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Approches terminologiques B.2.

L'histoire vivante étant une activité en pleine expansion sur le territoire français, la question de la définition même du terme pose problème. En effet, il n'existe pas de consensus sur le sens que celui-ci peut adopter. D'ailleurs, d'après le travail de pré-enquête, les pratiquants lui préfèrent celui de « reconstitution » ou, plus spécifiquement dans un cadre martial, celui d'AMHE. Cette inclination a légèrement tendance à changer, et de plus en plus de troupes emploient le terme d'histoire vivante, mais d'une manière générale, il n'est pas encore communément utilisé. Le premier enjeu a donc été une classification. Un premier travail de terrain a permis de circonscrire deux grands courants : la reconstitution et les AMHE. Cependant, aucun de ces termes n'est défini de manière unanime par les enquêtés. Ayant constaté que ces deux activités englobent des thématiques similaires, mettant en avant une volonté de présenter des pratiques historiques, il m'a

semblé intéressant de les regrouper ensemble sous le vocable d'histoire vivante. Dans un souci de précision, mais aussi de comparaison, les définitions données par les Anglo- saxons pour ces termes ont été analysées. Ce choix concerne l'Angleterre car l'histoire vivante est instituée dans ce pays depuis plusieurs décennies et compte même un organisme gouvernemental, à savoir English Heritage, qui est parrainé par le ministère de la Culture, des Médias et du Sport, et qui a pour objectif de « conserver et améliorer

l'environnement historique, élargir l'accès du public au patrimoine » et d' « accroître la compréhension du passé ».

Les différentes définitions données de l'histoire vivante (living history) et de la reconstitution historique (historical reenactment) ont donc été regroupées grâce à une recherche internet menée sur le vocabulaire employé par les troupes anglaises, notamment par le biais de leurs sites internet. La première constatation a été de voir que toutes ces définitions sont proches les unes des autres et parfois employées de manière interchangeable. Ce travail constitue une base d'enquête, mais les définitions anglaises ne peuvent s'appliquer au terrain français et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, certains termes, aisément employés en Grande-Bretagne pour désigner ces pratiques de loisirs, ne peuvent être utilisés dans notre pays. C’est en particulier le cas pour le terme de role-play. En effet, cette idée de « jouer un rôle » n’est absolument pas connotée de manière négative à l’étranger, mais en France, elle est intimement liée au jeu de rôle ou au Grandeur Nature, expérience dont les reconstituteurs cherchent à se démarquer. Contrairement au jeu de rôle, la reconstitution souhaite ne laisser que peu de place à la libre imagination de chacun et ne se situe pas dans un univers féerique ou fantastique. Pour cette raison, le terme de role-play étant lié au monde du jeu de rôle, il ne semble pas opportun de l’employer pour donner une définition de l’histoire vivante ou de la reconstitution historique. En résumé, les termes anglo-saxons englobent parfois certaines références qui peuvent être ambiguës lors d'un emploi en France. Pourtant, certaines récurrences apparaissent et permettent de dresser un portrait de la pratique, en lien étroit avec les premières données de terrain recueillies. C'est ainsi que l'histoire vivante est souvent présentée comme une action éducative, permettant de donner vie à l'Histoire (Bring history to life). Quant à la reconstitution, elle permet de présenter des objets reconstitués, tout en incluant la notion de mise en scène (staging, performance, to show

how artefects were used in their context). Ces données ne permettent pas de distinguer

clairement les deux pratiques mais donnent à voir les termes principaux à mettre en avant. Ensuite, le terme d’« évocation » se retrouve parfois pour qualifier, en français, la reconstitution. Néanmoins, le travail de terrain permet de prendre du recul par rapport à ce qualificatif ; en effet, il est majoritairement employé par les acteurs de l’histoire vivante de manière connotée ou, tout du moins, avec une volonté de différencier l’évocation de la reconstitution. La première attacherait moins d’importance aux détails et à la recréation la plus précise possible, se concentrant davantage sur le côté spectaculaire de la période « évoquée ». Par ailleurs, si l'on prend en compte la définition donnée par un dictionnaire58, de l'évocation, cette dernière aborde plusieurs niveaux : d'une part, une « action de

