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La recherche d’une qualification du droit des individus sur leurs données

§1 Les règles générales

A. La délicate question de la propriété des données de santé

1) La recherche d’une qualification du droit des individus sur leurs données

112. Afin de comprendre comment peuvent se partager les données de santé, et notamment qui peut décider quelles données sont partagées avec quelles personnes, il faut commencer par rechercher quels droits possèdent les individus sur leurs données. Car il n’est pas rare d’entendre un patient réclamer l’intégralité de son dossier médical, non pas parce que la loi lui octroie un droit d’accès135, mais surtout parce qu’il considère son dossier médical comme

étant un bien dont il serait le propriétaire.

113. D’une manière générale, la recherche de la qualification du droit que détient l’individu vis-à-vis de ses données fait l’objet d’un vieux débat au sein de la doctrine. En effet, la question qui nous intéresse, à savoir quels droits existent sur l’information de santé, s’inscrit dans un débat beaucoup plus large qui est celui du statut de l’information136

. Nous ne nous attarderons toutefois pas ici sur le concept large d’information qui peut désigner tout autant les idées d’une personne que les informations plus générales sur un événement. Nous

135 L’article L. 1111-7 Code de la santé Publique dispose : « Toute personne a accès à l'ensemble des

informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. ».

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préférons nous concentrer sur l’information personnelle en tant que donnée relative à la personne.

114. Face à un risque de marchandisation de l’information personnelle, notamment dans un but de prospection, certains auteurs ont souhaité s’orienter vers le droit de propriété, en préconisant une appropriation de l’information personnelle137. Cette théorie, soutenue notamment par L.HUNTER et J.RULE, a été développée afin que chaque individu puisse être propriétaire des droits d’exploitation commerciale des renseignements le concernant138

. Elle présente l’avantage d’offrir à la personne un droit de contrôle absolu sur ces données et sur l’utilisation qui peut en être faite. Toutefois, ce raisonnement semble, pour certains auteurs, impossible à maintenir. Ainsi, Nathalie MALLET-POUJOL, qualifie cette théorie d’ « excessivement dangereuse » en ce qu’elle instaure pour l’individu une possibilité de disposer de l’information qui le concerne « quand seule la jouissance de cette information est

véritablement en jeu » ce qui, pour reprendre ses termes, « hypothèque le principe de dignité de la personne »139. Pour illustrer ses propos, l’auteur reprend à juste titre l’exemple de

l’information génétique et cite le raisonnement développé par Loïc CADIET140

à ce sujet. Pour l’auteur, l’information génétique, de par son caractère intrinsèquement lié à la personne doit être considérée comme étant un élément du corps humain à part entière. L’information génétique relèverait donc de la catégorie des personnes et bénéficierait, à ce titre, des mêmes droits. L’information génétique, au même titre que le corps humain, se verrait donc appliquer le principe de non-patrimonialité.141

115. Cette proximité des liens entre la personne et ses informations n’est pas toujours aussi tranchée que dans le cas des données génétiques. Toutefois, certaines informations peuvent être facilement assimilées à la personne. C’est le cas du nom, qui, comme le dit si bien CAPITANT, est une émanation de la personne142. Ainsi, nous estimons qu’il en va de même

137 MALLET-POUJOL, Nathalie. « Droit à et droit sur l’information de santé », RGDM, 2007, pp. 77-95. 138 L, HUNTER. J, RULE. « Vers un droit de propriété des renseignements personnels », Communication au

congrès de l’association canadienne française pour l’avancement de la science, Montréal, 1994.

139

MALLET-POUJOL, Nathalie. « Appropriation de l’information : l’éternelle chimère », op. cit.

140

CADIET, Loïc. « La notion d’information génétique en droit français », in La génétique humaine, de l’information à l’informatisation, Ed. Thémis/Litec diffusion, 1992, p.52. Cité par MALLET-POUJOL. Nathalie, « Appropriation de l’information : l’éternelle chimère », op. cit.

141

Article 16-1 du Code Civil.

