚galement parce que, en contrepartie des prestations et aides sociales, elles doivent respecter un ensemble de devoirs : des devoirs d’insertion professionnelle, de bonne gestion familiale et maintenant des devoirs de soins. Lorsque ces derniers sont d‚finis, il est flagrant qu’ils s’opposent ‰ la conception d’individus passifs vis-‰-vis de leur sant‚ et ainsi ‰ ce que le … non-recours † aux soins v‚hicule comme repr‚sentation.

Ainsi, c’est un autre appel au citoyen qui se dessine : ce n’est plus au citoyen porteur de droits, mais plut„t au citoyen porteur de droits

et

de devoirs.

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