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Recherches et connaissances

Quelles « catégories » pour les pratiques culturelles ? A.2.

B. Recherches et connaissances

De nombreuses recherches sont effectuées par les pratiquants, fournissant la matière d'un savoir historique particulier. D'après les entretiens recueillis, les reconstituteurs effectuent des analyses, des lectures et des recherches dans le cadre de leur loisir, en se servant des données et outils mis à leur disposition. D'une manière générale, les équipements culturels constituent un accès primordial. Il s'agit des bibliothèques (nationales, universitaires ou municipales), des musées (locaux et nationaux), mais aussi des archives. L'internet forme une source de recherche importante, que ce soit à travers les forums ou les sites en ligne : la base Persée par exemple. Ces recherches portent sur l'élaboration de costumes, sur l'artisanat ou encore la vie quotidienne à une époque précise : « Sur la musique médiévale

et ses instruments, les costumes, les accessoires de la vie quotidienne, la littérature, le mobilier, les croyances, les sciences, la société, etc. » Les objets employés sont variés : du

livre aux investigations numériques, en passant par les photographies de pièces de musées, qui permettent d'avoir une vision des objets matériels, ou par des conférences. « [Mes

recherches sont] textuelles, iconographiques, archéologiques, visites de sites, expositions, conférences... Tout ce qui a trait de plus ou moins près à ma période historique privilégiée […] ou mes pratiques manuelles artisanales. » Au cours des entretiens, tous les enquêtés

effectuent des recherches personnelles pour la création de leur costume. De même pour les questionnaires, à la question « Quelle part de votre temps accordez-vous à la préparation

de vos sorties pour les recherches ? », seules douze personnes ont énoncé ne pas faire du

tout de recherche. Pour les autres, quantifier ne permet pas d'obtenir des résultats probants, les réponses allant de quelques minutes par semaine à plus de 20 heures. Mais ce qu'il faut retenir est l'idée que le fait de se documenter constitue une part importante de la démarche, en termes de temps mais aussi selon la manière même d'aborder l'activité.

En ce qui concerne les AMHE, ce rapport à la documentation s'est vu analyser d'après les observations menées. Là encore, il n'est pas possible de quantifier le temps que les individus passent à effectuer des recherches mais, d'une manière générale, la communication sur cette question est largement répandue par le biais des forums. En effet, il est fréquent que des traductions de manuscrits et des vidéos de présentations de techniques circulent en ligne. Le but est double : présenter un travail réalisé et demander des analyses qui pourront porter à modifications ce qui est soumis à la critique. Par extension, la variable du questionnaire destiné aux pratiquants, qui portait sur le temps

consacré à un groupe de travail au sein de l'activité, fournit quelques éléments de réponse : quantifier cette pratique semble plus facile que dans le cadre de la reconstitution, étant donné qu'elle se pose des limites de temps (un entraînement) et de lieu (une salle). Une moyenne peut être faite qui place la recherche au sein d'un groupe entre 1h30 et 2h par semaine. Toutefois, comme souligné précédemment, tous les adhérents ne font pas partie de groupes de ce type. Les AMHE sont une activité qui demande moins de temps, puisqu'ils peuvent se pratiquer sans effectuer de recherches préalables. Se retrouve ici le côté transmission directe, qui passe par une seule personne. À l'inverse de la reconstitution, les AMHE ne demandent pas la création d'un costume et toutes les recherches qui lui sont associées. Il apparaît possible de « consommer » les AMHE à la manière de n'importe quel club d'activité physique. Pourtant, la majorité des pratiquants déclarent s'investir, au moins par la lecture de traités. De plus, les stages forment une base de données à la portée de tous. D'ailleurs, près de 70 % des enquêtés déclarent participer à des stages, aussi bien en France qu'à l'étranger.

