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§1 Des ambitions louables mais démesurées

A. Un outil plein de promesses

318. L’objectif initial du DMP était d’instaurer une meilleure coordination des soins, afin d’en améliorer la qualité et la continuité. De cela aurait alors résulté une meilleure maîtrise des dépenses de l’Assurance maladie.

En permettant de réduire les interactions médicamenteuses et les actes redondants, mais en facilitant également les échanges entre professionnels de santé, le DMP devait relever le

407 MONNIER, Anne. « Le Dossier médical personnel : histoire, encadrement juridique et perspectives », RDSS,

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défi d’améliorer la coordination et la qualité des soins (1). Toutefois, en pratique, l’accent et la priorité ont été axés sur les aspects techniques de l’outil, et notamment la sécurisation des données (2).

1) L’amélioration et la coordination des soins, un enjeu majeur

« Dans quelques mois donc, les premiers DMP seront ouverts. Si le DMP a pu être présenté comme un outil de maîtrise des dépenses, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur la nature réelle du DMP : le DMP est d’abord et avant tout un grand projet de santé publique, au service de la santé de nos concitoyens. »408

319. Comme l’avait rappelé la Ministre de la santé de l’époque, Roselyne BACHELOT, lors de son discours consacré à la relance du projet DMP, l’amélioration et la coordination des soins étaient les enjeux prioritaires de la mise en place du DMP.

Ces objectifs, clairement affichés dans les textes fondateurs du DMP, sont finalement classiques pour ce type de dossier partagé. Si nous prenons l’exemple du dossier communiquant en cancérologie, l’objectif est bien d’améliorer la prise en charge globale des patients atteints de cancer. De même, le Dossier Pharmaceutique a bien pour enjeu de mieux coordonner les prescriptions afin d’éviter les interactions médicamenteuses. Toutefois, la particularité du DMP tient à sa volonté de couvrir l’ensemble de la prise en charge du patient, peu importe les spécialités concernées. C’est bien là que réside le caractère à la fois innovant et ambitieux de cet outil. Comme le soulignait à juste titre Caroline ZORN-MACREZ : « il y

a là un nouveau schéma de rationalisation du système de soins par le partage de données de santé grâce à des dossiers utiles aux soins »409.

320. Au-delà de cet objectif se dessine la volonté de faire coopérer l’ensemble des acteurs de la prise en charge d’un patient. Car c’est bien par cette coopération que passe la coordination et donc l’amélioration des soins. Le DMP, en étant présenté comme source d’une information diversifiée, complète et partagée, est positionné comme l’outil nécessaire à la

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Discours prononcé à l’occasion du colloque consacré à la relance du DMP, 9 avril 2009, disponible sur [http://sante.gouv.fr]. Consulté le 15 janvier 2015.

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bonne coopération des professionnels de santé, peu importe leur spécialité ou leur lieu de travail.

321. Néanmoins, il est rapidement apparu que ce sont moins les difficultés techniques ou budgétaires qui ont posé le plus de problèmes au développement du projet, que la barrière de la culture médicale, qui n’est pas forcément celle du partage de l’information. En effet, le positionnement des professionnels de santé face au DMP est original : contrairement aux dossiers médicaux traditionnels, que le professionnel va créer, alimenter et conserver, le DMP est conçu pour le patient et non pour le professionnel qui sera principalement amené à l’alimenter. Il s’agit ici d’un bouleversement des pratiques habituelles des professionnels. Dans le milieu hospitalier, ce choc des cultures est d’autant plus flagrant. De fait, les établissements de santé ont la particularité, du fait des activités variées, de produire un nombre considérable de données de santé diverses et variées. Ainsi, afin de donner vie le plus rapidement possible au DMP lors du programme de relance de 2009, il avait été décidé de mettre l’accent sur l’alimentation des dossiers par les professionnels du secteur hospitalier : ceux-ci ont alors pu être frustrés par cette vision restrictive du rôle qui leur était accordé.

322. Nous pensons que cet état d’esprit illustre bien les attentes peut-être trop élevées du législateur vis-à-vis du DMP. En effet, il nous semble qu’il aurait peut-être été plus opportun de laisser au DMP la vocation première de tout dossier médical, à savoir être un outil professionnel. Bien que les professionnels de santé ne soient pas contre l’idée d’être transparent vis-à-vis de leurs patients, il nous semble qu’il ne faut pas confondre outil de travail et outil d’information. En laissant une part très importante au patient dans le DMP, les professionnels ont pu se sentir dépossédés de ce qui aurait pu être un outil de travail consacré au partage de l’information et à la coordination des soins.

2) La sécurité de l’outil, une priorité

Dès le lancement du projet, la sécurité de l’outil a été une des priorités affichée afin, d’une part, de s’assurer que l’intégrité et la confidentialité des données soient conservées et, d’autre part, que les utilisateurs aient une pleine confiance dans l’outil.

