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reconnaissance mutuelle des décisions762 La justification de cohérence de l’ordre juridique

du for ne peut être avancée dans un système basé sur l’idée d’équivalence des systèmes juridiques763. De plus, par la primauté du for, le silence devient une arme contre le jugement étranger dans un espace pourtant fondé sur le principe de sécurité juridique764.

175. Si la primauté du for est retenue en cas d’inconciliabilité de la décision avec une

décision de l’État requis ou l’État membre dans lequel la reconnaissance est demandée, par ailleurs la solution prior tempore est privilégiée. Dans ce cas, le critère chronologique est privilégié au critère géographique. Cette hypothèse vise les cas de décisions d’État membre inconciliables vis-à-vis d’un État membre ou tiers. Elle est la seconde configuration de conflit de décisions envisagée par les règlements qui ne consacrent pas une suppression de l’exequatur selon un modèle centralisé. Cette solution est consacrée, en tant que principe, dans les règlements consacrant la force exécutoire européenne suivant un modèle centralisé765. Ce refus d'exécution tient à l'incompatibilité de la décision certifiée avec une décision rendue antérieurement dans un État membre quelconque ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant la même cause766. Le débiteur doit donc invoquer l'autorité de chose jugée d'une décision rendue antérieurement. La solution est à rapprocher du traitement en amont du conflit de décisions, soit de la litispendance. Dans le cadre interne à l’Union européenne, la solution se justifie. Le droit de la procédure civile de l’Union européenne met en œuvre des rapports d’autorité européens. Il en résulte une libre circulation des décisions, qui sont considérées comme équivalentes entre les États membres. La règle prior tempore assure la cohérence de l’ordre juridique européen et confirme l’existence d’un espace procédural européen intégré767.

      

762

B. ANCEL et H. MUIR WATT, « La désunion européenne : le Règlement dit "Bruxelles II" », art. préc., n°38.

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De surcroit, un point spécifique d’incohérence latente a été relevé dans le rapport explicatif du règlement Bruxelles II (Rapport A. BORRÁS, préc., p.51, no71). Le règlement, tout comme celui qui lui a succédé, n’exige pas une identité de cause

ou d’objet. La seule identité de parties est exigée pour caractériser le conflit de décisions, qui pourra surgir dès lors entre une décision de divorce et une décision de séparation de corps. Si le conflit a lieu entre un État membre et l'État requis, la solution privilégie la décision antérieure ou non rendue dans l'État du for. Ainsi, s'il s'agit de reconnaître une décision de séparation alors qu'un divorce a été prononcé postérieurement dans l'État requis, la solution privilégie la décision de divorce. Cependant, dans la situation inverse, la solution aboutirait à privilégier la décision de séparation. Dans cette dernière hypothèse, l’auteur du rapport suggère – à juste titre - de considérer qu'il n'y a pas de contrariété de décision entre une décision de séparation et une décision postérieure de divorce. La première est la conséquence logique de cette dernière.

764

Sur le principe de sécurité juridique, cf. infra n°350.

765

Art. 21-1 règlement instituant un titre exécutoire européen ; art. 22-1 règlement instituant une procédure européenne d’injonction de payer ; art. 22-1 règlement instituant un règlement européen des petits litiges.

766

Art. 21-1 a) règlement instituant un titre exécutoire européen ; art. 22-1 a) règlement institutant une procédure européenne d’injonction de payer ; art. 22-1 a) règlement instituant un règlement européen des petits litiges.Sur l'identité d'objet, H. PÉROZ, « Le Règlement CE n° 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées », art. préc., p.671

767 Cette même règle permet de faire primer les jugements d’État tiers sur ceux européens. Cependant, et là apparaît la

distinction du système, les jugements d’États tiers doivent être reconnu à l’instar des jugements européens. Mais pour ces derniers, la condition n’en est pas vraiment une puisque la reconnaissance est de plano (cf. supra n°83 et s.). La cohésion de l’ordre juridique européen est alors assurée vis-à-vis de l’extérieur, mais par un contrôle de la décision.