rappeler quelque chose d'oublié, de rendre présents à l'esprit des souvenirs » et, d'autre

part, une « action de mentionner quelque chose, de faire allusion à quelque chose ». Ces deux définitions englobent deux pratiques différentes. D'un côté, cela situe l'activité d'évocation dans le domaine de la mémoire et des souvenirs et, de l'autre, uniquement dans le domaine du contexte médiéval. Ainsi, soit l'évocation fait appel à une mémoire passée, et la question se pose de savoir comment cette mémoire a pu se transmettre : peut-on raisonnablement rappeler des souvenirs de plusieurs siècles ? Soit elle ne situe la pratique que dans un cadre qui donne à penser au médiéval, mais sans que ce dernier ne soit nécessairement proche du côté historique, du moment qu'il fait appel ou allusion à un passé de type médiéval. De ce fait, il semble que ce terme, afin d’éviter tout amalgame, ne doive pas être employé pour définir la reconstitution qui, justement, cherche à se démarquer de cette démarche.

L'idée est de commencer par définir ce à quoi ne correspond pas l'histoire vivante en mettant en lumière les termes proches qui peuvent parfois lui être associés et en montrant en quoi ils posent problème. Il en est de même pour certaines notions, comme celle de

« fête médiévale ». Cette pratique, qui sera précisée ultérieurement, concerne des

événements ayant lieu la plupart du temps en saison estivale, mettant en scène une vision particulière du Moyen-Âge. En général, les pratiquants d'histoire vivante ne sont pas présents sur ces fêtes, car elles ne répondent pas à leurs exigences, en termes d'historicité des présentations. Pourtant, parfois, le discours qui est tenu par les enquêtés est celui d'une volonté de changer le contenu de ces fêtes, et donc de s’y rendre afin de montrer la mise en

œuvre de l'histoire vivante. Mais, d'une manière générale, ces manifestations n'entrent pas directement dans le cadre de la recherche, en tant que leurs objectifs diffèrent de ceux des événements étudiés.

Il en est de même pour la notion de « sport », parfois associée aux AMHE. Une majorité des enquêtés s'accordent sur ce point : les AMHE ne sont pas une pratique sportive. Pourtant, certaines caractéristiques de la démarche invitent à remettre en question cette assertion. Ainsi, employer ce terme pose aussi problème.

L’histoire vivante concerne une activité relativement indéfinie, proche de la reconstitution selon les termes anglais, mais qui doit, en France, être séparée à la fois de l'évocation, des fêtes médiévales et du jeu de rôle. Le terme d'AMHE, quant à lui, est très peu abordé dans les définitions anglaises de l'histoire vivante. Il en est de même en France. Bien que les pratiques soient proches du point de vue des concepts véhiculés, leurs mentions respectives demeurent éloignées et peu employées de façon conjointe.

Par ailleurs, proposer des définitions pour ces pratiques ne peut se faire sans prendre en compte leur développement d'un point de vue historique. En ce qui concerne les AMHE, il est difficile de leur donner une date de naissance à proprement parler, mais en France, l'une des premières associations à avoir pratiqué ce type de techniques a été créée en 1998. Par la suite, plusieurs se sont développées et l'on peut raisonnablement situer l'essor de la pratique au début des années 2000.