323. En ce qui concerne l’hébergement du DMP, après quelques tâtonnements, c’est la piste de l’hébergeur unique qui a été finalement retenue. Cet hébergeur, en réalité consortium de plusieurs entreprises, a été agréé selon les modalités exigées par l’article L. 1111-8 du Code

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de la santé publique et du décret hébergeur. De même, l’accent a été mis sur la traçabilité au sein du DMP. Ainsi, tous les accès sont tracés, qu’il s’agisse de la consultation d’un document, ou de son ajout. Le patient va ainsi pouvoir identifier quel professionnel a eu accès à quel document. La date et l’heure sont également tracées. Par ailleurs, selon les dispositions de l’article R. 1111-31 du Code de la santé publique, le patient, titulaire du dossier, mais également son médecin traitant, les professionnels de santé auxquels le patient aurait confié les mêmes droits que le médecin traitant et les professionnels auteur des informations faisant l’objet des traces peuvent y accéder.

324. Le DMP a surtout permis de donner une impulsion à la mise en place de l’Identifiant National de Santé (INS). En effet, l’article L. 1111-8 du Code de la santé publique prévoyait les dispositions suivantes : « un identifiant de santé des bénéficiaires de l'assurance maladie

pris en charge par un professionnel de santé ou un établissement de santé ou dans le cadre d'un réseau de santé défini à l'article L. 6321-1 est utilisé, dans l'intérêt des personnes concernées et à des fins de coordination et de qualité des soins, pour la conservation, l'hébergement et la transmission des informations de santé. Il est également utilisé pour l'ouverture et la tenue du dossier médical personnel institué par l'article L. 161-36-1 du Code de la sécurité sociale et du dossier pharmaceutique institué par l'article L. 161-36-4-2 du même Code. Un décret, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe le choix de cet identifiant ainsi que ses modalités d'utilisation ».

Cet identifiant, censé regrouper l’ensemble des identifiants qui existent au sein des différents systèmes d’information de santé, a été instauré par la loi du 30 janvier 2007. Considéré par certains auteurs410 comme étant une donnée de santé à part entière et donc, à ce titre devant bénéficier des protections mises en place par la loi Informatique et Liberté, l’INS a donné lieu à de nombreux débats concernant sa composition. La question s’est d’abord posée de savoir si l’INS pouvait être le Numéro d’Inscription au Répertoire de l’INSEE (NIR – couramment appelé numéro de sécurité sociale). En effet, plutôt que de créer de toute pièce un nouveau numéro, ce qui, en plus de représenter un coût financier et humain non négligeable, pouvait présenter des failles en termes de sécurité, les maîtres d’œuvre du projet

410 V. notamment en ce sens HEBERT, Sophie. « L’identité sanitaire », RGDM, 2007, n° 24, pp. 121-138 ;

ZORN-MACREZ, Caroline, « Données de santé et secret partagé », PUN, 2010, p. 271. En l’espèce l’auteur se base sur les réflexions menées par le groupe de l’article 29 sur la nature des données contenues au sein des DME pour arriver à la conclusion que l’INS est une donnée sensible au sens de la loi Informatique et Libertés.

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(à l’époque le GIP-DMP) ont alors avancé l’idée d’utiliser le numéro de sécurité sociale. Toutefois, cette idée a subi de vives critiques de la part notamment des associations de défenses des consommateurs.

La CNIL, quant à elle, avait écarté une telle possibilité dans sa délibération du 20 février 2007411, estimant que cette utilisation serait de nature à « altérer les liens de confiance

entre les professionnels de santé et les patients, ceux-ci pouvant légitimement s’interroger sur les risques d’accès non contrôlés à leur dossier médical par cet identifiant largement connu ».

325. Toutefois, la CNIL, consciente des désagréments et de la lourdeur induite par la création d’un nouvel identifiant, avait suggéré dans cette même délibération la possibilité pour créer l’INS de partir du numéro NIR mais transcodé selon des techniques connues d’anonymisation. Cela aboutissant à un numéro non signifiant. L’ASIP santé, chargé de reprendre les activités du GIP-DMP et notamment la mise en place de l’INS, a suivi cette voie dans la conception de l’INS. Le législateur, constatant que « l’adoption d’un dispositif unique

et commun d’identification des patients est une condition nécessaire de l’interopérabilité des systèmes d’information des professionnels et établissements de santé et donc de leur capacité à échanger et partager facilement et de façon sécurisée (absence d’erreur sur le patient) les données médicales nécessaires à la prise en charge des patient »412, a définitivement réglé le problème en faisant du NIR le seul identifiant de santé utilisable413. En effet, pour le législateur, le NIR présente le double l’intérêt d’être robuste et de permettre une généralisation rapide.

326. Désormais, « l'identifiant du dossier médical partagé est l'identifiant national de

santé, mentionné à l'article L. 1111-8-1 »414. Par ailleurs, les conditions d’utilisation du NIR en tant qu’identifiant national de santé ont été précisées par le décret n° 2017-412 du 27 mars

411 Délibération CNIL n° 2007-036 du 20 février 2007 portant avis sur deux projets d’arrêtés relatifs, d’une part,

aux spécifications physiques et logiques de la carte d’assurance maladie et aux données y étant contenues et, d’autre part, aux conditions d’émission et de gestion des cartes d’assurance maladie.

412

Etude d’impact du projet de loi relatif à la santé, p. 187.

413 L’article 193 de la loi de modernisation de notre système de santé vient créer un article L. 1111-8-1 au Code

de la santé publique, qui prévoit : « le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes

physiques est utilisé comme identifiant de santé des personnes pour leur prise en charge à des fins sanitaires et médico-sociales, dans les conditions prévues à l'article L. 1110-4 ».

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2017 relatif à l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques comme identifiant national de santé415.

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