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a) Le droit € la sant‚ entendu comme droit aux soins

FranŠois Ewald a analys‚ la mani‡re avec laquelle la sant‚ est apparue comme une question relevant des comp‚tences de l’Etat (Ewald, 1997). Il d‚montre notamment que le souci pour la sant‚, par le truisme de l’hygi‡ne publique, a depuis longtemps ‚t‚ l’objet de l’intervention ‚tatique, par le biais par exemple d’une police de salubrit‚ publique. L’id‚e d’un droit aux soins, quant ‰ elle, est observ‚e au moment du d‚veloppement de l’Etat-providence ‰ la fin du 19e si‚cle. Ce changement n’a pu se faire qu’„ partir du moment oŒ l’action de l’Etat ne s’est plus limit€e „ la salubrit€ et la pr€vention des maux, mais s’est €galement €tendue aux comportements des citoyens. F. Ewald fait ici r€f€rence aux travaux de Michel Foucault sur la biopolitique, et plus particuli‚rement l’ouvrage intitul€

La

volont• de savoir

. De ce processus historique, F. Ewald avance que … c’est en administrant les soins que l’Etat moderne pense trouver le principe de sa l‚gitimit‚ † (Ewald, 1997 : 21). De cela, ainsi que par le r„le du mouvement mutualiste, naˆtra le r‚gime actuel de S‚curit‚ sociale, reposant notamment sur le principe d’un risque maladie n‚cessitant une couverture collective.

Cette conception a son importance pour comprendre pourquoi le droit „ la sant€ s’est constitu€ en France sous l’angle du droit „ une protection sociale mais surtout du droit aux soins, en tant que pr€rogative de l’Etat-providence, et non dans le sens d’un droit „ vivre en bonne sant€161. En effet, il s’agit bien plutŽt du droit „ la protection de sa sant€, c'est-„-dire, pour reprendre la d€finition propos€e dans le code des droits contre l’exclusion, du † droit de b€n€ficier de soins dispens€s par des professionnels de sant€ ‡ (Hirsch et Chemla, 2006 : 708). L’ensemble des textes encadrant le droit „ la sant€ va dans ce sens. Le Pr€ambule de la Constitution fran…aise du 27 octobre 1946, en particulier dans son alin€a 11, €nonce ainsi que la Nation garantit „ chacun le droit „ la protection de la sant€. Ce texte est majeur puisqu’il permet la reconnaissance constitutionnelle de ce droit – bien que des juristes remettent en cause l’id€e de droit „ la sant€ par la suite, le pr€sentant davantage comme un † objectif ‡, „ la justiciabilit€ probl€matique (Herrera, 2009 : 82). De plus, il introduit l’id€e d’un devoir de la soci€t€ et de l’Etat, sous la forme de prestations, vis-„-vis de la sant€ des citoyens vivant sur le territoire. D’autres textes compl€mentaires d€montrent la constitution d’un droit „ la sant€ comme droit aux soins ; la loi de 1998 de lutte contre les exclusions int‚gre l’acc‚s „ la pr€vention et aux soins parmi les 5 droits sociaux fondamentaux tandis que, entres autres, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et la qualit€ du syst‚me de soins rappelle que le droit le plus fondamental est de pouvoir acc€der aux soins afin de respecter le droit „ la protection de la sant€.

Le droit aux soins, et par-l„ l’acc‚s aux soins, sont reconnus comme des droits fondamentaux universels en France et en Europe162, indissociables des droits de l’homme. Selon la th€orie €galitariste d€mocratique de la justice sur laquelle le syst‚me de soins fran…ais est bas€ (Rameix, 1997), il s’agit du droit de chacun de b€n€ficier de soins en fonction de ses besoins de soins. Ces derniers sont le seul crit‚re de justice permettant d’arbitrer dans l’allocation des (rares) ressources de soins, et non pas en fonction de la condition socio€conomique de la personne.

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Ce principe se retrouve dans des textes internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits €conomiques, sociaux et culturels. Son article 12, traitant de la sant€, €nonce que † les Etats parties au pr€sent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur €tat de sant€ physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre ‡.

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La Charte des droits fondamentaux de l’Union europ€enne, dans son article 5 sur la protection de la sant€, €nonce que † toute personne a le droit d’acc€der • la pr€vention en mati…re de sant€ et de b€n€ficier de soins m€dicaux dans les conditions €tablies par les l€gislations et pratiques nationales. Un niveau €lev€ de protection de la sant€ humaine est assur€ dans la d€finition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union ‡.

