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§1 Des ambitions louables mais démesurées

B. Des lacunes certaines

327. Malgré les réformes et relances entourant le projet, de nombreuses inconnues subsistent aujourd’hui encore, faisant du DMP un outil mouvant et parfois flou (1). Quant aux droits des patients, ceux-ci sont incertains, malgré l’affichage positif que le législateur a souhaité donner (2).

1) Le DMP, un outil à géométrie variable

328. La question du contenu du DMP a longtemps posé problème. Lors de la création de l’outil en 2004, le Code de la sécurité sociale prévoyait les dispositions suivantes : « chaque

bénéficiaire de l’assurance maladie […] dispose d’un dossier médical personnel constitué de l’ensemble des données mentionnées à l’article L. 1111-8 du même Code ». Ainsi, le

législateur renvoyait aux données visées à l’article L. 1111-8 du Code de la santé publique, à savoir les « données de santé recueillies à l’occasion d’actes de soins, de prévention ou de

diagnostic ». Or, cette référence était maladroite. En effet, comme nous avons pu le voir

longuement lors d’un précédent paragraphe, la notion de données de santé n’a fait, pendant longtemps, l’objet d’aucune définition juridique. Celle finalement adopté par le Règlement Européen se montre quant à elle très large. Pourtant, il semble difficilement envisageable que le DMP puisse être un dossier "fourre-tout", véritable recueil exhaustif des données et informations relatives directement ou indirectement à la santé du patient. En effet, rappelons que le but initial du DMP était bien d’améliorer la coordination des soins. Dès lors, seuls les éléments permettant d’atteindre ce but devraient figurer en son sein, ni plus, ni moins. Face à un dossier surchargé, les professionnels ne seraient plus en capacité de retrouver les éléments utiles au suivi de leur patient.

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Décret n° 2017-412 du 27 mars 2017 relatif à l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques comme identifiant national de santé, JORF n°0075 du 29 mars 2017, texte n° 23.

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329. Le rapport sur le Dossier médical personnel de 2007416, relatif au bilan du DMP, soulignait que l’absence d’étude approfondie du contenu du DMP en amont de la création de l’outil a été une des erreurs majeures lors de la création du DMP. Même la note relative aux propositions de contenu, remise au ministre de la santé par le Docteur Jean-Marie PICARD417, n’envisageait finalement que succinctement ce contenu. L’erreur serait d’envisager le DMP comme un dossier se voulant exhaustif, véritable « réplique électronique d’une armoire de

rangement »418. Or, il est pourtant évident que ce dossier ne doit pas et ne pourra pas être exhaustif : ne doit pas pour les raisons exposées précédemment et ne pourra pas pour une raison très pratique : le contenu du DMP dépend de la capacité mais aussi de la volonté des professionnels à l’alimenter.

330. Alors que la loi HPST, initiatrice de la première relance du DMP, n’a apporté que peu d’éléments nouveaux quant au contenu du DMP, le décret du 4 juillet 2016419

tente de régler cette difficulté, en créant au sein du Code de la santé publique, une sous-section consacrée au contenu du DMP. Un contenu a minima du dossier est désormais prévu par l’article R. 1111- 30 du Code de la santé publique, permettant d’assurer un socle de documents commun à tous les DMP, ceux-ci ne risquant plus désormais d’être alimentés de manière disparate, selon le bon vouloir des professionnels de santé.

2) Les droits et devoirs des patients, un manque de clarté

331. Une des questions qui a été et, qui reste encore aujourd’hui régulièrement soulevée, est celle de la protection du secret médical dans le cadre de la mise en place d’un outil partagé avec un grand nombre de personnes et accessible via Internet. Dès l’origine du projet, le législateur avait bien prévu que le DMP soit instauré dans le respect du secret médical420. Dans l’absolu, le fonctionnement du DMP ne change rien aux règles relatives au secret médical. D’ailleurs, nous n’adhérons pas à l’affirmation de Marie-Catherine CHEMTOB- CONCE qui considère que « la mise en œuvre du DMP […] permet de mieux protéger le

416 Rapport sur le dossier médical personnalisé, Inspection générale des finances, Inspection générale des

Affaires sociales, Conseil générale des Technologies de l’Information, novembre 2007.

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PICARD, Jean-Marie. « Dossier Médical Personnel : proposition de contenu », enquête qualitative menée auprès de professionnels sous l’égide de la CNAMTS.

418 Rapport sur le Dossier médical personnalisé, Inspection générale des finances, Inspection générale des

Affaires sociales, Conseil générale des Technologies de l’Information, novembre 2007, p. 25.

419 Décret n° 2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au dossier médical partagé, op. cit. 420 Article L. 161-36-1 alinéa 1 du Code de la sécurité sociale.

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secret médical, le secret professionnel »421. Au mieux le DMP ne met pas plus en danger le secret professionnel qu’un autre dossier informatisé, mais en aucun cas il n’est possible d’envisager qu’un dossier médical informatisé, pouvant être accessible par un nombre important de professionnels de santé différents, sera plus protecteur du secret médical. De plus, l’outil en lui-même, comme tout dossier informatisé, est forcément vecteur de risques accrus en termes de sécurité et de violation de la confidentialité des données.

332. Néanmoins, en ce qui concerne la sécurisation technique du DMP, l’hébergeur du DMP offre d’importantes garanties, exigées dès le lancement de l’appel d’offre et confirmée suite à l’obtention de l’agrément hébergeur. A l’heure actuelle, aucune autre garantie technique supplémentaire ne pourrait être apportée et en cela, nous pouvons affirmer que le DMP apporte une forte protection du secret professionnel. Cependant, il ne faut pas oublier que le DMP créé une nouvelle forme de partage des données de santé. Dans les faits, force est de constater que de nombreux professionnels auront, avec cet outil, potentiellement accès à de nombreux documents issus de la prise en charge du patient. Il est donc nécessaire de se préoccuper de la protection réservée à la confidentialité des données.

