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Le rattachement de l’administration indirecte au principe de subsidiarité

Chapitre II. Un principe de droit administratif fédéral

Paragraphe 1. L’administration indirecte

2. Le rattachement de l’administration indirecte au principe de subsidiarité

276. L’administration indirecte, soit l’exécution décentralisée et différenciée du droit de l’Union européenne, a progressivement été rattachée au principe de subsidiarité par les traités successifs. En l’absence de fondement précis, le principe de l’administration indirecte a été annexé à partir du traité de Maastricht et surtout du traité d’Amsterdam — et de façon quelque peu rétrospective — au principe de subsidiarité (a). Le traité de Lisbonne confirme les liens entre l’administration indirecte et la logique de subsidiarité (b).

Conclusions de l’Avocat général M.!Niilo Jääskinen du 6!février 2013 dans l’affaire Panellinios Syndesmos,

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aff. C-373/11. Une partie de la doctrine considérait, avant le traité de Lisbonne, que la politique agricole relevait d’une compétence exclusive de l’Union européenne.

Aux termes de l’article!4.2 TFUE l’agriculture relève des compétences partagées entre l’Union et les États.

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Ibid., § 21, 22, 23.

a. Les traités de Maastricht et d’Amsterdam

277. Comme l’a relevé B. Bertrand, « ! le principe d’administration indirecte a progressivement été rattaché aux principes de subsidiarité et de proportionnalité avec le traité de Maastricht puis celui d’Amsterdam!»493. Si le traité de Maastricht a consacré les principes de subsidiarité et de proportionnalité, la doctrine s’est longtemps interrogée sur le point de savoir si!le principe de subsidiarité s’appliquait à la seule activité législative de l’Union, ou s’il avait « ! également vocation à s’appliquer à l’activité d’exécution des législations et politiques communes!»494. La plupart des auteurs estimaient que la subsidiarité ne s’appliquait qu’aux compétences «!législatives!» au regard du système de répartition des compétences tel qu’il ressortait des traités495. En outre, la question de l’exécution semblait quelque peu négligée en doctrine496. D’autres auteurs, en revanche, considéraient que l’application de la subsidiarité dépassait le niveau législatif pour embrasser le « domaine de l’action administrative, c’est-à-dire de l’exécution de la réglementation communautaire et le contrôle de l’exécution!»497. Dans la mesure où l’on a fait le choix de retenir une approche extensive de la subsidiarité, l’on se rattachera à la seconde conception. Aussi le principe peut-il se présenter comme un «!instrument de décentralisation!»498 visant à préserver les compétences nationales d’exécution et à favoriser l’application différenciée du droit de l’Union.

278. B. Dubey ajoute que si la règle non écrite de l’administration indirecte trouve sa source principale et son véritable fondement juridique dans la subsidiarité, laquelle n’entre pas en ligne de compte pour les domaines relevant de la compétence exclusive, cela n’empêche pas, en pratique, le législateur européen de décider de déléguer aux États membres la mise en œuvre du droit de l’Union dans les domaines de compétence exclusive499. Transposés au domaine de l’exécution, les principes de subsidiarité et de proportionnalité ont une influence sur le législateur de l’Union qui peut décider de confier, en vertu du premier, l’exécution aux

BERTRAND B., Le juge de l’Union européenne, juge administratif, précité, p. 219.

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ZILLER J., « Le principe de subsidiarité », in J.-B. AUBY et J. DUTHEIL DE LA ROCHÈRE (dir.), Traité

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de droit administratif européen, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2013, pp.527-542, spéc. p540. L’auteur estime que ce n’est pas le cas.

Les dispositions de l’article 5 TUE et de l’article 2 TFUE définissent les notions de compétences en termes

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d’activité législative et le Protocole n° 2 (art 2 à 8) limite la procédure du contrôle préalable du principe de subsidiarité aux seuls actes législatifs de l’Union.

La notion d’exécution est «!le grand impensé!» du droit de l’Union : AZOULAI L, « Pour un droit de

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l’exécution de l’Union européenne », in J. dutheil de la rochère (dir.), L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 1.

EHLERMANN C. D., «Quelques réflexions sur la Communication de la Commission relative au principe de

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subsidiarité», RMUE, 1992, n° 4, p. 218.

STROZZI G., «Le principe de subsidiarité dans la perspective de l’intégration européenne : une énigme et

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beaucoup d’attentes», RTDE, 1994, n° 3, p. 383.

DUBEY B., «!Administration indirecte et fédéralisme d’exécution!»,…, précité, p. 119.

seules autorités nationales ou associer, en vertu du second, les autorités nationales aux institutions européennes compétentes pour exercer des compétences d’exécution. Sous l'angle de la subsidiarité lato sensu500, l’on peut aussi considérer que ce principe limite, comme l’a constaté A. Bouveresse, le pouvoir discrétionnaire de l’Union relatif au choix d’agir ainsi qu’au choix des modalités de l’action. En effet, si la subsidiarité est « ! plus propice à intervenir au moment du choix d’agir ou de ne pas agir!» le respect de ce principe «!aboutit généralement à voir privilégier l’adoption d’une directive qui, par nature, associe les autorités étatiques au processus d’édiction de cette législation à deux étages, à celle d’un règlement!»501. Dans la mesure où les principes de subsidiarité et de proportionnalité tendent à se confondre, une conception large du premier permet de considérer la directive comme un instrument de la subsidiarité. L’application de la subsidiarité lato sensu influe d’une façon ou d’une autre sur les modalités d’exécution du droit de l’Union qui sont extrêmement variables et inspire le choix du type d’acte ainsi que le choix du contenu de la mesure502.