142 CAPITANT, « Introduction à l’étude du droit », 3éme Ed., Paris, 1902, p. 97, cité par MALLET-POUJOL,

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pour les données de santé d’une personne qui, comme nous avons pu le voir précédemment, touchent de très près à son intimité. Dès lors, les informations personnelles doivent donc être considérées comme étant des choses hors commerce. En effet, nous adhérons à la conception de Nathalie MALLET-POUJOL qui considère qu’un rapport propriétaire / objet de propriété de la part d’un individu sur ses données personnelles est inenvisageable car cela reviendrait à remettre en cause la dignité même de la personne. Le droit de l’individu sur ses données personnelles entrerait donc dans la classification des droits de la personnalité.143 De fait, la question ici n’est pas tant de protéger les données personnelles que l’individu lui-même.

116. Quand on se penche sur la question du droit des personnes sur leurs données, il est également intéressant de s’arrêter sur le principe d’autodétermination informelle. Ce concept est né d’une décision du tribunal fédéral d’Allemagne, qui, en 1983144

, est venu préciser que le traitement de données personnelles nécessitait une justification. Le droit à l’autodétermination informelle ou « Recht auf informationelle Selbstbestimmung » est apparu avec cette décision, le tribunal fédéral allemand en faisant un droit fondamental de la personne humaine. Le droit à l’autodétermination informelle peut être défini comme étant le droit pour une personne de maîtriser pleinement les informations la concernant en décidant notamment à qui ces informations pourront être transmises. Il est également défini par certains auteurs comme « le droit de tout individu à maîtriser l’image qu’il donne de lui-

même dans la société ».145 Ce droit à l’autodétermination informelle se retrouve dans la loi Informatique et Libertés avec le principe posé à l’article 7 selon lequel tout traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement préalable de la personne concernée. Toutefois, comme nous avons pu le voir précédemment, cette règle connaît quelques exceptions qui viennent fragiliser le poids du consentement et donc ce droit à l’autodétermination informelle. Il existe des cas dans lesquels l’individu verra ses données faire l’objet d’un traitement sans qu’il ne puisse en décider autrement.146

117. La théorie de l’autodétermination informelle présente l’avantage, comme le souligne Caroline ZORN-MACREZ147, de rendre l’individu responsable des décisions qu’il prendra

143

MALLET-POUJOL, Nathalie. « Appropriation de l’information : l’éternelle chimère », op. cit.

144

Tribunal constitutionnel allemand, 15 octobre 1983, cité par ZORN-MACREZ, Caroline, « Données de santé et secret partagé », op. cit. p. 231, note 2.

145 POULLET, Yves. LEONARD, Thierry. « Les libertés comme fondement de la protection des données

nominatives », in La vie privée, une liberté parmi les autres ?, Larcier, Bruxelles, 1992, p. 233.

146 V. Infra., n° 230.

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concernant ses données, celles-ci étant totalement en sa maîtrise. Toutefois, nous estimons qu’une application absolue de ce principe pourrait s’avérer trop dangereuse, notamment en ce qui concerne des données sensibles telles que les données de santé, les individus n’ayant pas toujours conscience des conséquences du partage ou de la communication de leurs données.

118. Nous estimons qu’il est inconcevable d’envisager les patients comme étant propriétaires de leurs données médicales. Le droit de propriété ne peut s’appliquer à des données aussi sensibles que les données de santé sans que cela ne porte atteinte à la dignité de la personne concernée. Tout au plus disposent-ils d’une certaine maîtrise sur leur utilisation. Cependant, cette maîtrise de l’individu sur l’utilisation qui peut être faite de ses données de santé est relative, et le jeu des principes et des exceptions à l’interdiction de traitement des données de santé148 fait que les seuls cas dans lesquels l’individu pourra décider s’il souhaite ou non partager ses données seront des cas dans lesquels il aurait été préférable, selon nous, que le législateur intervienne afin de rendre l’autodétermination informelle de l’individu inapplicable.149

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