Cela se traduit par la mise en place de dispositifs destin‚s ‰ rendre effectif et op‚rationnel ce droit aux soins pour tous, y compris ceux qui se retrouvent dans une situation sociale d‚favoris‚e. Pour ces derniers, les mesures ont mis l’accent sur l’acc‡s ‰ des structures sp‚cifiques comme les PASS ou sur l’acc‡s ‰ une protection sociale

via

par exemple l’instauration de la CMU-C. Ce dernier dispositif a ‚t‚ cr‚‚ par la loi du 27 juillet 1999 pour … mettre fin ‰ l’une des pires exclusions : l’exclusion des soins †163. La CMU re-concentre vers l’Etat la comp‚tence d’Aide m‚dicale, anciennement d‚tenue par les d‚partements et d‚l‡gue sa mise en œuvre aux directeurs des caisses d’Assurance maladie. La mise en place de cette loi poursuit deux objectifs : g‚n‚raliser l’acc‡s ‰ l’Assurance maladie pour tous les r‚sidants stables et r‚guliers non couverts par un r‚gime de base (CMU B) et assurer ‰ tous les m‚nages ‰ faible revenu l’acc‡s aux soins, par la mise en place d’une couverture compl‚mentaire gratuite (CMU-C). Cette derni‡re prend en charge, avec dispense d’avance de frais, le ticket mod‚rateur, le forfait journalier hospitalier et certains produits sp‚cifiques (par exemple, selon un bar‡me, les lunettes et proth‡ses dentaires). La CMU-C, accord‚e pour un an sous conditions de ressources, concernait 4,3 millions de personnes en 2007 (Boisgu‚rin, 2009).

b) Le non-recours aux soins comme indicateur d’‚valuation de l’effectivit‚ du

droit € la sant‚

L’€valuation de la CMU-C illustre tr‚s bien la logique selon laquelle le non-recours est l„ pour porter attention „ l’effectivit€ du droit „ la sant€, entendu sous l’angle du droit aux soins. Plus pr€cis€ment, elle applique au domaine de la sant€ ce que P. Warin a d€nomm€ † l’approche administrative du ph€nom‚ne de non-recours ‡ (Warin, 2009a), qui envisage la r€duction des difficult€s d’acc‚s aux droits et aux services en termes de non-r€ception ou de non-connaissance par les populations164. Elle est distingu‚e de … l’approche compr‚hensive † en ce qu’elle ne cherche pas ‰ savoir si l’offre de prestations et de droits correspond aux attentes et aux besoins des personnes concern‚es. Nous sommes dans le premier cas avec l’‚valuation de la CMU-C. Comme pr‚sent‚ dans le chapitre 1, plusieurs indicateurs ont ‚t‚ int‚gr‚s pour suivre l’un des objectifs en mati‡re de protection maladie, celui visant ‰ garantir l’acc‡s aux soins des personnes disposant de faibles ressources. Parmi eux, l’… indicateur de satisfaction des b‚n‚ficiaires de la CMU-C † mesure l’‚cart

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Loi de 1999 portant cr€ation de la CMU et de l’Aide m€dicale de l’Etat, cit€e dans Revil, 2008 : 108. 164

Cette approche administrative est analys•e dans le cas de l’Assurance maladie par H. Revil, dans sa th‚se de doctorat de science politique, en cours.

entre le recours au m‚decin et au dentiste des b‚n‚ficiaires de la CMU-C et le non-recours des autres cat‚gories de la population franŠaise (voir encadr‚ 7 ci-dessous).

Encadr„ 7 : Objectifs et indicateurs de performance en mati†re de protection maladie

OBJECTIF NŠ1 : Garantir l’acc†s aux soins des personnes disposant de faibles ressources

La loi a pr‚vu des dispositifs pour favoriser l’acc‡s aux soins des personnes dont les ressources sont les plus modestes, qui reposent ‰ la fois sur les caisses d’assurance maladie et les organismes compl‚mentaires. D‡s lors, il convient de s’assurer que ces personnes ne rencontrent pas de difficult‚s pour b‚n‚ficier de ces dispositifs : il s’agit de veiller ‰ la bonne effectivit‚ du droit ‰ la CMUc et ‰ l’aide ‰ l’acquisition d’une assurance sant‚ compl‚mentaire. Les caisses contractualisant r‚guli‡rement autour d’objectifs, les indicateurs ci-dessous compl‡tent les objectifs fix‚s aux caisses dans le cadre des conventions d’objectifs et de gestion (COG).

INDICATEUR 1.1 : Indices de satisfaction (du point de vue de l’usager)

Unit‚ 2006 R‚alisation 2007 R‚alisation 2008 Pr‚vision PAP 2008 2008 Pr‚vision actualis‚e 2009 Pr‚vision 2011 Cible Indice de satisfaction administrative /10 7,9 7,6 8 8 8 8

Ecart de non recours au m‚decin et au dentiste avec les autres populations

Point 2,2 n.c. 5 - 8 7

Ecart de sant‚ global avec les autres populations

point 0,7 n.c. 0,6 0,6 0,5

Pr‚cisions m‚thodologiques En brut, les donn‚es sont exprim‚es par une note sur 10 pour le premier sous-indicateur, et en points d’‚cart pour les deux autres sous-indicateurs.