279. La logique de subsidiarité implique que les institutions doivent privilégier, dans la mesure du possible, un acte non contraignant à un acte contraignant. De même, comme l’indiquait le protocole pertinent annexé au traité d’Amsterdam, dans la mesure où l’Union ne légifère que dans la mesure nécessaire, il convient de donner la préférence à des directives plutôt qu’à des règlements, et à des directives-cadre plutôt que des mesures détaillées503. L’article 288 TFUE indique que la directive lie tout État quant au résultat à atteindre,!tout en lui laissant «!la compétence quant à la forme et aux moyens!». À la différence du règlement dont le même article précise qu’il a!une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable, la directive se présente comme un instrument normatif plus respectueux de l’autonomie étatique puisqu’elle se caractérise par la nécessité structurelle de l’intervention d’une action normative des États membres504. Beaucoup d’auteurs ont vu dans la technique de la directive une application de la subsidiarité à l'action administrative de l’Union505. Jugée moins intrusive que le règlement dans la mesure où elle représente, en théorie, une intervention moins forte dans la sphère étatique, la directive doit être privilégiée

Le principe de subsidiarité lato sensu intègre l’élément «!proportionnalité!». Voir Chapitre I, Titre I, Partie I.

500

BOUVERESSE A., Le pouvoir discrétionnaire dans l’ordre juridique communautaire, Bruylant, 2010, p. 96.

501

BOUVERESSE A., précité, p.96.

502

Pt 6 du protocole d’Amsterdam précité.

503

BOSKOVITS K., précité, p.371.

504

SCHWARZE J., Le principe de subsidiarité dans la perspective du droit constitutionnel allemand, RMCUE,

505

n°370, juillet-août 1993, pp.615-619 ; MERTENS DE WILMARS J, Du bon usage de la subsidiarité, RMUE, 1992, n°4, pp.193- 201.

par l’Union506. C.-D. Ehlermann a pu estimer que le recours aux directives permettait d’octroyer aux États plus de marge de manoeuvre dans l’exécution507.

b. Le traité de Lisbonne

280. En consacrant à l’article 291.1 TFUE une compétence de principe des autorités nationales dans la mise en oeuvre du droit de l’Union, le traité de Lisbonne a contribué à clarifier le fondement de la compétence nationale d’exécution. Aux termes de cet article, «!les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union ! ». Si l’article ne fait que reprendre les dispositions de l’article 4.3 TUE en vertu duquel les États «!prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union ! », il revêt, en réalité, une grande importance car il précède la précision selon laquelle «!lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission ou (…) au Conseil!»508. Aussi, l’article 291.1 TFUE confère-t-il une véritable compétence aux États membres pour exécuter le droit de l’Union. En effet, ce n’est que lorsque des conditions uniformes d’exécution seront nécessaires que les institutions de l’Union auront des compétences d’exécution. L’article 291 TFUE conforte le principe de l’administration indirecte qui, malgré une absence de consécration dans les traités, irrigue le fonctionnement de l’Union depuis le début de la construction communautaire.

281. Dans la déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Union européenne du 15 décembre 2001, les rédacteurs avaient exprimé leur souhait d’une «!meilleure répartition et définition des compétences dans l'Union européenne ! » en proposant de « ! laisser de manière plus explicite la gestion quotidienne et l'exécution de la politique de l'Union aux États membres et, là où leur Constitution le prévoit, aux régions!». Le souhait de donner aux États « la garantie

ARNOLD R., «!The Voice of Länder, Regions and Communities in the European Union!» in The States and

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Moods of Federalism Governance, Identity and Methodology, J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, F. GÉLINAS (dir), Bruylant, Bruxelles, 2005, p.359 : «!Thus, regulation by means of a directive is less invasive for the member states, and must consequently be chosen instead of a regulation, since a regulation represents a much stronger intervention into the state’s sphere than a directive does!».

HEHLERMANN C.-D., Quelques réflexions sur la communication relative au principe de subsidiarité, RMUE, 1992, n°4,

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p.218.