Des recherches sont effectuées, quelle que soit l'activité prise en compte. Pour cette raison, une distinction entre « savoir » et « connaissance » peut être faite : « Par "savoir", nous

faisons référence aux savoirs constitués, codifiés et décrits dans des documents officiels : des programmes scolaires ou de formation, des curricula ou des référentiels professionnels […]. Par savoir, nous désignons donc un contenu d'apprentissage socialement reconnu, codifié et décrit dans des textes et documents officiels [...]. Par "connaissance", par contre, nous désignons ce qui relève du sujet à la suite de processus de développement et d'apprentissage […]. Cela se réalise à travers une série d’interactions que le sujet- apprenant établit avec ses environnements social et physique […]. Les "connaissances " relèvent donc du sujet, elles sont des entités privées, mais pas uniquement. En effet, il est indispensable d'évoquer aussi tout ce que le sujet ira rechercher dons son environnement physique et social pour utiliser ces connaissances. »284 Pour ce qui est de l'histoire vivante, les savoirs peuvent faire référence à ce qui est appris à travers les différents medias : ouvrage, sources primaires, etc. Quant aux connaissances, elles renvoient plus particulièrement aux acquisitions personnelles faisant suite à une forme d'apprentissage mise en place par le groupe de pairs.

284Philippe Jonnaert (2001), « La question de la référence en didactique : la posture épistémologique du

chercheur et ses implications », in André Terrisse (sous la dir. de), Didactique des disciplines, Bruxelles, De Boeck, pp. 54-55.

Ce qui diffère sensiblement par la suite, est la manière dont se réalisent les recherches. Dans le cadre de la reconstitution, chacun peut se documenter, notamment grâce aux équipements culturels disponibles, mais aussi en fonction de l'avancée dans la pratique. Les « néo-pratiquants » vont d'abord commencer par se renseigner sur les forums avant d'être réorientés vers d'autres types de documents (littératures, musées, etc.). Pour les AMHE, étant donné les faibles ressources disponibles quant à ce sujet particulier, la possibilité d'accès aux sources est réduite. Par conséquent, les enquêtés ne peuvent effectuer des « investigations » aussi facilement que pour la reconstitution. Bien que les deux activités fassent mention de recherches portant sur l'histoire médiévale, les AMHE souffrent d'un manque certain de vulgarisation, au sens où les équipements culturels ne permettent pas d'accéder à ce type de connaissances. De plus, peu de personnes peuvent comprendre les langues anciennes (allemand, italien) dans lesquelles sont rédigés les traités. Ceux qui sont traduits « en ligne » le sont le plus souvent grâce à certains initiés ou historiens spécialisés. Pour ces raisons, il semble que la diffusion du savoir concernant les AMHE se réalise de manière plus unilatérale que celui concernant la reconstitution. Ce sont en général des personnes à la tête d'associations, des individus chevronnés ou des jeunes chercheurs en histoire, qui transmettent le savoir à d'autres. La difficulté d'accès aux sources concernant les AMHE explique pour une bonne part ce phénomène.

Un autre point qu'il faut souligner quant aux recherches effectuées, est le lien fort qui existe avec des disciplines universitaires. La grande majorité des reconstituteurs interrogés par le biais des entretiens déclarent être en relation avec des « professionnels », tels que des historiens ou des archéologues. Ceux-ci sont professeurs d'université, conservateurs de musée, archéologues, mais aussi organisateurs d'événements. Ces professionnels sont souvent contactés suite aux premières recherches effectuées et dans le but d'obtenir des informations complémentaires, mais aussi pour un rapport direct avec les auteurs d'ouvrages, ou avec les archéologues ayant mené des fouilles qui intéressent les reconstituteurs. Parfois, ces personnes sont même des amis. Les frontières entre la reconstitution et les professionnels de l'histoire ou de l'archéologie ne sont pas hermétiques.

En ce qui concerne les AMHE, le lien avec les disciplines universitaires est d'autant plus évident que plusieurs présidents d'association sont aussi des doctorants en histoire ou archéologie, traitant d'un sujet proche des AMHE. D'autres personnes réalisent des études

sur ce thème mais par plaisir personnel. Dans tous les cas, que le cadre de la recherche soit formel ou non, tous ceux qui abordent le sujet d'un point de vue de chercheur font aussi, et en parallèle, des AMHE dans une démarche contemporaine. Les objets d'études sont formés par des « sources de premières main et des manuscrits » et les échanges avec d'autres chercheurs, qu'ils soient ou non Français, sont au cœur du travail. De plus, des conférences sur des points précis de la pratique (maîtres d'armes, types d'armement, histoire d'une école, etc.) sont organisées tous les ans, lors de la première matinée des

Rencontres internationales de Dijon. Les intervenants peuvent être des universitaires ou

des « simples » adhérents, du moment qu'un travail concernant la pratique a été effectué et peut être présenté.

