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Manières de réaliser l'observation A.3.

La position occupée par le chercheur est un élément essentiel à prendre en compte. L'observation est certes participante, mais cela n'implique pas que la position tenue soit toujours la même. En effet, certains terrains posaient problème quant aux fonctions que je devais avoir. En ce qui concerne les AMHE, il n'y a eu aucun souci : je prenais la place d'une participante comme les autres ; mais pour la reconstitution, certaines observations furent plus délicates. Pour les rassemblements off, la place occupée était la même que pour les AMHE : une participante parmi les autres, même si mon statut d'enquêtrice était bien connu. Cependant, pour les manifestations ouvertes au public, la question s'est rapidement posée de savoir « ce que je faisais là ». Les autres participants étant présents pour faire de l'animation (pour le public), ne « rien faire » apparaissait en contradiction avec la situation définie par les enquêtés, qui étaient là pour animer, entrer en interaction avec le public. Ce furent des moments difficiles par rapport au fait de connaître la place que je devais occuper : ne pas « animer » renvoyait clairement à une mise à l'écart, puisque les autres étaient « occupés » pendant que je ne l'étais pas. Rester « en dehors » de cette situation revenait à pratiquer une forme d'observation directe, mais tout en demeurant « à l'intérieur » du groupe, notamment à cause du costume. Cette situation ambiguë ne me permettait pas de tenir un rôle bien défini et interrogeait sans cesse sur la place (au sens

physique du terme, ma présence dans un espace délimité) que j'occupais, vis-à-vis des participants mais aussi par rapport au public. Ne pas animer renvoyait une image plutôt négative des pratiquants, ce qui explique pour partie leur gêne à me voir demeurer dans un rôle d'observation passive. Pour ces raisons, j'ai décidé de réaliser une partie de l'observation en animation. Cela m'a permis de ne pas rester à l'écart et d'avoir un point de vue interne à la période réservée à l'animation dans une journée.

Ce problème rencontré sur le terrain questionne la place du chercheur au cours de l'observation mais tout autant sur la manière de rendre compte. La question du je qui parle et écrit est essentielle. Si l’enquêteur est impliqué dans son terrain, nécessairement par le biais de l'observation participante, l'emploi de la première personne du singulier lors de la rédaction ne relève pas seulement d'une figure de style, mais bien d'une volonté de replacer le chercheur au sein de son enquête, puisqu'il en est constitutif. Jeanne Favret-Saada met bien en avant cette notion : « Les seules preuves empiriques que je puisse fournir de

l'existence de ces positions [place de l'ethnographe] et des relations qu'elles entretiennent, ce sont des fragments de récit. Mes erreurs et parfois mes refus ou mes dérobades font partie du texte ; la réponse qu'à chaque fois j'ai donnée à mes interlocuteurs est constitutive du fait considéré, au même titre que leur question. »135 L'ethnographe doit être intégré à son récit, puisqu' « on ne voit pas comment [il] pourrait s'abstraire lui-même du

récit qui fonde sa description »136.

Plus spécifiquement, Jeanne Favret-Saada apporte un point de réflexion supplémentaire, lorsqu'elle souligne les problèmes engendrés par l'emploi de pronoms non (ou mal) définis : « Dans la littérature ethnographique, ni le parlant ni son partenaire – autrement

dit, ni le sujet de l'énonciation, auteur du mémoire scientifique, ni son lecteur – ne sont définis. Il est sous-entendu que le "je" n'a pas à se présenter parce qu'il va de soi, tout comme le "tu" auquel il s'adresse. Il est à ce point dans la nature des choses que "je" et "tu" s'entretiennent de "il", que le sujet de l'énonciation peut s'effacer dans un sujet indéfini, "on". »137 Il semble nécessaire de définir précisément de qui l'on parle et à qui l'on s'adresse dans un texte ethnographique, afin de bien prendre en compte les référents et actants dans l'écrit final. L'emploi du pronom personnel "je" n'est pas anodin et fait

135Jeanne Favret-Saada (1977), Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris,

Gallimard, p. 51.

136Ibid., p. 53. 137Ibid., p. 55.

référence à l’enquêteur, sur son terrain. Accepter ce fait renvoie à une démarche méthodologique particulière. Dans la lignée des travaux de Favret-Saada, cette recherche s'inscrit dans le cadre de la nécessaire implication du chercheur puisque l'observation, et par extension la participation, ne peuvent avoir lieu sans interactions, qui incluent au minimum deux personnes : l'enquêteur et l'enquêté. Ce problème propre à l'observation se pose de plus en plus en ethnologie, avec les nouveaux terrains sur la société d'origine de l'ethnologue. Sergio Dalla Bernardina évoque parfaitement cette question et les suspicions souvent évoquées : « Plus on approche de chez nous, plus le sens de notre démarche prend

des connotations ambiguës : la proximité avec l'objet d'étude devient un handicap, l'observation participante une pratique déloyale, l'autofiction, une exhibition gratuite. »138

Pourtant, « le discours – même le plus aseptisé – est toujours porteur d'un contenu

émotionnel »139. C'est pourquoi l'emploi du je se doit de faire partie de la réflexion méthodologique au même titre que la place du chercheur.