Article 291.2 TFUE. La doctrine estime que l’article 291 TFUE constitue désormais le fondement de la

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compétence d’exécution des Etats membres dans la mesure où des doutes demeuraient quant à la capacité de l’article 4 TUE (ex-article 10 CE) à fonder une telle compétence. En effet, l’article 10 CE marquait plus une délimitation de la compétence exécutive qu’il ne fondait celle-ci. Il s’agirait d’une disposition concernant davantage «!l’exercice que l’essence de la compétence exécutive des Etats ». Voir : CHEVALIER E., Bonne administration et Union européenne, Bruylant, 2014, p. 429. JORDA J., Le pouvoir exécutif de l’Union européenne, Aix-en-Provence, PUAM, 2001, p. 255 :

qu'on ne touchera pas à leurs compétences!» fut également exprimé. Lisbonne semble avoir répondu aux attentes comme le montre l’insertion du nouvel article 291.1 TFUE, qualifié de «!charte constitutionnelle de l’exécution!»509, puisque cette dispositions clarifie la répartition des compétences au stade de la mise en oeuvre du droit de l’Union. Selon C. Blumann, l’exécution relève des compétences conservées par les États même si elles peuvent être encadrées par l’Union. L’Union ne saurait se «!prononcer sur l’étendue de ces compétences exclusives, puisqu’elles relèvent des États membres en raison du principe d’attribution!»510. 282. Si le traité de Lisbonne confirme la compétence!de principe des États, il précise les conditions dans lesquelles l’Union peut intervenir au stade de l’exécution, à savoir la nécessité des conditions uniformes d’exécution. L’on peut ainsi considérer que la subsidiarité vient désormais «!se caler dans la problématique de l’exécution!» . En vertu de ce principe, 511 les États possèdent une compétence de principe (au sens d’une priorité d’action) pour assurer l’exécution du droit de l’Union et ce n’est que lorsque certaines conditions sont réunies (le besoin d’uniformité dans l’exécution de la législation) que la Commission pourra adopter des mesures d’exécution. Comme le résume C. Blumann « ! ce besoin d’uniformité reproduit finalement au niveau de l’exécution ce que sont les conditions de l’insuffisance étatique et de la plus-value de l’Union (art. 5.3 TUE), lorsqu’il s’agit de légiférer. L’intervention de l’Union présente un caractère subsidiaire car «!les États ne veulent pas perdre la main!»512.

283. Avant le traité de Lisbonne, le Conseil semblait jouir d’une plus grande liberté pour habiliter la Commission à agir car il était le seul maitre de l’intensité normative d’un acte en raison de l’absence de distinction claire entre ce qui relevait de la fonction législative et de l’exécution normative513. En procédant à une répartition plus rationnelle des compétences et en identifiant plus clairement les compétences d’exécution, le traité de Lisbonne consacre implicitement le principe de subsidiarité dans le domaine administratif. Si Maastricht a fait de

BLUMANN C., Revue des affaires européennes, Nº 2, 2012, p. 235-258.

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Ibid., Lors de la Convention sur l’avenir de l’Europe, une controverse avait divisé les partisans d’une

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inscription dans le traité d’une liste de compétences nationales réservées (pour éviter les ingérences de l’Union dans les domaines les plus sensibles) et ceux qui ne souhaitaient pas cela car une telle liste aurait signifié que l’Union posséderait la compétence de la compétence, cela aurait abouti à un effet contraire au but recherché.

Ibid. Voir aussi BERTRAND B., Le juge de l’Union, précité…et Conclusions de l’Avocat général M. P.

Cruz-511

Villalon du 19 décembre 2013 dans l’affaire C-427/12 - Commission / Parlement et Conseil. Ibid.

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En effet, le législateur de l’Union fixait lui-même l’intensité normative de ses actes, de sorte que le Conseil

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pouvait en toute liberté choisir de couvrir la totalité d’une matière, laisser (de façon plus ou moins expresse) le soin aux Etats membres de compléter/mettre en oeuvre la législation (incomplète) ou encore conférer des compétences d’exécution à la Commission. La seule condition pour le Conseil, posée par la Cour de justice, était la nécessité de fixer les « ! éléments essentiels ! » d’une question dans l’acte de base avant de conférer des compétences d’exécution à la Commission : CJCE, 11 mars 1987, Rau / Commission, aff. 279/84, Rec. p. 1069.

la subsidiarité un principe!constitutionnel, Lisbonne poursuit sa!constitutionnalisation en en faisant un principe!administratif. B. Dubey souligne que si cet aspect de la subsidiarité peut paraitre anodin au regard des grandes controverses portant sur la répartition des domaines de compétences législatives, elle n’en revêt pas moins un grand intérêt pour les citoyens514. L’auteur note que «!contrairement à une idée reçue, la question de savoir qui va leur appliquer le droit interpelle bien davantage l’administré et le justiciable européens que ne devrait jamais le passionner la forme juridique précise que doit revêtir l’intervention législative de la Communauté dans tel ou tel domaine ! »515. Bien avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, les exigences inhérentes à la subsidiarité étaient prises en compte par l’administration indirecte. Ces exigences sont les suivantes : la nécessité de rapprocher administration et administrés, le constat de l’inutilité d’une administration centralisée en présence d’administrations nationales pré-existantes (et plus efficaces), la volonté de préserver les droits de regard et de participation des États sur les politiques de l’Union516. Ces caractéristiques se retrouvent dans le fédéralisme d’exécution germanique.