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Intérêts de cette méthode A.2.

À l'inverse d'autres types d'observation, celle qui est participante permet une entrée complète et directe sur le terrain. Pourtant, comme n'importe quel groupe social, ceux délimités par l'histoire vivante sont soumis à des impératifs, et il ne suffit pas de vouloir en faire partie pour être accepté. Nous l'avons vu dans une partie précédente, certains impératifs sont nécessaires (costumes, etc.) ; il ne s'agit pas de revenir sur ces détails, mais de montrer en quoi l'observation participante constitue une bonne première approche du phénomène. Étant donné la nature même du terrain, il était impossible d'envisager une autre forme d'observation : d'une part, ma présence aurait été particulièrement incongrue et, de l'autre, le fait de se sentir « observé » par une personne « extérieure » aurait sans doute modifié les comportements des enquêtés. C'est donc pour une prise en compte de la méthodologie adéquate que mon choix s'est porté sur l'observation participante. Ensuite, débuter l'enquête par des observations, au lieu d'entretiens ou de questionnaires, a permis de préciser l'objet de recherche. En outre, une fois bien intégrée aux participants, les places de chacun bien définies, les réponses sont facilitées lors de la passation de questionnaires ou de demandes d'entretiens. Débuter le terrain de cette façon permet d'instaurer la notion de confiance entre le chercheur et les enquêtés. Au fur et à mesure de l'avancement de la recherche, les participants savaient pourquoi j'étais présente et j'ai alors pu constater une véritable demande de retours et un fort besoin de reconnaissance sociale.

Le fait d'être sur place, de participer pendant toute la durée de la manifestation, instaure naturellement des interactions et une compréhension autrement impossible, par exemple, avec uniquement des entretiens. À propos du travail de terrain comprenant « une part

d'observation analytique », Jean-Michel Chapoulie présente bien les logiques propres à ce

type d'enquête : « Le travail de terrain ne permet sûrement pas d’apporter des preuves au

sens que l’on peut donner à cette expression en statistique. Mais tel n’est pas non plus en général l’un des objectifs principaux des recherches de terrain. Pour celles-ci, il s’agit davantage de découvrir différentes dimensions des phénomènes sociaux considérés [...], à commencer par celles qui n’étaient pas nécessairement envisagées par le chercheur avant

son arrivée sur le terrain […]. Faire accéder le lecteur à l’univers symbolique d’une ou plusieurs des catégories d’acteurs étudiés, en dégageant les logiques sociales qui s’incarnent dans leurs comportements, qui peuvent renvoyer au contexte des actions ou aux caractéristiques des acteurs, est un autre objectif fréquemment poursuivi […]. »128 Le choix de l'observation répond à des logiques méthodologiques, afin de mieux définir et analyser le terrain et les phénomènes sociaux qui s'y rapportent.

D'un autre côté, les premières observations participantes permettent la transformation du regard nécessaire à l'analyse ethnographique. Il est nécessaire d'apporter une nouvelle ouverture sur le sujet analysé, et ceci d'autant plus que le chercheur travaille sur sa propre société. Une importante distinction doit être opérée entre « voir » et « regarder ». François Laplantine donne sur ce thème de nombreux points de réflexion : « Le mot voir […] est

utilisé pour désigner un contact immédiat avec le monde qui ne nécessite aucune préparation, aucun entraînement, aucune scolarité […]. Voir, c'est recevoir des images. La perception ethnographique n'est pas, quant à elle, de l'ordre de l'immédiateté de la vue, de la connaissance fulgurante de l'intuition, mais de la vision (et par conséquent de la connaissance) médiatisée, distancée, différée […]. Regarder est un mot qui a été forgé au Moyen-Âge et dont le sens nous parvient encore aujourd'hui : regarder, c'est garder, prendre garde à, prendre soin de […]. »129 Observer d'un point de vue ethnographique nécessite une forme d'apprentissage, l'acquisition d'un « regard » particulier qui tend à mettre en valeur les significations non visibles de prime abord. Les premières observations participantes permettent cette transformation du regard, ce changement de perception par rapport aux présupposés en vigueur. Cette analyse apparaît comme essentielle dans la mesure où le chercheur enquête sur sa propre société : il doit être d'autant plus vigilant à laisser de côté ses prénotions sur le thème abordé.