Un autre point méthodologique à prendre en compte est le rôle occupé par l’enquêteur. Le texte de Raymond Gold140 donne plusieurs pistes de réflexion : « [L'enquêteur] essaie

souvent de maîtriser des univers de discours, relatifs à de nombreux registres d'attitudes et de conduites, qui lui étaient jusqu'à présent étrangers ou qu'il comprenait seulement de façon vague et générale. Pour cela, il procède par introspection, se pose d'innombrables questions sur l'informateur, examine la relation de terrain qu'ils nouent entre eux, avec la visée d'accomplir son rôle avec le plus de succès possible. »141 Différents rôles peuvent convenir à l'observateur : le « pur participant », qui ne révèle pas aux enquêtés sa véritable identité, le « participant-comme-observateur », où « l'enquêteur et l'informateur sont tous

deux conscients d'entretenir une relation de terrain »142, « l'observateur-comme-

participant », souvent mobilisé dans des études nécessitant des entretiens et, enfin, le « pur observateur », rôle qui « exclut toute interaction sociale de l'enquêteur de terrain avec des informateurs »143. J’ai retenu le rôle du « participant-comme-observateur », davantage propice à l'étude des communautés. Les trois autres rôles n'ont pas été choisis pour diverses raisons : le « pur participant » ne convenait pas puisqu'il n'était pas nécessaire de se cacher

138Dalla Bernardina Sergio (2008), « "Je" interdit. Le regard presbyte de l'ethnologue », in Ethnologie(s)

(textes réunis et présentés par Georges Ravis-Giordani), Paris, CTHS, p. 34.

139Ibid., p. 38.

140Raymond Gold (2003), « Jeux de rôles sur le terrain. Observation et participation dans l'enquête

sociologique », in Daniel Cefaï (textes réunis par), L'Enquête de terrain, op. cit., pp. 340-349.

141Ibid., pp. 340-341. 142Ibid., p. 345. 143Ibid., p. 346.

des informateurs, d'autant plus que ces derniers sont particulièrement demandeurs de reconnaissance. Le rôle de « l'observateur-comme-participant » convient peu au cadre ethnographique et celui du « pur observateur » n'était pas possible pour des raisons techniques évidentes. Cette théorie du rôle à choisir et à tenir s'inscrit au cours des interactions mises en place lors du travail de terrain : « Un rôle choisi est avant tout un

dispositif pratique qui convient pour livrer accès à un certain horizon d'information […]. Cette théorie du rôle et du soi, forgée à partir de l'étude des interactions sur le terrain, n'est en effet d'aucune façon limitée à ce domaine de l'activité humaine. »144

Un autre fait important à prendre en considération est la question du langage. Il est vite apparu qu'un vocabulaire particulier était en vigueur et que certains des termes employés m'étaient inconnus. Au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête, les significations des termes caractéristiques, propres aux faits sociaux observés, me sont devenues familières ; il était alors beaucoup plus aisé de mener des entretiens, puisque les codes sociaux de ce langage pouvaient être employés. Bourdieu énonce ce fait : « Nous n'apprenons jamais le

langage sans appendre, en même temps, les conditions d'acceptabilité de ce langage. C'est-à-dire qu'apprendre un langage, c'est apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation. »145 Par ailleurs, en dehors du simple besoin de compréhension nécessaire à la participation, ce vocabulaire est devenu un objet d'étude à part entière, en tant que constituant de l'identité du groupe. Par extension, ce langage aux mots spécifiques m'a aussi permis de construire une grille d'observation plus précise, prenant en compte des données auxquelles je n'avais pas pensé de prime abord.