● Sources des donn‚es : Fonds CMU

● Explication sur la construction de l’indicateur :

Le premier sous-indicateur est renseign‚ ‰ partir des donn‚es annuelles de l’indice de satisfaction administrative de la CNAMTS et mesure le degr‚ de satisfaction des b‚n‚ficiaires de la CMU compl‚mentaire par rapport au service qui leur est offert. C’est une note sur 10 attribu‚e par les b‚n‚ficiaires sur les crit‡res de diffusion de l’information, de r‚clamation, de remboursement.

Le sous-indicateur relatif ‰ l’‚cart de renoncement aux soins entre les b‚n‚ficiaires de la CMU compl‚mentaire et les b‚n‚ficiaires d’une couverture priv‚e du PAP 2008 est remplac‚ en 2009 par deux sous-indicateurs :

- un sous-indicateur qui mesure l’‚cart de non recours au m‚decin et au dentiste entre les b‚n‚ficiaires de la CMU compl‚mentaire et les autres cat‚gories de la population ; il est issu ‚galement des donn‚es annuelles collect‚es par le CETAF mais, ‰ la diff‚rence des donn‚es de l’IRDES fournies jusqu’en 2008 qui fournissent une indication qui concerne principalement le renoncement aux soins dentaires pour raisons financi‡res, l’indice fourni par le CETAF mesure ‚galement le non recours au m‚decin et prend en compte des raisons du non recours tels les refus de soins, l’absence d’attitude de pr‚vention, l’absence de maladie… ; les ‚carts mentionn‚s jusqu’en 2008 ne sont donc pas comparables ‰ ceux qui seront fournis ‰ partir de 2009 ; sur cette nouvelle base, le non recours dans la population CMUc atteignait 10,4 % pour le m‚decin et 30,1 % pour le dentiste, soit une moyenne de 20,25 % et hors population CMUc 5,5 % pour le m‚decin et 18,1 % pour le dentiste, soit une moyenne de 11,8 %, d’o‹ un ‚cart de 8,45 points, alors que l’‚cart de renoncement aux soins selon les donn‚es de l’IRDES ‚tait de 2,2 points ; l’objectif recherch‚ est ‚galement une r‚duction de l’‚cart entre les deux cat‚gories de population.

- un sous-indicateur qui mesure l’‚cart de sant‚ global entre les b‚n‚ficiaires de la CMU compl‚mentaire et les autres cat‚gories de la population ; il est issu des donn‚es annuelles collect‚es par le centre

technique d’appui et de formation des centres d’examen de sant€ –CETAF– de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salari€s –CNAMTS– ; les donn€es du CETAF concernant une ann€e donn€e sont disponibles au dernier trimestre de l’ann€e suivante ; en cons€quence, les donn€es fournies pour le rapport annuel de performance de l’ann€e N concerneront l’ann€e N – 1 ; il retrace l’€tat de sant€ r€el des individus et leur place par rapport au syst‚me et „ l’offre de soins par une mesure de satisfaction sanitaire fond€e sur la sant€ per…ue par une note sur 10 ; en 2006, cet indice €tait de 6,6 pour la population CMUc et de 7,3 pour la population hors CMUc, d’oŒ un €cart de 0,7 ; l’objectif recherch€ est donc une r€duction de cet €cart.

---Source : Projet de loi de finances pour 2009 : mission … sant• †, Programme 183 … Protection maladie †, … Objectifs et indicateurs de performance †. http://www.performance-publique.gouv.fr/farandole/2009/pap/html/DBGPGMOBJINDPGM183.htm.

Cet indicateur de non-recours aux soins rappelle le compromis autour duquel se recentreraient, selon Marie-Pierre Hamel et Pierre Muller, les politiques de lutte contre la pauvret‚ et l’exclusion. Pour contrebalancer le ciblage accru des prestations sociales sur … les plus vuln‚rables †, ces politiques doivent alors faire l’objet d’une ‚valuation de leur efficacit‚ et de leur performance, tout en respectant des principes de justice sociale (Hamel et Muller, 2007). Ici, l’impact de telles politiques sur l’accessibilit‚ aux soins des populations pr‚caires est mesur‚ par la capacit‚ de la CMU-C ‰ faire entrer dans le syst‡me de soins des populations qui en auraient ‚t‚ exclues.

1.3. Ineffectivit„ du droit aux soins, citoyennet„ sociale et pauvret„

Un ensemble d’acteurs se saisit du non-recours en tant que variable permettant d’estimer si l’effectivit€ du droit aux soins est garantie ou non, au sujet des populations pr€caires. Ce constat nous am‚ne „ reposer la question du sens donn€ au non-recours ou, autrement dit, „ s’int€resser „ nouveau „ la raison motivant un regard sur ce ph€nom‚ne particulier et chez cette cat€gorie particuli‚re de la population. Dans le premier chapitre, nous avons insist€ sur l’aspect sanitaire de cette question en analysant comment elle €tait repr€sent€e comme un risque pour la sant€, au niveau des individus, et comme un facteur d’aggravation des in€galit€s sociales de sant€, au niveau collectif. Nous allons „ pr€sent voir qu’en plus d’Štre construit comme un enjeu de sant€ publique, le non-recours aux soins €merge comme un enjeu de nature sociale et politique.

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