Enfin, concernant les pratiquants d'AMHE, leur intérêt pour l'histoire joue un rôle essentiel et 15 % d'entre eux sont étudiants (ou l'ont été) en histoire ou en archéologie. Les autres motivations historiques sont indéfinies (24 %), en lien avec les AMHE (15 %), c'est-à-dire que la volonté de mieux comprendre le côté martial d'un point de vue historique conduit à la pratique des AMHE (« L'aspect historique [relativement local] des AMHE les rend plus

intéressant que d'autres arts martiaux ») ; ou bien en lien avec la reconstitution : cette

activité les amène à pratiquer les AMHE : « C'est dans le cadre d'activité de reconstitution

que j'ai rencontré le groupe [d'AMHE] », (12 %) ; les autres font preuve d'un intérêt global

pour l'histoire en tant que discipline (cf. à ce propos le graphique n° 3).

Toutes ces recherches apportent des connaissances et des savoirs particuliers qui permettent ensuite la mise en pratique des activités. L'idée est de rendre ces informations

Source : Graphique réalisé d'après les réponses au

questionnaire passé via l'internet aux pratiquants d'AMHE

Graphique 3 : Rôle joué par l'histoire dans la

« vivantes », de les « pratiquer », d'où le terme d'histoire vivante. Mais celui d' « archéologie vivante » a parfois été rencontré lors du terrain. Les troupes ne se définissent pas dans un cadre historique, mais plutôt archéologique. Ce fait attire l'attention car il sous-entend une forme similaire (mise en vie de savoirs « passés », présentations vivantes) mais un fond différent.

Ce qui compte n'est plus l'Histoire mais l'archéologie. Ce terme apparaît comme plus spécifique car, à l'inverse du terme « histoire », qui peut être compris comme l'ensemble des événements passée (Histoire) ou comme la discipline qui les étudie, le terme archéologie renvoie exclusivement à la discipline scientifique. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce choix des termes (qui n'a cependant été rencontré qu'une seule fois) : soit la part des archéologues prenant part à la reconstitution est plus important que celle des historiens, d'où une inclinaison du côté de l'archéologie ; soit la période reconstituée (en l'occurrence celte et gauloise) renvoie davantage à des recherches archéologiques, compte tenu de la prédominance de sources archéologiques pour cette période. Il n'est pas question de délimiter ce champ d'application, mais simplement de souligner que l'histoire ne constitue pas l'unique discipline de référence pour la reconstitution et que d'autres sont parfois ouvertement revendiquées.

Il faut aussi s'interroger sur les liens entre archéologie expérimentale et histoire vivante. Les rapports pourraient être conflictuels, étant donné que les manières de faire peuvent se recouper mais que les deux pratiques demeurent éloignées, en termes d'objectifs notamment. Pourtant, la plupart du temps, les enquêtés font bien une différence entre leur activité et l'archéologie expérimentale, qu'ils considèrent comme une ressource supplémentaire pour leurs recherches personnelles. L’archéologie expérimentale peut être

« liée à l'histoire vivante », ou « complémentaire » dans le sens où la reconstitution

cherche à s'en « approcher », tout en étant « différente », car « la reconstitution n'a pas à

expérimenter, la pratique étant réservée aux archéologues ». « Cette pratique scientifique […] guide notre démarche de reconstituteurs » ; « C'est une démarche à ne pas confondre avec les expérimentations que l'on peut mener parfois en reconstitution. Les deux démarches peuvent s'alimenter, mais l'archéologie expérimentale a pour moi un côté " in vitro", sous entendant protocoles de labo, blouses blanches, et sondes en tout genre ». Ce

qui différencie l'archéologie expérimentale de l'histoire vivante est le côté scientifique de la première, que ne peut obtenir la seconde, faute de « professionnels ». Pourtant, il arrive

parfois que les frontières se mélangent : cela « coince avec les archéologues », ces derniers devant prendre en compte l'histoire vivante et ses pratiquants, afin que ceux-ci puissent être