 

 

176. Fondées sur les différentes configurations du conflit de décisions, la primauté du

for et la règle prior tempore sont les deux principes qui régissent ces conflits dans l’espace européen. Ces dispositions sont impératives, mais elles comportent des atténuations.

b. Les atténuations pour un espace procédural intégré

177. Les spécificités de certaines matières traitées par le droit de la procédure civile de

l’Union européenne ont imposé des nuances dans le traitement des conflits de décisions. Une dérogation doit, tout d’abord, être précisée concernant la responsabilité parentale768. Le critère d’actualité donc de la dernière décision est privilégié, dans toutes les configurations du conflit de décisions769. Les décisions en conflit doivent concerner le même enfant, mais sans que l’identité de parties soit requise. Afin que la primauté joue, l'enfant doit résider habituellement dans l'État membre ou tiers duquel émane la décision postérieure. Cette entorse s’explique en raison des intérêts en cause. Étant donné que les décisions concernant l’enfant peuvent être modifiées si un élément de la situation varie, la solution est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant qui gouverne ce règlement. Le règlement Aliments, pour ses deux régimes d’exécution, reprend ce critère, puisqu’une décision qui modifie une décision antérieure en raison de « changement de circonstances » n’est pas considérée comme inconciliable770. Le règlement Bruxelles II bis en matière de responsabilité parentale, ainsi que le règlement Aliments, posent une exception fondée sur un « critère d’actualité »771.

178. Le titre exécutoire européen, l’injonction de payer européenne et le règlement

européen des petits litiges formulent une dérogation fondée sur un « critère d’efficacité »772. Le principe de l’antériorité joue, même si la décision heurte une décision du for, si l’incompatibilité des décisions n’a pas été et n’aurait pu être invoquée au cours de la procédure judiciaire773. Le débiteur ne peut soulever l’inconciliabilité des décisions que s’il

      

768

Le règlement permet à un titulaire de la responsabilité parentale de s'opposer à la reconnaissance d'une décision qui ferait obstacle à l'exercice de sa responsabilité parentale, si cette décision a été prise sans qu'il ait eu la possibilité d'être entendu. Cette disposition de l'article 23,d) - à « mi-chemin » entre la sauvegarde des droits de la défense et la volonté d'éviter la contrariété de décisions - permet qu'une décision allant à l'encontre d'une responsabilité parentale déjà existante ne puisse être prise sans que le titulaire de la responsabilité parentale ait pu être entendu dans le cadre de cette procédure. E. GALLANT, Rep. Dr. int. Dalloz, V° Règlement Bruxelles II bis, 2010, n°239.

769

La décision ultérieure ne peut pas être une décision provisoire ; CJUE, 1re juill. 2010, Doris Povse c/ Mauro Alpago, aff. C- 211/10 PPU, Rec. p.I-6673 ; D. 2011, p.1374, obs. F. JAULT-SESEKE ; AJ fam. 2010, p.482, note A. BOICHÉ ;Europe oct.

2010, comm.349, comm. L.IDOT ; Procédures oct. 2010, comm.344, comm. C. NOURISSAT ;RTD civ. 2010, p.748, note P.

RÉMY-CORLAY ;RTD eur. 2010, p.927, obs. M. DOUCHY-OUDOT et E. GUINCHARD ; Dr. fam. mars 2011, comm.50, comm. M. FARGE ; JCP. Éd. G. 2010, 956, note A. DEVERS.

770

E. GALLANT, « Règlement (CE) n°4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires », in Droit processuel civil

de l’Union européenne, op. cit., p.99, spéc. n°356. 771 V. M

OISSINAC-MASSENAT, Les conflits de procédures et de décisions en droit international privé, op. cit., n°207 et 207 bis.

772

Ibid.

773

Art. 21-1 c) règlement instituant un titre exécutoire européen ; art. 22-1 c) règlement institutant une procédure européenne d’injonction de payer ; art. 22-1 c) règlement instituant un règlement européen des petits litiges.

 

 

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