• Aucun résultat trouvé

HISTOIRE VIVANTE ET PATRIMOINE

Un changement sensible de point de vue quant à l’histoire vivante peut s'opérer, passant d'une pratique culturelle à une pratique patrimoniale. C'est par exemple le cas lors de visites de monuments historiques. La question se pose de savoir dans quel cadre il convient d'analyser ces activités. Le lien entre culture et patrimoine est important et se retrouve aussi dès que l'on s'attache à comprendre la pratique, les différentes notions s'imbriquant entre elles. Ce chapitre vise à prendre en compte la pluralité des patrimoines en lien avec la démarche étudiée, puisqu'il n'est pas possible de parler de patrimoine au singulier.

A. Quel(s) patrimoine(s) ?

Un problème de définitions

A.1.

Plusieurs définitions du vocable « patrimoine » peuvent être présentées : « Le patrimoine,

au sens où on l’entend aujourd'hui dans le langage officiel et dans l'usage commun, est une notion toute récente, qui couvre de façon nécessairement vague tous les biens, tous les "trésors" du passé. En fait, cette notion comporte un certain nombre de couches superposées […]. »295 Globalement, le patrimoine désigne deux éléments distincts : un

« bien qu'on tient par héritage de ses ascendants » ou « ce qui est considéré comme l’héritage commun d'un groupe »296. Un lent glissement sémantique s'opère entre le bien hérité et la propriété patrimoniale d'une communauté. « La notion de patrimoine qui nous

paraît aujourd'hui si familière, a été fort longue à se dégager. Héritière de l'histoire […], elle trouve son origine la plus ancienne dans la tradition de l'érudition. Au départ, la préoccupation des chercheurs n'était d'ailleurs pas le monument en lui-même, mais la mémoire qu'il constituait […]. Instrument de cette connaissance, la conservation des archives […] avait été pensée moins comme un travail de mémoire que comme une preuve garantissant sur le long terme des droits et des obligations fixés par la chose écrite. À un moment est apparu le désir de structurer toutes ces informations, de les organiser en récit – bref, de passer de l'archive à l'histoire. »297 De la simple collecte d'éléments, le

295Jean-Pierre Babelon et André Chastel (1994), La Notion de patrimoine, Paris, Liana Levi, p. 11. 296Cf. Le Larousse, par exemple, entrée « Patrimoine ».

297François Loyer (1998), « Du romantisme à l'archéologie. L'invention de la notion de patrimoine », in

Jean-Yves Andrieux (sous la dir. de), Patrimoine et société, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 113.

patrimoine en vient à entrer dans un cadre historique de sauvegarde des données. En ce qui concerne l'enquête, la question du patrimoine se trouve en lien avec la culture mais aussi avec les notions de transmission et de mémoire. Cet « héritage commun » renvoie, en outre, aux connaissances et savoir-faire du passé, propres à cette période particulière de l'Histoire que constitue le Moyen-Âge. L'idée qui se dégage est la « conservation » de données, qu'elles soient textuelles ou manuelles. Le patrimoine comprend plusieurs sens et se caractérise par un lien fort avec le passé. Il s’agit pourtant de ne retenir qu'une seule définition comme base d'analyse, celle proposée par Brigitte Munier, puisqu'elle fait particulièrement écho aux divers critères de l’histoire vivante : « Le patrimoine désigne

l'ensemble des biens communs à une unité de civilisation – région, nation ou même humanité – qui, recensés dans le passé, permettent de fonder, de définir et de réactiver la sensibilité à l’identité collective ; le sens passe de la culture à la nature, c'est-à-dire à l'écologie conçue comme une richesse venue du plus lointain passé que se partagent tous les hommes telle la condition de la reproduction de leurs conditions de vie. La présence d'une menace pesant sur le futur vivifie l'esprit patrimonial. »298

L'idée de patrimoine en lien avec l'objet d'étude renvoie aux savoirs historiques (médiévaux en l’occurrence) qui, mobilisés, permettent une identification commune du groupe des pratiquants à un passé identique pour tous. « La notion de patrimoine est

particulièrement propre à manifester les différentes façons d'appréhender l'histoire […] [Elle] renvoie toujours à un passé dont la connaissance et la sauvegarde concourent à la conscience identitaire d'un groupe ou d'une nation : elles lui permettent de se situer dans une continuité temporelle et d'envisager l'avenir. »299 La démarche d'histoire vivante favorise une re-définition du Moyen-Âge, étant donné qu'elle cherche à le présenter de façon différente. Il est question de donner à voir le patrimoine médiéval sous un autre angle : « Sur les écrans hollywoodiens, le Moyen-Âge apparaît comme une période sale,

obscure et brutale, ce qui est tout à fait le contraire. Rappeler et diffuser ces informations pour mettre en perspective notre propre société fait partie des choses qui me semblent importantes dans la transmission de connaissances liées au Moyen-Âge. »