« reconnus en tant que particuliers » qui effectuent des expérimentations. C'est aussi

parfois la « seule forme de reconstitution acceptable ». Les limites ne sont ainsi pas clairement fixées. Ceci peut sans doute se comprendre, compte tenu des problèmes de définitions liés aux termes d'histoire vivante comme d'archéologie expérimentale. Cette dernière étant une branche de l'archéologie en devenir, elle a aussi des difficultés à s'affirmer. Quelle limite tracer entre des reconstitutions d'histoire vivante et d'autres d'archéologie expérimentale ? Sans doute le protocole mis en place, ce qu'avancent nombres de reconstituteurs. Néanmoins, d'autres soulignent que certaines expérimentations n'intéressent pas l'archéologie en tant que science et que l'histoire vivante doit pouvoir combler ces lacunes. Le débat semble ouvert et le manque d'institutionnalisation de la discipline joue pour beaucoup dans cette confusion. Il ne s'agit pas de clore la question, mais simplement de donner à voir les liens qui existent entre deux manières d'aborder les expérimentations. Toutefois, les chercheurs travaillant sur les AMHE abordent souvent la notion d'expérimentation mais toujours en lien avec un « protocole » et en affirmant l'impossibilité d'aller « au-delà des simples hypothèses ».

Cette question de l'archéologie expérimentale, bien que très spécifique, invite à s'interroger sur la place des expérimentations au sein de l'histoire vivante. Elles sont à la frontière entre recherche, savoir et savoir-faire. En effet, elles ne peuvent être réalisées qu'en lien avec des connaissances acquises au préalable et dans l'objectif de présenter des informations. Ces expérimentations peuvent prendre des formes variées : retrouver un geste martial (c'est le cas dans les ateliers de travail tels qu'ils peuvent être mis en place au sein des AMHE) ; ou expérimenter du matériel, par exemple, lors des randonnées en costume (Ost en marche,

Ost alsacien, Est en marche). Le but de ces sorties est de tester son matériel ainsi que

d'autres paramètres comme la fatigue ou encore la vitesse de déplacement (les chaussures formant souvent un point de discussions), en situation de marche. D'autres manifestations de type Archers versus piétons ont un but similaire, qui sera de mettre en pratique des connaissances théoriques, comme« vérifier les possibilités de manœuvre des piétons dans de telles conditions » ou encore « connaître les possibilités réelles d’une troupe d’archers en situation de combats ». Les reconstitutions de batailles peuvent aussi, pour partie, entrer

dans ce cadre d'étude, les proportions entre les camps en présence tendant à être les plus proches possibles des données fournies par l'Histoire. Généralement, ces différents

rassemblements font ensuite l'objet de discussions avec d'autres pratiquants par le biais des forums. Ils ne sont pas souvent vécus comme des expérimentations en tant que telles, mais d'abord comme des manifestations agréables, où le fait de tester du matériel prend un intérêt particulier. Tout se passe comme si l'expérimentation apparaissait comme une occasion supplémentaire de profiter de l'événement. Il est effectif que les différents « tests » mis en place font rarement concurrence aux travaux de l'archéologie expérimentale, les champs d'études étant éloignés, d'autant plus que ces expérimentations réalisées dans le cadre de l'histoire vivante, bien qu'elles se répètent (les manifestations ayant souvent lieu tous les ans), ne le font pas de manière identique. Parler d'expérimentations scientifiques semble donc excessif.

Ainsi, les recherches effectuées par les pratiquants sont multiples et apportent des connaissances supplémentaires pour la mise en place de l'activité. Il est important de prendre en compte, en plus des savoirs acquis, les savoir-faire qui forment tout autant une caractéristique propre de l'histoire vivante.