L’observation favorise par ailleurs l’accès direct aux données, la collecte ne dépendant que du chercheur. « La documentation sur laquelle s’appuient généralement les sociologues –

documents d’archives, questionnaires et témoignages – est structurée par les systèmes de catégorisation utilisés dans la société qui produit cette documentation. Les catégories du langage ordinaire jouent un rôle central dans cette structuration, ainsi que les catégories en usage dans la société considérée, notamment les catégories des statistiques

128Jean-Michel Chapoulie (2000), « Le travail de terrain, l'observation des actions et des interactions, et la

sociologie », Sociétés contemporaines, n° 40, octobre-décembre, pp. 19-20.

administratives et les catégories de perception et de jugements des acteurs ordinaires – ceux qui répondent aux entretiens, remplissent les questionnaires, ou qui produisent les documents conservés par les archives. En d’autres termes, les catégories constituées de la société étudiée constituent un filtre de l’information que peut obtenir le chercheur chaque fois qu’il utilise ces différents types de sources. »130 Cette remarque de Chapoulie montre que le chercheur est nécessairement soumis aux catégories de pensée propres à la société qu'il étudie et, dans ce cadre, à sa propre société. Les données ne sont pas neutres et appartiennent à des classifications pré-définies. Il s'agit, pour l'enquêteur, d'être vigilant quant à ces données, et leur mode de production doit lui aussi être pris en compte. L'observation permet de minimiser ces catégorisations : « La démarche d’observation

accorde donc au chercheur une plus grande latitude dans la construction analytique que d’autres démarches (comme l’entretien). Elle permet éventuellement de tester immédiatement sur le terrain les inférences faites, par la mise à l’épreuve, au moment même de la prise des notes de terrain, des distinctions retenues dans le codage de ce qui est observé. »131 L'observation est un outil important puisqu'elle permet d'obtenir une vision du fait étudié en dehors des « filtres » de catégorisations.

Ces changements dans la perception de l'objet autorisent peu à peu la construction des faits sociaux pour l'analyse ultérieure. Marcel Mauss, s'interrogeant sur la nature de ces faits, rappelle la nécessité de « substituer aux notions du sens commun une première notion

scientifique », et définit les « caractères objectifs comme les caractères que tel ou tel phénomène social a en lui-même, c'est-à-dire ceux qui ne dépendent pas de nos sentiments et de nos opinions personnelles »132. Plus loin, il précise que « la sociologie doit faire plus

que décrire les faits, elle doit, en réalité, les constituer ». En ce qui concerne leur

observation, « les phénomènes sociaux, plus que tous autres, ne peuvent être étudiés en

une fois dans tous leurs détails, tous leurs rapports. Ils sont trop complexes pour qu'on ne procède pas par abstractions et par divisions successives des difficultés »133. La construction de ces faits est permise, pour l’étude, par une approche participante. La

130Jean-Michel Chapoulie (2000), « Le travail de terrain, ...», op. cit., p. 20. 131Ibid., p. 21.

132Marcel Mauss et Paul Fauconnet (1901), « La Sociologie, objet et méthode », texte issu de l'article

« Sociologie », in La Grande Encyclopédie, vol. 30, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie [En ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/essais_de_socio/T1_la_sociologie/la_sociologie.html, p. 22.

définition de l'objet, sa précision, tant au niveau de sa définition que de sa méthodologie, permet de délimiter les faits sociaux observés et pris en compte.

Un autre intérêt de cette méthode qu'est l'observation, réside dans l'aide qu'elle peut apporter afin de passer du « comment » au « pourquoi ». En effet, c'est là que se tient toute la difficulté de la recherche ethnographique : de l'observation qui répond à la question du « comment », il s’agit ensuite de passer à une autre interrogation, celle du « pourquoi ». Le travail de terrain en général favorise ce changement de perspective, tout en permettant de saisir de manière pertinente le premier terme de l'équation. Ainsi, l'activité du chercheur oscille entre deux axes : « D'une part la tâche de collecter et de présenter des données, en

vue de montrer comment la vie sociale prend la forme qui est la sienne, et, d'autre part, le défi explicatif de produire un argument convaincant, qui explique pourquoi la vie sociale fonctionne comme elle le fait. »134

Manières de réaliser l'observation