Du point de vue de la reconstitution, là encore, dater précisément les premiers événements s'avère compliqué, mais il est généralement admis que cette activité, intrinsèquement liée à l'histoire vivante, remonte à une trentaine d'années : « Si l'on s'en tient à la période

contemporaine, le phénomène est très largement international et prend naissance dans les pays anglo-saxons (Angleterre, États-Unis, Canada) dans les années 1970 autour du concept de l'Histoire vivante ou Living History. »59 Plus loin, l'auteur évoque une définition possible de la pratique : « Faire revivre des lieux-"dits" historiques (ville

médiévale, forteresse ou champs de bataille), reconstituer la vie quotidienne militaire ou civile à grands renforts de costumes, d'objets ou de savoir-faire censés crédibiliser

59Maryline Crivello (2006) « Les braconniers de l'Histoire. Les reconstituteurs historiques : nouveaux

lieux du politique ? », in Maryline Crivello, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (sous la dir. de),

Concurrence des passés : usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence,

l'évocation, font partie du contrat tacite des "reconstituteurs". »60 Cette citation met en avant le terme d'évocation, ce qui pose problème quant à la définition même de la reconstitution, puisque les initiés cherchent à se démarquer de cette démarche. Pourtant, malgré cela, l'auteur remarque que « ces sensibilités qui s'expriment font de l'Histoire non

pas une culture savante mais une véritable pratique sociale et culturelle, une passion individuelle ou collective »61. Ce passage illustrant parfaitement ce que j'ai pu constater lors du terrain, il apparaît comme encore plus important de définir précisément la pratique afin de pouvoir délimiter le champ d'application de l'histoire vivante.

D'après le travail de terrain et les recherches théoriques effectuées quant à cette question de délimitation des termes, il a alors été possible de proposer les définitions suivantes :

l'histoire vivante est une activité culturelle qui englobe à la fois la reconstitution (historique) et les AMHE, puisque les éléments constitutifs de la pratique sont présents dans ces deux déclinaisons (transmission de connaissances, liens à l'Histoire, rapports aux gestes, normes et valeurs partagées par un groupe social particulier). AMHE et reconstitution sont donc à voir comme les deux faces d'une même pièce, appelée histoire vivante. Cette expression est formée par l'association de deux termes : « histoire », qui renvoie à une connaissance du passé, et « vivante », qui accorde une dimension animée à la démarche, par opposition aux supports inertes (livres, etc.) dans lesquels se retrouve habituellement la connaissance historique. Ainsi, l'histoire vivante présente toute

re-création et mise en action d’un événement historique particulier ou d’une manière de faire d’un temps passé. Elle consiste à faire vivre et à donner à voir

les recherches effectuées en amont de leur présentation. Son objectif est donc de faire revivre l’histoire, de la présenter de manière interactive et créative afin de favoriser les échanges avec le public. À ce titre, elle a un rôle éducatif à jouer. Elle se base sur toute recherche (pièces de fouille, manuscrits, enluminures, etc.) pouvant lui permettre d’être la plus proche possible de la réalité historique qu’elle souhaite représenter ;

de son côté, la reconstitution historique, généralement uniquement nommée « reconstitution », comprend ses caractéristiques propres et englobe plus

60Ibid., pp. 49-50. 61Ibid., p. 50.

spécifiquement la représentation d’une personne (ayant ou non existé),

conforme à une période historique particulière. Le terme de « représentation »

renvoie ici à l'action de « rendre sensible quelque chose au moyen d'une figure,

d'un symbole, d'un signe »62. Cette manière d’exposer une période passe par la présentation d'un statut social particulier, signifié par le costume et les accessoires qui lui sont associés. De là découle une démarche particulière qui cherche à être la plus rigoureuse possible. La reconstitution se définit également en creux par ce qu’elle ne souhaite pas être, à savoir le refus d’être identifiée à une démarche « approximative », non « sourcée » et non expliquée. S’instaure alors une distinction de fait entre une volonté de pousser la recherche à son extrême (reconstitution) et une pratique perçue comme « spectaculaire », fréquemment nommée « évocation » ;

les AMHE (Arts martiaux historiques européens), pour leur part, constituent une pratique physique et culturelle. Leur signification pose problème étant donné que chaque groupe exerçant cette activité propose sa propre définition. Aucune ne fait pour le moment consensus. Il semble cependant que le terme provienne de la traduction anglaise HEMA (Historical European Martial Arts). L'acronyme français peut être décomposé afin d'en comprendre les mécanismes63 :