En tant que telle, la notion de patrimoine n'a été abordée que dans les entretiens avec les reconstituteurs. Toutefois, elle s’expose à travers l'observation et grâce aux analyses de

298Brigitte Munier (2007), « Conscience patrimoniale et sens de l'histoire », in Brigitte Munier (sous la

dir. de), Sur les voies du patrimoine. Entre culture et politique, Paris, L'Harmattan, p. 17.

contenus des divers sites internet en lien avec la pratique. La question patrimoniale est abondamment mise en avant, regroupant plusieurs thématiques différentes. Le lien est toujours fait avec la période médiévale, mais il peut s'agir de patrimoine « culinaire »,

« martial », « artisanal », ou bien simplement de sa « mise en valeur ». Les termes

évoqués renvoient aux différentes activités liées à la reconstitution (cuisine, artisanat, etc.), ainsi qu'aux AMHE (geste technique, etc.). Ces divers patrimoines ne sont pas spécifiques à l'histoire vivante et peuvent être pris en compte dans d'autres contextes, mais ici, ils font sens au regard des pratiques menées : le patrimoine « défendu » n'est pas créé en tant que tel, mais découle des connaissances et savoir-faire propres aux enquêtés. Cette idée est aussi présente lors des entretiens : « Les objets et les lieux deviennent inertes et l'histoire

vivante permet de les réanimer et de leur rendre un usage » ; « C'est un support appréciable et les deux vont très bien ensemble. » Pourtant, il est essentiel de noter que

dans la grande majorité des cas, le patrimoine est associé aux monuments historiques ; l'histoire vivante n'est pas prise en compte comme activité patrimoniale en tant que telle. Cette distance ainsi créée semble en opposition avec les discours présentés (sur les sites internet mais aussi par le biais des plaquettes associatives, notamment). Pourtant, la manière dont est mobilisé le discours, mais surtout la façon dont se déroule la pratique, permettent de nuancer ce point d’achoppement.

Identifier le patrimoine n'est pas chose aisée. Plusieurs critères peuvent toutefois permettre de le circonscrire plus précisément : « Le concept de patrimoine peut s'articuler autour de

quatre rubriques. La première concerne le contenu : quelles sont les œuvres qui, selon les époques, ont été jugées dignes d'être conservées ? Quelle est la nature de ces œuvres, matérielles ou non, artistiques ou non ? La deuxième touche aux motivations qui conduisent à accepter le passé ou à le rejeter. La troisième s'intéresse aux modalités de conservation et de transmission. La quatrième, enfin, regroupe les différents modes

d'usages, scientifique, touristique, utilitaire, etc. »300 En appliquant ces quatre points à l'histoire vivante, il est possible de remarquer que la première rubrique, le contenu, renvoie à toutes les sources primaires dont se servent les enquêtés pour leur pratique : enluminures, traités, pièces archéologiques, etc. Les initiés sont dépendants des travaux des historiens et des archéologues, comme des éléments qui ont été jugés dignes d'être conservés (donc qui sont exposés dans les musées). À cet égard, il est fréquent, sur les forums, que des sujets

300Jean-Michel Leniaud (2000), « Voyage au centre du patrimoine », in Daniel Fabre (sous la dir. de),

traitant d'une « mauvaise » gestion du patrimoine (souvent archéologique) apparaissent. Les critiques sont souvent vives, notamment au regard des politiques publiques, qui privilégient l'utilisation pratique d'un lieu au détriment de son aspect « patrimonial ». La seconde rubrique, qui prend en compte les motivations, touche ici à une acceptation du passé, médiéval, mais plus encore à une volonté de le faire connaître sous un angle différent de celui habituellement présenté. La troisième concerne les modalités de transmission. Là encore, l'histoire vivante inclut une façon particulière de transmettre, qu'il s’agisse de connaissances (acquises par le bais du contenu patrimonial) ou bien de savoir- faire, présentés de façon attractive, avec une mise en vie des éléments passés. Enfin, la dernière rubrique renvoie aux modes d'usages. Ils sont multiples : scientifiques dans le cas de présentations au sein des musées, touristiques lors de certains événements, mais aussi pédagogiques (lors d'interventions dans les écoles par exemple), etc. On le constate : histoire vivante et patrimoine se recoupent et font appel à des éléments communs.

Les acteurs et leur patrimoine