333. Un autre problème, intimement lié à la problématique relative au secret professionnel, avait été soulevé lors de la saisine du Conseil constitutionnel d’un recours contre la loi relative à l'assurance maladie : pour les auteurs de la saisine, les dispositions relatives au DMP méconnaissaient le droit au respect de la vie privée. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2004-504 du 12 août 2004422, avait toutefois déclaré les dispositions conformes à la constitution, estimant que les garanties présentées par le législateur afin d’assurer le respect du secret professionnel et de la confidentialité des données étaient des garanties suffisantes pour préserver le droit au respect à la vie privée.

421 CHEMTOB-CONCE, Marie-Catherine. « Dossier Médical Personnel et Dossier Pharmaceutique », Gazette

du palais, 2007, pp. 2-5.

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« Considérant, en second lieu, que le dossier médical personnel sera élaboré « dans le respect du secret

médical » ; qu'il résulte du renvoi à l'article L. 1111-8 du Code de la santé publique que l'hébergement des données et la possibilité d'y accéder seront subordonnés au consentement de la personne concernée ; que le traitement des données sera soumis au respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que l'hébergeur devra faire l'objet d'un agrément ; que l'accès au dossier par un professionnel de santé sera soumis à l'observation des règles déontologiques ainsi que des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1111-2 du Code de la santé publique, qui imposent notamment le respect de la vie privée et du secret des informations concernant le patient ; que l'accès au dossier médical en dehors des cas prévus par la loi sera puni des peines prévues à l'article 226-13 du Code pénal ; que ces sanctions s'appliqueront sans préjudice des dispositions du Code pénal relatives aux « atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques ».

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334. D’une manière générale, un tel dossier ouvre le débat sur la place accordée aux droits fondamentaux face aux enjeux politiques sanitaires et économiques que sont la coordination des soins et la maîtrise des dépenses de santé. Bien qu’abandonnée, l’idée d’une sanction financière sous la forme d’un non remboursement en cas de refus d’accès à sa DMP avait été pourtant validée par le Conseil constitutionnel, celui-ci reconnaissant la supériorité de la maîtrise des dépenses de santé sur finalement, le respect à la vie privée.

335. L’autre question relative aux droits des patients dans le cadre du DMP concerne la place accordée à son consentement. En effet, dans le cadre du DMP, le consentement du patient peut être multiple : le patient va devoir consentir à l’ouverture de son DMP, puis il va devoir "habiliter" les professionnels qui auront accès à ce dossier : il doit donc consentir à partager ses données de santé avec ces professionnels. En ce qui concerne le consentement à la mise en place de son DMP, cela ne pose pas de problème particulier. L’article L. 1111-14 du Code de la santé publique prévoit en effet les dispositions suivantes : « le dossier médical

partagé est créé sous réserve du consentement exprès de la personne ou de son représentant légal ». Cette formulation, issue de la refonte du DMP introduite par la loi de modernisation

de notre système de santé, a le mérite d’être beaucoup plus claire qu’auparavant. En effet, dans sa rédaction antérieure, l’article L. 1111-14 du Code de la santé publique ne prévoyait pas le consentement préalable du patient à la création de son DMP. Toutefois, les dispositifs techniques mis en place pour permettre la création du DMP permettent de s’assurer du consentement préalable du patient, celui-ci devant remettre sa carte vitale au professionnel qui se chargera de créer son DMP.

336. Concernant l’habilitation des patients et donc l’autorisation d’accès au DMP, plusieurs exceptions vont venir affaiblir le principe du consentement préalable du patient. Par principe, « l'accès au dossier médical personnel des professionnels mentionnés au premier alinéa est

subordonné à l'autorisation que donne le patient d'accéder à son dossier »423. Il existe cependant des hypothèses dans lesquelles le consentement du patient ne sera pas nécessaire pour accéder à son DMP : en cas de risque immédiat pour une personne hors d’état d’exprimer sa volonté et en cas d’appel d’urgence (appels au centre 15). Toutefois ces deux

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hypothèses, qui reprennent finalement la classique exception de l’urgence vitale, sont dans le cas du DMP assez bien verrouillées. Introduites par la loi de 2007424, ces dispositions prévoient une exception à l’exception. En effet, un médecin peut accéder au DMP sans que le patient ne l’ai autorisé, et ce en cas de risque immédiat ou en cas d’appel aux services d’urgences, sauf si cette personne avait auparavant manifesté son opposition expresse à ce que son dossier soit consulté ou alimenté dans une telle situation. Ainsi, une opposition expresse rendra le DMP inaccessible, peu importe les circonstances.

337. Nous estimons que ces dispositions, certes soucieuses de garantir la sécurité des données et le respect du droit des patients, ne sont toutefois pas forcément dans l’intérêt de ce dernier. Il nous semble en effet que le principe de sauvegarde de la vie humaine doit rester une priorité par rapport à d’autres droits fondamentaux et nous déplorons qu’une opposition expresse puisse verrouiller totalement l’accès au DMP, accès qui, dans certaines situations, pourrait être la seule source d’informations.

338. Enfin, le DMP introduit la possibilité, pour un professionnel qui aurait été habilité par un patient, de recueillir son consentement afin qu’un autre professionnel à qui il pourrait être opportun de confier une partie de la prise en charge, puisse accéder également au DMP. Finalement rien de très original dans cette mesure qui est directement inspirée des modalités de partage d’informations entre professionnels de santé prévues au sein de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique425.

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