L'élaboration de la grille d'observation s'est réalisée au cours des différents terrains, notamment pendant la pré-enquête, afin de lui donner le plus de précision possible, tout en n'excluant pas la possibilité de l'élargir par la suite. En réalité, il s'agit de plusieurs grilles d'observation : certaines pour la reconstitution, et d'autres pour les AMHE. Les hypothèses sous-jacentes aux observations étant identiques, les grandes thématiques se retrouvent dans toutes les grilles. Toutefois, les activités étant différentes, les éléments à observer le sont aussi. Ces grilles sont des outils, permettant de canaliser et d'orienter le regard mais aussi de minimiser les biais qui pourraient intervenir au cours du terrain. C'est bien dans la dialectique théorie/terrain que leur construction générale s'est réalisée. Les grilles présentées ici sont les plus abouties, celles qui ont servi lors du terrain. Plus précisément, la

144Ibid., p. 348.

grille d’observation s’attache à définir le lieu de la manifestation (endroit géographique, mais également modalités d’entrée, présence ou non du public, prix de l’entrée, etc.), les personnes présentes (combien ?, Qui ?, Pour qui ?, importance des flux, etc.), les objets utilisés (à quel usage, dans quel but, comment, etc.). Mais également, les activités présentées. Enfin, une place est accordée au langage employé et des plans des lieux sont systématiquement réalisés. Ainsi, en m'appuyant sur les travaux de Henri Peretz (Peretz, 1998) et sur les premiers matériaux ethnographiques recueillis, les grilles d'observation sont présentées pages suivantes.

Toutefois, dans le cadre de certains terrains propres à la reconstitution, certaines grilles ont été axées sur des thématiques plus précises. C'est par exemple le cas de l'observation réalisée au Marché de l'Histoire à Pontoise : les thèmes principaux (langage, personnes présentes, lieux, etc.) demeurent identiques, mais un point plus précis est fait sur les exposants et les animations proposées (qui ne font pas nécessairement partie de la reconstitution, mais appartiennent au féérique) ; la question de la place de la reconstitution dans un lieu qui ne lui est pas exclusivement destiné est soulevée ; de même, Pontoise est l'un des seuls lieux qui regroupe en même temps des pratiquants d'AMHE et de reconstitution dans leur activité respective. L'observation réalisée lors d'une cuisson de céramiques répond, elle aussi, à une grille qui lui est propre et qui s'appuie sur l'expérimentation (matériaux employés, gestes effectués, transmission orale informelle, etc.). Ces terrains étant plus particulièrement destinés à observer des thématiques définies, les grilles d'observation ont été ajustées en conséquence.

Enfin, il est à noter une certaine difficulté dans l'observation des rapports de sexe. En effet, les changements constants de statuts (lors de combat par exemple, il est fréquent que les femmes portent des costumes masculins) et d'activités, ainsi que la formation ponctuelle des groupes lors d'événements (plusieurs membres d'association) rendent difficile ce type d'observation. Des grandes tendances peuvent être dégagées, mais d'une manière générale, il sera difficile de se prononcer de façon formelle quant à cette thématique qui demanderait une observation spécifique.

Grilles d'observation Pour les AMHE :

- Situation à observer : date et horaires, météo, situation du lieu dans l'environnement, place et rôle des partenaires économiques, médiatisation faite autour de l'événement, prix d'entrée (participants et public) ; pour des observations ayant lieu une seconde fois sur le même terrain : rapports (similitudes, différences) à l'année précédente.

- Les lieux : capacité d'accueil, utilisation et occupation de l'espace, règles formelles régissant l'utilisation du lieu, position et placement des personnes dans le lieu (gymnase, mais aussi lieux des repas) ; moyens de locomotion utilisés pour s'y rendre et se déplacer.

- Les personnes présentes / utilisateurs des lieux

les organisateurs : nombre, sexe, âge apparent, tenue portée (signes distinctifs), présence en termes de temps, rôle, échanges (entre eux, avec les participants, etc.) ;

les participants : nombre, sexe, nationalité, âge apparent, tenues vestimentaires portées, appartenance à une association, temps passé au gymnase ;

les instructeurs : nombre, sexe, nationalité, âge apparent, type d'intervention présentée, de quelle manière (langue, supports, techniques pédagogiques, etc.) ;

le public : nombre, sexe, âge apparent, origine sociale apparente, composition familiale, ce qu'il regarde, les discussions engagées (à quels propos, avec qui, etc.), accueil qui lui est réservé ;

les connaissances rencontrées : personnes rencontrées auparavant dans d'autres manifestations (contextes d'interactions préalables), raisons de leur présence ici, lien avec la reconstitution ;

- Le langage : discussions abordées (récurrentes ou non), langue employée (anglais, français, etc.), vocabulaire utilisé et termes fréquents (reconstitution, transmission, pédagogie, par exemple), les incompréhensions qui peuvent exister.

- Inventaire des objets : matériel spécifique, objets personnels, outils, matériel fonctionnel (chaise, tables, etc.).