- Arts martiaux : le vocable art martial semble avoir été employé pour la première fois à la fin du Moyen-Âge et provient de l'association entre « martial », du dieu romain de la guerre Mars, et « Arts », conception liée à l'idée de méthode d'apprentissage, qui rejoindrait le concept de « science ». Ce terme renvoie aussi à la notion de combat asiatique. Il a peut-être été volontairement réutilisé à la fois dans un but d'opposition par rapport aux pratiques orientales, mais aussi de similitudes quant à la référence aux arts du combat, tout en étant précisé par « historiques européens ».

- Historiques Européens : il s'agit de définir la cadre temporel et spatial des arts du combat. « Historiques » en tant qu'ils renvoient à une connaissance passée et « européens » pour délimiter l'espace géographique d'étude. Ces termes sont

62Cf. Le Larousse par exemple, entrée « Représentation ».

63Je tiens ici à remercier Pierre-Alexandre Chaize et Matt Easton pour leur aide précieuse quant à ce

parfois remplacés par Western (en opposition à « Eastern martial arts ») en langue anglaise. À ce propos, ce mot est peu repris en langue française, compte tenu du caractère politique qu'il peut potentiellement revêtir.

Ces explications permettent de préciser le champ d'application de l'activité, mais une définition plus spécifique doit être formulée afin d'avoir un objet d'étude correctement délimité. Pour ce faire, je me suis appuyée sur la définition qui avait été proposée par les membres d'un forum de travail, lors d'un essai de fédération de la pratique. Ainsi, les AMHE cherchent, à l’aide de sources primaires (essentiellement des manuscrits), à retranscrire « un ensemble de

gestes, de techniques et de principes, ayant pour but l’affrontement entre un individu et un nombre restreint d’autres individus ».64 À noter que les AMHE fonctionnent comme une activité physique et se pratiquent avec du matériel contemporain, comme par exemple des épées en nylon, des masques d'escrime, etc.

Ces définitions n'excluent pas la possibilité de s'interroger à propos de la question du néo- médiévalisme ou du retour à une pratique traditionnelle. Ces thématiques seront abordées dans le cadre du développement ultérieur, puisqu'elles permettent de cerner la notion d'identité. Il faut également préciser que ces définitions doivent être valables quelle que soit la période historique prise pour thématique.

Enfin, chaque catégorie ainsi mise en place correspond à une construction sociale, qui est susceptible de modifications. Ces définitions permettent principalement de délimiter un objet et de lui donner de cette manière une réalité ayant ses propres frontières, dans le but de pouvoir l'approcher d'un point de vue socio-anthropologique. Dans tous les cas, les termes ont uniquement été précisés, voire redéfinis, mais ils existaient déjà et il ne s'agit pas de néologismes. Un schéma (page suivante) peut exposer les différentes relations, en termes de proximité, que peuvent avoir les notions présentées :

64 Définition proposée, suite au brainstorming sur l’unité et la réglementation de la pratique, sur le forum

internet dédié au projet de fédération AMHE (http://projetfedeamhe.xooit.fr). Cette définition a été retenue car elle a été élaborée par plusieurs associations de manière conjointe.

Une fois ces définitions établies, il est à présent nécessaire d'exposer de manière plus précise le cas français de l'histoire vivante et ses diverses manifestations.

C. État des lieux et manifestations du phénomène

L'histoire vivante regroupe plusieurs pratiques, qui méritent d'être présentées. D'abord, il s'agit de faire un état des lieux des connaissances concernant ce sujet, puis de montrer en quoi des caractéristiques particulières favorisent une délimitation des objets de recherche ; enfin, de mettre en avant des perspectives comparatives pour une étude ultérieure.

Connaissances préalables à la recherche