- Les interventions :

les conférences : horaires, langue, vocabulaire, manière de présenter, personnes présentes, attention portée à l'intervention (discussions en même temps, etc.) ;

les démonstrations : langue, vocabulaire, objets utilisés, manières de transmettre, personnes présentes, attention portée à l'intervention (discussions en même temps, etc.) ;

les ateliers (une grille spécifique était utilisée) : intervenant(s), nombre de personnes présentes, rapports hommes-femmes, participation des organisateurs, connaissances et matériel requis, matériel prêté, échauffement mis en place, vocabulaire utilisé.

- Les activités centralisatrices autres que les interventions :

les annonces des organisateurs (fréquence, contenu, écoute obtenue) ; les concours (de masques, tombola) : nombres de participants,

moments du déroulement, prix à remporter, place occupée au sein de l'événement ;

le tournoi : nombre de participants, horaires réservés, ambiance générale (vocabulaire, discussions, critiques), nombre de spectateur, activités de ceux qui ne participent pas ;

tests de coupe : horaires, participants, lieu (à l'extérieur) ;

rassemblements en dehors du lieu propre de la manifestation : rendez- vous donnés pour des rencontres informelles (café, restaurant, etc.), formation de groupes restreints.

- Moments informels : formations spontanées de groupes, notamment pour les repas du midi, ateliers improvisés, etc.

- Plan du gymnase et répartition des personnes présentes.

Pour la reconstitution :

- Situation à observer : date et horaires, météo, situation du lieu dans l'environnement, place et rôle des partenaires économiques, médiatisation faite autour de l'événement, prix d'entrée (participants et public), pour des observations ayant lieu une seconde fois sur le même terrain : rapports (similitudes, différences) à l'année précédente.

- Les lieux : type de terrain (champ, forêt, etc.), capacité d'accueil, utilisation et occupation de l'espace (superficie alloué à chacun pour les tentes), règles formelles régissant l'utilisation du lieu, montage et démontage du camp (aide extérieur, temps nécessaire, nombre de tentes), matériel fourni (bois, eau, paille, sanitaires). - Les personnes présentes / utilisateurs des lieux :

les organisateurs : nombre, sexe, âge apparent, tenue portée (signes distinctifs), présence en termes de temps, rôle, échanges (entre eux, avec les participants, etc.) ;

les participants : nombre, sexe, nationalité, âge apparent, tenues vestimentaires portées (époque représentée), statut (artisans, commerçants, intermittents du spectacle, membres ou d'association ou personnes isolées) ;

le public (hors rassemblements off) : nombre, sexe, âge apparent, origine sociale apparente, composition familiale, ce qu'il regarde, les discussions engagées (à quels propos, avec qui, etc.), accueil qui lui est réservé ;

les connaissances rencontrées : personnes rencontrées auparavant dans d'autres manifestations (contextes d'interactions préalables), raison de leur présence ici, liens éventuels avec les AMHE ;

les flux et déplacements : arrivées et départs des participants, flux réguliers (déplacements sur le site), formation de groupes, etc.

- Le langage : discussions abordées (récurrentes ou non), vocabulaire utilisé et termes fréquents (histoire vivante, transmission, échange, par exemple), les incompréhensions qui peuvent exister, place des discussions abordant l'Histoire, manières de parler au public et façons de s'exprimer entre reconstituteurs.

- Inventaire des objets : éléments du décor, matériel spécifique, objets personnels, outils (pour les ateliers et pratiques artisanales), matériel fonctionnel moderne utilisé pour monter le camp (pelle, briquet, etc.), éléments anachroniques (qui peuvent faire l'objet d'un rappel à l'ordre).

- Les activités réalisées :

les ateliers mis en place entre reconstituteurs pour l'échange de connaissances (essentiellement sur des off : artisanat, discussions sur des sources historiques, etc.) ;

les concours (lors de off) (de boissons, de desserts) : nombre de participants, moments du déroulement, prix à remporter, place occupée au sein de l'événement ;

les activités physiques : mêlées, soules, etc. : nombres de participants, horaires réservés, ambiance générale (vocabulaire, discussions, critiques), nombre de spectateurs, activités de ceux qui ne participent pas ;

les activités centralisatrices : activités physiques, banquets, démonstrations pour le public (zones d'animations spécifiques ou non), etc., place des échanges ;

la place accordée à l'entretien du camp, à la cuisine, etc.

- Autour de la transmission : Rapports entretenus avec le public (présentation, manières d'en parler entre reconstituteurs), liens avec le musée (lors des observations réalisées à Marle) et l'archéologie expérimentale (façons d'en parler), rapports aux gestes (façons de présenter, utilisation d'objets ou d'artefacts, etc.).

- Plan du lieu et répartition des personnes présentes.

Les définitions et présentations des observations étant données, la question se pose de la place de cette méthode au sein de la recherche de manière globale.

B. Place de cette méthode dans la recherche

Moments de l'utilisation de l'observation participante